Code 93, Olivier Norek

Découvrir les aventures sombres du capitaine Coste, héros malgré lui des polars d’un auteur qui connaît bien le métier

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Salon du Polar de Montigny-Lès-Cormeilles, Olivier Norek

C’est le premier opus des aventures du capitaine de police Victor Coste, dans ce département tristement célèbre de banlieue parisienne qu’est le 93. Car la vie n’y est pas toujours très tranquille c’est le moins qu’on puisse dire !

Tout démarre sur les chapeaux de roues, avec un cadavre que l’on transporte à l’IML, cadavre déjà un peu « découpé » et qui se réveille pendant l’autopsie. Diantre, ça démarre fort, et nous voilà aussitôt immergés dans des scènes de crimes aux relents mystiques, surréalistes, vaudou, ou même qui sait perpétrés par des vampires, le tout macabrement mis en scène, là où tout semble possible. Tout est bon pour perdre le lecteur et surtout le Capitaine Coste et son équipe dans ces ruelles sombres et ces immeubles délabrés où la criminalité prospère aussi vite que les macs ou les pauvres droguées plutôt paumées. Une intrigue qui commence à fond, qui parait incompréhensible au premier abord, mais où les pièces de puzzle s’imbriquent peu à peu, où les relations interférent avec d’autres histoires plus anciennes, avec des combines politiciennes bien trop louches pour être honnêtes, avec des familles d’un autre monde, celui des riches inatteignables et semble-t-il hors de compréhension pour le reste des humains, avec une morte que l’on ne reconnait pas mais qui pourrait bien être le fil conducteur de cette sombre histoire.

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L’auteur a la très bonne idée de nous perdre dans des intrigues croisées, avec un flic décalé peu classique mais qui a un sens de la déduction et une intuition quasi infaillible et reconnus par ses hommes. Enfin, hommes et femme bien sûr, puisque une nouvelle venue à priori pas du tout la bienvenue va tenter de s’intégrer dans l’équipe. Ce qui permet à Olivier Norek de nous situer dans les différents services de police, de rentrer dans le quotidien d’une équipe d’enquêteurs, mais surtout de décrire les problèmes des policiers, d’évoquer les états d’âme, les difficultés personnelles et professionnelles, de parler de la vraie vie finalement.

Olivier Norek sait rendre ses personnages crédibles et attachants, le rythme est soutenu mais les chapitres courts permettent de suivre et donnent envie de tourner les pages. Même si vers le milieu du roman le lecteur s’interroge et si l’attention semble prête à se relâcher, l’intérêt est très vite suscité par le changement de point de vue, ce n’est plus l’enquêteur qui parle, on passe du côté obscur et là, bien sûr, on veut comprendre ! Allez-y ! C’est noir, c’est parfois violent et dur, mais c’est efficace, aie, dire qu’il parait que c’est basé sur une certaine réalité ! Comme quoi, la vérité est parfois plus fertile et bien plus sordide que l’imagination des écrivains.

Catalogue éditeur : Michel Lafon, Pocket

Victor Coste est capitaine de police au groupe crime du SDPJ 93. Depuis quinze ans, il a choisi de travailler en banlieue et de naviguer au cœur de la violence banalisée et des crimes gratuits.
Une série de découvertes étranges – un cadavre qui refuse de mourir, un toxico victime d’auto combustion – l’incite à penser que son enquête, cette fois-ci, va dépasser le cadre des affaires habituelles du 9-3.
Et les lettres anonymes qui lui sont adressées personnellement vont le guider vers des sphères autrement plus dangereuses…
Écrit par un «vrai flic», Code 93 se singularise par une authenticité qui doit tout à l’expérience de son auteur. Mais il témoigne aussi d’une belle maîtrise des sentiments et relève un véritable défi en matière de suspense, dans un environnement proche et pourtant méconnu. Cette plongée inattendue dans un monde de manipulations criminelles au sein des milieux de la politique et de la finance nous laisse médusés.

Parution : 18/04/13 / Prix : 18.95 € / ISBN : 9782749917788 / Pages : 304

Macadam. Jean-Paul Didierlaurent

Qui dit nouvelles dit tranches de vie en peu de mots et peu de pages, avec « Macadam » Jean-Paul Didierlaurent, l’auteur du très sympatique « liseur du 6h27 » nous régale et nous emporte.

