La musique des âmes, Sylvie Allouche

Une belle histoire d’amitié par temps de guerre


En 1944. Mathias et Simon sont amis. Le père de Simon est un luthier très réputé sur la place de Paris, mais depuis les lois iniques imposées par les nazis, et cette horrible inscription apposée sur la porte de son magasin, plus personne n’ose franchir le seuil d’un établissement juif.
Alors chaque jour il peaufine l’œuvre de sa vie, ce magnifique violon qu’il destine à son fils Simon.

Qu’il est difficile pour la famille de Simon de vivre avec les tickets de rationnement, avec une clientèle qui a disparu, mais surtout avec cette épée de Damoclès sur la tête, le risque d’être raflés par les nazis et déportés en Allemagne dans ce que l’on appelle injustement encore les camps de travail.

Le jour où Mathias découvre que la famille de Simon n’est plus là, malgré son désir d’aider, le risque est trop grand pour lui et pour sa famille de tenter de venir en aide cette famille juive qu’il considère comme ses amis, et ses égaux.

Que peut-il faire, que peuvent faire ceux qui veulent aider dans ces périodes si difficiles. C’est bien la question que pose l’autrice et à laquelle elle tente de répondre.
Un court roman qui pose les bases de cette période si dramatique et difficile de la guerre, mais qui peut être lu par des jeunes afin qu’ils comprennent et n’oublient pas à leur tour.
J’ai apprécié le fait que l’autrice ait su s’arrêter avant d’être obligée de dire l’horreur absolue. Ici les choses sont adroitement effleurées, suggérées et un minimum d’explications peut permettre aux jeunes lecteurs de les comprendre.

Un court roman indispensable qui évoque la rafle du vel’dhiv, la déportation, mais surtout qui parle de force, de loyauté, d’amitié et d’amour.

Catalogue éditeur : Syros jeunesse

Avant, le père de Simon était un luthier renommé, son atelier ne désemplissait pas. Puis il y a eu la guerre, l’occupation et le mot juif placardé en travers de sa vitrine. Alors Simon s’est fait une promesse : il composera une œuvre avec le violon que son père lui fabrique, pour lui dire tout son amour et son admiration. Un après-midi, Matthias, son meilleur ami, trouve l’atelier vide : la famille de Simon a disparu.

10 ans, 11 ans, 12 ans / Date de publication : 14/01/2021 / ISBN : 9782748529869 / 7,50 €

Le pain perdu, Édith Bruck

Trouver les mots pour dire l’innommable, écrire pour ne jamais oublier

Parce qu’elle a senti que sa mémoire allait être bientôt défaillante, à 90 ans Édith Bruck a décidé d’écrire, pas un simple texte à ajouter à ses déjà nombreux écrits, non, mais un récit unique. Le récit impossible d’une vie, celle d’une des dernières grande voix, d’un des derniers témoins de la Shoah. Édith Bruck est née en Hongrie, et a vécu en Italie la plus grande partie de sa vie.

Le pain perdu, c’est celui que la famille n’a jamais pu manger car les soldats sont arrivés pour leur faire prendre le train qui devait les emmener dans le camp de concentration.

Le pain perdu, c’est la famille disloquée, la mère qui part à gauche, là où est le feu, les filles à droite, et Édith qui s’accroche à sa mère mais que le soldat fait changer de file, Édith qui ne finira pas dans la fumée du camp comme tant d’autres femmes, enfants, vieillards, hommes, arrivés là en même temps, avant ou après elle.

C’est une enfant née le 3 mai 1931 dans une famille juive pauvre, l’enfance heureuse d’une fillette qui travaille bien à l’école ; ce sont les premières manifestations de racisme contre les juifs dans son petit village de Tiszabercel, près de la frontière ukrainienne, un village jusque là plutôt tranquille ; puis a 13 ans en avril 1944, c’est la déportation, le matricule 11152, Birkena, Auschwitz, Kaufering, Dachau, Bergen-Belsen, les camps d’extermination, les privations, la faim, l’épuisement, les morts, les longues marches dans le froid ; la libération en 1945 ; l’exil en Israël, et toujours, ensuite, tenter de vivre après ça.

C’est n’avoir aucun mot pour dire, pas d’échange possible avec ceux qui n’ont pas connu cette horreur, et tant de questions, tant de pourquoi, tant de douleur. C’est le rêve fou d’aller en Israël, la désillusion, puis la vie en Italie, et les mots, toujours, pour dire.

C’est un récit autobiographique à la lecture nécessaire, douloureuse, indispensable. Le témoignage des survivants, ceux qui bientôt ne seront plus là, ceux qui encore peuvent nous dire, à nous les générations suivantes ce que fut le mal absolu.

On ne peut que penser aux témoignages de Primo Levi, Marceline Loridan, Charlotte Delbo et tant d’autres en lisant ce livre qui se termine sur une lettre à Dieu, mais quel Dieu, celui qui a laissé faire tout cela ? Le pain perdu, à faire lire, encore et encore, pour ne jamais oublier.

« Je t’écris à Toi qui ne liras jamais mes gribouillis, ne répondras jamais à mes questions, à mes pensées ruminées pendant toute une vie. »

Édith Bruck a publié une trentaine d’ouvrages en six décennies d’écriture, mais Le pain perdu, publié aux Éditions du sous-sol, lui a valu, à 90 ans, une aussi soudaine que tardive notoriété en Italie. Le livre a remporté le prix Strega Giovani, équivalent du Goncourt des lycéens, le prix Viareggio.

