En attendant Bojangles, Olivier Bourdeaut

La folie douce d’un couple fantasque totalement imprévisible

Ils vivent en dehors du temps, avec leur fils, narrateur de ce roman étrange, attachant et, en apparence seulement, bien farfelu.

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C’est par la voix du fils que se déroule leur histoire, avec, en parallèle, le récit du père.
Elle, Liberty Bojangles, c’est la mère. Elle danse et vit dans un monde parallèle. Impossible de lui donner un prénom  puisque son mari lui en offre un nouveau tous les deux jours. Lui, il raconte des histoires extraordinaires, possède des garages et en vit bien. Leur rencontre est une fête, ils dansent, tombent amoureux, se jurent de ne jamais se quitter et vivent l’un par l’autre, l’un pour l’autre. Pour vivre intensément cette vie décalée, lui vend tous ses biens. Ils profitent de la vie, des amis invités chaque jour à faire la fête lors de soirées qui s’étirent jusqu’au petit matin, des boissons fortes à gogo, et toujours, de danser sur l’air de Mr Bojangles, de Nina Simone.

Vient un fils, qu’elle aime à la folie, mais folie douce là aussi. Un fils qui sans vraiment tout comprendre, apprend à vivre dans cet univers fantasque, lui qui ment à l’école sur sa vie de famille, et qui ment à la maison sur la vie à l’école, parce qu’il a bien senti que sa famille est unique et différente des autres.

C’est un livre étrange et terriblement émouvant, qui démarre comme une blague, loufoque, superflu, et qui gagne en profondeur au fil des pages. De totalement ensoleillées, bariolées, superficielles, les pages s’assombrissent, la réalité arrive à sourdre des mots, des scènes évoquées tant par le père que par le fils. Car cette folie apparente est une maladie profonde qui va changer la vie du couple, leur relation aux autres, au monde, et à eux-mêmes, puisqu’ils ne peuvent vivre l’un sans l’autre. Et surtout, l’auteur nous pose une question : jusqu’où est-on prêt à aller par amour ? Beaucoup l’ont cité, mais oui, il y a un brin de folie à la façon de Boris Vian dans ces pages, pas égalée certes, mais intéressante. Ici point de nénuphar, mais plutôt des montagnes de courrier, des scènes de folie pas ordinaire et toujours la musique lancinante et omniprésente. Et qui sait si on ne peux pas également penser à la grande Virginia Wolf, en lisant ces pages. Voilà assurément un livre qui se dévore en quelques heures et ne laisse pas indifférent.

Sélection 2016 du Prix Orange du livre

Catalogue éditeur : Finitude

Sous le regard émerveillé de leur fils, ils dansent sur «Mr. Bojangles» de Nina Simone. Leur amour est magique, vertigineux, une fête perpétuelle. Chez eux, il n’y a de place que pour le plaisir, la fantaisie et les amis.
Celle qui donne le ton, qui mène le bal, c’est la mère, feu follet imprévisible et extravagant. C’est elle qui a adopté le quatrième membre de la famille, Mademoiselle Superfétatoire, un grand oiseau exotique qui déambule dans l’appartement. C’est elle qui n’a de cesse de les entraîner dans un tourbillon de poésie et de chimères.
Un jour, pourtant, elle va trop loin. Et père et fils feront tout pour éviter l’inéluctable, pour que la fête continue, coûte que coûte.
L’amour fou n’a jamais si bien porté son nom.
L’optimisme des comédies de Capra, allié à la fantaisie de L’Écume des jours.

Roman 2016 / 13,5 x 20 cm / 160 pages isbn 978-2-36339-063-9 / 15,50€

Agatha Christie, le chapitre disparu. Brigitte Kernel

Dans la vie de la célèbre romancière, il manque un chapitre, celui de sa disparition, en 1926, entre le 3 et le 14 décembre, onze jours de mystère pour la reine du polar ! Dans « Agatha Christie, le chapitre disparu » Brigitte Kernel lève un voile sur cette intrigue.