Depuis toujours, j’aime lire des nouvelles, mes préférées étant sans doute celles de Scot Fitzgerald, et j’ai également découvert avec bonheur depuis quelques années celles écrites par des ados du Prix Clara. Aujourd’hui, en lisant Macadam, j’avoue que je n’ai pas été déçue .
Qu’il nous parle d’un prêtre qui réussit à s’évader alors qu’il est obligé d’écouter les sempiternelles confessions de ses ouailles, d’un musicien qui se sent profondément coupable, d’une jeune femme désabusée qui travaille au péage de l’autoroute, d’un ancien soldat pétri de remords face au « pourquoi eux et pas moi », ou d’une fillette qui fait de terribles cauchemars, pour ne citer que ces nouvelles -là, l’auteur sait capter l’essence même des instants de vie qu’il décrit.
Que ce soit les sentiments amoureux, la lassitude, l’échec, la culpabilité, le souvenir et le remords, la passion et la fidélité sans faille envers l’amour disparu, l’ennui, le cynisme parfois, ou même l’horreur d’une relation incestueuse, il y a toujours à la fois une poésie et une justesse dans le phrasé qui nous touchent au cœur, qui nous font vibrer avec les protagonistes, qui nous émeuvent et nous touchent au plus profond. Jean-Paul Didierlaurent a l’art, en quelques phrases, de trouver l’accroche qui nous donne envie de lire, en quelques scènes il crée une véritable histoire, ou au contraire il initie une histoire à prolonger, puisque l’on retrouve dans ce recueil certains protagonistes de son roman « le liseur du 6h26 », et c’est un grand plaisir de lecture.
Macadam n’a qu’un défaut, on le fini trop vite ! Du coup, il laisse à son lecteur un goût de « revenez-y » !


Catalogue éditeur : Au diable vauvert

Un prêtre qui s’ennuie pendant les confessions devient accro à la Game Boy ; un vieillard qui attend de mourir assassine en douceur ses voisins de chambre dans une maison de retraite ; un moustique écrasé sur une partition sabote une corrida ; pour mettre fin à une discorde, un fossoyeur enterre les aiguilles des deux clochers de son village.
Macadam recueille plus de dix années d’écriture et de concours de nouvelles. L’auteur du Liseur du 6h27 y dévoile de nouvelles facettes de son talent, tout aussi bien sombres que joyeuses ou humoristiques. Les lecteurs y retrouveront en germes les éléments et la magie qu’ils ont pu découvrir dans son roman : l’univers d’un écrivain original et populaire.

Date de parution : 10/09/2015 / EAN : 9782846269636

Les enquêtes d’Enola Holmes. Tome 1, la double disparition. Serena Blasco

Au salon du polar de Montigny-Lès-Cormeilles, j’ai eu le plaisir de rencontrer Serena Blasco qui présentait le premier tome en BD de l’adaptation des aventures d’Enola Holmes.

Domi_C_Lire_les_enquetes_d_enola_holmes_serena_blasco.jpgJ’ai trouvé ses dédicaces tellement jolies, et ses dessins d’Enola Holmes, que j’ai eu envie d’en offrir un, à lire à partir de 12 ans ! Bien m’en a pris, c’est joliment dessiné, avec un graphisme et des couleurs agréables, qui donnent un air suranné à la BD, tout en la laissant évoluer avec aisance. Nous voilà embarqués dans cette époque pas si lointaine où passé un certain âge les jeunes filles devaient porter une jupe longue et un corset, pour se conformer aux codes de la morale et pouvoir faire leur entrée dans le monde.

Pourtant, Enola n’a pas une enfance classique. Elle est élevée par sa mère dans un manoir à la campagne. Cette mère, artiste et veuve, disparait mystérieusement le jour des quatorze ans d’Enola. L’on découvre alors que ses frères ne sont pas moins que le célèbre Sherlock Holmes et Mycroft, frère plus âgé  faisant office de tuteur depuis la disparition de leur père. Appelant ses frères à l’aide pour qu’ils découvrent ce qu’elle est devenue, et devant leur incapacité à résoudre l’affaire de cette disparition, Enola va enquêter elle-même. De belles péripéties vont ponctuer ses recherches, ingénieuse, courageuse, déterminée, elle va tout tenter pour retrouver cette mère si peu commune. Imaginative et intrépide, son enquête va la mener vers de nouvelles aventures.

