A la rencontre de Stéphanie Kalfon

Autour de son dernier roman Un jour ma fille a disparu dans la nuit de mon cerveau

Stéphanie Kalfon – Photo © Francesca_Mantovani/Gallimard

Bonjour Stéphanie,

Un jour ma fille a disparu dans la nuit de mon cerveau dont j’ai parlé sur le blog il y a quelques jours est votre troisième roman. J’ai adoré le premier, et je vous suis depuis. Ils sont tous très différents d’ailleurs et c’est aussi ce qui me plaît chez vous.

Dans ce dernier roman paru aux éditions Verticales le 5 janvier, une petite fille disparaît quelques heures et à son retour, plus rien ne sera jamais comme avant dans sa famille. Sa mère ne la reconnaît plus et doute chaque jour un peu plus de la réalité du lien qui l’attache à cette enfant.

Qu’est-ce qui a été à l’origine de ce sujet ? La famille, le doute, la maladie ?

Ça a été la découverte par hasard, il y a une dizaine d’années, du syndrome de l’illusion des sosies. Je faisais des recherches sur un scénario et je suis tombée sur un petit livre qui résumait une foule de maladies de manière humoristique, un peu comme des « fiches cuisine ». J’ai été sidérée en lisant la définition. J’ai éclaté de rire, puis ce rire s’est troublé ; il m’a fait capturer quelque chose de bien plus grave, au revers du drôle…ce sentiment tragique qu’éprouve la narratrice de mon roman, Emma, que j’ai observé avec le plus grand sérieux du monde. Alors, ça a été comme un appel ; la certitude qu’il y a avait là une question qui m’était posée à travers ce sujet, absolument vertigineuse. Il fallait que j’entre dans cette fiction, et que je marche sur la crête du vrai. Ma boussole, c’était le doute. Ce doute qui envahit le livre et cette famille, comme une infiltration. Parce que ce livre est avant tout un roman de l’incertitude.

Comment décide-t-on de traiter un tel sujet ? Et surtout quel est l’aspect qui vous a le plus intéressée ?

Je ne décide pas vraiment, je suis happée, hantée, dérangée, obsédée par quelque chose. D’ailleurs ce n’est jamais un sujet, c’est toujours très vague, mais saisissant. Ce qui fait que je me décide à aller voir, c’est la manière dont cette impression qui me frappe tout d’abord (qui peut se rattacher à n’importe quoi ; un sourire, une situation dramatique, un fait personnel, une lecture, une lumière, etc…) persiste. Insiste. Vient se superposer à la réalité de ma vie, entre dans mon imagination et se déploie. Un peu comme une musique, une atmosphère. Progressivement, elle est là, puis elle est encore là et toujours là, si bien que c’est elle qui décide de me faire lire tel livre, aller voir tel spectacle, parler à telle personne… elle prend la main sur mes décisions, elle me prend la main.

Ce qui m’a le plus intéressée dans cette histoire, c’est son mystère. Je savais qu’elle contenait des thématiques qui me travaillent et qu’elle pouvait me permettre d’en parler autrement. Mais chaque fois que j’y parvenais, il fallait que je décale la direction. La boussole de ce livre (qui parle de se perdre dans la nuit) était toujours décalée, son « nord » se situait en dehors des clichés. Par exemple, entre Emma et sa fille il ne s’agit pas d’un manque d’amour, mais du récit d’un amour manqué.

Avez-vous rencontré ou lu des témoignages de personnes dans ce cas, que ce soit à la place de la mère, du père mais aussi de la petite fille ?

Je me suis documentée exclusivement sur le syndrome, en lisant des témoignages et des publications scientifiques. Assez vite, j’ai eu la sensation d’avoir compris quelque chose qui me dépassait totalement. Si bien que la plus grande partie de mes recherches, je l’ai consacrée à quitter le terrain de la documentation pour entrer en profondeur à la recherche de ces échappées ; j’ai couru après l’exigence de l’authentique et du vrai, c’est avant tout sur moi que j’ai posé le regard, sur « mon moi » d’écrivain, qui se déplace dans les personnages, les temporalités, les distances, les focales, les vérités, les illusions. Je suis restée fidèle au vertige que je découvrais. Les personnages se sont trouvés en chemin, mais ne sont pas tirés de témoignages réels. Sauf peut-être Emma, qui m’a d’emblée fait penser au personnage de Mabel dans « Une femme sous influence » de John Cassavetes : son sourire, sa manière de renoncer et de vouloir à tout prix, sa solitude désolée, l’incompréhension des autres, ce qu’elle doit cacher, protéger, taire, amoindrir, imaginer pour se sauver d’un réel qui la considère déjà comme fugitive… cela m’a inspirée énormément.

Il me semble qu’il est toujours difficile de se mettre à la place des enfants, qu’en est-il pour vous ? Car Nina est présentée avec une grande finesse et justesse des sentiments qui émeut le lecteur au plus haut point.

Je trouve qu’il est difficile de se mettre à la place de n’importe quel personnage, si on vise une proximité qui ne triche pas, si on accepte de le créer et de le regarder avec ses couleurs, ses volumes, et surtout, ses défauts. Qu’il s’agisse d’une enfant ou d’un adulte, la situation dramatique d’une histoire les contraint d’une certaine manière. L’énergie de Nina, je la porte depuis longtemps. Le vrai travail, ça a été d’accepter d’aller au bout de ses désirs, de ses sentiments, même quand cela devenait cruel ; accepter de ne pas la protéger de sa mère et que toutes deux développent cette relation inouïe, inédite. C’est sa relation avec sa mère qui m’a permis de la rendre vivante : il fallait que tout soit totalement crédible, même dans la folie, même quand ça va trop loin. Mais sa mélodie est simple et stable : c’est une enfant, elle aime sa mère, elle la regarde se perdre de croire qu’elle l’a perdue, alors cette gamine est capable de tout faire pour retrouver cet amour. Absolument tout. C’est dans cette exigence que se trouvait la clé de Nina.

