Doggerland, Elisabeth Filhol

Avis de tempête en mer du nord ? Avec « Doggerland » d’Elisabeth Filhol, passé et présent se rejoignent pour ouvrir les failles et braver les éléments.

Ouvrir Doggerland d’Elisabeth Filhol et voir d’abord ce mot, Dogger, qui évoque les bulletins de météo marine.
Puis le Doggerland, cette terre immergée entre l’Angleterre et le Danemark qui était très certainement habitée il y a quelques 8 millions d’années.
Enfin, cet avis de tempête en mer du Nord, et la rencontre improbable de deux personnes qui se sont perdues de vue depuis trop longtemps. 

Margaret et Marc doivent se rendre à un congrès annuel d’archéologie sous-marine. Ils ne se sont pas revus depuis 22 ans, lorsque Marc avait quitté Margaret de façon assez abrupte. Depuis, leurs vies se sont déroulées chacun de leur côté, mariage et enfant pour l’une, travail, voyages et fuite en avant pour l’autre. Chacun sait que l’autre sera présent, chacun redoute, espère ou craint la rencontre improbable qui va forcément arriver.

L’auteur a une façon incroyable de nous plonger dans cet avis de tempête et de nous immerger autant dans les strates qui composent le sous-sol de la mer du Nord que dans les couches successives qui composent également la vie de ses deux principaux protagonistes. Croisement de deux vies, mais avant tout explications techniques, descriptions sur le climat, la géologie, l’économie, l’exploitation des hydrocarbures, puis, comme en analogie subtile, l’exploitation des sentiments, la façon dont ils émergent ou se perdent à jamais. Décisions, destin, choix, comment chacun compose du mieux qu’il peut et avance.

Indiscutablement voilà un roman qui se lit facilement malgré la technicité de certains passages, et qui interroge sur la vie que l‘on a et surtout ce que l’on en fait.

Roman lu dans le cadre de ma participation au jury du Prix des lecteurs BFM l’Express

Catalogue éditeur : P.O.L

Faut-il donner la clef d’un roman ? En général la réponse est non, car une des forces du roman, contrairement à d’autres formes de récit, est précisément de laisser le champ libre à une variété d’interprétations. En tant que lectrice, j’aime entrer et circuler dans un texte de fiction sans que le chemin soit entièrement balisé. En tant qu’auteure, la question s’est posée à une étape cruciale de l’écriture de Doggerland, quand après avoir erré, j’ai pu enfin mettre un mot sur le fonctionnement (ou plutôt le dysfonctionnement) de chacun des deux personnages principaux. Quelque chose alors s’est…Lire la suite

Elisabeth Filhol est née le 1er mai 1965 à Mende en Lozère. Études de gestion à l’université Paris-Dauphine. Expérience professionnelle en milieu industriel : audit, gestion de trésorerie, analyse financière et conseil auprès des comités d’entreprise. Vit aujourd’hui à Angers.

janvier 2019 / 352 pages, 19,5 € / ISBN : 978-2-8180-4625-8

Ta vie ou la mienne, Guillaume Para

Un beau premier roman de vie et d’amour.

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Hamed Boutaleb vient du 93. Sevran-Bodottes pour qui s’y est perdu un soir, c’est quand même bien la zone. Orphelin à treize ans, il déménage chez son oncle et sa tante, à Saint-Cloud, il arrive dans un autre monde à quelques encablures pourtant de son point de départ, dans cette région parisienne si disparate et qui vous marque à jamais, suivant l’endroit où l’on nait…

L’enfance et l’adolescence se passent, Hamed est doué, très doué pour le foot, c’est aussi un gamin qui aime les autres. Lorsqu’il défend François, le petit blanc souffre-douleur des gamins du collège, une indéfectible amitié s’instaure entre les deux  garçons, amitié qui ne les quittera plus jamais. Un jour, François lui présente Léa, la belle, l’inaccessible dont il est secrètement amoureux. Cette fille si différente, arrivée des quartiers huppés de Saint-Cloud, et qu’Hamed aime en secret, amour déjà partagé par Léa.

Le père de François, ancien footballeur, donne des leçons à Hamed, leçon de sport, de foot, leçons de vie, et son coaching lui permet de rentrer dans l’équipe des jeunes footballeurs d’Auxerre.

