Enfant de salaud, Sorj Chalandon

Enfin, trouver le père

Depuis toujours Sorj Chalandon cherche son père, ses vérités, ce qu’il a été avant lui, et en parle dans ses romans. Cette image tutélaire qui permet en général de se construire a été totalement brouillée par la mythomanie du père.

L’auteur a été reporter de guerre, correspondant judiciaire et a en particulier suivi le procès de Klaus Barbie en 1987, reportage pour lequel il a reçu le prix Albert-Londres. Ces deux éléments étaient déjà en eux même assez forts pour donner un sens à l’écriture d’un roman.
Si Sorj Chalandon joue avec les dates pour construire son roman, la réalité du père qu’il évoque est bien celle qu’il a découvert en 2020. Un père qui n’était pas du bon côté, qui a porté l’uniforme allemand, mais pas seulement. Un homme qui a eu mille vies, porté cinq uniformes différents, s’est évadé, a risqué le peloton d’exécution, a terminé sa guerre en prison.

Celui qu’il avait déjà décrit comme fantasque dans Profession du père se révèle ici imprévisible, saltimbanque, manipulateur, affabulateur. Un véritable chat qui retombe sur les pattes quelle que soit l’aventure tordue dans laquelle il s’est embarqué.

Il y a de nombreuses questions dans cette quête du père, mais aussi beaucoup d’amour pour celui qui pourtant n’a jamais su parler à son fils, lui dire qui il était, l’aider à se construire, échanger, dialoguer, dire vrai.
Que d’émotion lors des chapitres qui évoquent le procès Barbie, les enfants d’Ysieux, les noms des disparus, la visite de l’auteur à la maison qui a abrité cette colonie d’enfants juifs avant la rafle. Une intensité douloureuse, un devoir de dire ce qui a été, ce que les derniers témoins ont exprimé lors du procès, dire encore une fois avant l’oubli, pour l’Histoire.

La voix de Féodor Atkine a une tonalité parfois dure, parfois douloureuse, une personnalité qui donne envie de faire silence pour écouter, pour entendre, pour participer plus intensément à cette quête et à ce devoir de mémoire.

Roman lu dans le cadre de ma participation au Jury Audiolib 2022

Catalogue éditeur : Grasset

Depuis l’enfance, une question torture le narrateur :
– Qu’as-tu fait sous l’occupation ?
Mais il n’a jamais osé la poser à son père.
Parce qu’il est imprévisible, ce père. Violent, fantasque. Certains même, le disent fou. Longtemps, il a bercé son fils de ses exploits de Résistant, jusqu’au jour où le grand-père de l’enfant s’est emporté  : «Ton père portait l’uniforme allemand. Tu es un enfant de salaud !  »
En mai 1987, alors que s’ouvre à Lyon le procès du criminel nazi Klaus Barbie, le fils apprend que le dossier judiciaire de son père sommeille aux archives départementales du Nord. Trois ans de la vie d’un «  collabo  », racontée par les procès-verbaux de police, les interrogatoires de justice, son procès et sa condamnation.
Le narrateur croyait tomber sur la piteuse histoire d’un «  Lacombe Lucien  » mais il se retrouve face à l’épopée d’un Zelig. L’aventure rocambolesque d’un gamin de 18 ans, sans instruction ni conviction, menteur, faussaire et manipulateur, qui a traversé la guerre comme on joue au petit soldat. Un sale gosse, inconscient du danger, qui a porté cinq uniformes en quatre ans. Quatre fois déserteur de quatre armées différentes. Traître un jour, portant le brassard à croix gammée, puis patriote le lendemain, arborant fièrement la croix de Lorraine.

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Format : 140 x 205 mm / Pages : 336 / EAN : 9782246828150 / Parution : 18 Août 2021

Felis Silvestris, Anouk Lejczyk

A la cime des arbres ou entre quatre murs, faire appel à l’imaginaire pour se construire

Deux sœurs, l’une parle, l’autre non.