https://i0.wp.com/static1.lecteurs.com/files/articles/2_9782081365629-1-75.jpegBrigitte Kernel prend la plume en lieu et place d’Agatha, et nous raconte à la première personne ce chapitre de sa vie tel qu’elle l’imagine. Disparition inquiétante, enlèvement, suicide, meurtre, toutes les conjectures sont permises, l’enquête est en cours et le lecteur navigue dans la tête d’Agatha comme s’il y était.
Que s’est-il passé pour qu’elle disparaisse ainsi pendant onze jours ? Peu de personnes le savent. Agatha vient de perdre sa mère à laquelle elle était particulièrement attachée, elle s’occupe, peu et mal de sa petite fille, elle travaille beaucoup pour écrire et publier ses romans, le succès est là mais la condition des femmes n’est sans doute pas à la hauteur de ses aspirations de liberté. Enfin et surtout, sa relation conjugale n’est pas au beau fixe, son mari lui préfère une collègue, jeune femme plus mince, plus amoureuse peut être, plus « nouvelle » sans doute. Banal adultère subit par une héroïne peu banale. Agatha n’accepte pas cette condition sans imaginer quelque vengeance digne des meilleures enquêtes d’un Hercule Poirot fin limier, à défaut de pouvoir faire revenir vers elle ce mari volage.

Sous la plume de Brigitte Kernel, nous allons suivre au jour le jour son escapade, ses pensées les plus intimes, ses atermoiements. C’est le premier roman de cet auteur que je lis, et j’avoue je ne connaissais pas assez la vie d’Agatha Christie pour connaître cet épisode. Je me suis laissé porter par l’écriture d’un roman agréable qui nous apprend au détour de quelques phrases, en plus de cette disparition, de son origine et de ses conséquences, des évènements marquants de la vie de la reine du crime.

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Catalogue éditeur

« Voilà, le livre est fini. J’ai posé le point final. Le titre : Une autobiographie. Je ne me sens pas très à l’aise. Mon éditeur va s’en rendre compte… Des pages manquent : ma disparition à l’hiver 1926. Pourtant, j’ai bien écrit ce chapitre. Des pages et des pages, presqu’un livre entier. Mon secret.  Ma vie privée. Une semaine et demie qui n’appartient qu’à moi. »
C’est une histoire vraie. Un mystère jamais totalement élucidé. Une zone d’ombre qui demeure dans la vie d’Agatha Christie. Pourquoi et comment la reine du crime s’est –elle volatilisée dans la nature durant l’hiver 1926 ? Qu’a-t-elle fait pendant ces onze journées ?  Pourquoi toute la presse a-t-elle cru qu’elle avait été kidnappée ou assassinée ?
Dans ce roman passionnant, Brigitte Kernel se glisse dans la peau d’Agatha Christie pour reconstituer cette étrange disparition. Une histoire d’amour, de vengeance et de trahison.

Parution : 13/01/2016 / Nb pages : 272 / Prix : 18,00 € / EAN : 9782081365629

Mousseline la Sérieuse. Sylvie Yvert

Après avoir vu la belle exposition des œuvre de madame Vigiée Lebrun au grand Palais, avec « Mousseline la Sérieuse », le roman de Sylvie Yvert, me voilà plongée dans la vie de la cour de Louis XVI, au plus mauvais moment de son histoire, à la veille de la révolution de 1789.

https://i0.wp.com/static1.lecteurs.com/files/books-covers/466/9782350873466_1_75.jpgComment dire, lire les mémoire de Mousseline, et surtout l’entendre parler de son père et de sa mère, voilà qui donne une autre perspective à l’histoire de France, non ? Car Mousseline la Sérieuse n’est autre que Marie-Thérèse Charlotte de France, la fille de Louis XVI et de Marie-Antoinette.

La Duchesse d’Angoulême, au seuil de la mort, décide de faire le récit de sa vie. Alors que tout la prédestine à une existence heureuse et un avenir radieux, son destin bascule le 14 juillet 1789, lorsque Paris s’enflamme dans le fracas de la Révolution. Par sa voix, nous assistons « de l’intérieur » aux évènements de cette époque terrible de l’Histoire, que chacun croit connaitre mais qui prend ici une toute autre perspective. Appelée à devenir reine, elle est fille du dernier roi de France mais, sans doute sauvée par la loi salique qui interdit aux femmes d’accéder au trône de France, unique survivante du Temple. Des années joyeuses aux années terribles vécues auprès de ses parents, puis, enfin libérée, de ses errances pendant quarante ans d’exil, accueillie par les différentes cours d’Europe, son récit donne une autre dimension aux personnages qui l’entourent, en particulier ceux du roi et de la reine. Viennent alors les souvenirs qu’il est intéressant de resituer dans l’histoire, de Bonaparte premier Consul à Louis-Philippe en passant par Napoléon Empereur, de la fuite à Varennes à la cour du Tsar de Russie, des côtes d’Angleterre aux ports de Bretagne, sous nos yeux, soixante-dix ans d’Histoire ravivés par la mémoire et les souvenirs de Madame Royale.