Jusqu’au jour où Léa lui annonce qu’elle est enceinte, jusqu’au jour où Hamed veut la demander en mariage, jusqu’au soir fatal où leur vie bascule… Jusqu’au jour où, ta vie ou la mienne…

Ensuite, ce sera la prison, Fleury-Mérogis et sa violence, les coups et les humiliations, les trafics en tout genre, la duplicité des matons, les gangs du dehors qui se reforment pour le malheur des plus faibles. Seul le soutien de Jean-Louis, son compagnon de cellule, permet à Hamed de garder la tête hors de l’eau, mais quatre longues années feront de lui un tout autre homme. A sa sortie, la vie d’avant, l’amour, la sérénité, ne sont plus faits pour lui. Comment alors peut-il imaginer retrouver Léa, l’amitié, la famille, comme redevenir l’homme qu’il a toujours été au fond de lui.

Un roman découvert grâce aux 68 premières fois. Vous le commencez et vous ne pouvez pas le refermer avant d’avoir tourné la dernière page, l’œil parfois un peu humide. Un beau roman qui parle d’amour, d’amitié et d’hommes fiers et libres. Mais qui parle également de la violence des prisons, violence qui vous marque à jamais et vous fait devenir autre. De la difficulté à vivre ou à sortir de sa banlieue maudite, celle qui vous marque au fer rouge, comme une empreinte inavouable, et vous empêche de vivre bien, de vivre mieux, cette vie à laquelle vous avez pourtant droit. Car peut-on renier ses origines, et en est-on responsable toute sa vie ? Faut-il se sentir coupable même lorsqu’on a payé sa dette à la société, et le malheur doit-il se coller à vous comme une tique ?

J’ai aimé découvrir et suivre les destins croisés et parfois maudits de ces trois personnages si attachants. Il y a bien sûr quelques poncifs, mais malgré ces stéréotypes, le tout est bien écrit, plausible et touchant, on s’y laisse prendre et on espère que le prochain roman de ce jeune auteur saura tout autant nous retenir !

Catalogue éditeur : Anne Carrière

Hamed Boutaleb naît à Sevran, en Seine-Saint-Denis. Orphelin à l’âge de huit ans, il part vivre chez son oncle et sa tante à Saint-Cloud, commune huppée de l’Ouest parisien. Pour la première fois, une existence sans adversité s’offre à lui. Hamed saisit sa chance et s’épanouit avec une passion : le football. Il brille dans le club de la ville, où il se lie d’amitié avec l’un de ses coéquipiers, François. À seize ans, le jeune homme tombe amoureux de Léa, qui appartient à un autre monde, la haute bourgeoisie. L’amour passionné qui les lie défie leurs différences et la mystérieuse tristesse qui ronge l’adolescente. Lire la suite…

ISBN : 978-2-8433-7886-7  / Nombre de pages : 250 / Parution : 9 février 2018 / Prix : 18 €

Sarah Bernhardt, le garçon manqué. Michel Quint

Artiste, tragédienne ayant une préférence pour les rôles masculins, mais qu’est-ce qui a suscité le destin  Sarah Bernhardt ? Jolie découverte que cette série destinée aux jeunes.

Domi_C_Lire_sarah_bernhardtDe Michel Quint j’avais aimé, et maintes fois offert, Effroyables jardins qui est pourtant un roman portant sur un sujet difficile, mais où les sentiments contradictoires sont magnifiquement mis en mots par l’auteur.
Dans Sarah Bernhardt, le garçon manqué point de tragédie sur fond de guerre, mais l’évocation du destin de la grande Sarah Bernhardt au moment où elle entre en scène pour jouer l’Aiglon. Elle se souvient… Pour Sarah Bernhardt, l’enfance sera une succession de pensionnats, couvents, des années à se chercher et à comprendre pourquoi elle était faite. Elle qui bien qu’intelligente ne brillait dans aucune matière scolaire classique a très tôt ressenti  sa passion pour le théâtre.

Destins extraordinaires est une série  proposée par les éditions Le Duc. S jeunesse  dirigée par Fabienne Blanchut. Elle se propose de faire écrire par de grands romanciers renommés et reconnus le destin de personnages célèbres, en particulier le ou les moments qui ont fait basculer leur destin vers ce qui deviendra leur raison d’être, leur avenir.

Ponctués d’illustrations de David Pillet, ces Destins extraordinaires sont un très bon moment de lecture, racontant des anecdotes et des faits ayant pour la plupart réellement existé. Un point intéressant, les notes de bas de page pour expliquer des mots, des expressions, pour une meilleure compréhension du texte par le jeune public auquel ces destins extraordinaires sont destinés. Un excellent moyen, ludique et  attrayant, de raconter l’Histoire autrement, pour le plus grand plaisir des lecteurs.

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Catalogue éditeur : éditions le Duc.s

En mars 1900, alors qu’elle attend d’entrer en scène, costumée en homme, pour la première de L’Aiglon, Sarah Bernhardt se souvient d’événements de son enfance, un rôle d’ange et la rencontre d’un militaire, qui ont suscité sa vocation de tragédienne et son envie de rôles masculins. Son destin de garçon manqué.