Celle qui s’est donné pour nouveau nom Felis silvestris est partie dans la forêt. A l’image du chat sauvage, ce chat forestier dont elle a pris le nom, et qui hante les bois d’Europe.

Loin des siens, elle est partie rejoindre une communauté qui défend les derniers arbres contre la déforestation sauvage faite par la firme qui exploite une mine. Sans contrepartie, sans rien attendre, elle lutte dans la clandestinité avec les autres jeunes qu’elle rencontre sur la ZAD. Elle doit apprendre à vivre de rien, dans les arbres, devenant un bouclier humain contre la force des grandes multinationales qui n’ont aucun scrupule à tout raser et à modifier durablement l’environnement.

En parallèle, sa sœur s’enferme peu à peu dans la solitude d’une chambre pour tenter de comprendre d’une part la fuite de sa sœur, et d’autre part ce qu’elle souhaite faire de sa vie. C’est le long monologue de cette dernière qui nous éclaire sur ses projets, sur la nouvelle vie de sa sœur, sur la relation très forte qu’elles avaient et qui souffre de cette absence, de ce silence. Les souvenirs s’égrainent, l’enfance est là joyeuse et tendre, les expériences vécues ensemble.

La nature et en particulier la forêt ont une place prépondérante et nous ramènent à l’essentiel, la vie et l’importance du respect de ce qui nous entoure pour vivre sereinement en symbiose avec les éléments.

Chaque chapitre est ponctué d’un « Et ta sœur, elle est où » qui nous rappelle qu’elles sont deux, mais par moments ne semblent faire qu’une. Comme si la sœur qui se terre était le miroir de celle qui s’envole à la cime des arbres. Alors une, ou deux ? Un roman étonnant, déroutant même lorsque l’on s’interroge sur l’existence des deux sœurs, mais un roman dont on se souvient et qui marque.

Un roman de la sélection 2022 des 68 premières fois

Catalogue éditeur : Le Panseur

Sans crier gare, Felis est partie rejoindre une forêt menacée de destruction. Elle porte une cagoule pour faire comme les autres et se protéger du froid. Suspendue aux branches, du haut de sa cabane, ou les pieds sur terre, elle contribue à la vie collective et commence à se sentir mieux. Mais Felis ignore que c´est sa sœur qui la fait exister – ou bien est-ce le contraire ? Entre les quatre murs d´un appartement glacial, chambre d´écho de conversations familiales et de souvenirs, une jeune femme tire des fils pour se rapprocher de Felis – sa sœur, sa chimère. Progressivement, la forêt s´étend, elle envahit ses pensées et intègre le maillage confus de sa propre existence. Sans doute y a-t-il là une place pour le chat sauvage qui est en elle. Premier roman d´Anouk Lejczyk, Felis Silvestris nous plonge, le temps d´un hiver, dans une histoire intime et sensible, explorant notre imaginaire et nos inquiétudes face à des choix de vie qui nous effraient autant qu´ils nous fascinent.

11 Janvier 2022 / 17.00 € / EAN 9782490834082 / 192 Pages

Je suis le carnet de Dora Maar, Brigitte Benkemoun

Suivre Dora Maar, la femme, l’amante, la muse, l’artiste, La femme qui pleure

Depuis le temps que j’avais envie de le lire, je trouve la démarche, le hasard, les recherches fascinants.

Photographe, peintre, muse de Pablo Picasso, Dora Maar est une femme qui a évolué dans le cercle des artistes, surréalistes, intellectuels des années 50. Alors trouver dans un étui acheté par correspondance le carnet d’adresses de Dora Maar, ou même seulement imaginer que cela soit possible est une véritable gageure. C’est pourtant ce qui est arrivé à l’autrice qui a eu la bonne idée, lorsqu’elle est tombée sur des adresses toutes plus incroyables les unes que les autres, de poursuivre ses recherches.