J’ai aimé la façon dont vous parlez de Nina, son sentiment envers sa mère, son silence, son incompréhension, cet abandon de l’amour maternel auquel elle doit faire face. Cela a-t-il été facile de parler d’une enfant et de lui faire vivre ce que vous avez décidé de lui faire endurer ?

Ça a été très difficile parce que rien, dans cette relation, n’est banal. La situation de départ est dingue : voici une mère qui cherche une enfant qu’elle n’a pas perdue. Et voici une fille qui regarde sa mère qui ne la voit plus. C’est violent, inextricable et paradoxal, car elles ne se parlent que d’amour au fond. Plus Emma cherche sa « vraie » fille sans jamais y renoncer, plus Nina mesure à quelle point sa maman l’aime et tout ce qu’elle est prête à faire pour elle. Mais c’est tragique, parce que l’enfant que sa mère veut retrouver existe seulement dans la nuit d’Emma, le passé, dans la lésion de son cerveau, en raison du syndrome dont elle est atteinte et qu’elle ignore longtemps. Nina est spectatrice passive. En théorie. Car elle ne le reste pas. Je crois que les enfants font toujours tout ce qu’ils peuvent pour changer les choses, réparer, aider, retrouver leur sécurité. Ils sont prêts à tout, même maladroitement ou de manière extrême et c’est ça qui me touche chez eux. C’est cela que j’ai cherché à montrer avec Nina : elle ne juge pas, elle ne perd jamais confiance, elle ne se décourage pas, elle essaye, et elle s’ajuste. Là où les adultes y voient un lien violent, cruel, Nina y voit une situation à traverser, à réparer. Elle ne lâchera jamais la main de sa mère. Et sa mère non plus. C’est ce qui m’a bouleversée.

Comment avez-vous fait pour être aussi près de ses sentiments ?

J’ai essayé de ne jamais m’éloigner de ce qui me dérangeait dans la vérité des sentiments traversés, et leur évolution. M’approcher et tenter d’atteindre la justesse : cela, je l’ai fait de manière radicale, obsessionnelle, c’était un pacte avec moi-même et ceux qui liraient. Le point de départ du déploiement de l’histoire est tellement extravagant, que je voulais en contrepoids (et en contrepoint) que cela soit absolument crédible, réel. Rester à ras de ce que nous pourrions tous ressentir dans la même situation : pas de spectaculaire mais entrer dans le familier, là où il se brise, justement quand il se brise. Parce que ce syndrome peut arriver à n’importe qui.

Qu’est-ce qui vous a le plus intéressée dans cette relation familiale qui s’épuise et se délite face à ce qui semble inéluctable ?

Leur résistance et leurs silences. La nuit est un registre spécial : en elle, le jour est incertain. Cette famille fait l’épreuve du vacillement de leurs repères, de leurs pensées, de leurs points d’appui, mais cela se vit intimement, dans l’inouï. Le drame a lieu dans la résonance des gestes, dans l’interstice des regards qui s’échangent ou ne s’échangent plus. Ce sont les non-dits qui les lient progressivement et prennent la place de leurs liens, qui m’ont passionnée. Cette maladie ne se guérit pas, ce qui arrive est donc inéluctable et en cela, tragique. Mais je voulais qu’ils parviennent à dépasser le tragique, à faire comme ils peuvent avec la vie. Comme nous tous.

Vous auriez pu écrire un thriller, en tout cas vous nous faites vraiment suivre cette famille, avec ses questionnement et ses doutes, à la façon d’un roman noir. Pourtant le lecteur plonge dans une intrigue bien plus profonde qu’il y paraît de prime abord.

Était-ce une évidence pour vous au départ ?

Non, au départ je n’ai aucune évidence ; et j’ai même découvert la noirceur obligatoire de cette histoire au fur et à mesure de l’écriture. Elle est évidente et pourtant, j’ai commencé par de petits détails, comme des touches de lumière, de petits pas. Ce dont j’étais conscience en revanche, c’est d’entrer dans une sorte de galerie des glaces, où la possibilité que tout soit une illusion (ou non), ronge, dévore le récit et fait vaciller sans cesse les certitudes. J’ai cherché avant tout à proposer au lecteur d’une expérience du vacillement. Qu’en lisant, tout vacille sans cesse, à cause de ce « peut-être » qui menace ce qui est posé, menace sourdement, puis de manière de plus en plus sonore. Je voulais que la pensée du lecteur, ses réflexions, le rythme de sa compréhension, ses émotions, ses impressions, ses effrois, ses curiosités, ses limites soient touchées, exactement comme les personnages de cette famille.

Comment s’est passée la genèse de ce roman ?

Longue. Dix ans. Des tâtonnements, des recherches qui se sont perdues mille fois dans le vertige ; impossible de trouver où se situait le point de vue réel de l’histoire et sa temporalité, c’est-à-dire ce qui pouvait durer vraiment tout le livre et non pas tenir en haleine et s’essouffler. Chaque fois que je trouvais une réponse, un peu plus tard, tout retombait ; la tension, l’intérêt, le sens de l’histoire cessaient d’agir ou d’avancer, électrocardiogramme plat, brutalement. Je ne comprenais pas pourquoi. Jusqu’à ce que je réalise qu’il fallait que j’écrive du point de vue du doute, qui n’est pas exactement celui d’Emma, qui est plus précis et plus vaste aussi, parce qu’il englobe les hors-champs et les autres personnages.

Avez-vous fait de nombreuses recherches sur la maladie avant d’écrire ce roman ?

Au début, j’étais partie pour étudier tout ce qui existait au monde sur le sujet. Mais j’ai « attrapé » très vite le secret de cette maladie, parce que dans son évidence étaient déjà contenus une foule d’aspects qui m’étaient familiers. J’ai eu accès à son scandale, à sa profondeur, à tout ce par quoi cette histoire peut à la fois fasciner et déranger.

