Un roman sombre mais porteur d’espoir, le portrait d’un citoyen ordinaire


Milwaukee blues est un roman choral en trois temps dans lequel ceux qui ont connu un homme nommé Emmet vont prendre la parole tour à tour pour évoquer sa vie à Franklin Heights, les amis et les années d’enfance, puis l’université, le football, puis la vie après le foot. Car Emmet vient de mourir, étouffé par un policier.
Lui a composé le nine one one ce jour maudit, lorsque son employé lui a dit qu’un jeune homme baraqué avait sorti un billet suspect. Fausse monnaie ça peut aller chercher loin. Mais s’il était réticent à leur dire qu’il est noir, dès qu’il l’a signalé tout s’est accéléré. Les flics sont arrivés peu après. Je ne peux plus respirer… ces mots qu’il a entendu et entendra sans cesse au fil de longues nuits blanches à venir.
Elle l’a bien connu ce petit Emmett qui chantait Alabama Blues dans les couloirs de l’école bien mieux qu’il n’apprenait ses leçons. Cantine gratuite, suivi de sa scolarité, de ses amis, elle a tenté de l’aider aussi longtemps que possible avant que sa présence, blanche parmi les noirs, ne pose problème. Alors entendre parler de lui à la radio ce jour là …
Authie, c’est l’amie d’enfance, la petite sœur née le même jour au même endroit, la gamine, la confidente. Si les années les ont éloignés, elle aimerait être toujours là pour lui, mais il a tellement changé. L’université n’a pas été le moyen de transformer sa vie, et c’est dans la ville de son enfance qu’il est revenu s’échouer avec ses trois enfants, ne sachant plus quoi faire ni où aller. Le matin même, ils ont échangé quelques mots, le soir elle entend son nom à la télé…
Stokeley, c’est l’ami de toujours lui aussi, depuis les bancs de l’école. Mais leurs chemins se sont éloignés eux aussi. Il a dû s’occuper de sa famille car sa mère seule ne pouvait pas, encore moins quand le Daron est parti a l’ombre. Guetteur puis dealer, forcément ça éloigne du droit chemin.
Puis vient l’université, Larry, son coach, noir comme lui, a connu les affres des sélections et sait à quel point cela va être difficile. Car à peine deux pourcent des étudiants pourront vivre de l’un des sports pour lequel ils se sont distingués pendants leurs années d’étude. Et avec des accidents, plus aucun espoir de parvenir au sommet. Il veut aider Emmet mais le laisse poursuivre la route qu’il s’est choisie.
Nancy, la fiancée, blanche, l’amoureuse malhabile. Que reste-t-il de ses années heureuses avec Emmet.
Angela, la mère de sa fille qui l’a aimé déjà père de deux enfants, mais qui l’a quitté un peu trop vite.
En fil rouge, il y a Ma Robinson, ancienne matonne dont on fait la connaissance en prison, elle est devenue pasteur et sera un soutien important pour Mary-Louise, la mère d’Emmet. Son prêche digne de Martin Luther King est un beau moment d’humanité.
Chacun avec son cœur, ses souvenirs, sa vision parcellaire de la vie d’Emmet va dessiner son portrait et le faire revivre pour tenter de comprendre comment il en est arrivé là. Mais dans cette Amérique du XXIe siècle, le racisme n’est jamais loin, et dans les états du sud en particulier mais pas seulement, la police agit bien trop souvent en toute impunité sans jamais avoir à rendre de compte.
Ce que j’ai aimé ?
L’auteur connaît à la fois le Wisconsin, cette région des États-Unis où il a vécu et enseigné, et le système scolaire américain, en particulier le coût exorbitant des universités et les possibilités données aux sportifs de les intégrer. Ces capacités sportives qui permettent aux jeunes sans revenus de poursuivre les études qui sinon leurs seraient interdites. Car ils sont aidés tout au long des championnats universitaires, et ont toujours à l’esprit la possibilité d’être sélectionné par une grande équipe et de connaître le succès.
De nombreuses références aux poètes haïtiens, à la littérature, à la chanson, au cinéma, viennent émailler le roman et le rendent vivant et actuel J’apprécie la façon dont l’auteur adapte son écriture à l’époque dans laquelle il place ses romans. Ici, j’ai ressenti une grande modernité, une contemporanéité de l’écriture. Si au départ, l’ombre de Georges Floyd est prégnante, rapidement c’est le personnage et le récit de Louis-Philippe Dalembert qui prennent toute leur place et s’incarnent dans chacun des protagonistes pour nous faire vivre une autre histoire, celle d’un noir américain aux rêves fous, brisé, paumé, victime de la plus ignoble violence, celle d’un humain parmi tant d’autres, quand le rêve américain se heurte à la plus violente forme de racisme. La fin du roman est une ouverture porteuse d’espoir en l’homme et en l’autre, espérons que cette lumière ne soit pas seulement un rêve fou.
Catalogue éditeur : Sabine Wespieser
Depuis qu’il a composé le nine one one, le gérant pakistanais de la supérette de Franklin Heights, un quartier au nord de Milwaukee, ne dort plus : ses cauchemars sont habités de visages noirs hurlant « Je ne peux plus respirer ». Jamais il n’aurait dû appeler le numéro d’urgence pour un billet de banque suspect. Mais il est trop tard, et les médias du monde entier ne cessent de lui rappeler la mort effroyable de son client de passage, étouffé par le genou d’un policier.
Le meurtre de George Floyd en mai 2020 a inspiré à Louis-Philippe Dalembert l’écriture de cet ample et bouleversant roman. Mais c’est la vie de son héros, une figure imaginaire prénommée Emmett – comme Emmett Till, un adolescent assassiné par des racistes du Sud en 1955 –, qu’il va mettre en scène, la vie d’un gamin des ghettos noirs que son talent pour le football américain promettait à un riche avenir. Lire la suite…
Parution : Août 2021 / prix 21 €, 288 p. / format epub et pdf au prix de 15,99 € / ISBN : 978-2-84805-413-1
C’est parfaitement analysé, Dominique ! De plus, jamais nous n’oublierons que c’est grâce à toi que nous avons pu découvrir, apprécier et rencontrer ce grand écrivain qu’est Louis-Philippe Dalembert !!! D’ailleurs, il confirme son talent avec chaque nouveau livre.
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C’est un bonheur de l’écouter et de le lire, tu as bien raison, et de l’écouter ensemble à Manosque encore mieux !
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Très belle chronique, émouvante, qui donne envie de lire ce roman.
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Merci ! ne pas hésiter alors.
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