En partant de ces numéros de téléphone et de ces adresses elle remonte le fil de la vie de Henriette Théodore Markovitch, née en novembre 1907 à Paris. Muse du peintre le plus emblématique du XXe. Belle intelligente farouche volontaire hautaine entière volcanique coléreuse exaltée orgueilleuse digne cultivée snob… Les qualificatifs ne manquent pas pour l’évoquer. Et cependant, qui peut se targuer de dire qu’à part citer le si célèbre tableau de Picasso, la femme qui pleure, il ou elle connaît le personnage, sa vie, sa carrière.
Cocteau, Chagall, Giacometti, Balthus, Breton, Lacan, Éluard…
vétérinaire, plombier, architecte…
Et Picasso, à qui elle donne sa vie, son amour, qui lui vaudra sa défaite et sa légende.

Ce que j’ai aimé ?

Embarquer dans ce carnet, parcourir les adresses, retrouver les numéros et les noms parfois oubliés, suivre un parcours de vie, celui de Dora Maar, la femme, l’amante, la muse, l’artiste, la désespérée.

J’ai aimé que le cheminement ne soit pas simplement guidé par un ordre alphabétique ou qu’il se concentre seulement sur des noms connus, mais que s’y mêlent aussi ceux qui ont côtoyée Dora Maar dans sa vie de tous les jours, qui ont vécu eux à son époque. De plus je suis une inconditionnelle de Picasso. J’aime lire tout ce qui m’en apprend un peu plus sur cet homme qui a brisé plus d’un cœur, mais qui a marqué sont époque par son art et sa créativité. J’ai passé un excellent moment de lecture.

Catalogue éditeur : Stock, Le Livre de Poche

Il était resté glissé dans la poche intérieure du vieil étui en cuir acheté sur Internet. Un tout petit répertoire, comme ceux vendus avec les recharges annuelles des agendas, daté de 1951.
A : Aragon. B : Breton, Brassaï, Balthus… J’ai feuilleté avec sidération ces pages un peu jaunies. C : Cocteau, Chagall… E : Éluard… G : Giacometti… Chaque fois, leur numéro de téléphone, souvent une adresse. Vingt pages où s’alignent les plus grands artistes de l’après-guerre. Qui pouvait bien connaître et frayer parmi ces génies du XXe siècle ?
Il m’a fallu trois mois pour savoir que j’avais en main le carnet de Dora Maar.
Il m’a fallu deux ans pour faire parler ce répertoire, comprendre la place de chacun dans sa vie et son carnet d’adresses, et approcher le mystère et les secrets de la « femme qui pleure ». Dora Maar, la grande photographe qui se donne à Picasso, puis, détruite par la passion, la peintre recluse qui s’abandonne à Dieu.

7,70€ / 288 pages / Date de parution : 10/11/2021 / EAN : 9782253820444

Georges Brassens Militant anarchiste, Frédéric Bories

Le livre de Frédéric Bories se focalise sur les années 1946 à 1948, période pendant laquelle Georges Brassens s’est tourné vers l’anarchisme, une façon de penser que l’on retrouvera en filigrane de son œuvre. Mais des convictions et un engagement qui, s’ils les garde toute sa vie, ne sont pas soumis à l’appartenance à un parti ou un journal.

C’est par une enquête fouillée, à base de documents d’archive en particulier, que l’auteur réussi à montrer cet attrait pour l’anarchie que finalement l’artiste gardera toute sa vie.

Issu d’un milieu pauvre, Brassens a cherché toute sa vie à lire, comprendre l’autre, il s’est tourné vers la littérature, la philosophie, avec un sens de l’humain qui se sent dans chacun de ses textes.

S’il a été secrétaire de rédaction du Libertaire, l’organe de la fédération anarchiste, dans lequel il a croisé ses contemporains Léo Ferré, André Breton ou encore Albert Camus, s’il a arpenté les meetings des mouvements libertaires et antimilitaristes de l’époque, Brassens n’accepte aucune forme d’autorité. C’est donc à travers une anarchie individuelle qu’il montre son attrait pour cette façon de penser. Par son refus de l’autorité, son respect de l’humain, de l’autre, son amour inconditionnel pour la langue française qu’il a manié toute sa vie avec justesse, pesant chaque mot, chaque phrase, et les mettant en musique. Ces notes de musique travaillées et pensées comme un exhausteur de saveur, pour nous en faire apprécier le sens.