Trois ans, quatre mois et cinq jours au Temple, et surtout la mort de tous les siens, feront de cette enfant une personne sensible, sauvage et triste dont le goût pour la solitude a souvent été mal compris, passant pour un sentiment de dédain qui la rendait inaccessible, elle qui a toute sa vie porté la poids de la famille royale décimée, charge bien trop lourde pour une seule personne !

Tout l’art de l’auteur est de nous parler par la voix de Mousseline la Sérieuse, les mots sont pesés, adaptés à l’époque, au niveau de sobriété, de vocabulaire, à la classe de cette princesse ayant reçu une éducation à la mesure des espérances royales. C’est très bien écrit, on s’y croirait et Mousseline nous semble parfois bien proche !

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Catalogue éditeur : Héloïse d’Ormesson

Sylvie Yvert se glisse dans les pas de Madame Royale et donne voix à cette femme au destin hors du commun qui traversa les événements avec fierté et détermination. Sous sa plume délicate et poignante, la frontière entre victoire collective et drame intime se trouble pour révéler l’envers du décor de cette histoire de France que nous croyons connaître.

ISBN : 2350873463 / parution 21/01/2016

 

Le nouveau nom. Elena Ferrante

« Le nouveau nom », la suite de « l’amie prodigieuse » évoque la vie d’Elena et Lila, deux amies à Naples dans les années 60. Quel bonheur de lecture, j’ai vraiment un coup de cœur  pour l’écriture d’Elena Ferrante.

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Nous avions quitté Lila le jour de son mariage avec Stefano, le fils de l’épicier. Grâce à cette union, le frère et le père de Lila vont développer leur rêve : créer des chaussures et les vendre sous leur nom. Désormais, Lila a un appartement dans le quartier neuf, de belles tenues, une vie confortable. Mais Stefano a trahi sa confiance en s’associant aux frères Solara. Lorsque Lila le découvre, le jour de son mariage, son monde, ses projets et ses rêves s’effondrent, elle ne reconnait plus l’inconnu qu’elle vient d’épouser. Pourtant Lila est une femme décidée, pugnace et courageuse qui fait front et avance dans la vie qu’elle s’est choisie, malgré les déceptions et les embuches.

Pendant ce temps, Elena étudie, va du collège à l’université. Elle qui se croit tellement banale n’accepte toujours pas l’idée de poursuivre des études quand Lila, si brillante, a été contrainte de les abandonner. Les deux gamines sont devenues des femmes, l’une est mal mariée, l’autre toujours célibataire. Si parfois elles s’éloignent, l’attraction est trop forte, Elena cède à Lila, qui réussit toujours à lui dicter sa conduite. Au fil des années, elle ne peut se défaire de cette amitié dévorante, unique et parfois destructrice.

Elena Ferrante dépeint la vie de ces jeunes femmes dans une société dominée par les hommes, où la misère est prégnante, mais où l’amour, la volonté, le désir de vivre s’avèrent parfois plus forts que les traditions. Dans les pas de Lila, nous assistons à l’éblouissement de l’amour, amour de jeunesse, amour d’un été, que Lila va décider de vivre pleinement, au risque de tout perdre, son confort, sa nouvelle condition de femme aisée, pour vivre la vie qu’elle s’est choisi. Elle aura la volonté de quitter un mari tout puissant dans une société où les femmes doivent accepter les coups, les trahisons, les adultères, au risque de représailles.

Dans ce deuxième tome, l’auteur distille avec un réel talent une passionnante description, dans l’Italie des années 60, d’une société où l’éducation, la différence de classes, la condition des femmes, sont autant de sujets magistralement abordés, où les camorristes règnent en maitres, imposant leur loi. J’ai trouvé également intéressant l’éveil des adolescents face à l’importance du savoir y compris pour les filles. C’est un roman aux accents autobiographiques, tant les personnages semblent réels, comme vécu de l’intérieur, qui vous emporte. Maintenant, forcément, j’ai hâte de lire le troisième.