Comment est-il accueilli auprès de vos lecteurs ? En tout cas pour moi qui vous suit depuis le premier je l’ai trouvé particulièrement réussi, j’étais très heureuse de le lire, j’ai eu du mal à le poser j’avais juste envie de le lire d’une traite.

Il est accueilli très joliment et je suis contente de voir qu’il parvient à ceux qui le lisent, malgré la noirceur spéciale et les aspects déroutants du sujet. A travers ce livre, je parle de choses simples et de sentiments que tous nous éprouvons : de ce qui nous lie, nous délie, nous sidère ou nous soude. Ce qui me touche, c’est la manière dont les lectrices et lecteurs s’emparent du livre et en parlent spontanément ; je trouve que ce qu’ils en écrivent ressemble au livre, comme un petit « air musical » qui circulerait de moi à eux. Comme si quelque chose de ce roman ouvrait leur envie d’écrire aussi, d’en passer par certains mots.

Quelle lectrice êtes-vous ?

Quand on est autrice, est-on aussi lectrice ? Si vous pouviez nous conseiller un roman, lequel ce serait ?

Un roman ? Un seul ? Impossible. Je peux vous conseiller le premier qui me vient en tête, La vie devant soi de Romain Gary, parce qu’en termes de cache-cache, d’illusion, d’humour tragiquement drôle, de désespoir tendre, de rythmique, de renouvellement, de panache, bref… de tout ce qui fait que certains livres qu’on lit paraissent plus urgents que la vie, c’est un auteur majeur.

Pouvez-vous nous conseiller un roman de cette rentrée littéraire mais aussi un roman plus ancien ?

Je peux vous conseiller deux romans qui prolongent notre conversation :
Dans cette rentrée littéraire, je vous conseille Une histoire du vertige de Camille de Toledo, en résonance directe avec l’expérience de lecture du vacillement.
Autre conseil : L’attrape cœur de Salinger : écrit à hauteur d’enfant, le temps d’une nuit.

Merci Stéphanie, je vous souhaite plein succès et longue vie à ce titre émouvant et surprenant.

Je vous remercie d’avoir accepté de répondre à mes questions.

Merci à vous !

Cinq petits indiens, Michelle Good

Un roman choral bouleversant d’humanité, de douleur, d’espoir

Il y a Maisie, Clara, Lucy, Kenny et Howie et tous les autres, tous ceux qui ne sont plus là, disparus pour certains, silencieux pour la grande majorité d’entre eux.

Qui sont-ils ? Ce sont des indiens autochtones canadiens. Alors qu’ils n’étaient que des enfants, le gouvernement a décidé de les enlever à leurs familles pour ôter l’indien en eux, les faire vivre selon les préceptes de la religion catholique, dans des écoles qui devaient leur apprendre à devenir des blancs vivants à l’occidentale. Mais un indien reste à jamais indien, fort heureusement, et cet épisode douloureux de l’histoire récente du Canada signe l’échec de cette « invisibilisation » forcée des Premières Nations.

Michelle Good a voulu nous faire connaître leurs vies à travers le destin de cinq enfants devenus adultes. Leur prime enfance souvent heureuse, l’arrachement aux familles, les années noires du pensionnat, là où rien ne leur sera épargné, puis leur avenir à partir du jour où ils sont tout simplement mis à la porte du pensionnat à leurs 16 ans.

Chacun à son tour, les cinq petits indiens se racontent, du présent au passé, de l’enfance à l’adolescence, les peurs, les pleurs, la souffrance, les violences subies, les visites nocturnes du Père, tant aux filles qu’aux garçons, les silences de sœur Mary et sa cruauté, le soutien et l’entraide reçus de la part d’autres enfants.

Et le départ dans la vie, loin de la Mission, tellement difficile quand on a reçu ni amour, ni une éducation correcte pour pouvoir s’en sortir.

Un très beau roman, terriblement émouvant, empreint d’un réalisme qui fait mal tant les maltraitances sont flagrantes, la violence physique et morale destructrice pour ces adultes en devenir. Les dernières écoles ont fermé en 1996 à peine. De nombreux enfants sont passé par là, un grand nombre n’en est jamais revenu.

Des pratiques sordides que d’aucuns ont eues également ailleurs. En lisant ce roman on pense également aux enfants enlevés aux républicains par le gouvernement espagnol de Franco pour les élever dans la ligne du parti au pouvoir. Ici, c’est la nation indienne qui est niée en bloc. Fort heureusement, depuis des procès ont eu lieu, certains anciens pensionnaires ont pu s’exprimer au nom de tous ceux qui étaient passés par là, et une forme de reconnaissance essaye de voir le jour. Mais cela ne pourra jamais éclipser la cruauté de ce qu’ils ont subit pendant autant d’années.

J’ai aimé les écouter, les suivre, eu mal avec eux des outrages subits et de leurs difficultés à s’en sortir. J’ai suivi les traces de John Lennon et les pas des cinq petits indiens que je n’oublierai pas de sitôt.

Michelle Good, est une autrice crie qui appartient à la nation Red Pheasant. Elle a été l’avocate des survivants des pensionnats pendant de nombreuses années. Ce sont leurs voix qu’elle nous fait entendre, leurs douleurs, leurs vies. Certes romancées, mais le fonds est là, un roman choral bouleversant d’humanité, de tristesse, de douleur, mais aussi d’espoir et d’empathie.

Pour aller plus loin, lire par exemple l’article Découverte de corps d’enfants autochtones : comme si le Canada « se réveillait d’une longue amnésie »

« Ces pensionnats autochtones – on en dénombre officiellement 140 – ont été mis en place dans les années 1880. Le dernier a fermé en 1996″, »Le plus souvent gérés par l’Église catholique, leur objectif était de ‘civiliser’ les enfants des Premières Nations. »

Pendant près d’un siècle, l’État a ainsi arraché plus de 150 000 enfants amérindiens, métis ou inuits, à leur famille pour les assimiler à la culture blanche dominante », poursuit-elle. Un rapport publié en 2015 estime qu’entre 4 000 et 6 000 seraient morts dans ces institutions sous l’effet de maladies, de sous-nutrition, de maltraitances ou d’abus sexuels. 