À travers cette période précise de la vie de Brassens c’est aussi l’histoire du mouvement anarchiste de l’immédiat après-guerre que Frédéric Bories nous raconte là. Il faut dire qu’il est enseignant et un des archivistes du Centre International de Recherches sur l’Anarchisme de Marseille.

Catalogue éditeur : Les mots et le reste

Si les croquants et croquantes de la France entière ont chanté à tue-tête les textes d’un des plus célèbres chanteurs français, peu d’entre eux connaissent son implication au sein du mouvement anarchiste entre 1946 et 1948. Souvent éludée par les biographes, cette parenthèse politique et littéraire a pourtant façonné son être et conditionné toute son oeuvre. Avant de trimbaler sa pudeur sur les planches des salles de concert, Brassens, qui voulait être poète, a passé la guerre et les années qui suivirent à dévorer les oeuvres de Baudelaire, La Fontaine, Gide, ou Anouilh avant de découvrir François Villon, Proudhon ou Bakounine, dont les idées antiétatiques, antimilitaristes, et leur désir d’égalité sociale, lui seyaient tout à fait. En découla une carrière journalistique prolifique pour Le Libertaire, organe de la Fédération anarchiste dont il devint le secrétaire de rédaction. Frédéric Bories est né et vit à Marseille. Enseignant, il est également archiviste au sein du Cira Marseille (Centre International de Recherches sur l’Anarchisme).

Parution : 20/01/2022 / ISBN : 9782361399528 / 192 pages / 17.00 €

Et mes jours seront comme tes nuits, Maëlle Guillaud

Un magnifique roman qui parle d’amour et de souvenirs

Hannah vit entre parenthèse depuis que son bel amour Juan est loin d’elle, depuis qu’elle lui consacre ses jeudis, qu’elle a elle aussi franchi la ligne entre le monde de dehors et celui de la prison.
Ils se sont rencontrés à Tanger. Hannah est musicienne, Juan artiste peintre. Ils ont tout de suite été en harmonie, soudés par le chagrin d’une enfance pas toujours heureuse, elle orpheline à huit ans, lui issu d’une famille de franquistes convaincus et toujours aussi passionnés qu’il rejette avec ardeur.
Autour de Juan il y a aussi Nessim, l’ami fidèle, celui qui a reconnu son talent, qui l’aide à vendre ses toiles, celui qui a une telle emprise sur Juan qu’il pourrait lui demander la lune.

Alors chaque jeudi Hannah ne vit que pour ses visites à la prison, c’est sa respiration, son moment suspendu, hors du temps, son obligation consentie.
Jusqu’au moment où le rideau se déchire sur une Hannah un peu perdue, et où le lecteur se demande où Maëlle Guillaud l’a embarqué.

L’autrice a un vrai talent pour sonder les âmes, mais aussi pour décrypter l’enfermement sous toutes ses formes au fil de ses romans. D’abord avec une jeune femme qui fait vœux de devenir religieuse dans Lucie ou la Vocation, puis une jeune fille qui se cherche dans une famille très française, enfin une jeune femme dont l’amoureux est en prison. Chacune a sa propre geôle qui la tient prisonnière. Ici, Hannah est prisonnière d’un amour absent, envolé, mis en cage loin d’elle.
Jusqu’à ce qu’elle trouve la force de s’en détacher ?

Créatrice du prix Montre Cristo avec la maison d’arrêt de Fleury-Merogis l’autrice connaît le quotidien des détenus vu par ceux qui leur rendent visite, ceux du dehors, et les scènes en milieu carcéral sont d’un grand réalisme. Le lecteur perçoit cette solitude, ce bruit, cet enferment. Et la douleur d’être enfermé.