Catalogue éditeur : éditions du Sous-Sol

Il faudrait des mots nouveaux, y compris pour raconter Auschwitz, une langue nouvelle, une langue qui blesse moins que la mienne, maternelle.”

En moins de deux cents pages vibrantes de vie, de lucidité implacable et d’amour, Edith Bruck revient sur son destin : de son enfance hongroise à son crépuscule. Tout commence dans un petit village où la communauté juive à laquelle sa famille nombreuse appartient est persécutée avant d’être fauchée par la déportation nazie. L’auteur raconte sa miraculeuse survie dans plusieurs camps de concentration et son difficile retour à la vie en Hongrie, en Tchécoslovaquie, puis en Israël. Elle n’a que seize ans quand elle retrouve le monde des vivants. Elle commence une existence aventureuse, traversée d’espoirs, de désillusions, d’éclairs sentimentaux, de débuts artistiques dans des cabarets à travers l’Europe et l’Orient, et enfin, à vingt-trois ans, trouve refuge en Italie, se sentant chargée du devoir de mémoire, à l’image de son ami Primo Levi.

« Pitié, oui, envers n’importe qui, haine jamais, c’est pour ça que je suis saine et sauve, orpheline, libre. »

Édith Bruck, née Steinschreiber, voit le jour le 3 mai 1931 à Tiszabercel en Hongrie. À sa déportation, elle consacre à partir de 1959 plusieurs récits et poèmes dans la langue italienne qu’elle a adoptée en choisissant de vivre à Rome, dès 1954. Épouse du poète et cinéaste Nelo Risi, elle évoque souvent cette passion dans ses romans. Journaliste, scénariste, documentariste, comédienne, cinéaste, dramaturge, elle a multiplié les activités, sans jamais renoncer à témoigner de son expérience et sans jamais recourir à la haine.

Traduit de l’italien par René de Ceccatty / 176 p. / 16,50 euros / paru le 7 janvier 2022 / ISBN : 9782364686090

Je suis une porte, Alsk Di Speranza

Si les objets pouvaient parler, quels secrets pourraient-ils nous conter ?

Alsk Di Speranza a écouté. Elle a entendu les mots que lui a dit une Porte d’appartement vieille de quatre-vingt-dix ans. Une porte qui un jour a été belle, brillante, pimpante, mais qui aujourd’hui arrive à la fin de sa vie. Pourtant, elle en a entendu des secrets, elle en a vécu des histoires. Aujourd’hui, nous voilà les témoins émus, attendris, bouleversés, amusés de ses souvenirs. Au fil des années, nombreux sont venus toquer à la porte, parler doucement, crier, appeler, pleurer, souffrir, rêver, espérer sans doute… Mais qu’a-t-elle donc à nous raconter ? Vous venez, on va l’écouter.

En 1943-1944, Lucie et Roger habitent dans cet appartement. Ils sont jeunes, ils s’aiment, mais n’arrivent pas à avoir ces enfants qu’ils auraient tant voulu aimer, choyer, élever, protéger. Alors ils vivent entourés d’amis. Pris dans la tourmente de la guerre, le jeune couple résiste comme il peut. En particulier en aidant des enfants à échapper à la déportation. Un jour, Lucie ramène chez elle la jeune Denise, une de ses élèves, car ses parents viennent d’être arrêtés. Se pose alors la difficile question de concilier leur rôle dans la résistance et le fait de sauver et cacher cette enfant chez eux. Surtout lorsque le doute s’installe et que la crainte d’avoir été trahis leur fait prendre des risques inconsidérés.

Dans les années 1980-1990, Patricia vit à l’abri derrière cette Porte. Elle a hérité cet appartement de son père, mais refuse de voir cet homme qu’elle déteste profondément. Elle déteste tous les hommes en général, et s’en sert pour assouvir vite fait quelques envies de sexe entre deux portes. N’importe où, pourvu que ce soit rapide et qu’elle ne les revoit plus jamais. Mais en ces années là, le sida fait des ravages, surtout auprès de ceux ou celles qui ne se protègent pas. Il faut avouer que sa façon de vivre à tout du suicide programmé. La vie de couple, le bonheur, ce n’est pas pour elle. Malgré les petits mots et les regards enamourés de son voisin du dessus, elle préfère sa solitude. Jusqu’au jour où Denise, devenue adulte, mère de deux enfants parties à l’étranger, vient toquer à la porte de l’appartement de son enfance, là où elle a trouvé la liberté et reçu tant d’amour dans ces années sombres. Denise est le catalyseur qui va bouleverser la vie de Patricia.

Derrière cette Porte aujourd’hui vit une famille avec deux enfants. Mais ils vivent un drame car leur fils est autiste Asperger. Denise, leur lointaine parente, arrive a créer un lien avec cet enfant. Regardons les vivre ensemble…

Vous l’aurez compris, à mesure que cette Porte s’ouvre, elle ouvre aussi des pages de notre histoire et aborde des thèmes indispensables et intemporels. La guerre et la résistance, la Shoah, les lâches et les Justes, mais aussi la spoliation des biens juifs et le traitement qui en a été fait après la guerre. Enfin, plus prés de nous, la liberté sexuelle, le sida, la maladie, la solitude et la mort. Avec la maladie se pose aussi la question de notre façon d’appréhender l’autisme, l’éducation des enfants, la famille.