C’est joli, il y a un peu de mystère, un jeu de piste, un code à découvrir, le langage des fleurs à comprendre pour avancer, tout ce qui peut donner envie de continuer l’aventure avec Enola. Mais là il faudra attendre le prochain opus !

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Catalogue éditeur : Jungle

Quand Enola Holmes, sœur cadette du célèbre détective Sherlock Holmes, découvre que sa mère a disparu le jour de son anniversaire, en ne lui laissant pour mot qu’un recueil sur les fleurs, et un carnet de messages codés, elle se met rapidement à sa recherche.
Elle va devoir recourir à son sens de la débrouille, ainsi qu’à d’ingénieuses techniques de déguisement afin de fuir le manoir familial …
Enola arrivera-t-elle à s’en sortir seule, et continuer de suivre la piste de sa mère tout en échappant à ses deux frères ??
 
L’adaptation des romans de Nancy Springer

23 Septembre 2015 / ISBN 9782822211284 / Format 230 x 310 mm / Pages 56 / Prix 12€

 

L’homme qui chante. Alfred-Chauvel

« L’homme qui chante », c’est Daho, Étienne de son prénom. Nous allons le suivre pendant les trois ans indispensables à la création de son dernier album « Les chansons de l’innocence retrouvée »

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A Londres tout d’abord, où va être réalisée une grande partie de son disque, puis en tournée.
Tout au long, le récit graphique alterne entre deux visions, celle de Daho, puis à tour de rôle, de tous ceux qui autour de lui sont indispensable à la création, à la réalisation du disque : musiciens compositeurs, musicien bassiste, coproducteur, directeur artistique, ingénieur du son, responsable image, responsable de projet, photographe, manager, réalisateur, régisseur général sur la tournée, tout un microcosme que l’on n’imagine pas mais qui permet l’aboutissement de l’œuvre de l’artiste.
Le récit est découpé en chapitres qui rythment à eux seuls ces étapes créatives : l’écriture, l’enregistrement, Londres, l’album, le truc (là, je ne vous dis rien, allez voir !), la promo, la tournée.
Enfin, quelques doubles pages avec simplement les paroles des chansons, dans un décor graphique intéressant et sobre, qui reprend les tonalités de tout l’album : rouge, bleu, noir, gris.

Une fois refermée la dernière page, le lecteur a voyagé dans les coulisses de la réalisation d’un disque. Et comprend les interrogations et questionnements de l’artiste. Maintenant, il n’y a plus qu’à écouter l’album !

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Catalogue éditeur : Delcourt

« Nous souhaitons faire un livre atypique, passionné, différent, beau, tout simplement, autour d’un artiste qui nous émeut et nous passionne. » Ainsi se termine le mail envoyé par les auteurs, en septembre 2012, au manager d’Étienne Daho…

Date de parution : 21/10/2015 / ISBN : 978-2-7560-6029-3 Scénariste : CHAUVEL David, ALFRED / Illustrateur : ALFRED / Coloriste : ALFRED

Ce pays qui te ressemble. Tobie Nathan

« Ce pays qui te ressemble » est un roman qui oscille entre le fantastique et l’Histoire, entre le réel et les croyances, et qui évoque une période importante de l’Histoire récente de l’Egypte, des années 1925 à 1952.