Catalogue éditeur : Héloïse d’Ormesson

« Le jeudi, c’est la cérémonie des retrouvailles. Dans quelques heures, elle pourra le voir, le toucher. Il lui racontera ces heures qui s’étirent, la promiscuité et le bruit incessant. Infernal. C’est le premier mot qu’il avait choisi pour décrire ce chaos ambiant. »
Dans le RER qui la conduit à la maison d’arrêt, Hannah ne peut s’empêcher de penser à tout ce qu’elle a perdu. Elle songe à celui qu’elle aime plus que tout malgré la trahison, et qu’elle va retrouver au bout du trajet. À ses fantômes qui l’habitent et l’escortent depuis si longtemps. À Tanger, ville lumière cernée par les ombres inquiétantes. Heureusement, il y a son art, la musique, qui l’aide à tenir debout et à combler les vides. Mais jusqu’à quand ? Hannah comprendra-t-elle qu’elle se doit d’ouvrir les yeux ?

EAN : 9782350877815 / Format : 140 x 205 mm / 17.50 € / Date de parution : 03/02/2022

Premier sang, Amélie Nothomb

Un roman par an et l’art de se renouveler à chaque fois

Avec talent Amélie Nothomb arrive à nous surprendre à chaque rentrée littéraire

Premier sang évoque à la première personne le père de l’autrice décédé en 2020 et qu’elle n’a pas pu revoir pour cause de confinement et de covid.

Le roman s’ouvre sur un peloton d’exécution, Patrick Nothomb a vingt-huit ans, et sa vie va s’achever à Stanleyville, pendant la révolution qui libère le Congo jusque là Congo belge.
Patrick a huit mois lorsque son père décède. Veuve inconsolable, son épouse confie son fils à ses parents.
Le grand-père général, la grand-mère aimante et douce s’occupent du petit Patrick.
Alors qu’il a six ans, Patrick qui sait déjà lire et écrire, souhaite rencontrer la famille Nothomb, la famille de son père qu’il n’a jamais connue.

Au château de Pont d’Oye, Pierre Nothomb le baron poète ne se soucie guère de la vie de ses enfants. Treize sont nés de ses différents mariages. Cinq vivent sous son toit lorsque Patrick les rejoint.
Le baron porte beau et mange à sa faim, Quand toute la tribu doit se battre pour avoir ne serait-ce qu’un morceau de pain ou de viande. La vie au château est un combat permanent pour la vie, mais Patrick s’y endurcit et apprécie cette famille qui est aussi la sienne.

Nous le suivons tout au long du roman, avec un bonheur incroyable malgré la difficulté de vivre à cette époque, malgré les problèmes et les contraintes de sa famille.
Il y a à la fois beaucoup de tendresse et une pointe d’humour tout au long de ces pages, et l’on a envie d’en connaître plus, de l’écouter nous parler encore. Car oui, on s’y croit, on l’écoute, ce petit Patrick qui deviendra diplomate. Amélie Nothomb incarne avec brio, amour et un brin de dérision parfois cet homme qui a su tirer le meilleur des moments les plus difficiles. Un magnifique hommage à son père.

Un excellent cru, un récompense méritée pour une autrice que je suis avec plaisir depuis des années.

Catalogue éditeur : Albin-Michel

« Il ne faut pas sous-estimer la rage de survivre. » 
Prix Renaudot 2021 / Palmarès 2021 Les 100 livres de l’année du magazine Lire

18 août 2021 / Édition Brochée 17,90 € / 180 pages / EAN : 9782226465382

Langue morte, Hector Mathis

Retrouver la langue de l’enfance, celle de la vie et de la mort

Le narrateur est posté face au quatre, à La Grisâtre. Devant l’adresse de son enfance, dans ce quartier de banlieue où les pavillons succèdent aux pavillons, Thomas se souvient. De la famille, de Jérémie, ce frère qui a fait tant de bêtises, de Mie Joss la grand-mère, si peu aimante et pourtant aimée. d’Alain le père, Thierry, Horace les oncles. Et puis Camille, l’amie, celle qui le suit, celle qu’il quitte, celle qu’il cherche au fil de ses errances.