L’écriture est ciselée, précise, le vocabulaire soigné, nécessitant parfois de se poser quelques questions. L’Histoire se déroule devant nos yeux, la Porte s’ouvre et se referme sur ces intrigues, ces secrets, ces chagrins et ces joies qu’elle a bien voulu nous conter, le temps d’un roman, le temps de plusieurs vies. Voilà un très beau roman qui accroche immédiatement avec ses personnages terriblement attachants. Et son fil rouge, cette Porte aussi discrète que bavarde, est un personnage à part entière. Croyez-moi, vous ne la regarderez plus de la même façon cette vieille porte que vous vouliez changer et moderniser. Car elle en a vécu des secrets, des drames, des bonheurs. Ah, si seulement nous savions l’écouter !

Un très beau premier roman, qui donne envie de suivre son auteur, n’est-ce pas Alsk Di Speranza, nous attendons impatiemment le prochain !

Catalogue éditeur : Bookelis

Je suis une porte.
Ne cherchez pas à résoudre quelque mystère ou à découdre une figure de style, la narratrice de ce roman est bel et bien une porte ; car oui, je suis une porte d’appartement parisien, vieille de quatre-vingt-dix ans, sans trop vouloir l’ouvrir, ni l’intention de la fermer.
Tout commença en 1943. En ce temps-là, j’étais une porte dans la fleur du bois ; jeune et brillante dans ce hall parmi les bruits sourds et la torpeur qui régnaient dehors.
J’en ai fait de mémorables rencontres durant toutes ces décennies.
Lucie, Roger, Denise, Patricia, Lucas, Caro.
Ces prénoms ne vous disent rien, pour le moment. Et pourtant, tous ont vécu ici, dans cet appartement, et ont foulé leurs pas et leur vie dans ce hall, qu’ils appelaient Paris.
On m’a toquée, caressée, tapée, encensée, car de bois noble je me dresse, droite et immobile.
Alors, laissez-moi suspendre votre temps, pour vous offrir le seul voyage dont je sois capable : une plongée dans le mien.

Alsk Di Speranza est correctrice, autrice, haïkiste. Rien de plus, rien de moins.

Nombre de pages : 498 / Format : 14.8x21cm / Date de publication : 29/01/2020 / ISBN : 979-10-359-2810-0 / Prix : 20€

Gioconda, Nikos Kokantzis

L’amour, malgré la mort, par delà les années, pour ne pas oublier

Le narrateur se nomme Nikos, comme l’auteur. Et ce n’est absolument pas un hasard, puisque c’est un épisode important de sa vie qu’il nous confie ici.

Nikos et Gioconda se sont rencontrés dans leur village de Thessalonique. Ces deux enfants, devenus deux adolescents d’abord timides puis de plus en plus proches, apprennent à se connaître en cette période si dramatiquement compliquée. Mais si Nikos n’a rien à craindre, Gioconda est une jeune femme juive. Et dans la Grèce de la seconde guerre mondiale, comme partout en Europe, il ne fait pas bon être né juif.

Les jeunes gens s’aiment follement, d’abord de façon bien anodine, comme des enfants à peine grandis, puis plus sérieusement, profitant du moindre instant pour vivre passionnément cet amour qu’ils sentent déjà condamné. Les deux adolescents profitent l’un de l’autre et vivent en sachant que chaque instant est gagné sur la mort, la guerre, le mal. Gioconda sera déportée en 1943 avec sa famille à Auschwitz.

Des années après, l’auteur s’est résolu a écrire leur histoire d’amour intemporelle, sensuelle et magnifique pour faire revivre celle qu’il tant aimée. Il donne à ce récit à la fois la folie et la passion de l’amour, et la tristesse et le désespoir d’en connaître déjà la fin.

Un court roman, bouleversant qui nous rappelle une fois de plus l’absurdité et l’horreur de la guerre, mais aussi la pérennité de l’amour, celui qui survit à l’absence et au temps qui passe.

Les 68 premières fois ont proposé une superbe opération d’échange de lectures en allant cliquer et collecter dans nos librairies pour les soutenir en cette période si difficile pour les commerces indépendants. Alors j’ai cherché, un, deux, puis trois titres qu’ils n’avaient pas. Chance inouïe, j’ai rencontré la libraire qui devant le pas de sa librairie remettait leurs livres à ceux qui les avaient réservés. C’est donc sur ses conseils que j’ai découvert Gioconda.

Catalogue éditeur : éditions de l’Aube

Nìkos, un adolescent, et Gioconda, une jeune fille juive, s’aiment d’un amour absolu jusqu’à la déportation de celle-ci à Auschwitz, en 1943.
Un récit lumineux d’une initiation amoureuse, vibrant de naturel et de sensualité malgré la haine et la mort.

Roman traduit par Michel Volkovitch.

Né à Thessalonique en 1930, Nìkos Kokàntzis découvrira l’amour avec Gioconda en 1943. Juive, celle-ci seré déportée à Auschwitz… et n’en reviendra pas. En 1975, Kokàntzis décide de raconter leur histoire d’amour, pour que Gioconda revive à travers ses mots. Il a étudié la médecine puis la psychiatrie à Londres. Il est mort en 2009.

Parution : 07/06/2018 / Nombre de pages : 104 / 125×190 / Format : Poche / ISBN : 978-2-8159-2850-2 / EAN : 9782815928502 / Prix : 8,90 €

L’ile du diable, Nicolas Beuglet

La vengeance est un plat qui se mange glacé

Troisième opus, après Le Cri et Le complot, qui met en scène Sarah Geringën, une inspectrice de la police norvégienne.