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Catalogue éditeur : Gallimard

Naples, années soixante. Le soir de son mariage, Lila comprend que son mari Stefano l’a trahie en s’associant aux frères Solara, les camorristes qui règnent sur le quartier et qu’elle déteste depuis son plus jeune âge. Pour Lila Cerullo, née pauvre et devenue riche en épousant l’épicier, c’est le début d’une période trouble : elle méprise son époux, refuse qu’il la touche, mais est obligée de céder. Elle travaille désormais dans la nouvelle boutique de sa belle-famille, tandis que Stefano inaugure un magasin de chaussures de la marque Cerullo en partenariat avec les Solara. De son côté, son amie Elena Greco, la narratrice, poursuit ses études au lycée et est éperdument amoureuse de Nino Sarratore, qu’elle connaît depuis l’enfance et qui fréquente à présent l’université. Quand l’été arrive, les deux amies partent pour Ischia avec la mère et la belle-sœur de Lila, car l’air de la mer doit l’aider à prendre des forces afin de donner un fils à Stefano. La famille Sarratore est

Trad. de l’italien par Elsa Damien
Parution : 07-01-2016 / 560 pages / 140 x 205 mm / ISBN : 9782070145461

Le livre des Baltimore. Joël Dicker

Dans le monde des Goldman, sous la plume de Joël Dicker, il y a ceux de Baltimore et ceux de Montclair, il y a l’Amérique de ceux qui réussissent et ceux qui restent derrière, il y a l’amitié et surtout le Drame. Et le lecteur s’y laisse prendre.

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Dans ce deuxième roman de Joël Dicker, nous retrouvons Marcus, le héros de La vérité sur l’affaire Harry Quebert, même si ce héros-là aurait pût être n’importe qui d’autre car je n’ai pas vraiment eu l’impression de le retrouver. A la suite d’une rencontre fortuite avec Alexandra, cette amie d’enfance perdue de vue depuis longtemps Marcus remonte le fil de ses souvenirs.

Marcus est un jeune homme de bonne famille, celle des Goldman, mais il n’appartient pas à la bonne branche. Lui c’est les Goldman-de-Montclair, dans le New Jersey, la branche la moins huppée, la moins flamboyante, la moins riche. Les autres, les Goldman-de-Baltimore, sont ceux à qui tout réussi, un père avocat à la carrière florissante, un couple uni, une vie de famille heureuse dans une maison somptueuse, des vacances dans les Hampton, où se retrouve tout le gratin de la côté Est, et les hivers à Miami, en Floride.

Pourtant, et Marcus nous l’annonce dès le début, huit ans auparavant il y a eu « Le Drame », le Drame avec un D majuscule, celui qui a fait tout basculer et s’effondrer ce bel équilibre. Et là j’avoue, Joël Dicker a l’art de nous faire attendre, lire, espérer, essayer de comprendre. Il sait mener le suspense et maintenir son lecteur en haleine. On a juste envie de tourner les pages pour savoir.

Et au fil des pages et des flashback nous suivons Marcus et ses cousins. Hillel est un enfant surdoué à la constitution fragile, souffre-douleur de ses comparses d’école, rapidement protégé par Woody, un gamin qui vit dans un foyer. De cette rencontre va naitre une amitié profonde, Woody sera intégré à la famille des Baltimore, et les cousins vont vivre des années d’études dans les écoles privées et des vacances de rêve. Ils vont former « le gang des Goldman », cousins inséparables, amoureux de la même fille, Alexandra, et forger leurs ambitions d’un avenir radieux et somptueux, qu’ils deviennent footballeur, chanteuse ou avocat, il faudra qu’ils soient brillants.

Au fil des souvenirs de Marcus, de nombreux thèmes sont abordés. L’ascension et la réussite, la compétition y compris entre frères, le malheur et la chute. Le silence, l’interprétation, l’absence de parole et d’échange, la division, y compris au sein même d’une famille. Sommes-nous nous-même ou ce que les autres imaginent que nous sommes ? Quelle est l’importance de l’image que l’on reflète, celle que nous voulons donner et qui n’est pas toujours ce que nous sommes réellement ?

Alors bien sûr on peut trouver que les riches sont un peu trop riches, et les pauvres un peu trop pauvres, que les genres sont trop stéréotypés, j’avoue que cela ne m’a pas gêné. J’ai trouvé intéressante la démonstration que fait l’auteur de l’importance des apparences, des non-dits et surtout des silences au sein des familles, qui faussent les relations car aucun n’ose dire ou demander la vérité. Et surtout avouons-le, je me suis laissée prendre au charme des Goldman, qu’ils soient de Baltimore ou de Montclair, et j’ai eu envie de les suivre.