Décrite par la sensibilité de Michel Quint, voici l’enfance passionnante de celle qu’on surnommait « La Divine ».

 

Avant que les ombres s’effacent. Louis-Philippe Dalembert

Dans son roman « Avant que les ombres s’effacent » Louis-Philippe Dalembert lève le voile sur un pan d’Histoire d’Haïti et nous embarque dans son écriture avec bonheur et poésie.

Domiclire_avant_que_les_ombres_seffacent.jpgD’Haïti, on se souvient du tremblement de terre qui a frappé durement l’ile en 2010, peut-être aussi de ses hommes célèbres. On pense en particulier à la lutte contre l’esclavage par Toussaint-Louverture (ce descendant d’esclave d’origine afro-caribéenne  a mené la Révolution haïtienne à partir de 1791) d’Haïti encore comme étant la première République noire indépendante en 1804, mais  certainement pas de l’épisode dont nous parle Louis-Philippe Dalembert dans ce roman lauréat du Prix Orange du livre 2017.

En 2010, juste après le tremblement de terre, le docteur Ruben Schwarzberg passe ses soirées avec Deborah, sa petite-nièce, venue sur l’ile pour porter secours. Ils se délassent de la fatigue des journées passées à soigner et soutenir la population durement frappée. Car si le docteur vit en Haïti, l’histoire de sa famille et sa propre histoire, sont bien plus compliquées et sinueuses que ça… Et les souvenirs affluent, lentement, doucement. A son rythme, le vieil homme accepte de se confier, de se raconter, dans ce qu’il a vécu de plus terrible et de plus heureux.

Né en 1913, Ruben Schwarzberg est originaire de Lodz en Pologne.  Il passe son enfance à Berlin, où la famille s’intègre avec bonheur. Mais si le nazisme étend son ombre sur le pays depuis 1933, la Nuit de cristal (Kristallnacht), le pogrom des 9 et 10 novembre 1938, va de nouveau sonner l’exil d’une partie de sa famille, aux États-Unis ou vers ce qui deviendra Israël. Hésitant à quitter Berlin, Ruben sera arrêté et interné à Buchenwald. Lorsque par un étonnant hasard il est enfin libéré, il décide de partir pour Cuba. Il embarque sur le Saint-Louis, mais le bateau fait demi-tour et ramène ses passagers quasiment à leur point de départ, Ruben se retrouve alors à Paris. Là, il rencontre Ida Faubert, une poétesse haïtienne  qui accueille les lettrés et se prend d’amitié pour lui. Il va connaître les joies de la capitale, le Bal Nègre  et ses artistes, à un moment où tout s’effondre autour de lui, une certaine légèreté que d’ailleurs le lecteur peut avoir du mal à appréhender, mais après tout, même dans les moments les plus noirs, la vie est là, la musique, la comédie, et le bonheur simple d’exister. Après quelques semaines de relative insouciance, il est temps de partir pour Haïti la glorieuse, celle qui accueille en son sein les exilés et les victimes du nazisme, et qui ose même entrer en guerre contre le IIIe Reich. Ruben s’installe sur l’ile et ne la quittera plus.

La lecture de ce roman m’a parue dans un premier temps presque fastidieuse, hachée, du fait de la ponctuation des phrases en particulier. Mais en fait, on se rend compte qu’elle est comme la parole de ce vieil homme de 95 ans qui se souvient le soir sur sa terrasse, et qui parle, lentement, doucement, qui évoque la douleur des souvenirs d’une période si noire sans doute. Rapidement au fil des pages le rythme s’accélère, l’impression d’oppression s’allège, la vie reprend ses droits, et le plaisir de la lecture est bien là. Le lecteur est pris par cette écriture poétique au rythme très particulier, face à cet épisode de l’histoire méconnu et à ces personnages attachants. Car il y a beaucoup de tristesse, mais aussi de joie, d’espoir, parfois même d’humour et de légèreté dans ces souvenirs, dans ces situations qui montrent combien il faut avoir foi en l’homme.

Le roman alterne les souvenirs et le présent, les moments de joies et d’espoir avec les épisodes les plus terribles de la montée du nazisme et de la seconde guerre mondiale, il a aussi l’avantage de nous parler de cet épisode méconnu de l’histoire de l’ile. Car en 1939, l’État haïtien a voté un décret-loi qui a permis à ses consuls de délivrer des passeports et des sauf-conduits à tous les juifs qui en feraient la demande, les accueillant ainsi sans condition sur un sol protecteur. Il y a une belle humanité dans ces lignes, et infiniment de poésie et de sensibilité dans la façon de traiter l’Histoire.