Et si vos  proches n’étaient pas du tout ceux que vous pensiez ?

Alors qu’elle sort enfin de prison où elle a passé de longs mois avant d’être disculpée, l’inspectrice Sarah Geringën est emmenée par son directeur Stefen Karlstrom, sur les lieux d’un meurtre peu ordinaire. Son père vient d’être assassiné chez lui, et la scène de crime est particulièrement éprouvante.

Comme Sarah n’est pas officiellement autorisée à enquêter, elle va être secondée par l’officier Koll, novice et ravi de travailler avec cette professionnelle aux compétences reconnues de tous. Pour trouver le coupable de ce meurtre sordide, Sarah va devoir élucider le mystère de la personnalité opaque de son propre père, cet homme secret et froid qu’au final elle connait si peu.

Peu concentré sur l’affaire, le commandant Stefen doit quant à lui élucider en parallèle l’enlèvement d’une femme dans la ville d’Oslo.

Enfin, Christopher, que Sarah ne veut toujours pas retrouver, doit de son côté mettre en œuvre toutes ses capacités de journaliste pour éclaircir un mystère qui pèse sur les épaules de sa compagne.

Et si la haine et le désir de vengeance  de nos aïeux influençait nos gènes ?

L’auteur évoque ici un fait historique méconnu, survenu dans les années 30 quelque part sur le continent européen. Et les recherches scientifiques récentes sur les mécanismes de l’épigénétique. Mais impossible d’en dire plus ici, c’est à votre tour de découvrir ce qu’il en est.

Un roman dont le suspense ne faibli jamais, visuel, dynamique, qui se lit page après page, car le lecteur n’a qu’un envie, aller plus loin et savoir, enfin. Si le roman a du rythme, le fait divers historique de départ nous mène vers une intrigue à la crédibilité un peu tirée par les cheveux, mais qu’importe, on se prend vraiment au jeu.

Catalogue éditeur : Pocket et XO éditions

La vengeance est affaire de mémoire…

Le corps recouvert d’une étrange poudre blanche, des extrémités gangrenées et un visage figé dans un rictus de douleur… En observant le cadavre de son père, Sarah Geringën est saisie d’épouvante. Et quand le médecin légiste lui tend la clé retrouvée au fond de son estomac, l’effroi la paralyse. Et si son père n’était pas l’homme qu’il prétendait être ?
Des forêts obscures de Norvège aux plaines glaciales de Sibérie, l’ex-inspectrice des forces spéciales s’apprête à affronter un secret de famille terrifiant. Que découvrira-t-elle dans ce vieux manoir perdu dans les bois ? Osera-t-elle se rendre jusqu’à l’île du Diable ?

Après quinze années passées chez M6, Nicolas Beuglet a choisi de se consacrer à l’écriture de scénarios et de romans. Le Cri (2016), Complot (2018), et L’Île du diable (2019), ont paru aux Éditions XO. Il vit à Boulogne-Billancourt avec sa famille.

XO : Parution : 19 septembre 2019 / 320 pages / Prix : 19.90 euros / ISBN : 9782374481340

Pocket : Date de parution : 03/09/2020 / EAN : 9782266307598 / POCHE / Nombre de pages : 312 / 6.95 €

La plus précieuse des marchandises, Jean-Claude Grumberg

C’est un conte qui dit la vie, l’amour, l’enfant… C’est un conte indispensable qui dit l’indicible. C’est peut être une Histoire vraie…

La plus précieuse des marchandises c’est la vie. Celle qui est donnée, celle qui est offerte, celle qui part en fumée à l’arrivée des wagons plombés dans les plaines au bout de la forêt, au bout de l’hiver, du froid et de la faim. Dans ces wagons passent hommes et femmes, vieillards et enfants, meurtris, bientôt oubliés du monde quand, à leur arrivée au camp, ils sont triés, puis pour la majorité d’entre eux envoyés à la mort.

Dans ce conte, il y a une grande forêt où chaque jour une vieille bûcheronne regarde ces trains qui passent dans un sens puis dans l’autre, elle rêve de voyages et d’ailleurs. Elle espère elle ne sait quoi, pourtant souvent tombent des trains des petits papiers qu’elle garde, sur lesquels sont écrit ces mots qu’elle ne comprend pas. Jusqu’au jour où tombe du wagon un petit paquet emmailloté dans un châle somptueux tissé de fils d’or.

Dans ce paquet, une petite fille, cadeau du ciel qu’elle va nourrir et élever contre l’avis du bucheron son époux, contre l’avis de la population alentour, avec l’aide de l’homme des forêts, prenant la fuite au péril de sa vie pour la sauver.

Voilà un contenu absolument émouvant pour dire la solution finale, la mort et que l’auteur a voulu rendre universel en choisissant de l’exprimer sous la forme du conte. Pour montrer sans doute aussi qu’au plus noir des hommes il reste parfois un espoir de vie. Ce texte qui parle à chacun de nous, partout, est à la fois sombre et empreint d’une grande humanité. Cette femme qui élève cet enfant qu’on lui refuse, dans ce pays où il était si facile de fermer les yeux face à l’extinction programmée de tout un peuple. Ce père qui va choisir entre ses enfants m’a forcément fait penser au Choix de Sophie, douleur, espoir, culpabilité, tout est dans le geste, celui qui sauve et celui qui condamne, et cependant il y a tant d’espoir dans ces pages.