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Catalogue éditeur : Éditions de Fallois

Jusqu’au jour du Drame, il y avait deux familles Goldman. Les Goldman-de-Baltimore et les Goldman-de-Montclair. Les Goldman-de-Montclair, dont est issu Marcus Goldman, l’auteur de La Vérité sur l’Affaire Harry Quebert, sont une famille de la classe moyenne, habitant une petite maison à Montclair, dans le New Jersey. Les Goldman-de-Baltimore sont une famille prospère à qui tout sourit, vivant dans une luxueuse maison d’une banlieue riche de Baltimore, à qui Marcus vouait une admiration sans borne.
Huit ans après le Drame, c’est l’histoire de sa famille que Marcus Goldman décide cette fois de raconter, lorsqu’en février 2012, il quitte l’hiver new-yorkais pour la chaleur tropicale de Boca Raton, en Floride, où il vient s’atteler à son prochain roman…

Date de parution : 30/09/2015 / EAN : 9782877069472 / Nombre de page : 480 /
Genre : Littérature française Romans Nouvelles Correspondance

I ♥ JOHN GIORNO au Palais de Tokyo

Véritable hymne à John (ou hymne à l’amour ?) par Ugo Rondinone, retour sur l’exposition I ♥ JOHN GIORNO au Palais de Tokyo.

J’y ai découvert le poète John Giorno, né en 1936, figure majeure de l’underground new yorkais des années 1960. Souhaitant rendre la poésie accessible à tous, il fonde en 1965 Giorno Poetry Systems, un label avec lequel il édite des albums, et surtout Dial-a-poem en 1968, un service poétique par téléphone proposant des poèmes audio. John Giorno est sans doute l’un des poètes les plus influents de sa génération.

Au Palais de Tokyo, son œuvre « déborde du livre » et vient orner la totalité de la surface des murs. En particulier avec les Poem Paintings que John Giorno réalise à partir de courts extraits de ses textes. Ces phrases, projetées sur la toile, expriment toute leur force par le jeu des couleurs et des formes. Le poème sort du livre et se confronte à de nouvelles situations. Il devient visuel, pictural, l’écriture devient dessin, le mot se transforme en image.
Apparemment, pour John Giorno les poèmes sont comme des images, il les peints sur la toile, les déstructure sur la page d’un livre, les décline et les déclame sur une scène, les enregistre sur disque.

Dès le début de l’exposition, on pénètre dans une salle plongée dans l’obscurité, et là c’est juste magique, une fabuleuse présentation de l’enregistrement au Palais des glaces à Paris, où l’auteur, filmé sous toutes les coutures, en costume noir puis blanc, déclame son poème « Thanx 4 nothing » véritable hymne à l’amour là aussi, amour de la vie, ode à ses ex amants et à son maitre Rinpoché, remerciements pour simplement « être ». Le montage est saisissant et unique.

Dans cette exposition qui passe du noir et blanc de la première salle, à la couleur éclatante de la suivante, la poésie, les arts visuels, et la musique montrent l’influence de la vie et de l’œuvre de Giorno sur plusieurs générations d’artistes.

Une salle est consacrée à Dial-a-poem. Au début des années 1960, Giorno conçoit le poème comme un virus qui doit se transmettre au plus grand nombre. Il crée ainsi Dial-a-poem / Appelle un poème un service téléphonique qui permet l’écoute de poèmes, œuvres sonores, chansons et discours politiques et qui reçut des millions d’appel. Ce service a été réactivé à l’occasion de l’exposition en partenariat avec Orange. Pendant toute la durée de l’expo, on peut écouter la version originale de Dial-A-poem / Appelle un poème enrichie de voix françaises, plus d’un siècle de poésie sonore, de 1915 à nos jours. Les morceaux, diffusés de façon aléatoire, reflètent la diversité de registres défendue par Giorno : Antonin Artaud, Louise Bourgeois, Serge Gainsbourg, Simone de Beauvoir, Bernard Heidsieck, Brigitte Fontaine ou encore Eric Duyckaerts…
Une salle est consacrée au très étrange film Sleep (1963) d’Andy Warhol, bon là j’avoue j’ai un peu « calé »… et ne parlons pas du remake par Pierre Huyghe. Enfin, dans la dernière salle, de très belles photos de cet artiste au profil de boxeur ou d’acteur.

Cette exposition est assurément une découverte, qui donne envie de lire ou écouter quelques poèmes !

THANX 4 NOTHING
on my 70th Birthday in 2006

I want to give my thanks to everyone for everything,
and as a token of my appreciation,
I want to offer back to you all my good and bad habits
as magnificent priceless jewels,
wish-fulfilling gems satisfying everything you need and want,
thank you, thank you, thank you,
thanks.