Tout commence dans le quartier juif par le mariage d’un couple improbable, Esther et Motty. Esther est belle mais elle inspire la crainte, car son comportement est parfois étrange, possédée par des démons depuis l’enfance, Motty est bien plus âgé qu’elle, il est aveugle mais ressent et comprend ce que les voyants ne savent souvent pas voir. Leur mariage arrangé sera un mariage d’amour. Pourtant, il se passe de nombreuses années avant qu’Esther porte ce fils tant attendu. Dans l’incapacité de le nourrir, on fait appel à une nourrice musulmane, une fille à la voie ensorcelante qui chante dans les cabarets du vieux Caire. Elle élèvera Zohar en même temps que sa fille Masreya. Les deux enfants seront alors unis par une amulette porte bonheur qui doit être portée par les deux, car elle est unique. Dans ce pays en mutation, de débrouille en combine, le jeune Zohar va finalement créer une entreprise florissante avec Joe et Nino, ses deux amis d’enfance, ceux de la ruelle aux juifs. Un jour son chemin croise celui de sa sœur de lait, belle comme le jour, artiste à la voix magique, la seule, l’unique qui ne pourra jamais être sienne, et ils tombent follement amoureux.

A travers ses personnages, l’auteur nous emporte dans un mélange de magie et de vie, et nous devenons spectateurs d’un pays qui évolue. On y retrouve la période trouble de la guerre en Europe, quand l’Egypte attend la victoire ou la défaite de l’armée de Rommel, à la porte du pays, les manigances des Italiens, prêts à naturaliser de nouveaux soldats, mais aussi la montée des frères musulmans, alors seuls soutiens attentifs d’un peuple qui souffre, la vie dépravée du jeune roi Farouk qui a du mal à trouver sa place, aussi bien dans sa famille que dans ce pays gouverné par les Anglais, et l’arrivée de Gamal Abdel Nasser et d’Anouar El Sadate, cette période  tellement importante dans l’histoire malgré tout récente du pays…

J’ai parfois trouvé un peu trop prégnant le recours au surnaturel, et quelques fois pas assez, comme si l’auteur hésitait à s’orienter vers une intrigue où la magie aurait toute sa place. J’ai pourtant beaucoup aimé ce livre. J’y ai retrouvé la chaleur et l’ambiance indolente des soirées au bord du Nil, j’ai aimé la mise en perspective des évènements tant dans le pays  qu’à l’international, permettant au lecteur de se situer dans l’Histoire.

Et surtout, je dois avouer qu’en tournant ces pages, en suivant ses personnages, je suis revenue avec un bonheur immense dans les rues du Caire, découvrant ce mot Misr (Egypte) sur toutes les façades, déambulant à pieds dans les méandres des rues intriquées et tortueuses qui partent de Bâb Zuweila à Khan-El-Khalili, y buvant un thé au café Feshawy, traversant le Nil par le pont Qasr Al Nil. Je revois les somptueuses villas de l’ile de Roda, le palais Abdine, les jeunes cairotes qui sortent du Gezira sporting club, le lever du soleil alors que je quittais Zamālek et que le taxi m’emmenait au bureau à Maadi Guedida, en longeant Corniche el Nil. Je ressens le goût des pâtisseries toutes en sucre et en douceur de chez Groppi, l’odeur sucrée des fumées des chichas aux terrasses le soir, le parfum suranné du hall de l’hôtel Sémiramis, la chaleur et le sable sur la peau, les jours où souffle le Khamsin et que l’horizon n’existe plus. Et avant tout, la chaleur des gens qui vous abordent quand ils vous croient perdue, qui vous expliquent où vous voulez aller (même s’ils ne le savent pas eux-mêmes !) par soucis de plaire et de rendre service… Cette Égypte magique, éternelle et changeante, que je n’ai pas revue depuis si longtemps. Comme je comprends l’auteur, qui en est parti très jeune et qui n’y reviendra peut-être jamais…

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Catalogue éditeur : Stock

Cette saga aux couleurs du soleil millénaire dit tout de l’Égypte : grandeur et décadence du roi Farouk, dernier pharaon, despote à l’apparence de prince charmant, adoré de son peuple et paralysé de névroses. Arrivée au pouvoir de Gamal Abdel Nasser en 1952 et expulsion des Juifs. Islamisation de l’Égypte sous la poussée des Frères musulmans, première éruption d’un volcan qui n’en finit pas de rugir… C’est la chute du monde ancien, qui enveloppait magies et sortilèges sous les habits d’Hollywood. La naissance d’un monde moderne, pris entre dieux et diables.