Catalogue éditeur : Seuil, Voix autochtones

Traduit par : Isabelle Maillet

Canada, fin des années 1960. Des milliers de jeunes autochtones, libérés des pensionnats, essaient de survivre dans le quartier d’East Vancouver, entre prostitution, drogue et petits boulots.
Il y a Maisie, qui semble si forte ; la discrète Lucy, épanouie dans la maternité ; Clara, la rebelle, engagée dans l’American Indian Movement ; Kenny, qui ne sait plus comment s’arrêter de fuir, et, enfin, Howie, condamné pour avoir rossé son ancien tortionnaire.

D’une plume saisissante, Michelle Good raconte les destins entremêlés de ces survivants. Un roman choral bouleversant.

Michelle Good est une autrice crie appartenant à la nation Red Pheasant. Elle a travaillé comme avocate auprès des survivants des pensionnats autochtones pendant plus de 20 ans et elle a également publié de la poésie, des essais et des nouvelles dans de nombreux magazines et anthologies. Cinq Petits Indiens a reçu, entre autres, le prix du Gouverneur général 2020 et le prix du public Canada Reads de Radio-Canada.

Date de parution 10/03/2023 / 22.00 € TTC / 352 pages / EAN 9782021502626

Pour Tommy 22 janvier 1944, Hélios Azoulay et Bedrich Fritta

Que d’émotion à la lecture de ce court recueil pas ordinaire. Lorsque j’en ai entendu parler aux informations il y a quelques semaines, je n’imaginais pas qu’il serait aussi vite entre mes mains. J’en suis vraiment ravie.

Ces dessins de Bedrich Fritta pour son jeune fils Tommy ont été réalisés dans le camp de Terezin. Cinquante-deux aquarelles découvertes après guerre là où elles avaient été cachées, avec d’autres dessins de cet artiste et d’autres artistes internés avec lui avec qui il avait été contraint de travailler pour les nazis.

Fritta a fait ce recueil pour son fils interné dans le camp avec lui et sa femme. Une couverture en sac à pomme-de-terre, ce petit livre carré contient des dessins en forme de cadeau d’anniversaire, de cadeau de vie, souvenir d’un père aimant qui espère que son fils sortira vivant de l’horreur qu’ils vivent au quotidien.

Les artistes internés devaient travailler au service des nazis pour réaliser des plans, dessins, graphiques, tableaux. Mais ils ont également utilisé leur art pour laisser des traces et réaliser les dessins interdits qui pouvaient leur coûter cher, et qui leur ont coûté la vie pour la plupart.

Le 17 juillet 1944 après la découverte de quelques uns de ces dessins interdits, Bedrich Fritta, Leo Hass, Ferdinand Bloch, Norbert Troller et Otto Ungar sont arrêtés, torturés, puis en octobre déportés vers Auschwitz. Fritta meurt là-bas, mais Leo survit, il a donné sa parole, il va s’occuper de Tommy.

C’est aussi Leo qui revient au camp de Terezin pour retrouver et sauver les dessins qui sont toujours dans leurs cachettes. C’est à cette occasion qu’il découvre le livre de Tommy. Avec sa femme, ils adoptent Tommy et l’élèvent comme un fils. Il remet ce livre à Tommy pour ses dix-huit ans. Tommy est décédé en 2015, mais à travers son livre, c’est son histoire et celles des hommes artistes de Terezin qui se prolonge à travers le temps pour ne jamais oublier.

Un livre comme un miracle, le don d’un père à son fils à travers la mort, un père qui dessine l’amour, la vie, l’espoir.

Le livre de Tommy est ici complété par les superbes textes d’ Hélios Azoulay, empreints de justesse, pudeur, sincérité, et d’une grande émotion pour dire ce qui a été.

Catalogue éditeur : éditions du Rocher

Terezín, 22 janvier 1944. Tommy a trois ans.

Pour son anniversaire, son père, le peintre Bedrich Fritt a, lui offre un livre qu’il a lui-même dessiné. Une histoire rien que pour lui. 52 petites aquarelles sublimes de beauté, de délicatesse et d’humour. Et il y a tant de tendresse, tant de poésie dans cet ultime cadeau d’un père à son fils que cela semble inconcevable qu’il ait pu voir le jour dans un camp, des mains d’un homme cerné comme tous les siens par la terreur et la mort.

Le père mourut déporté à Auschwitz. L’enfant survécut.

Dialoguant à travers le temps, l’écrivain Hélios Azoulay raconte l’histoire de Tommy, de son livre, de cet héritage. Des pages d’une profondeur saisissante, dont on ressort étourdi et bouleversé.

Bedrich Fritta est né en Bohême, à Visnová, en 1906. De son vrai nom Fritz Taussig, il a été graphiste et caricaturiste à Prague. Déporté à Theresienstadt en 1941, il dirige le Bureau de dessin du Département technique. En juillet 1944, il est arrêté pour « propagande mensongère». Torturé, il est envoyé à Auschwitz où il meurt le 4 novembre 1944. Ses dessins clandestins et son livre Pour Tommy sont parmi les plus grands chefs-d’œuvre à être revenus des camps.

Hélios Azoulay est compositeur, clarinettiste, écrivain, comédien. Artiste insaisissable, il se déploie à travers une œuvre d’une extraordinaire liberté. Parmi sa production littéraire, citons L’enfer a aussi son orchestre, sur les musiques composées dans les camps dont il est devenu l’interprète de référence avec l’Ensemble de Musique Incidentale qu’il dirige. Ses romans, Moi aussi j’ai vécu (Flammarion) et Juste avant d’éteindre (Le Rocher), ont tous deux été adaptés au théâtre.

