« Je ne m’arrête pas, ce soir c’est la guerre, ce soir c’est le festin des loups et personne ne pourra me protéger de cette meute… »
Une ile paradisiaque de l’océan indien, sur fond de violence, c’est « Tropique de la violence » de Nathacha Appanah, certainement mon coup de cœur de la rentrée littéraire.

Marie quitte ses montagnes pour étudier à la ville, infirmière, elle tombe sous le charme de Chamsidine. Mariage, puis départ vers Mayotte, l’ile dont il est originaire. Mais à Dzaoudzi, les hommes sont rarement fidèles, et Marie est abandonnée par celui qu’elle a tant aimé. Seule, sans enfants, sa vie est triste, jusqu’au jour où une jeune femme lui abandonne ce bébé qu’elle a emmené avec elle sur le kwassa. Moise, enfant sauvé des eaux, fait le bonheur de sa mère. Moise à treize ans et veut comprendre d’où il vient, veut savoir qui il est, se rebelle. Puis un matin, Marie tombe, comme foudroyée. Sa mère morte, Moise va rejoindre les jeunes qui errent à Gaza. Loin de la ville, ils survivent de rapines, de drogues, de vols. Moise n’est pas fait pour ça, cette éducation qu’il aurait voulu renier l’aide à survivre, même lorsqu’il ne veut pas obéir à Bruce, un caïd à peine plus âgé que lui qui règne sur son peuple d’enfants errants par la peur et la violence. Jusqu’au jour où tout bascule. Moise est en prison car Moise a tué, tué pour se défendre, tué pour survivre, arrêter d’avoir peur, d’obéir et de subir les pires humiliations.
Nous sommes à Mayotte, au milieu de l’océan Indien, dans l’un des plus beaux lagons du monde, une eau bleue extraordinaire, des tortues, plages et climat de rêve… Oui, nous sommes à Mayotte, première maternité de France en nombre de naissances, envahie par le flux incessant de ceux qui viennent chercher un peu de bonheur et fuient la misère des Comores. Chaque jour ou presque, les kwassas débarquent leurs flots de migrants sur la grève, malades, femmes enceintes, enfants, tous arrivent qui pour se faire soigner, qui pour accoucher et obtenir la nationalité française, celle du droit du sol. Mais la plupart du temps ils ne trouvent que la misère de Gaza, le bidonville en bordure de Kaweni qui déborde de vies, d’exclus.
Là les jeunes, très nombreux, devenus porteurs, guetteurs, voleurs, sont à la merci des chefs de gangs, ils boivent, fument et prennent « le chimique », la drogue souvent frelatée qui rend fou. Aucun espoir pour eux, malgré les tentatives désespérées de quelques associations caritatives rapidement débordées et souvent déconnectées de la réalité, dont l’activité semble si futile face à tant de monde et de misère. Les mots de Nathacha Appanah sont justes et percutants, ni humiliation, ni compromission, ni jérémiades pour décrire la violence, les coups, la haine, la peur.
Une vision terrible de la misère, sur cette ile qui comme une cocotte-minute, est totalement sous pression, mais pendant combien de temps encore avant que tout explose ? Oserais-je dire que j’ai un coup de foudre pour ce roman alors qu’il décrit un univers qui pourrait être magique et qui est pourtant si difficile.
Extraits :
Mo ! Crient-ils tous.
Je ne m’arrête pas, ce soir c’est la guerre, ce soir c’est le festin des loups et personne ne pourra me protéger de cette meute…
Je n’ai pas peur tandis que mes pieds frappent la terre, que je sens le vent salé et chaud me fouetter le visage, que j’entends la fureur derrière moi, non ce n’est pas comme quand tout se ratatinait en moi, quand je ne savais plus qui j’étais ni comment je m’appelais. Non, tandis que je rejoins l’océan, je n’ai plus peur.
Je m’appelle Moise, j’ai quinze ans et je suis vivant.

A Manosque, pendant les Correspondances 2016
Catalogue éditeur : Gallimard
«Ne t’endors pas, ne te repose pas, ne ferme pas les yeux, ce n’est pas terminé. Ils te cherchent. Tu entends ce bruit, on dirait le roulement des barriques vides, on dirait le tonnerre en janvier mais tu te trompes si tu crois que c’est ça. Écoute mon pays qui gronde, écoute la colère qui rampe et qui rappe jusqu’à nous. Tu entends cette musique, tu sens la braise contre ton visage balafré ? Ils viennent pour toi.»
Tropique de la violence est une plongée dans l’enfer d’une jeunesse livrée à elle-même sur l’île française de Mayotte, dans l’océan Indien. Dans ce pays magnifique, sauvage et au bord du chaos, cinq destins vont se croiser et nous révéler la violence de leur quotidien.
ISBN : 978207019755 / 192 pages, 140 x 205 mm / Parution : 25-08-2016
Je comprends ton coup de coeur car il semble profond
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