Parution : 19/08/2015 / 540 pages / Format : 135 x 215 mm / EAN : 9782234078222 / Prix: 22.50 €

La déclaration des droits de l’homme illustrée

La déclaration des droits de l'homme illustrée par CollectifQuelle excellente initiative ce petit livre de quelques cent pages qui nous remet en tête des évidences telles qu’on croit chaque jour qu’elles sont définitivement acquises, ancrées dans les mentalités et acceptées par nos sociétés dites modernes, et pourtant !

Pourtant nous en sommes loin, et ce texte, « La déclaration universelle des droits de l’homme », rédigé par les nations unies en 1948, (si longtemps, déjà !) nous remet les idées en place. Il énumère des évidences : égalité homme femmes, droit à la vie, droit à un pays, droit aux soins, à l’éducation et à la culture pour tous, à un salaire, droit aux loisirs et au repos, temps de travail, droit de vote, droit d’asile ! 30 articles pour ne rien oublier de ce qui rend une société civile vivable en bonne intelligence. Mais rappel également des devoirs qu’à un individu envers la société dans laquelle il a des droits, c’est certainement intéressant de le rappeler aussi !
Ce qui rend ce petit livre très attractif, ce sont bien évidement les illustrations très « parlantes » et très actuelles qui évoquent chacune à leur manière l’article auquel elles sont rattachées. Illustrateurs résolument modernes, originaux, qui devraient plaire aux lecteurs de tous âges. Une courte biographie de chacun est disponible dans le recueil.
Et un intéressant « aller plus loin » qui nous démontre que de tout temps, ces valeurs-là ont été partagées, diffusées, recherchées, mais que pourtant il est bien loin de temps où elles seront universellement appliquées.
Excellente initiative enfin, le format et le prix de cet ouvrage, qui permettront sans doute de le diffuser plus facilement, car il est à mettre dans toutes les poches, à lire, à partager, à échanger.

« L’admission de la femme à l’égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation ; elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain et ses chances de bonheur. » Stendhal, Rome, Naples, et Florence 1817

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Catalogue éditeur : Éditions du Chêne

CONNAÎTRE SES DROITS, C’EST RÉSISTER ! « Ce livre est à mettre entre toutes les mains, il doit circuler en tous lieux, il est pour tous les âges. Il est notre bouclier contre la barbarie. Il est un outil pour lutter contre les idées qui font perdre à certains leur humanité. » Fabienne Kriegel, Directrice des Éditions du Chêne

ISBN : 2812314753 / Éditions du Chêne (2015) 96 pages 2,90€

L’amie prodigieuse. Elena Ferrante

« L’amie prodigieuse » d’Elena Ferrante, c’est Naples, une époque, une amitié, une vie, une très belle écriture,et si c’était ça un bon roman ?