Il y a Nono, Yassine, Malik et tous les autres, les copains, inséparables, bagarreurs, chapardeurs, voleurs, délinquants en herbe ou accomplis, mais toujours présents. Thomas est un élève surdoué, qui va sauter une classe, ce qui peut s’avérer très compliqué pour un gamins. Plus jeune, il est en décalage avec ses camarades de classe, il doit faire front et s’aguerrir. Il découvre le théâtre, et cette soif d’écrire qui se révèle à lui sur les bancs du collège, écrire comme une course, une fulgurance, une raison d’exister. Viennent aussi les premiers émois amoureux, les premiers flirts, les premières filles, puis Camille, celle qui le comprend.

Le lecteur le suit des classes primaires, malade et fatigué, souvent alité, aux quatre-cent coups du collège puis dilettante à la fac. Il se raconte avec une tendresse, une urgence, une nostalgie aussi qui touchent le lecteur pris dans le flot des phrases courtes, rythmées, imagées, hachées, violentes parfois.

On retrouve la colère, la fuite en avant dans l’écriture, la soif de tout dire avant qu’il ne soit trop tard des deux précédents romans. Avec dans K.O la fuite après la découverte de la maladie, puis dans Carnaval le retour au village à la suite du décès de l’ami d’enfance. Dans Langue morte, c’est la jeunesse qui revient comme une vague, pendant cette nuit où, statique devant le quatre, il voit défiler les années de l’enfance, l’adolescence, la maturité, mais aussi la famille, la fratrie, l’amitié, la vie et la mort.

C’est dense et assurément cette lecture n’est pas de tout repos. Mais l’auteur trouve son rythme, confirme son style, sa singularité. J’aime découvrir son chemin, compliqué, fort en émotions, en sentiments contradictoires, mais passionnant. Et cette vision des banlieues vécues de l’intérieur, de l’amitié, de l’adolescence, nous ouvre les yeux pour mieux appréhender ces gamins que nous côtoyions souvent sans vraiment les voir.

Catalogue éditeur : Buchet-Chastel

Seul et désemparé, le narrateur de Langue morte déambule dans les rues de son enfance. Son errance lui fait traverser le temps, ressuscite ses voisins, ses parents, son frère, ainsi que tous les curieux personnages dont il a croisé la route. Initié au théâtre par son père, à la bêtise par l’école et à la mort par sa grand-mère, il sera contraint de fuir pour échapper à ses propres démons… De la grisâtre à l’Autriche, en passant par Paris, le Gard, l’Allemagne et l’Italie, le narrateur sera confronté au désœuvrement, à la souffrance et à la colère mais découvrira aussi l’amour, la musique et l’amitié. Ces obsédants souvenirs de jeunesse le conduiront jusqu’au petit matin, à l’aube d’une époque nouvelle.

Né en 1993, Hector Mathis grandit aux environs de Paris entre la littérature et les copains de banlieue. Écrivant sans cesse, s’orientant d’abord vers la chanson, il finit par se consacrer pleinement au roman. Frappé par la maladie à l’âge de vingt-deux ans, il jette aujourd’hui l’ensemble de ses forces dans l’écriture.

Date de parution : 06/01/2022 / Prix : 17,90 € / Format : 256p. / ISBN : 978-2-283-03472-9

Beyrouth hôtel, théâtre du Gymnase Marie-Bell

Quand l’orient et l’occident se rencontrent dans le lobby d’un hôtel à Beyrouth

Une scène avec le comptoir de réception d’un hôtel, un fauteuil, un juke-box.

Un auteur de théâtre en mal de reconnaissance arrive dans l’hôtel pas cher que lui a conseillé le taxi qui l’a chargé à l’aéroport. Il attend le metteur en scène qui lui permettra de faire jouer ses pièces à Beyrouth et refuse même de quitter le lobby de l’hôtel pour aller découvrir la ville. Il faut dire que dehors c’est la guerre. Vivre sous les bombes au milieu des morts donne furieusement envie aux habitants de profiter de chaque instant pour faire la fête, s’amuser, danser. La réceptionniste est une femme au sourire facile, éclatante de vie, un brin aguicheuse, souriante, malicieuse et accueillante.