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Quelques photos que j’ai eu plaisir de prendre lors de la soirée de remise du Prix Orange du livre 2017

 


Catalogue éditeur : Sabine Wespieser

Dans le prologue de cette saga conduisant son protagoniste de la Pologne à Port-au-Prince, l’auteur rappelle le vote par l’État haïtien, en 1939, d’un décret-loi autorisant ses consulats à délivrer passeports et sauf-conduits à tous les Juifs qui en formuleraient la demande.

Avec cette fascinante évocation d’une destinée tragique dont le cours fut heureusement infléchi, Louis-Philippe Dalembert rend un hommage tendre et plein d’humour à sa terre natale, où nombre de victimes de l’histoire trouvèrent une seconde patrie. Lire la suite…

Disponible en librairie au prix de 21 €, 296 p / ISBN : 978-2-84805-215-1 / Date de parution : Mars 2017

Le corps parfait des araignées. Franck Balandier

Dans « Le corps parfait des araignées » Franck Balandier nous fait rencontrer un fossoyeur et une thanatopractrice pendant un été de canicule où les morts se comptent par milliers, où les cadavres s’entassent dans des chambres froides,… Rencontre d’un autre type !

DomiCLire_le_corps_parfait_des_araignees.jpgOn s’en souvient, ou pas, mais l’été 2003 est resté dans les mémoires comme l’été de La canicule. Si les pouvoirs publics ont mis longtemps à le comprendre, les familles aussi sans doute, car les personnes âgées sont tombées comme des mouches, touchées par la déshydratation, la chaleur insupportable, le manque d’air, et certainement aussi par la solitude extrême, en particulier à Paris.  Et lorsque les cadavres ont été trop nombreux pour les multiples entreprises de pompes funèbres, il a bien fallu louer les entrepôts frigorifiques de Rungis.

Le lecteur va suivre deux personnages, lui, elle, chacun dans son immeuble, dans son appartement, de chaque côté de la rue, chacun regarde l’autre, en se disant que demain peut-être, chacun ressentant confusément quelque chose pour l’autre, mais demain, peut-être…Le récit est porté par la voix du narrateur, lui qui vient de quitter sa femme, il aime vivre seul et dans le silence, il rêve, tombe amoureux, hésite, attend, mais la vie attend-t-elle également ? Puis par sa voix à elle, qui vit seule, marquée par la vie, mais toujours en relation étroite avec la mort…

Deux vies en face à face, des morts qui partent en silence et dans l’indifférence générale, un bien étrange roman qui à le mérite de remettre les choses à leur vraie place, celle du temps qui passe, de l’idée que l’on se fait de l’autre, de l’idéal amoureux, de la vie, mais surtout de la mort ….


Catalogue éditeur : Éditions Félicia-France Doumayrenc

C’est l’histoire d’amour hautement improbable, cruelle et contrariée, de deux solitudes au cœur de l’été 2003, en pleine canicule. Maniant l’humour noir, la poésie et le suspense avec délectation, l’auteur nous emporte aux confins simultanés de la vieillesse et de la mort par des chemins littéraires détournés et nous livre au passage une étonnante réflexion sur le sens de l’existence.

Format 14×21 / 148 pages / Prix 15 euros / ISBN : 2372670255

Un homme ça ne pleure pas. Faïza Guène

Dans « Un homme ça ne pleure pas » le roman Faïza Guène, tradition et modernité cohabitent dans cette famille qui nous transporte sur les bords de la méditerranée, pour notre plus grand bonheur de lecteur.

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A Nice, où il vit avec ses parents, Mourad Chennoun apprend la vie et découvre le monde dans une famille algérienne aux parents qui confinent à la caricature, mais tellement attachants qu’on a envie de les connaître. Son père est cordonnier. Bien qu’il ne sache ni lire ni écrire il s’intéresse à la vie, aux nouvelles du pays, demandant à son fils de lui faire la lecture avec « l’accent d’un journaliste », lui qui porte au revers de sa poche de chemise des stylos Bic avec capuchon, pour faire sérieux, comme il l’a vu faire par son médecin. Et  surtout il est celui qui dit à son fils qu’« un homme ça ne pleure pas » ! Sa mère déborde d’amour pour ses enfants. Elle est envahissante, aucune fille ne sera assez bien pour son fils, il n’y a aucun avenir pour ses filles en dehors d’un bon mariage, aucun petit plat n’est mieux fait que par ses soins, elle qui est capable de remplir la valise de son fils de nourriture, même lorsqu’il partira pour Paris. Ses sœurs, Dounia, rebelle, elle a soif de liberté, de s’instruire, et de pouvoir décider de sa vie sans rentrer dans le cadre que lui a dessiné sa mère, mari, enfants, cuisine. Ses conflits avec les parents lui feront quitter définitivement le domicile. Sans espoir de retour. Enfin il y a Mina, la plus jeune sœur, celle qui reste près des parents, femme au foyer, mère raisonnable, proche de sa mère tyrannique et aimante.