https://i0.wp.com/static1.lecteurs.com/files/books-covers/623/9782070138623_1_75.jpgQuel roman étrange, peu captivant au départ, et qui très rapidement devient pourtant quasiment envoûtant. Naples, années 50, Lila et Elena, deux gamines, deux voisines, deux amies, vivent dans ces quartiers pauvres où la vie est intense et riche d’évènements du quotidien qui forgent les vies et les caractères.
Quand le récit débute, nous sommes au présent, Lila a disparu, son fils inquiet contacte Elena, l’amie de toujours. Très vite, flash-back vers l’enfance, puis l’adolescence. Les deux fillettes vivent dans le quartier, ce quartier que l’on ne quitte pas, même pour aller « en ville », là si près, ou tout simplement au bord de la mer, que bien souvent on ne connait pas alors qu’elle est si proche. A cette époque il est encore rare d’aller à l’école, pourtant les deux gamines montrent des signes évidents d’intelligence et d’aptitude, les maitresses d’école successives vont tout faire pour qu’elles puissent suivre une scolarité normale. Lila s’avère rapidement surdouée, elle a su dès l’enfance lire et apprendre toutes sortes de matières seule, mais issue d’une famille trop pauvre, ayant souvent des manières qui la font passer pour plus méchante qu’elle n’est, elle n’aura pas l’opportunité de poursuivre longtemps ses études. Elena aura plus de chance, malgré des parents hésitants en particulier face au défi financier que représente l’école. Car les livres scolaires sont chers et puis à quoi bon apprendre trop longtemps, il suffit de savoir travailler comme sa mère puis de trouver un bon mari.
Suivent les années où l’amitié se forge entre Lila et Elena, mais où vient aussi le temps de la compétition, de la soif d’apprendre, de savoir avec et parfois avant l’autre, d’être la meilleure, celle qui aura les meilleures notes, les meilleures appréciations. Viennent les changements, les gamines se transforment, l’adolescente prend le dessus, les formes et les corps se dessinent et avec elles un avenir parfois tout tracé. Viennent aussi ces sentiments si forts qui unissent des amies pour la vie, contre tous et quels que soient les évènements extérieurs.
En filigrane, la narratrice nous dépeint avec justesse une époque, une vie où les hommes peuvent être violents avec leur femme sans que la société n’y trouve à redire, où les frères ainées défendent l’honneur des filles, surtout si on a porté le regard sur elles, si on a osé une parole, une société où quelques familles mafieuses et donc aisées règnent en maitre sur le quartier, démontrent leur puissance, imposent leurs désirs, par les poings ou par les armes, qu’importe. C’est un monde de compétitions entre jeunes garçons, poids des traditions religieuses ou sociétales, qui font par exemple qu’une femme trouve sa place seulement si elle se marie, et en même temps évolution évidente d’une société, si fermée soit elle, avec l’apparition de la télévision, l’ouverture vers ailleurs, le désir d’une vie meilleure. Voilà autant d’éléments qui rendent ce livre rare et attachant. Et qui donnent envie de connaître la suite, toute une vie en somme. Il faut dire que deux autres tomes vont suivre, que j’ai hâte de découvrir.

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Catalogue éditeur

Naples, fin des années cinquante. Deux amies, Elena et Lila, vivent dans un quartier défavorisé de la ville, leurs familles sont pauvres et, bien qu’elles soient douées pour les études, ce n’est pas la voie qui leur est promise. Lila, la surdouée, abandonne rapidement l’école pour travailler avec son père et son frère dans leur échoppe de cordonnier. En revanche, Elena est soutenue par son institutrice, qui pousse ses parents à l’envoyer au collège puis, plus tard, au lycée, comme les enfants des Carracci et des Sarratore, des familles plus aisées qui peuvent se le permettre. Durant cette période, les deux jeunes filles se transforment physiquement et psychologiquement, s’entraident ou s’en prennent l’une à l’autre. Leurs chemins parfois se croisent et d’autres fois s’écartent, avec pour toile de fond une Naples sombre mais en ébullition, violente et dure.
Trad. de l’italien par Elsa Damien /
Collection Du monde entier, Gallimard / Parution : 30-10-2014 / ISBN : 9782070138623 / 400 pages

La Pléiade de Gallimard : visite des ateliers de reliure Babouot.

Invitée par lecteurs.com et Gallimard, j’ai eu la chance de visiter les ateliers Babouot. Quel plaisir d’embarquer pour cette superbe visite, découverte d’un savoir-faire admirable et intemporel. La Pléiade est vraiment une collection unique que chacun rêve d’avoir dans sa bibliothèque.

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Dès 1931, l’idée qui précède à la création de cette collection est le souhait de proposer les œuvres complètes des auteurs classiques au format poche. Pour obtenir un grand confort de lecture, on utilise alors le papier bible, ce papier si fin et si particulier, et les couvertures en cuir et la dorure à l’or fin leur donnent leurs lettres de noblesse. Dans les années 50, La Pléiade devient une collection de référence grâce à laquelle on peut découvrir les plus grands auteurs : Saint Exupéry, Yourcenar, Duras, Sévigné, Victor Hugo. Elle trouve son équilibre entre fonds et nouveautés, littératures classique et contemporaine, refonte des anciennes éditions (Camus, Rimbaud, Montaigne…), œuvres françaises et étrangères. Hemingway fut le premier auteur étranger contemporain et André Gide le premier auteur contemporain à y entrer de son vivant en 1939.Il sera suivi par onze autres jusqu’à Milan Kundera en 2011, puis Jean d’Ormesson en 2015. Et Mario Vargas Llosa début 2016.
Le nombre de tirages moyen est d’environ 5000 exemplaires. La parution des œuvres de Jean d’Ormesson en avril dernier a généré quant à elle autour de 20 000 exemplaires. Le chiffre de meilleures ventes revient toujours à l’édition de Saint Exupéry en 1953.
À chaque époque correspond une teinte de cuir : havane pour le XXe siècle, vert émeraude (XIXe), bleu (XVIIIe), rouge vénitien (XVIIe), corinthe (XVIe), violet (Moyen Âge), vert (Antiquité) ; gris pour les textes sacrés et rouge de Chine pour les anthologies.

