Les choix secrets, Hervé Bel

Un portrait d’une femme qui interroge sur les choix d’une vie

A une époque où les filles écoutaient leurs parents pour le choix d’un époux Marie a décidé seule qu’elle convolerait en justes noces avec André. Ce bel homme qu’elle observait de loin lui semblait porteur de promesses. Marie, fille du commandant Cavignaux, expatrié en Indochine puis revenu au pays auréolé d’une gloire locale. Marie consciente de sa valeur, bien supérieure à celle des autres filles du village. A quatre-vingt ans passés, André son mari depuis soixante ans est toujours à ses côtés, fade, insignifiant, effacé, malade.

Une tuile du toit est tombée dans la nuit, il faut appeler le petit cousin Roger à la rescousse. Mais il va entrer dans la grande maison de famille, froide, à l’abandon, comme tout dans la vie de Marie, comme elle-même. Ce matin-là André souffre, il a passé une nuit horrible mais elle ne veut pas de médecin chez elle. Certaine qu’il veut lui faire honte, qu’il fait forcément semblant, Marie se mure dans son mépris pour cet époux malade, sa rancœur d’une vie qu’il ne lui a pas offerte, sa jalousie du bonheur des autres. Elle s’obstine à ne rien voir, n’accepte pas la vérité.

Et avec le jour s’égrènent les souvenirs de 80 ans de vie. La jeunesse au village, le choix d’épouser André envers et contre tous, l’Indochine et le séduisant Hervé Perrot, qui lui fait la cour, un soupirant à sa mesure, promesse d’une vie meilleure. Elle hésite longtemps mais finalement ce sera le retour au pays, seule, pour épouser celui qu’elle s’est choisi. Marie est séduisante. C’est une belle femme qui aime s’habiller, sortir, recevoir pour le thé. Son instituteur de mari s’avérera sans ambition, puisqu’il n’aura même pas celle de devenir directeur d’école. Il lui aura tout fait subir cet homme qui n’a aucune envergure. Ils auront deux fils, l’un brillant qui disparait si jeune, l’autre qu’elle peine à aimer. Puis ce sont les années de solitude, le chagrin de la perte et du deuil, d’un père, d’un fils. La vie est dure, en tout cas elle se complaît à le penser. Marie est exigeante, austère, méchante, égoïste, et pourtant elle a vécu tant d’années aux côtés d’André.

Cette femme singulière, égoïste, perpétuellement insatisfaite, embourbée dans sa crasse et ses ressentiments est terriblement dérangeante dans sa façon d’être. Jusqu’au bout, elle reste avec ce mari qu’elle a choisi, pourtant elle sait que ses choix n’ont pas forcément été les bons, que sa vie n’est pas celle dont elle a rêvé. Il est aussi difficile de s’y attacher que de la laisser et de refermer cet étrange roman. Car l’auteur interroge sur nos choix de vie, sur ces années qui passent, inéluctablement, cette jeunesse qui s’enfuit et que l’on ne pourra jamais retrouver.

Roman lu dans le cadre des 68 premières fois, session anniversaire 2020

Catalogue éditeur : Le Livre de Poche

Il n’y a plus que la cuisine et le mari, le ciel gris derrière la mousseline des rideaux et ce présent dont il faut bien se contenter. Le temps n’a fait que traverser son corps. Il est passé, la laissant inchangée dans sa façon d’appréhender les choses et les gens. H. B.

Marie est une vieille femme qui ne veut pas être dérangée. Elle souhaite que chaque chose soit à sa place, que chaque jour s’écoule comme la veille, sans imprévu, sans douleur, afin qu’elle puisse contempler tout ce que la vie lui a permis d’accumuler : les objets, les photos, les souvenirs. Aujourd’hui cette vie sans histoires lui convient. Avant, elle brûlait de vivre, elle cherchait la passion et les drames, la souffrance – la sienne et celle des autres. Elle s’est mariée, a eu deux enfants, a hérité de la maison de ses parents, mais a-t-elle vécu ? Un roman ambitieux qui offre un portrait de femme intime et dérangeant.

Prix : 7,10€ / 336 pages / Parution : 03/12/2014 / EAN : 9782253174912 / Éditeur d’origine : JC Lattès

Doggerland, Elisabeth Filhol

Avis de tempête en mer du nord ? Avec « Doggerland » d’Elisabeth Filhol, passé et présent se rejoignent pour ouvrir les failles et braver les éléments.

Ouvrir Doggerland d’Elisabeth Filhol et voir d’abord ce mot, Dogger, qui évoque les bulletins de météo marine.
Puis le Doggerland, cette terre immergée entre l’Angleterre et le Danemark qui était très certainement habitée il y a quelques 8 millions d’années.
Enfin, cet avis de tempête en mer du Nord, et la rencontre improbable de deux personnes qui se sont perdues de vue depuis trop longtemps. 

Margaret et Marc doivent se rendre à un congrès annuel d’archéologie sous-marine. Ils ne se sont pas revus depuis 22 ans, lorsque Marc avait quitté Margaret de façon assez abrupte. Depuis, leurs vies se sont déroulées chacun de leur côté, mariage et enfant pour l’une, travail, voyages et fuite en avant pour l’autre. Chacun sait que l’autre sera présent, chacun redoute, espère ou craint la rencontre improbable qui va forcément arriver.

L’auteur a une façon incroyable de nous plonger dans cet avis de tempête et de nous immerger autant dans les strates qui composent le sous-sol de la mer du Nord que dans les couches successives qui composent également la vie de ses deux principaux protagonistes. Croisement de deux vies, mais avant tout explications techniques, descriptions sur le climat, la géologie, l’économie, l’exploitation des hydrocarbures, puis, comme en analogie subtile, l’exploitation des sentiments, la façon dont ils émergent ou se perdent à jamais. Décisions, destin, choix, comment chacun compose du mieux qu’il peut et avance.

Indiscutablement voilà un roman qui se lit facilement malgré la technicité de certains passages, et qui interroge sur la vie que l‘on a et surtout ce que l’on en fait.

Roman lu dans le cadre de ma participation au jury du Prix des lecteurs BFM l’Express

Catalogue éditeur : P.O.L

Faut-il donner la clef d’un roman ? En général la réponse est non, car une des forces du roman, contrairement à d’autres formes de récit, est précisément de laisser le champ libre à une variété d’interprétations. En tant que lectrice, j’aime entrer et circuler dans un texte de fiction sans que le chemin soit entièrement balisé. En tant qu’auteure, la question s’est posée à une étape cruciale de l’écriture de Doggerland, quand après avoir erré, j’ai pu enfin mettre un mot sur le fonctionnement (ou plutôt le dysfonctionnement) de chacun des deux personnages principaux. Quelque chose alors s’est…Lire la suite

Elisabeth Filhol est née le 1er mai 1965 à Mende en Lozère. Études de gestion à l’université Paris-Dauphine. Expérience professionnelle en milieu industriel : audit, gestion de trésorerie, analyse financière et conseil auprès des comités d’entreprise. Vit aujourd’hui à Angers.

janvier 2019 / 352 pages, 19,5 € / ISBN : 978-2-8180-4625-8