Si comme moi vous êtes curieux, retrouvez le texte ici et la vidéo ici

« Fragonard, amoureux », au Musée du Luxembourg à Paris

On dit qu’il faut « lâcher prise et se laisser transporter au gré des évolutions picturales de Fragonard ». Voilà qui est fait, je suis allée voir l’exposition du musée de Luxembourg.

Jean Honoré Fragonard, "Le Verrou", vers 1777-1778Que l’on évoque les œuvres de Jean-Honoré Fragonard (1732-1806) lors de son parcours en Italie, ou les peintures plus classiques de la fin de sa carrière, le sentiment amoureux est toujours particulièrement prégnant sous le pinceau de l’artiste, même s’il évolue à travers le XVIII e siècle.

L’œuvre de Fragonard est indéniablement portée par l’inspiration amoureuse.
Qu’elle soit galante, libertine, polissonne ou au contraire synonyme d’une nouvelle éthique amoureuse, son œuvre met perpétuellement en scène la rencontre des corps et la fusion des âmes.

 

Que ce soit par les peintures exposées, les dessins et les ouvrages illustrés, au contenu érotique plutôt explicite, l’exposition du Musée du Luxembourg met en lumière l’œuvre de Fragonard à travers ce prisme amoureux.
Parfois un peu trop « poudré » à mon goût, on ne peut malgré tout qu’admirer le talent d’un artiste reconnu par tous.
Par contre j’aime énormément certains détails de ces tableaux, superbes de délicatesse. En voici quelques uns :

 

10302056_10201185172468253_3672633274516044344_nEnfin, quelques œuvres font parler, comme « le verrou » où l’on comprend que la limite du libertinage est sans doute proche de l’abus ou du viol.. autres temps, mais pas autres mœurs, où les femmes ne sont pas toujours consentantes, où le « non » à une signification différente suivant s’il est prononcé ou entendu ? …

Mais dans tous les cas, c’est une très jolie exposition, dans ce lieu que j’aime beaucoup, tout à côté des beaux jardins du Luxembourg et du Sénat. A voir jusqu’au 24 janvier 2016.


12391052_10201185173148270_1726657440246094607_nSouvent en écho avec les transformations et préoccupations de son époque. L’exposition explore les diverses variations autour du thème du sentiment ou de l’impulsion amoureux, inlassablement repris et enrichi dans l’œuvre de Fragonard : depuis les premières « bergeries » liées à la grande tradition de galanterie héritée du XVIIe siècle jusqu’aux allégories amoureuses néoclassiques imprégnées d’un véritable mystère sacré de la fin de sa carrière.

Commissaire : Guillaume Faroult, conservateur en chef, en charge des peintures françaises du XVIIIe siècle et des peintures britanniques et américaines du musée du Louvre.
Exposition organisée par la Réunion des musées nationaux – Grand Palais en partenariat avec le Musée du Louvre.

2084 La fin du monde. Boualem Sansal

Il y a eu George Orwell et 1984, il y a Boualem Sansal et 2084, le futur est tellement proche. L’auteur porte un regard philosophique, sociologique, sur l’intégrisme, le totalitarisme. Anticipation ? Résistance ? Tout peut arriver, un seul message : soyons attentifs pour conserver nos libertés de penser et de vivre.

Domi_C_Lire_2084_la_fin_du_monde_boualem_sansal_gallimard.jpgNous sommes en 2084, en Abistan. Après une guerre qui a détruit le monde ancien, pour ceux qui restent, la soumission à Yölah, le dieu unique dont Abi est le prophète, est omniprésente et nul ne peut s’en écarter. Le peuple obéi à ce dictat qui exige une unité de pensée, une croyance unique, une langue exclusive et omnipotente, l’Abilang, créée de toute pièce et imposée à tous, une nourriture infâme servie à tout un peuple, des vêtements identiques pour tous, burnis pour les hommes, burniqab pour les femmes, des déplacements interdits ou au contraire imposés à tout un peuple. Le bonheur est assuré, même si cela implique que chacun soit soumis, observé, guidé, contrôlé.

Pourtant, à la suite de son séjour aux confins du pays, dans un sanatorium lourdement contrôlé par le pouvoir en place, Ati, le personnage central du roman, se met à douter. Douter du bonheur pour tous, douter de la foi imposée et à priori unique et réelle. Et si la foi n’existait pas, et si le doute était justement la vérité, et si le peuple était prisonnier d’un régime totalitaire. Boualem Sansal fait évoluer son personnage, douter, chercher devant nos yeux un peu effarés par les coutumes de ce pays de rêve !