On ne compte pas moins de huit millions d’exemplaires vendus depuis 1933 par la maison Gallimard !

Les ateliers comme celui-ci se raréfient et tendent à disparaitre, ceux qui résistent permettent la transmission d’un savoir-faire d’exception. A seulement quelques kilomètres à l’Est de Paris, 35 personnes créent avec passion des objets aussi exceptionnels que la collection de La Pléiade Pour cela, elles travaillent le haut de gamme, le cuir, l’or, le papier fin. Si 80% de leur production est destinée à La pléiade, les 20% restant sont pour des éditions liturgiques et d’autres, comme par exemple « Le bottin mondain » dont nous avons suivi une partie de la fabrication pendant notre visite. Il n’y a plus que deux vrais relieurs en France (depuis le récent dépôt de bilan d’un troisième).
Dans les ateliers Babouot se pratique un travail semi-industriel, semi-artisanal, le choix qui a été fait reste celui de la qualité. Dix-neuf points de contrôle sont indispensables pour fabriquer un tome de La Pléiade. Pliure, assemblage, couture sont industrialisés, le reste est artisanal. Il y a aujourd’hui une perte de savoir-faire, quelques personnes vont quitter les ateliers d’ici deux ans, il est primordial de former les jeunes. Il existe des CAP reliure, des BEP reliure. Mais avant tout, il faut transmettre les connaissances tant que c’est possible.

Débutons la visite pour découvrir comment est fabriqué un volume de La Pléiade.

La pliure du papier pour constituer les cahiers : Où l’on utilise des termes tels : Bloc de papier, couverture, cahiers, signature, emboitage.

 

La réception des blocs imprimés se fait généralement en rame de 32 feuilles que l’on va ensuite plier puis coudre, et couper. La grande feuille de 32 est d’abord coupée en deux, il faut également couper les bords extérieurs de la grande feuille de 32 pages avec un immense massicot frontal. Puis il faut aérer les feuilles, d’ailleurs on nous parlera de « faire rentrer l’air »ou « faire sortir l’air » à de nombreuses reprises. Puis vient le travail de refente, la pliure qui peut être « couteau » (avec des trous pour mieux chasser l’air), puis une pliure automatique en 2 puis en 2 puis en 2. L’ensemble de ces 32 feuilles pliées compose un cahier.

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Les cahiers prêts à coudre

Un livre est composé de X cahiers ou signatures. Ils sont placés dans des cases, dans l’ordre dans lequel ils vont se retrouver dans le livre. Il faut vérifier chaque étape. Certains cahiers arrivent avec des 4 pages déjà pliées. Pour le bottin mondain par exemple il y a quatre types de papiers différents. Pour la pléiade il y a 47 cahiers à assembler, on divise en deux, car deux blocs sont imprimés en même temps, le premier et le dernier, le second et l’avant dernier, etc. jusqu’à la fin où on les retourne et on coupe pour les assembler.

 

La couture : Dans l’atelier de couture il y a 3 générations de machines. Les dernières facilitent légèrement le travail pour installer les blocs à coudre. Une fois le cahier cousu, on y pose les gardes et le calicot, puis il est prêt à être massicoté. Ensuite, les blocs arrivent serrés, sur un rouleau, pour apposer l’encre qui va modifier la couleur de la partie visible des pages, avec des encres naturelles. Quand le bloc est prêt : on ajoute la couleur, la garde, et ça devient une mousseline.