Dans ce modeste hôtel, les questionnements intérieurs de cet homme tourmenté (et dont on comprend vite que sa femme l’a quitté) sont un bien triste écho à ses envies de bonheur. Il y a de l’incompréhension entre celui qui vit encore son histoire d’amour par répondeur interposé, et celle qui espère des lendemains plus souriants, mais aussi de l’intérêt, de l’attachement, de la tendresse et un brin de légèreté au milieu de la ville en guerre. Vont s’enchaîner alors quelques quiproquos, mais aussi de nombreux échanges d’idées, de rêves, d’inquiétudes, entre cet homme et cette femme de cultures, d’expériences, et aux passés si dissemblables.

C’est une véritable comédie, à la fois drôle et légère, mais aussi une interrogation sur l’amour et la force de vivre. La mise en scène met très subtilement en valeur les dialogues et surtout les monologues, permettant au spectateur de se faire témoin des atermoiements et interrogations des deux personnages.

La musique omniprésente nous permet de voyager loin dans le temps et dans l’espace et c’est très réussi.

Une pièce de Rémi De Vos
Mise en scène Olivier Douau
Avec Nathalie Comtat et Olivier Douau

Compagnie du nouveau monde Après le théâtre du Gymnase, cette pièce sera jouée au Festival d’Avignon Off

Une araignée dans le rétroviseur, Patricia Bouchet

Un premier roman qui parle à nos sens, tout en images et en émotions

C’est le livre des émotions, des sensations, des odeurs, des saveurs, des couleurs
Le roman des souvenirs, des impressions, de la douleur, de l’oubli, des chagrins.
Du chemin parcouru et de celui qui s’ouvre enfin, serein et libre, après la révélation, celle des souvenirs enfouis au plus profond, si loin et qui pourtant laissent des traces dévastatrices.

La narratrice fait le chemin à l’envers. Elle retourne vers la maison de son enfance.
La maison où elle passait ses étés.
Celle des grands-parents, des vacances au soleil sous la tonnelle quand on reste sous l’œil bienveillant des anciens.
Celle des souvenirs heureux, joyeux ou tristes, qui surgissent au détour d’un meuble, d’une porte, d’un tiroir empli d’objets anciens presque oubliés. Souvenirs
Celle des saveurs partagées, douces ou amères.
Celle enfin de la main qui se pose, du geste qui ne doit pas être, du mal-être qui s’installe. Du silence et de l’oubli.
C’est le livre des souvenirs que l’on a enfouis pour être capable de poursuivre sa route, mais qu’il faut déterrer pour avancer droit, pour être entière, debout, enfin.

L’écriture est travaillée, précise, photographique par moments, remplie d’odeurs et de senteurs que le lecteur peut découvrir en même temps que la narratrice. De belles images, un paysage, une maison dans laquelle on pénètre à sa suite, sur la pointe des pieds, pour ne pas déranger et laisser faire ce qui doit être, ce qui doit s’accomplir et qui peu à peu se dessine.

Patricia Bouchet signe là un joli premier roman qui donne envie de lire les prochains.

Un roman de la sélection 2023 des 68 premières fois

Catalogue édition : Parole

Cachée au cœur d’un parc luxuriant, volets et portes encore closes, une maison blanche. Celle de l’enfance où le temps compte si peu. Une jeune femme, déterminée, revient sur ses pas et se souvient. Elle s’abandonne aux fantômes bienveillants, aux parfums retrouvés, aux évocations qui émanent de chaque recoin et surtout, elle affronte les peurs enfermées, les images verrouillées et brise le carcan de l’oubli. Elle trouvera des alliés précieux, des sentiers colorés, un nid dans la tonnelle et puis le pont, pour passer d’une rive à l’autre, sans oublier.

Originaire de la région parisienne, Patricia Bouchet vit actuellement dans le sud de la France. Elle poursuit un travail d’écriture et d’images photographiques qui a donné lieu à plusieurs expositions. Grande lectrice de littérature, elle anime aussi des ateliers d’écriture auprès de publics adultes. Une araignée dans le rétroviseur est son premier roman.