Mourad a soif de vivre, même si l’idée de se retrouver loin est terriblement stressante. Ses études lui permettent de partir sans que la rupture soit définitive, bien au contraire puisqu’il est l’homme de la famille, celui qui porte tous les espoirs. Il va alors découvrir la liberté en même temps que la tyrannie de sa mère, qui menace de mourir s’il ne lui téléphone pas chaque jour. Ah, ces parents envahissants qui ne comprennent pas que leur enfants sont étouffés par ces débordements d’amour, que d’ailleurs ils ne seront ni capables ni enclins à rendre, alors que bien souvent les parents attendent tellement en retour.

C’est pour Mourad la découverte de la vie à Paris, des écoles en zone difficile, des relations parents profs ou entre collègues, des retrouvailles inattendues avec un cousin éloigné qui s’en sort plutôt bien. C’est un nouveau monde qui s’ouvre, et Mourad n’a plus vraiment envie de revenir. Mais quand le padre tombe malade, tous les murs infranchissables qui avaient été élevés pour renier Doumia vont tomber. Mourad sera là pour la famille, celle qui envahi, celle qui aime, celle qui protège, celle qui pardonne. Les personnages sont presque tous caricaturaux, mais pourtant tous terriblement attachants !

J’ai vraiment aimé ce roman, rempli d’humour, de tendresse bourrue, de clichés aussi sans doute, mais tellement  fin, agréable à lire, débordant d’optimiste même lorsqu’il aborde la maladie. C’est un régal de lecture à savourer intensément.

Catalogue éditeur : Fayard

Né à Nice de parents algériens, Mourad voudrait se forger un destin.
Son pire cauchemar : devenir un vieux garçon obèse aux cheveux poivre et sel, nourri par sa mère à base d’huile de friture. Pour éviter d’en arriver là, il lui faudra se défaire d’un héritage familial pesant.
Mais est-ce vraiment dans la rupture qu’on devient pleinement soi-même ?
Dès son premier roman (Kiffe kiffe demain, Hachette littératures, 2004), Faïza Guène s’est imposée comme une des voix les plus originales de la littérature française contemporaine.

EAN : 9782213655147 / Littérature française / Parution : 03/01/2014 / 320 pages / Format : 135 x 215 mm

Giboulées de soleil. Lenka Hornakova-Civade

Plongez les yeux fermés dans la vie de ces trois générations de femmes en Tchécoslovaquie et vous ne le regretterez pas !

DomiCLire_giboulees_de_soleil.jpgTchécoslovaquie, dans les années 30, Magdalena est employée dans une ferme, propriété de riches patrons. Une attirance pour le fils du patron, étudiant à Vienne, une nuit d’abandon, une nuit d’incendie, et sa vie bascule. Tout comme sa mère avant elle, Magdalena va donner naissance à une bâtarde. Nous voilà donc immergés dans cette famille de femmes : Marie, une grand-mère gynécologue, dure mais juste, froide mais sensible, elle a fui Vienne lors de la partition du pays ; une mère, Magdalena, quitte la ferme et revient au village lorsqu’elle met au monde son enfant ; une fille Libuse ; puis Eva, une petite fille, chacune ayant les rêves de son temps.

Elles subiront les mêmes offenses que leur pays : la partition du pays, l’occupation par les nazis, le joug soviétique et la perte des libertés fondamentales. Pourtant face à l’adversité et fortes de leur différence, être nées bâtardes, elles sauront s’affirmer et s’épanouir, fières de leurs amours passés, d’instants de bonheur volés aux traditions, aux coutumes, au qu’en dira-t-on.

C’est le beau portrait sans concession de trois générations de femmes sans mari, de filles sans père, qui chacune à sa façon va poursuivre et inventer sa vie, son avenir, sa force, en opposition à ces hommes qu’elles auront malgré tout su aimer, mais aussi à ces hommes qui ne leur seront d’aucun secours, qui seront au contraire des entraves, des contraintes, des complications à l’épanouissement de leur vie de femme dans la recherche d’un certain bonheur et dans l’affirmation de leur liberté.