160 pages / 16,00 x 16,00 cm / Date de parution 18/01/2023 / ISBN 978-2-268-10799-8 / EAN 9782268107998 / 17,90€ TTC

Kimono, musée du Quai Branly jacques Chirac



Plus de 200 kimonos, anciens et plus modernes, mais aussi objets, gravures, etc. sont là pour nous raconter l’histoire de ce vêtement emblématique porté au Japon depuis le XVIIe siècle.
Un kimono est toujours en forme de T, sa diversité vient du choix des matières, broderies, accessoires associés.
On peut d’ailleurs voir dans cette expo une grande variété de tissus, soieries, cotons, et de somptueuses broderies.
Mais aussi techniques de teinture particulières, comme le Kanoko shibori, ou couleurs extravagantes à base de pigments naturels.

Vêtements aussi bien féminin que masculin, porté à tout âge, y compris par les enfants. Il existe depuis plus de 1000 ans.
Ici, on peut voir des vêtements de l’époque Edo, de 1603 à 1868 jusqu’à aujourd’hui.

S’il est un vêtement emblématique de l’histoire du Japon, il est également toujours d’actualité.

On peut voir des pièces rares comme un kimono fabriqué par Kunihiko Moriguchi, mais aussi Yves Saint Laurent, John Galliano, etc. car il est toujours une source d’inspiration pour les grands couturiers.

L’expo est magnifique. Réservation obligatoire, mais l’un des avantages de ce musée c’est que le billet dure toute la journée y compris si vous sortez. Je suis donc allée voir les blacks Indians le matin avec mon petit fils, et suis retournée seule l’après-midi voir cette somptueuse exposition.

Où : musée du Quai Branly jacques Chirac

Quand : jusqu’au 28 mai.

Black Indians de La Nouvelle-Orléans

En décembre je suis allée voir cette exposition que l’on pouvait voir jusqu’au 15 janvier 2023 au musée du quai Branly Jacques Chirac.

If you go to New Orleans you ought to go see the Mardi Gras” (Si tu vas à La Nouvelle-Orléans, tu devrais aller voir le Mardi Gras) disait déjà Professor Longhair dans son titre emblématique, Mardi Gras in New Orleans (1949). Aller là-bas pour le mardi gras, c’est un must car c’est l’événement par excellence qui incarne l’identité de La Nouvelle-Orléans. Le carnaval, ses chars et ses fanfares défilant dans le Vieux Carré de la ville. Mais ce que l’on découvrait en allant voir cette exposition, c’était ces festivités héritées de l’époque coloniale française, les spectaculaires défilés de Black Indians, avec leurs incroyables costumes colorés, ornés de perles, sequins et plumes.

« Ces parades sont un véritable marqueur social et culturel pour les Africains-Américains de Louisiane. Portées par les percussions et les chants des Big Chiefs et Queens issus d’une quarantaine de « tribus », elles célèbrent la mémoire de deux peuples opprimés, amérindiens et descendants d’esclaves. Elles témoignent de la résistance de la communauté noire aux interdits de la ségrégation raciale et aux festivités de Mardi Gras dont elle était autrefois largement exclue. Tout en rendant hommage aux communautés amérindiennes ayant recueilli les esclaves en fuite dans les bayous. »

J’ai visité cette exposition avec mon petit-fils de 7 ans qui a apprécié les fabuleux costumes contemporains mais aussi la partie plus ancienne qui retraçait l’histoire de cette région à partir des conquêtes française de Cavellier de la Salle jusqu’à nos jours. Avec bien sûr les tribus des Indiens natifs, puis l’esclavage et l’arrivée des africains sur le territoire, enfin la façon dont les descendants des afro-américains se sont emparés des traditions des amérindiens avec ces costumes colorés qui évoquent leurs tenues. La partie sur l’esclavage n’était pas forcément la plus facile à expliquer, mais elle l’a beaucoup intéressé. Choqué par cette notion d’esclavage et de privation de liberté, il en a je pense retenu l’essentiel.

L’exposition présentait ce que le musée appelle une culture singulière, construite par plus de trois siècles de résistance contre les assauts de la domination sociale et raciale, encore présente aujourd’hui. C’était en tout cas une véritable découverte, qui m’a donné envie d’aller faire un tour à la Nouvelle-Orléans si possible à cette période spécifique de l’année.

Cette exposition était organisée par le musée du quai Branly Jacques Chirac avec le soutien du Louisiana State Museum.

L’archiviste, Alexandra Koszelyk

Je suis attirée par la couleur pure, couleurs de mon enfance, de l’Ukraine, Sonia Delaunay

Alexandra K est une passeuse de mots, d’âmes, d’histoires, celles d’un peuple qui depuis trop longtemps doit plier face à l’envahisseur. Ce peuple qui a été contraint d’abandonner sa langue déjà depuis les années 1930, et donc sa mémoire, son histoire. Ce peuple aujourd’hui encore envahi et meurtri par la puissance soviétique qui rêve de l’anéantir.

K vit avec une montre arrêtée à 19h06, l’heure de l’invasion, de la guerre, de la défaite. Elle s’occupe de sa mère malade à qui elle ne dit rien de la situation en ville et dans le pays. Elle a une sœur jumelle, Mila, partie photographier les combats, dont elle est sans nouvelle.
K est archiviste. Elle a refusé de fuir. Les œuvres d’art, livres, sculptures, tableaux majeurs du pays ont été mis à l’abri dans sa bibliothèque aux sous-sols infinis. Chaque jour elle protège ces richesses, accompagnée d’ombres invisibles et protectrices qui veillent avec elles. Mais c’est sans compter sur la visite de l’homme au chapeau qui doit mener à bien un grand projet de révisionnisme d’état. Il représente l’envahisseur et demande à K d’annihiler les traditions et la culture de son pays en falsifiant et en détournant un certain nombre d’œuvres majeures. K peut-elle se soustraire à ses ordres alors qu’il détient sa sœur jumelle sur qui il a droit de vie ou de mort.