9,00 € / 64 pages / parution mars 2022

Le maître de l’océan, Diane Ducret

L’océan, comme une force vitale, une philosophie pour trouver du sens et sa place dans le monde

C’est une jeune garçon dont on ne connaît pas le nom, mais qui peut être chacun de nous sans doute. Il vient d’être emmené au temple par son grand-père qui ne sait plus que faire de cet enfant inculte et rêveur.

Il est issu d’une famille de paysans qui avait des rêves de grandeur. Ils avaient décidé de bander les pieds de leur fille, selon cette coutume barbare de la Chine traditionnelle, en espérant ainsi lui voir faire un beau mariage. Les femme ne pouvant plus marcher seules devaient avoir une maisonnée importante pour s’occuper d’elles. Mais ce n’est pas le chemin qu’elle a suivi, et devenue fille mère, elle a travaillé aux champs, claudiquant sur ses pieds handicapés, après avoir donné naissance à ce fils qu’elle aime tant, mais qu’elle a quitté très jeune.

C’est donc quelque temps après le décès de la mère qu’il entre au temple. Mais il n’a jamais appris à lire ou à écrire, lui qui est capable de rêver pendant des heures face à la force de la nature, dans les champs, les montagnes, incapable de travailler. Lorsqu’il arrive au temple, en haut de la plus haute montagne, il se rend compte que c’est en fait l’eau qui l’appelle, l’eau tumultueuse et vivante, vibrante, sans cesse en mouvement.

Alors le maître le laisse partir et apprendre, savoir ce que la mer peut lui donner, lui enseigner par sa force, sa grandeur, sa beauté et sa dureté aussi parfois.

Parti de Chine jusqu’au mont Saint Michel pour son voyage initiatique, il va observer, plonger, marcher au bord de l’eau, découvrir les vagues, les éléments déchaînés, les tempêtes, les hommes et les femmes aussi, leur singularité et la sienne, jeune garçon perdu au milieu de ces autres si différents. Et enfin comprendre qui il est, se connaître enfin en comprenant quel est le véritable maître et où est son destin, face à cet océan sans cesse en mouvement, toujours changeant, jamais identique.

Un étonnant roman qui nous parle de taoïsme, de religion, de philosophie, de croyances et de savoir, de recherche sur soi-même, de parcours et d’aboutissement. La mer, ou plutôt l’océan, occupe toute sa place, primordiale, vitale. Avec le narrateur, le lecteur découvre cette ligne d’horizon, une force essentielle qui nous nourrit et nous permet de trouver notre place dans le monde. Avancer, ne pas reculer, traverser la vague pour continuer à vivre.

Catalogue éditeur : Flammarion

L’incroyable aventure d’un jeune orphelin destiné à devenir moine taoïste, traversant les mers à bord d’un cargo chargé de kiwis vers les rivages français. Hanté par l’idée d’apprivoiser le grand Océan, il espère que celui-ci répondra à la question qui le taraude : comment vivre quand on a perdu tout ce que l’on aimait ?
Sans relâche, il se confronte aux éléments, se heurte aux vagues, à ses doutes, à son chagrin. L’eau et le ciel, la foi et la nature, l’Orient et l’Occident se confondent. Au pied du Mont-Saint- Michel, il entreprend le plus grand des voyages, une odyssée intime, celui de l’aventure du soi.
Dans le sillage des récits bibliques, de la sagesse taoïste et des philosophies antiques, Diane Ducret nous livre un roman en forme de conte philosophique. Le Maître de l’Océan est le livre de la grande consolation de la mer en nos temps troublés.

Romancière et essayiste, Diane Ducret est l’auteur des best-sellers Femmes de dictateur (Perrin, 2011), traduit en vingt-cinq langues, La Chair interdite (Albin Michel, 2014), La meilleure façon de marcher est celle du flamant rose (Flammarion, 2018) ou encore La Dictatrice (Flammarion, 2020).

Paru le 09/03/2022 / 240 pages – 133 x 200 mm / EAN : 9782080245588 / 18,00