Une fresque étourdissante et puissante au pays des esclavagistes et de la liberté, dans cette course éternelle pour la vie entre fugitif et chasseur

Au XIXe, dans le sud des États-Unis. Cora est une esclave parmi tant d’autres dans une plantation de coton du sud esclavagiste. Le jour où Caesar lui propose de s’évader de la plantation Randall avec lui, elle dont la mère a réussi à s’enfuir sans être capturée par les chasseurs de neg’marron, elle hésite, puis finira par dire oui. Cora et Caesar vont alors suivre le chemin des esclaves recherchés par les chasseurs d’esclaves sur tout le territoire des États-Unis.
Colson Withehead prend alors prétexte de cette fuite pour nous raconter l’histoire extraordinaire de Underground Railroad … Car ce réseau clandestin matérialisé ici par un chemin de fer souterrain a réellement existé. Il a permis à de nombreux esclaves de s’enfuir des territoires où ils étaient exploités, martyrisés, soumis à des maîtres qui prenaient parfois plaisir à exprimer leur toute puissance envers ceux qui au même titre que leurs meubles ou leurs terres, leur appartenaient, et à se réfugier au-delà de la Mason-Dixon ligne (ligne de démarcation entre les États abolitionnistes du Nord et les États esclavagistes du Sud) et jusqu’au Canada.
État esclavagiste ou pas, la loi est la loi pour tous et sur tout le territoire des États-Unis, un esclave évadé n’est donc jamais réellement libre et les chasseurs d’esclaves se font fort de les retrouver, les rançons étant souvent généreuses voire exorbitantes, le maître trahi offrait cher pour récupérer l’impudent, son châtiment cruel permettant de contrôler et de décourager ceux qui auraient eu à leur tour des velléités de fuite. Ce roman est alors prétexte pour évoquer à la fois ceux qui font le mal sans complexe ni retenue, exploitation des esclaves, viols, vente des enfants, séparation des familles, vente d’un esclave lorsqu’il n’est plus assez fort ou valide pour le travail qui lui a été assigné châtiments sordides et cruels. Cruauté gratuite et racisme s’appuyant sur une idéologie religieuse complaisante qui parle de race inférieure, mais aussi argument commercial, maintien ou amélioration des exploitations de coton ou d’indigo, tous les prétextes sont bons pour expliquer et accepter l’esclavagisme.
Mais aussi l’aide apportée dans l’ombre, au risque de la vie de familles entières, par des blancs conscients qui l’esclavagisme et la condition des noirs ne peut être ni acceptée ni acceptable, qu’il est important d’essayer de faire évoluer les consciences, mais qui en attendant font tout pour aider la fuite et la mise en sécurité de ceux qui ont osé franchir les limites de la plantation, de la propriété des maîtres. Que ce soit par des noirs affranchis ou nés libres, par des blancs abolitionnistes ou à la conscience éveillée, l’aide si précieuse était souvent une prise de risque mortelle pour ceux qui s’impliquaient.
Pourquoi j’ai tant aimé ce roman ? Parce que sous couvert d’une superbe fresque historique et mélodramatique superbement écrite et rythmée – portrait d’un des personnages principaux, étape de la fuite de Cora, et sordides et véridiques petites annonces pour récupérer un esclave en fuite (bien utiles aux chasseurs d’esclaves)- Colson Withehead ose avec talent nous rappeler une fois encore que les races et les différences ne sont que des subtilités temporelles, que le regard que l’on porte sur les hommes est souvent dévoyé par l’époque dans laquelle il se place, et surtout que le combat pour l’égalité de tous est permanent et indispensable. Parce qu’il est bon de savoir ce qui a été fait. Mais aussi que ce combat est toujours d’actualité, qu’il est indispensable d’ouvrir les yeux sur le monde et ses inégalités.
Comment ne pas penser et avoir alors en tête la chanson de Mark Knopfler…You talk of liberty
How can America be free…
We are sailing to Philadelphia
To draw the line
The Mason Dixon line
D’après Wikipédia : D’après James A. Banks au cours du XIXe siècle, environ 100 000 esclaves se seraient échappés grâce au « Railroad ». L’Amérique du Nord britannique, où l’esclavage est interdit, est une destination courante, puisque sa longue frontière offre de nombreux points d’accès. Plus de 30 000 personnes sont supposées s’y être échappées grâce au réseau pendant la période de pointe qui a duré 20 années, bien que les chiffres du recensement américain ne fassent état que de 6 000.
Harriet Tubman a œuvré avec les quakers pendant les années 1850 pour permettre au plus grand nombre d’esclaves de gagner la liberté. Les histoires sur les fugitifs du chemin de fer clandestin sont consignées dans une chronique intitulée The Underground Railroad Records.
Roman lu dans le cadre de ma participation au jury des lecteurs du Livre de Poche 2019
Catalogue éditeur : Livre de Poche, Albin-Michel
Cora, seize ans, est esclave sur une plantation de coton dans la Géorgie d’avant la guerre de Sécession. Abandonnée par sa mère lorsqu’elle était enfant, elle survit tant bien que mal à la violence de sa condition. Lorsque Caesar, un esclave récemment arrivé de Virginie, lui propose de s’enfuir pour gagner avec lui les États libres du Nord, elle accepte.
De la Caroline du Sud à l’Indiana en passant par le Tennessee, Cora va vivre une incroyable odyssée. Traquée comme une bête par un impitoyable chasseur d’esclaves, elle fera tout pour conquérir sa liberté.
Exploration des fondements et de la mécanique du racisme, récit saisissant d’un combat poignant, Underground Railroad est une œuvre politique aujourd’hui plus que jamais nécessaire.
Né à New York en 1969, Colson Whitehead est reconnu comme l’un des écrivains américains les plus talentueux et originaux de sa génération. Undergound Railroad, son premier roman publié aux éditions Albin Michel, a été élu meilleur roman de l’année par l’ensemble de la presse américaine, récompensé par le National Book Award 2016 et récemment distingué par la Médaille Carnegie, dans la catégorie « Fiction ».
416 pages / Date de parution : 27/03/2019 : EAN : 9782253100744
Un de mes coups de coeur 2018 🙂 J’ai aimé la façon dont l’auteur nous emmène avec Cora dans son périple vers la liberté, nous fait découvrir ce réseau de passeurs, les visages de l’Amérique dans ce qu’elle a de plus beau mais aussi de plus sombre…..
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