Roman lu dans le cadre de ma participation au jury du Prix des lecteurs BFM l’Express

Écrivain et dramaturge, Jean-Claude Grumberg est né à Paris en 1939, dans une famille juive. Il est hanté par l’arrestation, sous ses propres yeux, de son père emmené à Drancy et déporté par le convoi 49, parti pour Auschwitz le 2 mars 1943.

Catalogue éditeur : Seuil

Il était une fois, dans un grand bois, une pauvre bûcheronne et un pauvre bûcheron.
Non non non non, rassurez-vous, ce n’est pas Le Petit Poucet ! Pas du tout. Moi-même, tout comme vous, je déteste cette histoire ridicule. Où et quand a-t-on vu des parents abandonner leurs enfants faute de pouvoir les nourrir ? Allons…
Dans ce grand bois donc, régnaient grande faim et grand froid. Surtout en hiver. En été une chaleur accablante s’abattait sur ce bois et chassait le grand froid. La faim, elle, par contre, était constante, surtout en ces temps où sévissait, autour de ce bois, la guerre mondiale.
La guerre mondiale, oui oui oui oui oui.

Date de parution 10/01/2019 / 12.00 € TTC / 128 pages / EAN 9782021414196

Et tu n’es pas revenu. Marceline Loridan-Ivens

« Toi, tu reviendras peut- être parce que tu es jeune, moi je ne reviendrai pas » c’est une vie offerte pour une vie perdue…

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Ce roman récit de Marceline Loridan-Ivens était dans ma bibliothèque depuis longtemps… l’envie de lire était là, mais sans jamais en prendre le temps, car c’est exactement le livre qui va vous marquer, vous toucher, et vous savez d’avance que vous y penserez pendant des jours et des jours.

Marceline s’est éteinte il y a peu, mais son aura est là, prégnante, éternellement attentive au souvenir du père, des oubliés, des disparus, des compagnons de malheur, des camps, de son amie Simone disparue avant elle, toutes deux emportant avec elles la mémoire de ces temps sombres qu’il ne faudra jamais oublier.

Arrêtés dans le château qu’avait acheté son père à Bollène, Marceline et son père ont été déportés en même temps en avril 1944. Elle, Marceline, 15 ans à peine, va être internée à Birkenau. Lui, Schloïme, Salomon, à Auschwitz. A des milliers de lieues l’un de l’autre, tant la communication, le dialogue, et ne serait-ce que savoir si l’autre est encore vivant, étaient tout simplement impossible. Ils étaient pourtant à peine à 3 kilomètres l’un de l’autre, femmes d’un côté, hommes de l’autre. Et au milieu, les crématoires, le tri, le gaz, la mort et la vie, Mengelé et les trains de déportés, la mort, toujours. Marceline se souviendra toute sa vie des mots de son père, Toi, tu reviendras peut- être parce que tu es jeune, moi je ne reviendrai pas. Une vie offerte, une  vie donnée, perdue, pour en sauver une autre ? Une sensation qui ne la quittera jamais, celle d’avoir échangé, d’avoir pris, la vie de son père, celle que cette vie-là aurait été plus indispensable à toute la famille, celle d’une usurpation en somme. Il y a cette lettre, ces mots de son père, qui disent la vie, l’espoir au milieu de l’horreur. Il y a cette rencontre dans le camp entre le père et la fille, les coups, mais il y a aussi la douleur, les petits larcins pour survivre un jour de plus, la maladie, la peur. Il y a aussi le bonheur inexprimable d’avoir été arrêtée avec ce père qui est tout pour elle. Indicible et si fort.

Je t’aimais tellement que je suis contente d’avoir été déportée avec toi.

Mais que ce texte est beau, sincère, émouvant, fort… Difficile d’y mettre des mots, tant il y a de présence, de douleur, de souvenirs, de vie aussi. En même temps, il n’est pas triste, revanchard ou désespéré, il y a une part de vie, c’est incroyablement positif.

A lire, d’urgence, pour savoir et ne pas oublier, pour tenter de comprendre, un peu, si peu…

Comment transmettre ce que nous avons tant de mal à nous expliquer ?

Je suis l’une des 160 qui vivent encore sur les 2 500 qui sont revenus. Nous étions 76 500 juifs de France parti pour Auschwitz-Birkenau. Six millions et demi sont morts dans les camps. Je dine une fois par mois avec des amis survivants des camps, nous savons rire ensemble et même du camp à notre façon…

S’il savaient la permanence du camp en nous. Nous l’avons tous dans la tête et ce jusqu’à la mort.

💙💙💙💙💙


Catalogue éditeur : Grasset

Marceline Loridan-Ivens et Judith Perrignon

« J’ai vécu puisque tu voulais que je vive. Mais vécu comme je l’ai appris là-bas, en prenant les jours les uns après les autres. Il y en eut de beaux tout de même. T’écrire m’a fait du bien. En te parlant, je ne me console pas. Je détends juste ce qui m’enserre le cœur. Je voudrais fuir l’histoire du monde, du siècle, revenir à la mienne, celle de Shloïme et sa chère petite fille. »

Parution : 04/02/2015 / Pages : 112 / Format : 120 x 188 mm / Prix : 12.90 € / EAN : 9782246853916

Romain Gary s’en va-t’en guerre, Laurent Seksik

Les éditions J’ai Lu fêtent leur les 60 ans, l’occasion de découvrir quelques pépites, comme « Romain Gary s’en va-t’en guerre » de Laurent Seksik.