Où l’on retrouve les odieuses exécutions publiques dans les stades tristement dévoyés, spectacles horribles mais hélas célèbres aujourd’hui, mais qui rappellent également le pain et le cirque des empereurs romains, pour soumettre le peuple en lui permettant d’aller au spectacle, mais un peuple que l’on va pousser à la délation, à trahir voisins, amis, ou pire, famille, pour un peu de reconnaissance. Où l’on retrouve les ennemis que l’on va envoyer au front se faire sauter avec leur ceinture d’explosif, mais également les disparitions subites de ceux qui savent ou commencent à comprendre. Où l’on retrouve l’omniprésence des ligues de vertu qui soumettent les femmes aujourd’hui mais également hier dans d’autres régions du monde, faible place des femmes d’ailleurs dans ce roman, comme si en 2084 elles avaient totalement disparu de la vie de la cité. Où l’on retrouve enfin les élites, celles qui savent et qui imposent au petit peuple des croyances et des pratiques qu’il ne peut comprendre, mais qui le soumettent encore plus sûrement. Pratiques des dictatures quelles qu’elles soient, religieuses ou pas, on songe aussi bien aux grandes manifestations d’Hitler qu’à celles des pays totalitaires ou extrémistes.

J’ai par moments été un peu noyée par les termes utilisés, un peu trop nombreux, un peu trop précis, les brigades de ceci ou cela par exemple, même si j’imagine que c’est voulu par l’auteur. Mais j’ai aussi apprécié l’humour mis dans les descriptions des célébrations, le Big Eye qui devient Bigaye, les amoureux de ce qui n’est plus, collectionneurs d’antiquités d’un monde perdu mais sans doute pas pour tous, la curiosité enfin de ceux qui veulent savoir et ne plus se soumettre, au risque de devoir s’exiler pour toujours.

Que dire de ce roman, si parfois je l’ai trouvé un peu embrouillé, sans doute à dessein, j’ai aimé son côté iconoclaste, qui montre dans une fable épique toute l’absurdité d’un phénomène religieux poussé à l’extrême et qui dépossède une nation entière de son propre pouvoir de réflexion et de décision. A méditer longuement sans aucun doute, pour que 2084 ne devienne pas notre futur !

💙💙💙💙


Catalogue éditeur : Gallimard

L’Abistan, immense empire, tire son nom du prophète Abi, «délégué» de Yölah sur terre. Son système est fondé sur l’amnésie et la soumission au dieu unique. Toute pensée personnelle est bannie, un système de surveillance omniprésent permet de connaître les idées et les actes déviants. Officiellement, le peuple unanime vit dans le bonheur de la foi sans questions.
Le personnage central, Ati, met en doute les certitudes imposées. Il se lance dans une enquête sur l’existence d’un peuple de renégats, qui vit dans des ghettos, sans le recours de la religion…

Boualem Sansal s’est imposé comme une des voix majeures de la littérature contemporaine. Au fil d’un récit débridé, plein d’innocence goguenarde, d’inventions cocasses ou inquiétantes, il s’inscrit dans la filiation d’Orwell pour brocarder les dérives et l’hypocrisie du radicalisme religieux qui menace les démocraties.

Parution : 20-08-2015 / Époque : XXe-XXIe siècle / ISBN : 9782070149933

 

Appartenir. Séverine Werba

Le très beau premier roman de Séverine Werba, « Appartenir », publié chez Fayard, à  lire absolument

https://i0.wp.com/static1.lecteurs.com/files/books-covers/018/9782213687018_1_75.jpgParce que toute une génération qui a vécu l’indicible n’en a plus parlé quand elle est revenue de l’enfer,
Parce que lorsqu’on donne la vie, la notion de transmission devient essentielle,
Parce que savoir d’où on vient, quand on ressent un silence, des non-dits autour de soi, est forcément un besoin vital,
Pour tout cela et sans doute beaucoup plus, Severine Werba a écrit ce roman qui n’en est pas un, mais plus un retour sur ses origines, d’où je viens pour savoir qui je suis et à qui j’appartiens.
Pour tout cela sans doute aussi, nous avons une soif de comprendre, de savoir, de la suivre dans cette recherche de ses origines, savoir à qui Elle appartient, pour mieux nous connaître aussi un peu sans doute.