L’écriture est belle, sensible, chantante et douloureuse parfois, comme les sentiments qu’elle exprime avec une grande justesse et infiniment de sobriété. Elle parle traditions, trahison, force et honneur, amour et haine, vengeance et oubli, elle dit, elle raconte, et le lecteur ne peut qu’aimer ce roman tellement attachant, tellement émouvant, tellement beau comme des Giboulées de soleil qu’il nous emmène presque à imaginer, pluie et soleil, obscurité et lumière, tragédie et bonheur.


Catalogue éditeur : Alma éditeur

Dans un style ample et tendre et des dialogues presque naïfs, Lenka HORŇÁKOVÁ-CIVADE relate dans ce premier roman l’histoire d’une lignée de femmes bâtardes en Tchécoslovaquie de 1930 à 1980.

Elles s’appellent Magdalena, Libuse et Eva et partagent le même destin : de mère en fille elles grandissent sans père. Mais de cette malédiction, elles vont faire une distinction. Chacune a sa façon, selon sa personnalité, ses rêves, ses lubies, son parler et l’époque qu’elle traverse. Malgré elles, leur vie est une saga : Magdalena connaîtra l’annexion nazie, Libuse les années camarades et Eva la fin de l’hégémonie soviétique. Sans cesse des imprévus surgissent, des décisions s’imposent, des inconnus s’invitent. À chaque fois, Magdalena, Libuse et Eva défient tête haute l’opinion, s’adaptent et font corps. Au fond, nous disent-elles, rien n’est irrémédiablement tragique, même les plus sombres moments.

Ces héroïnes magnifiques, Lenka HORŇÁKOVÁ-CIVADE les magnifie encore par son écriture solide et douce, brodée, ourlée, chantante. Moqueuse aussi lorsque la kyrielle de personnages secondaires – paysans, apparatchiks, commères… le requiert.

Prix du Renaudot des lycéens 2016 / Prix La ruche des mots 2016
Date de parution : 07/04/2016  / 18 €  / 340 pages / ISBN : 978-2-36279-185-7

Ce qui nous sépare. Anne Collongues

Avec « Ce qui nous sépare » Anne Collongue nous entraine dans cet endroit fermé mais pourtant ouvert à tous les passages, dans un wagon de RER, là où chaque jour des vies se croisent sans jamais se rencontrer.

Anne Collongues imagine des vies dans ce RER qui chaque soir traverse la banlieue parisienne. Des vies qui se croisent et se percutent sans se parler, sans se toucher, alors qu’il leur manquerait juste une étincelle d’humanité pour se rencontrer…

Bien sûr, à la lecture des premières lignes de ce premier roman, j’ai pensé à celui de Pierre Charras Dix-neuf secondes qui décrit ces rencontres, ces instants de vie avec tellement d’acuité et de réalisme que lorsqu’on qu’on l’a lu et qu’on prend le RER pendant des heures chaque jour, on ne regarde plus jamais autour de soi de la même façon.

Dans le wagon, il y a Marie, jeune maman, elle ne supporte plus les pleurs de son bébé, elle aime Gaétan plus que tout mais semble anéantie face à ce quotidien tellement éloigné de ses rêves d’adolescente. Il y a Cigarette, elle n’a pas su saisir sa chance et partir au loin avec celui qu’elle a aimé un jour, il y a si longtemps, depuis elle aide ses parents à tenir le bar PMU, parce qu’elle ne sait pas dire non, parce qu’elle ne rêve pas d’un ailleurs à conquérir. Il y a Cherif, il a su saisir l’occasion et le job qu’on lui a proposé pour se sortir de la cité, celle où pourtant règne une forme de solidarité. Il y a Liad, il arrive d’Israël et rêve d’une autre vie, sans fusils et sans armes. Il y a Alain, lui vient d’arriver à Paris et sort d’un tunnel affectif mais va retrouver celle qui lui redonnera l’espoir. Il y a Franck, il rejoint son pavillon, là, il se sent incompris, mal aimé, isolé.

En fait, dans ce wagon, des solitudes, des espoirs déçus, des attentes se croisent sans jamais se rencontrer, silence, peur de l’autre, de ce qu’on imagine ou qu’il projette mais qu’il n’est pas forcément, et qui nous laisse seul avec nos doutes, nos interrogations, nos solitudes. Des destins se forment, se décident, s’interrompent, face à la ville et au paysage qui défile, au quai tellement vide même quand il est peuplé de voyageurs qui attendent, face à la nuit qui défile à la fenêtre. Et le lecteur de se dire, et si ? Et si quelqu’un avait parlé, si les lèvres s’étaient entrouvertes, si un sourire s’était esquissé, si seulement un regard avait effleuré, si les mots s’étaient échappés, auraient ils suffit pour changer un destin ?