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Toute sa vie Roman Kacew s’est inventé des personnages, les siens d’abord, Emile ou Romain, mais aussi ceux de son père et de sa mère, mis en mots dans ses romans et bien peu fidèles semble-t-il à la réalité.

Le roman de Laurent Seksik se déroule à Wilno pendant deux jours, les 26 et 27 janvier, en 1925, alors que Romain Gary est encore Roman Kacew. A une époque où l’antisémitisme monte doucement mais surement dans le pays et en Europe, où de nombreux juifs se posent la question de partir, mais refusent de croire au pire. Il est construit en alternance de chapitres qui présentent tour à tour sa mère Nina, le jeune Roman, puis son père Arieh. Ils sont les personnages inévitables d’un trio humain fait d’amour et de haine, d’attente et d’espoir, de mensonge et de déception.

Nina est modiste et crée de jolis chapeaux pour les belles dames. C’est une jeune femme divorcée, mère d’un enfant, Joseph, lorsqu’elle épouse contre l’avis de sa belle-famille, Arieh le fourreur. Des années après arrive enfin ce fils tant attendu, Roman, puis la mort atroce de Joseph qui marquera à jamais cette mère. Un jour, Arieh quitte Nina pour Frida, une femme plus jeune, une vie plus sereine, et abandonne sa femme et surtout son fils de onze ans à une solitude incompréhensible pour cet enfant si sensible.

L’auteur nous entraine habilement dans les sentiments, les pensées, les espoirs de chacun, et déroule ces instants de vie qui décident d’un avenir, parfois sans même que l’on en comprenne réellement la portée. Car dans la vie, les couples se défont, parfois la violence s’installe, le désamour et la passion se combattent, et il y a parfois posé au milieu, en équilibre, un enfant qui attend l’amour d’un père, qui s’invente l’amour d’un père, qui espère puis désespère.

Ce n’est pas peu dire que Romain Gary a toujours été poussé par sa mère, qui a toujours cru en lui, et qui a rêvé pour lui qu’il serait célèbre un jour. Mais ici, Laurent Seksik lève le voile sur la part de mystère qui entoure l’auteur de la promesse de l’aube et nous parle essentiellement des années dans le ghetto, de son père, fourreur, mari infidèle, puis de la souffrance et de la solitude du jeune Roman, en attente de l’amour d’un père, qui réinventera celui qui l’a trahi.

Alors bien sûr, au 16 de la rue Grande-Pohulanka, il y a Un certain M. Piekielny, dont nous a également parlé François-Henri Désérable dans son roman paru à la rentrée de septembre 2017. Ce voisin un peu timide et effacé vient acheter à madame Kacew les quelques biens qu’elle tente de vendre en espérant pouvoir fuir au loin. Pour Roman et sa mère, ce sera l’Europe, puis plus tard l’engagement dans l’armée française, oui, mais ça c’est plus tard, beaucoup plus tard.

J’ai aimé ce roman qui me parle d’un personnage que je connais assez peu en fait. L’écriture est intéressante, sans fioritures inutiles, directe et concise, l’auteur réinvente une réalité qui donne corps aux personnages, et m’a vraiment donné envie de découvrir ses autres romans. Alors si vous aussi vous aimez les belles découvertes, un peu ou beaucoup Romain Gary mais aussi les biographies romancées, allez-y, foncez, vous ne le regretterez pas !

Catalogue éditeur : J’ai lu (Flammarion)

Le génie de Romain Gary, c’est sa mère.
Mais le mystère Gary, c’est son père, au sujet duquel le romancier-diplomate a toujours menti.
Laurent Seksik lève le voile sur ce mystère en ressuscitant la véritable figure du père, dans un roman à la fois captivant, bouleversant et drôle, où la fiction fraternise avec la réalité pour cerner la vérité d’un homme.

Paru le 03/01/2018 / Prix 7,80€ / 256 pages – 111 x 178 mm – EAN : 9782290147887

Où passe l’aiguille. Véronique Mougin

Ce roman, à la fois sombre et empli d’un espoir hors du commun, fait pleurer, sourire, et reste en mémoire pour longtemps

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A Beregszasz, en Hongrie, Tomi, quatorze ans,  est un jeune garçon bien dans son temps qui aime monter aux arbres et regarder les filles de la maison d’à côté, pas de gentilles copines d’école mais bien de celles qui attendent les messieurs. Il préfére jouer avec ses copains, Hugo ou Matyas,  plutôt qu’apprendre sérieusement le métier de son père. Car son père, Herman Kiss, est tailleur pour homme. Passionné par ce travail, il rêve de transmettre son savoir-faire à son fils.