De chapitre en chapitre, l’homme au chapeau lui présente les œuvres ou les artistes sur lesquels elle doit travailler. Et chacun est prétexte à nous parler avec poésie et dans une atmosphère fantastique et envoûtante qui allège les douleurs, de la culture et des traditions de l’Ukraine, ce pays cher au cœur d’Alexandra Koszelyk.

J’y retrouve ce qui constitue un pays, ses traditions, son histoire, sa culture, et découvre ces artistes qui ont agit pour que vive et survive leur art.

Si le tournesol est l’une des fleurs emblématiques de l’Ukraine, ici ce sont les soucis qui fleurissent. Cette fleur orange appelée la chornobryvtsi est plantée partout et prolifère dans les jardins et au bord des routes ;
L’hymne national créé par Mukhailo Verbytsky en souvenir de l’Hematat, premier état ukrainien fondé par les cosaques en 1649, et les coutumes des cosaques ;
Mais aussi Kharkiv et les tentatives de faire taire à jamais les joueurs de bandoura, l’instrument de musique traditionnel de l’Ukraine ;
Les vitraux d’Alla Horska, artiste assassinée comme tant d’autres dans les années 70, et la poésie de Taras Chevchenko ou de Lessia Oukraïnka ;
Les peintures naïves de Maria Primatchenko, dénigrée et rejetée par l’académie mais certaine d’être dans la bonne voie ;
La littérature de Mykola Gogol et son envie de parler de son pays même en exil à Paris ;
L’artiste peintre Sonia Delaunay et ses magnifiques œuvres colorées pour peindre les sentiments les émotions ;

Chacun à sa manière donne sa force à K, lui montre le chemin, ombres bénéfiques qui veillent sur elle et sur la culture et les traditions d’un pays meurtri.

Comment ne pas évoquer enfin les grands événements qui ont marqué le pays. L’Holodomor, la grande famine orchestrée par Staline pour vider l’Ukraine de ses habitants, mais aussi Tchernobyl ou la révolution de Maïdan. Ces événements meurtriers que l’on peut rapprocher de ce que vit l’Ukraine aujourd’hui.

Ce que j’ai aimé ?

Découvrir cette culture que je connais trop peu et bien mal, et j’ai vraiment envie de m’y plonger plus avant pour mieux découvrir les œuvres et les artistes. D’ailleurs, si j’ai mis quelques jours à le lire, c’est surtout par envie de noter des noms, de les chercher sur internet pour commencer à mieux connaître ces artistes. Merci Alexandra K pour ce magnifique roman, l’écriture est vraiment la plus belle façon de prendre les armes. A vous maintenant de lire L’Archiviste ce roman qui nous fait mieux comprendre le pouvoir que détiennent les livres et la culture pour forger une nation.

Catalogue éditeur : Aux forges de Vulcain

K est archiviste dans une ville détruite par la guerre, en Ukraine. Le jour, elle veille sur sa mère mourante. La nuit, elle veille sur des œuvres d’art. Lors de l’évacuation, elles ont été entassées dans la bibliothèque dont elle a la charge. Un soir, elle reçoit la visite d’un des envahisseurs, qui lui demande d’aider les vainqueurs à détruire ce qu’il reste de son pays : ses tableaux, ses poèmes et ses chansons. Il lui demande de falsifier les œuvres sur lesquelles elle doit veiller. En échange, sa famille aura la vie sauve. Commence alors un jeu de dupes entre le bourreau et sa victime, dont l’enjeu est l’espoir, espoir d’un peuple à survivre toujours, malgré la barbarie.

18.00 € / 272 pages / ISBN : 978-2-373-05655-6 / Date de parution : 07 Octobre 2022

La sélection des titres en lice pour le Prix Audiolib 2023

Cette année encore, pour mon plus grand bonheur, je vais participer au jury du Prix du meilleur livre audio avec les éditions Audiolib.

Mais alors, quels sont les livres dans la course pour remporter le Prix Audiolib 2023 ? Et surtout, le prix Audiolib, qu’est-ce que c’est ?

Il a été créé en 2013 et récompense chaque année le meilleur livre audio des éditions Audiolib.
Le jury des blogueurs dont je vais faire partie va devoir sélectionner les 5 finalistes après l’écoute attentive des 10 titres en lice. Ensuite, les lecteurs – vous par exemple ?- éliront leur ouvrage préféré lors d’un vote en ligne qui déterminera le lauréat du Prix Audiolib 2023.

En 2022, c’est Laura Imai Messina qui a été récompensée pour Ce que nous confions au vent, traduit par Marianne Faurobert et lu par Clara Brajtman.

La sélection 2023 :

Comme vous pouvez vous en douter, j’ai vraiment hâte de recevoir ces nouveaux titres et de les découvrir !

Et si vous voulez lire les avis des jurées qui vont partager l’aventure avec moi, voici le liens vers leurs blog ou leurs chaînes Youtube :

Que faire à paris ? Visiter le Palais de la Porte Dorée

Le palais de la Porte Dorée ou Musée national de l’immigration et l’Aquarium Tropical

Un bâtiment art Déco construit à la gloire de l’empire colonial, mais qui est aujourd’hui bien dans son époque et montre les apports positifs de l’immigration.

Construit par l’architecte Albert Laplace pour l’exposition coloniale de 1931, le Palais est là pour donner une image à la fois pédagogique, monumentale et pérenne du « Salut par l’Empire »

La majesté de la façade en pierre sculptée par Alfred Janniot (1889-1969) montre la force économique de la France, et tout ce que le pays peut retirer de ses colonies pour alimenter son industrie. On y retrouve à la fois nue allégorie de la France, mais aussi les noms des principaux ports d’arrivée des produits, le Havre, Saint-Nazaire, Bordeaux, Marseille. Les représentations des personnages n’est pas celle du mépris que l’on pouvait trouver ailleurs à cette époque. Au contraire, ils sont représentés dans un style à la fois sévère, puissant, et quelque peu sensuel, avec une égalité de traitement homme femme. Mettant en scène avant tout une forme d’utilité coloniale.