Voilà un premier roman porté par une jolie écriture toute en finesse et en détails, Anne Collongues explore des sentiments, des destins, et dévoile également des décors, des mouvements, montées, descentes, sonneries stridentes, démarrages, et silences, tous très visuels, comme dans un film qui se déroulerait là, sous nos yeux.

 les 68 premieres fois DomiClire


Catalogue éditeur : Actes Sud

Un soir d’hiver, dans un RER qui traverse la capitale et file vers une lointaine banlieue au nord-ouest de Paris. Réunis dans une voiture, sept passagers sont plongés dans leurs rêveries, leurs souvenirs ou leurs préoccupations. Marie s’est jetée dans le train comme on fuit le chagrin ; Alain, qui vient de s’installer à Paris, va retrouver quelqu’un qui lui est cher ; Cigarette est revenue aider ses parents à la caisse du bar-PMU de son enfance ; Chérif rentre dans sa cité après sa journée de travail ; Laura se dirige comme tous les mardis vers une clinique ; Liad arrive d’Israël ; Frank rejoint son pavillon de banlieue. Lire la suite

 Domaine français / Mars, 2016 / 11,5 x 21,7 / 176 pages / ISBN 978-2-330-06054-1 / prix indicatif : 18, 50€

Faits d’hiver, Alice Moine

Dans un immeuble banal, des vies que l’on ne connait pas, derrière la porte, jusqu’au moment où tout  bascule

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Fait d’hivers, c’est comme un recueil de nouvelles, comme des scènes de vies qu’une caméra fixe pourrait enregistrer dans un immeuble d’une grande ville, dans la même cage d’escalier, les jours, les heures avant l’Instant, celui où tout bascule. En le lisant, je voyais déjà des personnages, des morceaux de vie qui se percutent, se rejoignent ou se perdent à jamais, j’ai même senti cette odeur de gaz omniprésente au fil des pages.

Les situations sont décrites en peu de mots et peu de lignes, mais de nombreux sentiments sont néanmoins abordés, peur de l’autre, de celui qui est différent, solidarité, désespoir, envie, bonheur, déprime, lâcheté, solitude, tout ce qui fait la vie. Je côtoyais un médecin, un jeune homme triste, une femme abandonnée, une amie québécoise qui s’improvise baby-sitter. Je suivais tous les autres, ceux qui auraient dû y être et qui sont partis on ne sait pourquoi, hasard, prémonition, chance, pourquoi restons-nous quelque part, ou en partons nous, au bon moment, quel mystère. Il n’y a pas à proprement parler d’intrigue principale, si ce n’est ce magistral fait divers qui ici devient faits d’hiver, qui relie ces vies entre-elles. Et le lecteur va suivre ces voisins chapitre après chapitre, au fil des appartements, 2e droite, 5er droite, jusqu’au au rez-de-chaussée.

Faits d’hiver m’a rappelé un autre court roman que j’ai beaucoup aimé, « dix-neuf secondes » de Pierre Charras. Car tous deux évoquent des vies, avant l’instant où tout change. C’est bien écrit, agréable à lire et on s’y projette aisément, presque comme dans un film. Et si on comprend rapidement ce qui va arriver on a cependant envie de savoir, qui, quand, et comment…Mais pour ça, je ne vous en dis pas plus, à vous de voir.

Catalogue éditeur : Kero

« J’ai pris la main de l’homme dans la mienne. Au loin, je lui ai indiqué du doigt la silhouette de mon immeuble.
“C’est ici que j’habite sans homme ni enfants : un petit rez-de-chaussée séparé du hall par une simple porte-fenêtre d’où je vois déambuler tous les visages de ceux qui habitent au-dessus de ma tête, sans jamais en reconnaître aucun.
— Quelle importance ? m’a-t-il dit en caressant ma main. Tu m’as reconnu, moi ?” »

Quelque part dans la ville, un immeuble se tient droit sur ses fondations. Plus pour longtemps si l’on en juge par la forte odeur de gaz qui s’échappe d’un appartement. Avant que la flamme d’un briquet n’embrase les cinq étages, dix histoires d’hommes et de femmes s’y entrecroisent. Qui sont-ils ? Par quels hasards et coïncidences échapperont-ils à ce rendez-vous fatal ? Alice Moine nous offre un premier roman tout en délicatesse, dessinant grâce à un claquement de porte ou un bruit de talon le microcosme d’un immeuble, avec ses joies et ses peines.

216 pages / Format : 135×215 / 15.90€ / ISBN : 978-2-36658-154-6

Constellation. Adrien Bosc.