Perché dans son arbre, Tomi rêve de voyages en Amérique et souhaite un jour porter la salopette bleue des plombiers, car ça correspond à l’image qu’il se fait d’un métier d’homme. Tomi est maladroit, mais ne fait pas d’effort pour apprendre le métier de son père qu’il rejette au plus profond de lui. Et puis la famille, et sa mère, sont-ils réellement ce qu’ils semblent être ? Tomi aimerait se révolter, il prend ses distances avec sa mère, avec son père. Comme tout adolescent en crise. Situation banale et très actuelle à priori. Sauf que Tomi n’est pas né au bon endroit ni à la bonne époque. Car en Hongrie, en 1944, il ne fait pas bon être juif…

Tomi et sa famille partent avec des milliers d’autres dans les wagons plombés vers Auschwitz-Birkenau. Dès leur arrivée au camp, les femmes et les jeunes enfants sont séparés des hommes. Sa mère et son petit frère disparaissent alors de sa vie. Ensuite, ce sera Buchenwald, puis Dora-Mittelbau. A chaque étape de ce calvaire, son père reste son seul recours, son seul ancrage vers la normalité, dans ces camps de concentration où l’horreur, la violence gratuite, la misère, la famine, les maladies et la mort seront leur quotidien.

Là, affecté à l’atelier de couture, il trouvera une forme de salut dans le geste qui sauve, celui qui recoud les plaies ouvertes du tissu témoin de tant d’horreur, celui des tenues des prisonniers. Là, lui le malhabile arrivera à sauver sa jeune vie en participant avec son père à ce travail de réparation.

Arrive ensuite Bergen-Belsen en Allemagne et la libération du camp par les américains, et ces hommes enfin libres mais dont la vie ne tient qu’à un fil. Puis le difficile retour des survivants à Beregszasz, leur ville qui entre temps a changé de pays, parmi ceux qui ne pourront jamais les comprendre, ceux qui se sont tus, ceux qui n’ont rien fait et ne veulent pas voir. Et l’attitude de chacun de ces rescapés, si différente, se taire ou parler ? Se taire pour survivre, car se souvenir de trop d’horreur peut vous anéantir, ou parler parce qu’il ne faut jamais oublier ? Mais Tomas Kiss va fuir encore, vers Paris qui sera son refuge, la ville où il va renaitre et enfin vivre.

Jusqu’au jour où l’auteur décide de poser sur le papier les méandres de cette vie, parce qu’il faut dire, parce qu’il faut se souvenir, parce qu’il ne faut jamais oublier que même le pire peut à nouveau arriver. Ou est-ce pour nous faire comprendre que même du pire peut surgir le meilleur, et que le courage, l’envie de vivre, de connaitre le bonheur ne sont pas des évidences ? C’est d’ailleurs ce que nous dit Tomas :
Les gens normaux éprouvent rarement la simple joie de vivre. … Moi je sens le camp, je l’entends, j’entre malgré moi dans le boyau noir du souvenir, mais quand j’en sors, le bonheur d’être en vie se jette sur moi, il m’emplit, il m’étouffe.
En vérité cousine, je n’en revient pas d’avoir vécu et de vivre encore.

L’auteur rythme le récit de la vie de Tomi en faisant parler des personnes différentes, qui exposent leur vision de ce qu’il se passe et donnent une belle ampleur au texte, rendant une certaine humanité à ces différents protagonistes qui l’ont croisé à un moment ou un autre sa vie. Véronique Mougin trouve les mots justes pour exprimer aussi bien la légèreté que l’horreur, avec une finesse d’analyse des situations, des tempéraments, des caractères, qui fait vivre le lecteur au plus près de la monstruosité des camps.

J’avais déjà aimé l’écriture de Pour vous servir, son précédent roman, tout en trouvant parfois que le fond de l’intrigue était plus léger. Là c’est tout en profondeur et en émotion que l’auteur nous entraine, dans un roman qui a une puissance, une humanité, un souffle et une énorme dose d’espoir et de lumière qui emporte son lecteur. Où passe l’aiguille est un roman magnifique, car même pour dire l’indicible il est possible d’écrire un roman superbe.

Du même auteur, découvrir également Pour vous servir

Catalogue éditeur : Flammarion

Et voici Tomas, dit Tomi, gaucher contrariant, tête de mule, impertinent comme dix, débrouillard comme vingt, saisi en 1944 par la déportation dans l’insouciance débridée de son âge – 14 ans. Ce Tom Sawyer juif et hongrois se retrouve dans le trou noir concentrationnaire avec toute sa famille.
Affecté à l’atelier de réparation des uniformes rayés alors qu’il ne sait pas enfiler une aiguille, Tomas y découvre le pire de l’homme et son meilleur : les doigts habiles des tailleurs, leurs mains invaincues, refermant les plaies des tissus, résistant à l’anéantissement. À leurs côtés, l’adolescent apprendra le métier.
Des confins de l’Europe centrale au sommet de la mode française, de la baraque 5 aux défilés de haute couture, Où passe l’aiguille retrace le voyage de Tomi, sa vie miraculeuse, déviée par l’histoire, sauvée par la beauté, une existence exceptionnelle inspirée d’une histoire vraie.

Paru le 31/01/2018 / 458 pages / 150 x 221 mm Broché / EAN : 9782081395558 / ISBN : 9782081395558

Légende d’un dormeur éveillé. Gaëlle Nohant

« Légende d’un dormeur éveillé » est une magnifique biographie romancée de Robert Denos, poète, Surréaliste, artiste, résistant, Gaëlle Nohant le fait revivre et nous le fait aimer, passionnément !