Quand on est jeune, 17, 20 ans, les vieux livres, les souvenirs de nos anciens, même s’ils ne sont pas trop envahissants, sont synonymes de passé, et ne sont pas ceux avec lesquels on a le plus envie de vivre. Séverine Werba l’a vécu, elle qui s’installe dans l’appartement parisien de Boris, son grand père originaire d’Ukraine. Devenue mère, elle se pose les questions essentielles, entre le pourquoi du silence de celui qui ne dit pas, et le silence de tous ceux qui ne demandent pas. Car des deux côtés rien n’est dit, aucun souvenir n’est évoqué, une chape de plomb est posée sur un passé dérangeant ou trop douloureux à porter.
Ses pas vont l’entrainer à la recherche de son grand père Boris jusqu’à Torczyn, le village d’Ukraine dont il est originaire. Evocation terrible des grandes Aktions Nazies, de ces charniers, de ses tombes gigantesques creusées par ceux-là même qui allaient être exécutés en masse, d’une balle dans la tête, femmes, enfants, hommes, vieillards, avant que les nazis ne trouvent la solution finale, plus rapide, plus économique, moins stressante pour leurs soldats, l’horreur avant l’horreur absolue, mais tellement réelle.
Des rues et des jardins de Paris à la rafle du Vel d’Hiv à Paris, des villages d’Ukraine aux ghettos juifs, des camps d’extermination au retour des survivants, l’indicible est à portée de mémoire, vécu par ceux qui bientôt ne seront plus là pour en témoigner. Même si tout ou presque a été dit, chaque histoire est unique et tellement forte.

Alors on pourrait se dire, un livre de plus sur cette période si terrible que parfois on voudrait juste fermer les yeux pour oublier que l’homme peut être aussi mauvais, que tout ça a juste pu exister. Mais non, pas un livre de plus, un très beau livre, qui montre que savoir d’où l’on vient, qui on est, ce n’est pas juste une question de date de naissance, il y a avant nous tous ceux qui nous ont précédé et qui font de nous ce que nous sommes.

Un très beau roman, une écriture qui coule, qui donne envie de savoir, qui touche le lecteur, qui vibre au rythme des recherches de Séverine Werba, que l’on accompagne au fil des pages. Enfin, je ne l’aurai peut-être pas qualifié de roman, même si on le lit presque aussi facilement qu’un roman justement. En tout cas de très belles pages, dures parfois, mais essentielles. Je vous le recommande vivement.

💙💙💙💙


Catalogue éditeur : Fayard

De la guerre, de la déportation et de la mort de ses proches, Boris, le grand-père de la narratrice, n’a jamais parlé. Autour de lui chacun savait, mais, dans l’appartement du 30, rue de Leningrad, que tout le monde appelait « le 30 », le sujet n’était jamais évoqué.
Et puis Boris est mort. La jeune femme a vécu un moment au 30, en attendant que l’appartement soit vendu, elle avait vingt ans, et elle a cédé à une bibliothèque les livres en russe et en yiddish de son grand-père. Plus personne ne parlait ces langues dans la famille.
Ce n’est que dix ans plus tard, au moment de devenir mère, que s’est imposé à elle le besoin de combler ce vide et de reprendre le récit familial là où il avait été interrompu. Moins pour reconstituer le drame que pour réinventer des vies. Retrouver les rues de Paris autrefois populaires où vivaient Rosa, la sœur de Boris, avec sa fille Lena, déportées en 1942 ; voir ce village lointain d’où son grand-père était parti pour se créer un avenir qu’il espérait meilleur ; entendre couler cette rivière d’Ukraine sur laquelle, enfant, il patinait l’hiver. Comprendre où ils vécurent et furent assassinés.
Alors elle cherche, fouille, interroge, voyage, croisant la mort à chaque pas dans son étrange entreprise de rendre la vie à ces spectres. C’est une quête insensée, perdue d’avance, mais fondamentale : celle d’une identité paradoxale qu’il lui faut affirmer.

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Avec Séverine Werba

Séverine Werba nous livre une enquête profane, intense, et part à la recherche de l’histoire dont elle procède comme d’elle-même. Elle montre qu’écrire est sans doute la façon la plus poignante de rompre et d’appartenir.
Après avoir été journaliste et productrice de documentaires, Séverine Werba travaille aujourd’hui pour la série policière Engrenages, diffusée sur Canal+. Appartenir est son premier roman.

EAN : 9782213687018 / EAN numérique : 9782213688749
Parution : 19/08/2015 / 264 pages / Format : 135 x 215 mm
Prix imprimé : 18.00 € / Prix numérique : 12.99 €