Découvrir sous la plume d’Adrien Bosc les dernières heures des passagers du Constellation

Domi_C_Lire_constellation_adrien_bosc_stock.jpgConstellation, le super avion d’Air France décolle d’Orly le 27 octobre 1949 avec trente-sept passagers et onze membres d’équipage, il s’écrase au large des Açores la même nuit. En cette année du centenaire de Piaf, chacun se souviendra qu’à son bord il y avait celui qui devait la rejoindre à New York pendant sa tournée américaine, son grand amour de l’époque, le boxeur Marcel Cerdan.

Cet oiseau chromé est aussi appelé l’avion des stars et ce voyage ne fait pas exception puisqu’à son bord on trouve essentiellement des passagers très connus comme Marcel Cerdan ou la violoniste Ginette Neveu et d’autres beaucoup moins célèbres mais qui appartiennent à cette élite de nantis qui peut se permettre financièrement ce voyage. Il y a aussi quelques passagers d’opportunité tels ces bergers Basques ou cette ouvrière bobineuse de Mulhouse, ces anonymes qui sont du voyage car la traversée leur a été offerte, à eux qui s’envolent pour démarrer une nouvelle vie sur le nouveau continent.

Tout au long de ce roman qui tient d’avantage du récit et de l’enquête journalistique, nous allons découvrir les trajectoires des différents passagers, comment ils se retrouvent sur ce vol, mais aussi découvrir les autres, ceux qui gravitent autour d’eux, ou même ceux qui auraient dû y être et que le hasard a empêché de s’embarquer. Les chapitres alternent rapidement entre la vie de chacun des passagers, donnant ainsi une réalité et une seconde existence à ces hommes et ces femmes oubliés de l’histoire, et la réalité du vol, puis de la catastrophe, de l’enquête qui s’est déroulée à l’époque, des réactions de par le monde, donnant du rythme au roman. J’ai été un peu déstabilisée par la fin, les lignes sur Blaise Cendras me semblent tombées de je ne sais où.

HUDSON
Sur les bords de l’Hudson, dans le comté de Westchester © DCL-DS2015

Ah oui, j’avoue aussi un élan d’affection particulier pour la famille Hennessy qui vivait dans le comté de Westchester dans l’état de New York, puisque je viens d’y passer quelques jours, j’imagine parfaitement Simone Hennessy à Dobbs ferry et les bords de l’Hudson River.

WESTCHESTER

J’avais lu beaucoup de commentaires sur ce livre présent en 2014 dans de nombreuses sélections de prix littéraires et au final j’ai bien aimé, même si je l’imaginais et l’aurais souhaité un peu plus romancé. Pourtant il me semble que sous sa plume implacable et fluide, Adrien Bosc a trouvé un juste équilibre entre ce qui peut être imaginé, le résultat de ses enquêtes, de son travail de recherche, et les hasards, les rencontres, les dates qui se retrouvent et se rejoignent, coïncidences certainement dues à la volonté de l’observateur qui analyse le passé, mais qu’il est toujours intéressant de rapprocher. Et l’auteur pose quelques questions au passage : le destin, le hasard, les circonstances qui font que vous  êtes là où vous devriez être, pour le meilleur ou pour le pire parfois, comme si dans les constellations était écrit une part de notre destin, de notre histoire.

💙💙💙💙

Lire aussi mon avis sur le roman d’Adrien Bosc Capitaine


Catalogue éditeur : Stock

Le 27 octobre 1949, le nouvel avion d’Air France, le Constellation, lancé par l’extravagant M. Howard Hughes, accueille trente-sept passagers. Le 28 octobre, l’avion ne répond plus à la tour de contrôle. Il a disparu en descendant sur l’île Santa Maria, dans l’archipel des Açores. Aucun survivant. La question que pose Adrien Bosc dans cet ambitieux premier roman n’est pas tant comment, mais pourquoi ? Quel est l’enchaînement d’infimes causalités qui, mises bout à bout, ont précipité l’avion vers le mont Redondo ? Quel est le hasard objectif, notion chère aux surréalistes, qui rend « nécessaire » ce tombeau d’acier ? Et qui sont les passagers ? Si l’on connaît Marcel Cerdan, l’amant boxeur d’Édith Piaf, si l’on se souvient de cette musicienne prodige que fut Ginette Neveu, dont une partie du violon sera retrouvée des années après, l’auteur lie les destins entre eux. « Entendre les morts, écrire leur légende minuscule et offrir à quarante-huit hommes et femmes, comme autant de constellations, vie et récit. »
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La Bleue / Parution : 20/08/2014 / 198 pages /Format : 135 x 215 mm / EAN : 9782234077317 / Prix: 18.00 €