Le roman noir des violences intrafamiliales et de leurs répercutions sur la vie d’adulte

Vivre son enfance sous le joug d’un tyran domestique violent, cela laisse des traces. C’est ce qui est arrivé à Jeanne, la petite dernière d’un famille vivant dans le canton du Valais. Sa mère a enduré les coups, les insultes, d’un époux tyrannique sans jamais chercher à fuir.
Sa sœur aînée a tout subi elle aussi, mais si elle était Sa préférée, nul ne saura vraiment ce qu’elle a vécu, si ce n’est les quelques révélations faites à sa jeune sœur, puis sa disparition, inacceptable pour les femmes de la famille qui s’interrogeront sans fin, incapables de trouver la moindre réponse à leurs questionnements.
Jeanne enfant subit les violences du père, sa brutalité quasi quotidienne envers ses filles et son épouse, qui lui laissent à jamais un goût amer et provoque en elle une antipathie physique envers les hommes. Et qui dit accepter ces violences dans l’intimité du foyer implique souvent une forme de soumission aux autres maltraitances. Celles des garçons du village, de la cour de récréation, petite fille perdue, moquée, frappée, mais toujours en mal d’amour, de signe de sympathie, d’amitié.
Alors Jeanne grandit, quitte le foyer familial, celui de tous les malheurs, de toutes les questions, pour vivre à Lausanne. Elle reviendra très peu dans son Valais natal, seulement pour y retrouver sa mère, son seul refuge. Trouvera une forme de stabilité dans l’amour, la douceur, la compréhension des femmes qui lui ressemblent parfois si peu mais qui l’attirent. Mais toujours reste en elle la douleur initiale, celle de ces violences à la fois physiques et morales qui détruisent les vies à jamais. Car il ne suffit pas de partir pour oublier, difficile de trouver une forme de résilience dans l’oubli et le silence de ce qui a été. Bien sûr, l’apaisement et la douceur sont là, mais les traumatismes du passé aussi, tapis, prêts à ressurgir au moindre moment de faiblesse.
Roman souvent glacial et perturbant lorsqu’il évoque le foyer, cette violence intrafamiliale et les silences, les mots et les gestes du père, ses colères et ses coups, tous les traumatismes de l’enfance. Émouvant aussi, puissant lorsque l’autrice évoque de deuil, l’enfance, les douleurs et les coups. Le silence des voisins, celui du médecin, sont autant de coups portés aux femmes victimes de violences. Et pourtant, j’ai trouvé difficile d’entrer en communion avec Jeanne, de la plaindre ou de la comprendre tant son personnage m’a paru froid, elle en qui la violence du père à fait sourdre une autre forme de violence, celle qui lui est indispensable pour tenir, se défendre, continuer à vivre et à exister. Une fin ouverte qui laisse tout envisager, mais surtout le pire.
Ce roman est lu par Lola Naymark. Sa voix est à la fois douce et forte, hésitante et décidée. A l’image de Jeanne qui se cherche et reste si fortement en colère tant la douleur et les blessures de l’enfance sont prégnantes, toujours vivantes en elle. Si j’ai aimé cette écoute et la voix de la lectrice, la violence qui est en filigrane du roman et qui explose à chaque chapitre le rend parfois difficile à écouter, trop d’émotion, de douleur, de doute. Et pourtant, j’avais l’impression d’être une oreille attentive aux confidences de Jeanne, d’être à ses côtés, mais incapable de l’aider ou de la sauver des réminiscences destructrices de ces violences subies.
Roman lu dans le cadre de ma participation au Jury Audiolib 2023
Catalogue éditeur : Sabine Wespieser, Audiolib
Lu par Lola Naymark
Dans ce village haut perché des montagnes valaisannes, tout se sait, et personne ne dit rien. Jeanne, la narratrice, apprend tôt à esquiver la brutalité perverse de son père. Un jour, pour une réponse péremptoire prononcée avec l’assurance de ses huit ans, il la tabasse. Convaincue que le médecin du village, appelé à son chevet, va mettre fin au cauchemar, elle est sidérée par son silence.
Dès lors, la haine de son père et le dégoût face à tant de lâcheté vont servir de viatique à Jeanne. À l’École normale d’instituteurs de Sion, puis à Lausanne, la jeune femme, que le moindre bruit fait toujours sursauter, trouve enfin une forme d’apaisement. Le plaisir de nager dans le lac Léman est le seul qu’elle s’accorde.
Habitée par sa rage d’oublier et de vivre, elle se laisse pourtant approcher par un cercle d’êtres bienveillants que sa sauvagerie n’effraie pas, s’essayant même à une vie amoureuse.
Née en 1971, Sarah Jollien-Fardel a grandi dans un village du district d’Hérens, en Valais. Elle a vécu plusieurs années à Lausanne, avant de se réinstaller dans son canton d’origine avec son mari et ses deux fils. Devenue journaliste à plus de trente ans, elle a écrit pour bon nombre de titres. Les lieux qu’elle connaît et chérit sont les points cardinaux de son premier roman.
Sabine Wespieser : Parution : Août 2022 / 20 € / 208 p. / ISBN : 978-2-84805-456-8
Lauréat du Prix du Roman FNAC 2022
Audiolib : Parution : 18/01/2023 / Durée : 4h37 / EAN 9791035412418 Prix du format cd 22,50 € / EAN numérique 9791035412623 Prix du format numérique 20,45 €