IMG_6952ATELIERRHODOIDVoici l’atelier Rhodoïd, les jaquettes des volumes de La pléiade ont toutes un rhodoïd ajusté au millimètre près à la largeur du livre. S’il y a une nouveauté à produire, comme le Foucault par exemple, c’est fait en nombre, sinon production de quelques un à l’avance. Merci à G pour son accueil, elle travaille avec un optimisme communicatif dans cet atelier depuis 40 ans et nous a dit ne pas du tout avoir envie d’en partir !

IMG_6929PLEIADE1Le papier bible et le fonds : Le papier bible nécessite un taux d’hygrométrie important, il doit d’ailleurs rester dans l’atelier quelques jours avant d’être travaillé, le temps de « s’adapter ». On ne peut pas le travailler, ni l’encoller, en dessous de 30% d’hygrométrie, sinon, il gondole, ou la tête change de couleur, etc. S’il reste un an dans le stock, il passe à 70%, plus il est humide, mieux il se porte. Un papier requiert une humidité relative de l’ordre de 50% à 60%, et son contrôle précis permet de garantir sa qualité.

IMG_6966FONDSTous les reliquats d’impressions sont stockés là. Quand on décide de relier un livre de la Pléiade il faut compter environ 3 semaines pour ce soit fait dans les meilleures conditions.
Ici, la production est semi industrielle, soit entre 3000 et 5000 livres par jour, et de un volume à 20 000 volumes. Le fonds de Gallimard pour La Pléiade est stockée là et donc disponible à tout moment. Il y a de 10 à 12 nouveautés par an, et quand il y a réimpression c’est par 1000 ou 1500 exemplaires.

Le cuir et l’atelier de peaux : IMG_6975ROULEAUXPEAUXIl faut utiliser du mouton demi fort et pas de la pleine peau, sinon il faut une pareuse pour amincir les coins, ce travail est fait dans l’atelier rhodoïd. Les rouleaux de peaux de mouton arrivent de Nouvelle Zélande. Les peaux sont sciées en demi, c’est-à-dire refendues pour avoir la bonne épaisseur, et le reste part en chamoisine. Il faut environ 40 opérations de tannage pour obtenir des peaux conformes aux critères requis, lavage, dégraissage, etc. Tout est fait à Issoudun.

Les ateliers utilisent environ 40 000 m² de peaux par an et produisent environ 300 couvertures à l’heure. Il y a également un poste de réparation, chaque peau est vérifiée, elle peut avoir reçu des coups de tondeuse, ou la bête peut avoir été malade (une tique = un trou par exemple), elle est réparée si le défaut le permet. Chaque couverture de livre revient à 2€ ou 2,5€ avec l’or, d’où l’intérêt de les retravailler une par une. Pour une série de 1050 livres il faut 100 m² de peau. Un mouton c’est environ 0,90 m², une chèvre 0 ,60 m², ça revient plus cher mais ça tient mieux dans le temps. La colle est une colle animale, qui sent donc assez fort.
IMG_6999COUVERTUREQuand la couverture est prête, on y colle la carte de dos et deux cartons (feuille double pour donner de la souplesse à la couverture). Et on sait faire la même chose avec d’autres revêtements comme la toile, etc.On peut vraiment dire que La Pléiade est un produit français : imprimeur, tanneur, relieur, sont français.

La dorure : Sur le dos du livre, il faut écraser le grain pour qu’il soit plus lisse. Là, on fait un « à froid » (pression / chaleur) qui va rendre le grain lisse pour pouvoir lui appliquer le carré de couleur si nécessaire et l’or véritable (22 ou 23 carats).

 

L’or arrive en bobines avec une couche très fine. On peut faire 4000 pléiades dans une bobine, ce qui revient à 0,50 € par couverture. Les déchets d’or, même minimes, sont recyclés par une entreprise locale qui recycle aussi les radiographies dans lesquelles il y a de l’argent. Mais comme il a de moins en moins de radios classiques, c’est un métier qui pourrait se perdre aussi.
En fin de chaine, tous les volumes sont vérifiés un par un, s’il y a un défaut soit on répare, soit au pilon ! Par exemple sur les retours de librairies, sur 500 retours, on peut en récupérer environ 50%.

 

Vous l’aurez compris, cette visite est passionnante et ces livres si beaux représentent un tel savoir-faire que j’ai bien envie d’en commander au moins un au père Noel !