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Légende d’un dormeur éveillé retrace la vie de Robert Desnos. Parcours que j’avais, je l’avoue, complétement occulté, ne me souvenant peut-être que de cette fourmi de dix-huit mètres, avec un chapeau sur la tête, qui n’existe pas, qui n’existe pas, mais… enfin, sauf si on y croit très fort.
Merci à Gaëlle Nohant d’avoir éveillé en moi le lecteur de poésie qui sommeille depuis bien trop longtemps. Comme beaucoup, adolescente j’ai aimé passionnément lire de la poésie et oublié depuis le plaisir que cela procure. Mais les courts extraits qu‘on retrouve à mesure de la vie de Robert Desnos, égrenés et parfaitement placées en situation, nous rappellent à quel point la poésie permet de dire énormément de choses, et le plus souvent sans en avoir l’air.

Dans ce roman construit en quatre parties, dans lesquelles tour à tour Robert, puis Youki auront la parole, l’auteur restitue une vie et un destin hors du commun à nos yeux de lecteurs. La Légende d’un dormeur éveillé commence en 1928, lorsque Robert Desnos revient de Cuba avec Alejo Carpentier.

Lors de la rencontre à la librairie la 25e heure, Gaëlle Nohant nous a expliqué qu’elle avait lu plus de deux cent livres pour préparer son roman, et compulsé je n’ose imaginer combien de documents, photos, extraits, images, vu de films, écouté d’interviews, regardé d’entretiens pour apporter les touches indispensables de vérité à son texte. Et cela se sent, mais en fait cela ne se sent pas du tout. Je m’explique, vous entrez dans cette légende comme dans un roman, emporté par l’homme, sa vie, son œuvre, son parcours, ses amitiés ou ses divergences de vue, avec Breton en particulier, comme si vous étiez en train de le suivre, de respirer à ses côtés, de l’écouter, le regarder vivre, aimer, hésiter, s’engager, et pas seulement de tourner les pages de sa vie. On sent au fil des pages l’admiration de l’auteur pour Desnos, et c’est un véritable régal, car elle devient contagieuse.

A cela sans doute tient également toute la force de cette légende, qui ne ploie pas sous les témoignages ou les preuves, mais qui respire la véracité, la finesse de détails, de connaissances indispensables pour restituer une vie, plusieurs vies même. Celle de Robert Desnos, de son amour à sens unique pour Yvonne George artiste malade avec qui il partage l’opium qui la soulage de ses maux. Mais aussi celles de Foujita et de Youki, la plus belle femme de Montparnasse, qui deviendra le grand amour de Robert, celle qui l’accompagne jusqu’à bout. Puis d’André Breton l’intransigeant surréaliste et de Paul Éluard, et l’on y croise Antonin Artaud, Jacques Prévert ou Louis Aragon,  Jean Cocteau et Pablo Picasso, puis l’ami, artiste irremplaçable, Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud l’amour de sa vie. Mais aussi des artistes étrangers, comme Federico Garcia Lorca ou Ernest Hemingway, car à cette époque Paris fourmille d’inventivité, de créativité, c’est la ville où se cristallisent la culture et l’expression artistique, où se retrouvent ces artistes qui feront le siècle, ceux en tout cas qui ont toute mon admiration.

Ils vont au Bal Blomet, investissent les terrasses des cafés de Montparnasse, où ils écrivent et se rencontrent, on les imagine si bien, au soleil, festoyant dans les cabarets, organisant des fêtes oniriques arrosées au champagne, jusqu’au moment où Paris bascule dans l’horreur. C’est la guerre, puis l’occupation, période sombre où l’on ne sait plus à qui se fier, mais pendant laquelle Desnos choisit son camp, celui de la résistance, aidant ceux qui l’entourent. Dénoncé, Denos est déporté. Buchenwald, Auschwitz, puis Terezin. Affaibli, malade, il décédera sans jamais se départir de son sens du devoir, de cet amour envers les autres, prêt à aider sans répit, à sa façon, pour insuffler un peu d’espoir à tous ceux qu’il va y côtoyer.

C’est un roman brillant, une ode à un poète, à la créativité, une fresque historique et humaine qui nous plonge dans la vie dans ce qu’elle a de plus beau comme de plus cruel, et qui indiscutablement restera pour moi l’un des grands romans de cette rentrée.

Enfin, émotion intense lors de la rencontre de pouvoir parler avec Jacques Fraenkel, que l’on retrouve en 1943 dans le roman. Cet enfant à qui seul Robert savait parler et surtout sourire, lui réciter ses poèmes, lui procurant quelques instants de ces rêves que l’on voudrait insuffler à chaque enfant dans les moments les plus dramatiques.

Catalogue éditeur : Héloïse d’Ormesson

Robert Desnos a vécu mille vies – écrivain, critique de cinéma, chroniqueur radio, résistant de la première heure –, sans jamais se départir de sa soif de liberté. Pour raconter l’histoire extraordinaire de ce dormeur éveillé, Gaëlle Nohant épouse ses pas ; comme si elle avait écouté les battements de son cœur, s’était assise aux terrasses des cafés en compagnie d’Éluard ou de García Lorca, avait tressailli aux anathèmes d’André Breton, fumé l’opium avec Yvonne George, et dansé sur des rythmes endiablés au Bal Blomet aux côtés de Kiki et de Jean-Louis Barrault. S’identifiant à Youki, son grand amour, la romancière accompagne Desnos jusqu’au bout de la nuit.

Légende d’un dormeur éveillé révèle le héros irrésistible derrière le poète et ressuscite une époque incandescente et tumultueuse, des années folles à l’Occupation.

544 pages / 23€ / Paru le 17 août 2017 / ISBN : 9782350874197 / Illustration de couverture © Letizia Goffi