À l’intérieur, le Forum, ou ancienne Salle des Fêtes, décoré par le peintre Pierre Ducos de la Haille (1886-1972) était là pour montrer ce que la France apportait aux colonies.

Un mélange de style antique, inspiré des styles grec et romain, et de l’art Déco contemporain de la création du Palais évoque à la fois le classique et l’affiche publicitaire moderne.

De chaque côté du grand hall on peut encore admirer deux salons . Le salon Reynaud, concentré sur l’Afrique, et le salon Lyautey, sur l’Asie.

Sans en connaître les définitions et tout ce que ces fresques voulaient représenter, nous avons apprécié les décors art Déco, les représentations stylisées emblématiques de cette époque et d’une mentalité fort heureusement aujourd’hui en partie disparue. Nous sommes loin du « Nous avons apporté la lumière dans les ténèbres » de Paul Reynaud, ministre des colonies pour son discours inaugural de l’Exposition coloniale de 1931.

Quoi que, lorsque je vois aujourd’hui les cursus proposés aux étudiants pour aller faire de l’aide l’humanitaire, en Afrique ou ailleurs, je me dis parfois que nous ne sommes peut-être pas si loin de cette pensée. La France se croit-elle indispensable à l’évolution de certains pays ? Ne vaut-il pas mieux mettre des compétence acquises dans différents métiers au service des autres pour faciliter leur développement, et arrêter de penser que ces autres auront forcément besoin de notre aide humanitaire sur le long terme ? Vaste sujet qui m’interroge et pour lequel je n’ai aucune réponse.

Apprécier la beauté et la diversité de l’aquarium tropical

Aujourd’hui, le palais de la porte dorée est à la fois un musée et un très bel aquarium tropical, avec une belle sélection et présentation de poissons et coraux, montrant la richesse de la biodiversité, attrait majeur pour les plus jeunes.

Nous avons essentiellement visité l’aquarium tropical car ce jour-là le musée était fermé (ce que l’on nous a dit au moment de payer nos billets couplés, musée aquarium, mais nous avons pu modifier !).

Nous avons apprécié la grande variété d’espèces présentées, les différents aquariums proposés aux aménagement parfaitement en symbiose avec le milieu présenté, et les crocodiles albinos, frère et sœur, que les enfants ont beaucoup aimé.

Quoi : Palais de la Porte Dorée, musée de l’immigration et aquarium Tropical

Où : 293 avenue Daumesnil 75012 Paris

La porte du vent, Jean-Marc Souvira

Quand le vent de l’Histoire souffle sur le présent, un polar humain et intelligent

Dans ce nouveau roman tant attendu, Jean-Marc Souvira nous entraîne auprès de clans mafieux qui réalisent ensemble des opérations financières frauduleuses à grande échelle, alors que tout devrait les séparer, culture, origine, religion.

D’un côté le clan Nathan, ce sont des juifs qui habitent du côté de Saint Mandé et aiment faire démonstration de leur force et de leur richesse.
De l’autre côté l’empire du chinois Shen Li. Le patriarche prend soin de gérer son empire sans jamais montrer son immense fortune. Une vieille voiture, des gardes du corps habillés comme de simple travailleurs, une société du côté d’Aubervilliers, il habite avec sa famille en Seine et Marne. Il ne se mêle jamais de trafic de drogue, c’est trop risqué à tout point de vue pour toute sa famille, c’est même absolument interdit.
Pourtant, à la suite de l’exécution en pleine rue de Richard Nathan, de son chauffeur et du garde du corps, que les bruits imputent à Shen Li, puis en représailles celle de son ami Sun Hao exécuté devant chez lui, il semble évident que quelqu’un parmi les siens a franchi la limite. Les morts violentes ne s’arrêtent pas là et bientôt les mafieux et les flics sont confrontés à une véritable hécatombe.

L’enquêteur en charge de ces affaires est Paul Dalmate, il doit tout mettre en œuvre pour élucider ces meurtres. Ancien séminariste, ce flic solitaire aime la musique, surtout depuis que Mistral (ceux qui ont lu les précédents roman de l’auteur apprécieront) lui a fait découvrir autre chose que les musiques sacrées. Dalmate traîne aussi quelques traumatismes venus d’une enfance difficile et qui vont se dévoiler peu à peu.

Tout le 36 est sur le pont, il ne faudrait pas que tout Paris s’embrase. Mais le mystère s’épaissit lorsque Avi Richter et Guo Tran, deux puissants responsables d’organisations criminelles débarquent à Paris. Ces vieillards sont des chefs incontestés qui ne se déplacent jamais. L’un arrive d’Israël l’autre de Chine. Ils partent se recueillir devant une tombe chinoise du plus grand cimetière de guerre du Commonwealth en France, et emmènent avec eux un fils Nathan et un fils Shen.

La suite du roman bascule alors dans le passé et nous propulse en automne 1916, en France, au plus près des combats. On y rencontre de nouveaux personnages, d’abord en Chine dans le village de Kaifeng, puis à Boulogne-sur-mer et à l’arrière de la ligne de front. Un retour en arrière qui éclaire d’un jour nouveau les liens entre les différents protagonistes.

Dans ces années 1916/1917, on compte déjà des milliers de pertes humaines. Les femmes ont remplacé les hommes dans les usines, mais on manque encore de bras. Les gouvernements de la France et de l’Angleterre, deux pays présents en Chine, ont l’idée d’enrôler des paysans chinois pour aller faire les manutentionnaires à l’arrière du front, ou dans le port de Boulogne-sur-mer. Il est indispensable de pallier à la logistique défaillante pour apporter le soutien nécessaire aux soldats qui se battent sans relâche dans les tranchées. Payés une misère, ces quelques 140 000 chinois ont signé un contrat de plusieurs années, ils reçoivent un salaire de misère, mais peuvent ainsi envoyer de l’argent au pays.

