Dédier sa vie à la sauvegarde de l’art et d’une culture universelle

1979, c’est la révolution dans les rues de Téhéran, celle que l’on appellera plus tard la révolution islamique, mais celle que les jeunes et les iraniens de la rue de cette époque pensaient être la révolution tout court. Celle qui allait les débarrasser du Cha des Chas, de l’empereur Mohammad Reza Pahlavi, descendant d’une lignée millénaire de souverains de l’empire Perse.
Cyrus a 23 ans. Lassé des petits boulots qui permettent à peine de les faire vivre, lui et sa mère, il se dirige vers le tout nouveau bâtiment qui va abriter le musée d’art moderne voulu par la Chabanou. L’impératrice Farah Pahlavi a souhaité que l’Iran se dote d’un musée digne des plus grands, et a fait acheter les plus belles toiles d’artistes contemporains et modernes disponibles sur le marché à cette époque. Picasso, Andy Warhol, Lischtenstein, Jackson Pollock, Paul Gauguin, Francis Bacon, mais aussi Mark Rothko, Claude Monet ou Vincent van Gogh, Salvador Dali, Max Ernest Chagall et Degas. Tous les grands noms des maîtres de l’art sont réunis ici en quelques années.
Cyrus va devenir le chauffeur discret et efficace qui récupère ses toiles inestimables à leur arrivée sur le territoire pour les convoyer jusque dans les sous-sols du musée. Peu à peu, ce monde qu’il ignorait totalement va le séduire et lui apporter bonheur et sérénité. Côtoyer les œuvres des grands maîtres est comme trouver son paradis, entrer dans un Havre de paix inaccessible et intime. Chaque jour dans son carnet à couverture de cuir noir, il prend des notes, écoute, observe, tente de comprendre ce qui le bouleverse autant dans l’art. Mais chaque jour aussi à l’extérieur la révolution gronde.
Bientôt renversé par les mollah, le Chah prend la fuite et l’ayatollah Khomeony quitte son exil français à Neauphle-le-Château pour arriver vainqueur et conquérant en Iran. Pourtant, si la révolution des Iman n’est pas celle voulue par le peuple, il faudra bien courber l’échine, voiler les femmes, respecter les règles strictes.
Et qui dit révolution dit destruction en masse et sans aucun esprit critique de ce qui était. Ici, ce ne sont pas forcément les têtes qui tombent, quoi que le sang coule à flot dans les rues de Téhéran, mais ce sont les symboles qui sont anéantis. En particulier tout ce qui représente l’occident et les États-Unis. Plus de cinéma, de musique, de couple marchant dans les rues en se tentant les mains, plus question de boire un verre ensemble. Plus d’alcool, d’éducation pour les filles, de travail pour les femmes, tout est réduit, contrôlé, interdit.
Cyrus sait bien que la prochaine étape sera la destruction des œuvres inestimables qui peuplent le sous-sol du musée. Toutes ces toiles, ces sculptures, mises à l’abri des regards dès les débuts de la révolution et que plus personne à part lui n’a plus jamais revu. Gardien fidèle et silencieux, droit et incorruptible, il protège le trésor mieux qu’il ne l’aurait fait de la propre vie.
J’ai aimé découvrir les détails de cette incroyable histoire, la vie de Cyrus, sa fidélité sans faille au respect et à la sauvegarde d’un patrimoine universel. Qu’il est bon de savoir que les œuvres ont été sauvées et qu’aujourd’hui encore elles se trouvent pour la plupart dans la cave du musée. Même si elles sont considérées comme impropres à être contemplées par un peuple qui se conforme aux règles strictes d’une religion d’état plus terroriste qu’aimante.
Le roman n’est ni trop fastidieux ni trop léger, les explications sont données mais l’intrigue romanesque est malgré tout présente. Grâce à cela c’est l’assurance d’une lecture agréable et intelligente. Qu’il est rassurant de savoir que plus de quarante ans après le trésor est toujours là. Qu’il est profondément regrettable malgré tout de savoir qu’une grande partie du monde est toujours privée du plaisir de le contempler.
Un roman de la première sélection du Prix Orange du Livre 2023.
Catalogue éditeur : Plon
Printemps 1979, Téhéran. Alors que la Révolution islamique met les rues de la capitale iranienne à feu et à sang, les Mollahs brûlent tout ce qui représente le modèle occidental vanté par Mohammad Reza Pahlavi, le Chah déchu, désormais en exil.
Seul dans les sous-sols du musée d’Art moderne de Téhéran, son gardien Cyrus Farzadi tremble pour ses toiles. Au milieu du chaos, il raconte la splendeur et la décadence de son pays à travers le destin incroyable de son musée, le préféré de Farah Diba, l’Impératrice des arts. Près de 300 tableaux de maîtres avaient permis aux Iraniens de découvrir les chefs d’œuvre impressionnistes de Monet, Gauguin, Toulouse-Lautrec, le pop art d’Andy Warhol et de Roy Lichtenstein, le cubisme de Picasso ou encore l’art abstrait de Jackson Pollock.
Mais que deviendront ces joyaux que les religieux jugent anti islamiques ? Face à l’obscurantisme, Cyrus endosse, à 25 ans à peine, les habits un peu grands de gardien d’un trésor à protéger contre l’ignorance et la morale islamique.
Stéphanie Perez est née en 1973. Grand reporter pour France Télévisions depuis plus de vingt-cinq ans, chargée de l’international, elle s’est rendue plusieurs fois en Iran et a couvert plusieurs conflits, comme la guerre en Irak et en Syrie, ou récemment en Ukraine. Elle a remporté le Prix Bayeux des lycéens en 2018 et le Laurier du grand reporter en 2020 (Prix Patrick Bourrat). Le gardien de Téhéran est son premier roman.
EAN : 9782259315470 / Nombre de pages : 240 / Format : 140 x 225 mm / 20.00 € / Date de parution : 02/03/2023