C’est dans ce passé et sur ces zones de guerre que se trouvent les racines de la fraternité aujourd’hui en miette entre les deux clans, celui des Nathan et celui des chinois de Shen Li. Là aussi que l’on comprend le pourquoi de la venue des deux chefs de guerre Avi Richter et Guo Tran.

Un thriller qui m’a entraînée bien au-delà de ce que j’imaginais. Merci Jean-Marc Souvira d’être allé chercher ces histoires oubliées, pour les mêler à celles des violence d’aujourd’hui, et surtout d’en faire un polar aussi intelligent, instructif, que passionnant, mêlant habilement une intrigue policière actuelle à un véritable roman historique. J’ai aimé découvrir la vie de ces chinois sur le front, dans les tranchées de la première guerre mondiale. Mais aussi retrouver les coins que Paris que je connais et les voir ainsi d’une tout autre façon. Tout au long du roman, on sent la maîtrise à la fois des métiers de la police et de ceux qu’elle doit combattre. Jean-Marc Souvira est un commissaire divisionnaire qui a exercé pendant trente ans dans la police judiciaire. Ce grand flic possède une excellente connaissance de l’institution mais aussi de ceux contre lesquels elle doit lutter.

Merci d’avoir réveillé pour nous cet épisode méconnu de l’Histoire, d’avoir donné une âme et une profonde humanité à ces personnages capables aussi de bienveillance et de solidarité.

Catalogue éditeur : Fleuve éditions

Pourquoi ces deux vieillards, venus l’un de Chine et l’autre d’Israël, ont-ils décidé de se recueillir ensemble sur cette mystérieuse tombe chinoise d’un cimetière militaire picard de la Première Guerre mondiale ? Pour le commandant Dalmate, la présence de ces personnages sur le territoire national n’augure rien de bon. En effet, ils sont, chacun dans leur pays, à la tête d’organisations criminelles dont les ramifications s’étendent jusqu’en France.
Or, depuis peu, les règlements de comptes entre ces communautés s’intensifient ; une escalade de violence qui semble échapper au contrôle des forces de l’ordre. Mais le monde ne date pas d’aujourd’hui, et c’est peut-être dans le passé que se trouvent les réponses capables d’apaiser les esprits. Dans des amitiés nées il y a bien longtemps, au cœur des tranchées…

Date de parution : 05/01/2023 / EAN : 9782265156623 / Nombre de pages : 592 / 22.90 €

Les Sources, Marie-Hélène Lafon

Un retour aux Sources et la puissance d’une écriture à l’os pour évoquer les violences et les non-dits

Elle vit à la ferme, et avec l’homme depuis dix ans. Dix années de mariage, de douleurs, de silence, de honte sans partage. Trois enfants, deux filles et un fils, qu’elle aime et élève du mieux qu’elle peut.
Vingt-six mois de service au Maroc, de courriers échangés, puis le mariage. Mais il l’avait bien dit le père, je ne le sens pas ton fiancé. Au fils des années, tant de mots dits et autant de mots tus, car à qui dire, avec qui partager la honte des roustes, des coups, des bleus, des insultes du mari.
Pourtant elle est propriétaire de la moitié de la ferme, descend en voiture au village pour aller à la messe avec ses trois enfants, c’est important de montrer ses forces, ses richesses, sa puissance aux autres, ceux du village qui la connaissent et dont elle sait qu’ils racontent ce qu’ils ont vu.

Et les années passent, dix ans déjà, de souffrance de douleur de silence jusqu’au jour où, plus envie de revenir à la ferme, juste envie de tout quitter.
Quotidien ordinaire d’une paysannerie aisée de province, où la vie n’est pas toujours facile mais où les apparences sont sauves. Jusqu’au moment où tout doit changer.

Trois parties de longueurs inégales dans ce roman, la mère, l’homme, la fille aînée. Trois époques, 1967, 1970, 2021. Trois moments importants dans une vie de femme, mariage, divorce, et après.

Une fois de plus Marie Hélène Lafon a les mots simples pour tout dire, l’amour, la souffrance le silence l’abandon la révolte l’incompréhension la famille la solitude la douleur la vie. Impossible de lâcher ce roman avant la fin, et aussitôt l’envie de tout reprendre à zéro tant les mots sont pesés, travaillés posés précis comme ils le sont roman après roman.
Les mots pour dire la vie en province dans les années 60 la famille les violences silencieuses qui détruisent aussi sûrement que les coups, et les violences physiques aussi, isolées dans le silence dévastateur du qu’en dira-t-on et de l’honneur.
J’ai aimé suivre cette femme qui subit, s’interroge accepte et un jour se révolte pour sauver à la fois sa vie et celle de ses enfants. Une vie de femme qui a hélas toute sa place en 2023.

Catalogue éditeur : Buchet-Chastel

La cour est vide. La maison est fermée. Claire sait où est la clef, sous une ardoise, derrière l’érable, mais elle n’entre pas dans la maison. Elle n’y entrera plus. Elle serait venue même sous la pluie, même si l’après-midi avait été battue de vent froid et mouillé comme c’est parfois le cas aux approches de la Toussaint, mais elle a de la chance ; elle pense exactement ça, qu’elle a de la chance avec la lumière d’octobre, la cour de la maison, l’érable, la balançoire, et le feulement de la Santoire qui monte jusqu’à elle dans l’air chaud et bleu. Années 1960. Isabelle, Claire et Gilles vivent dans la vallée de la Santoire, avec la mère et le père. La ferme est isolée de tous.

Les Sources est le nouvel opus de Marie-Hélène Lafon après Histoire du fils, prix Renaudot 2020.

Marie-Hélène Lafon est professeur de lettres classiques à Paris. Tous ses romans sont publiés chez Buchet/Chastel.

Date de parution : 05/01/2023 / 16,50 € / 128pages / ISBN : 978-2-283-03660-0