« La plupart du temps, je savais tout d’elle, de ce qu’elle pensait, ressentait…Et à d’autres moments, elle m’échappait »


J’ai aimé découvrir La belle est la bête, ce conte cruel et humain, avec cette héroïne attachante et courageuse qui vit au pays des monstres au visage d’homme et des princesses au visage de bête. Floriane Joseph nous parle d’aujourd’hui avec les accents d’un conte des mille et une nuit. Lorsque j’ai rencontré Floriane à la remise du Prix de la Vocation, prix pour lequel elle avait été sélectionnée, j’ai eu envie de lui poser quelques questions, et quelle chance, Floriane a accepté d’y répondre.
– Vous avez écrit ce roman très singulier « la belle est la bête ». Pourquoi avoir choisi d’écrire un conte ? Et d’ailleurs était-ce réellement un choix au départ ou cela s’est il imposé à vous à mesure de l’écriture ?
Le genre du conte s’est imposé à moi avant même que je commence à écrire. J’avais tout d’abord l’idée d’écrire un roman dont l’héroïne serait une femme défigurée à l’acide. Mais je ne savais pas comment parler de ce sujet très dur sans que le roman lui-même devienne trop sombre, voire glauque. Et soudain, j’ai regardé les affiches de cinéma au-dessus de mon lit, dont celle du nouveau film « La Belle et la Bête », avec Emma Watson, et tout s’est mis en place dans ma tête : il fallait en faire un conte !
– Vous avez pris la parti de nous faire vivre ce qui arrive dans la tête de la princesse, celle qui avait tout et qui, pour une femme en particulier, perd tout, était-ce compliqué de se mettre à sa place ?
Oui et non, c’est une question très intéressante. Je n’ai pas vraiment l’impression d’avoir choisi de raconter ce qu’il se passait dans la tête de Leïla, c’est comme cela que les choses se sont faites pendant que j’écrivais. J’avais l’impression de suivre Leïla partout en permanence, comme un fantôme. La plupart du temps, je savais tout d’elle, de ce qu’elle pensait, ressentait… Et à d’autres moments, elle m’échappait. Plusieurs fois, notamment lors des scènes de bal, j’avais l’impression qu’elle me regardait et me mettait au défi : je devenais alors une toute petite chose qui suivait éperdument cette princesse sans pouvoir jamais la figer, la toucher, tout comprendre d’elle.
– La beauté n’est pas la seule qualité d’une femme, est-ce un message ? Regarder au delà de l’apparence ?
Je n’ai pas vraiment voulu faire passer de message même si celui-ci est très important bien sûr. J’ai plutôt l’impression que l’écriture s’est construite au-delà. La beauté n’est pas la seule qualité d’une femme, et pourtant elle est sur valorisée par nos sociétés, a tel point que la valeur des femmes ne dépend que de leur beauté. A partir de ce constat révoltant, il s’agissait de se demander quelles étaient les conséquences pour une femme défigurée. Plutôt qu’une volonté de faire passer un message, c’était une quête pour comprendre les implications : j’avais l’impression de tirer un fil depuis une pelote de laine et d’observer le processus.
– Votre héroïne se cache derrière des masques pour arriver à ressortir dans le monde. Même si dans sa famille elle est toujours appréciée, le pas doit être difficile d’affronter l’extérieur quand tout à changé. Je pense à toute sorte de handicap et à notre regard sur les gens que l’on considère comme différents, est-ce aussi un message que vous avez voulu envoyer ? Loin de la seule beauté ou apparence, voir et accepter la différence ?
J’ai beaucoup aimé explorer le regard des autres, la façon dont on se construit par rapport à ce regard, dont on peut en jouer (les parties sur les photos et la presse n’étaient pas prévues mais se sont insérées dans l’écriture). Et bien sûr, cela peut s’appliquer à toute forme de handicap ou de différence. C’est d’ailleurs une remarque que j’ai entendu plusieurs fois de la part de lecteurs, et je suis très heureuse qu’il puisse y avoir différentes interprétations.
– On aurait pu penser que le roman allait plutôt parler de l’aspect terrorisme, enquête, répression, il est à peine évoqué, qu’est-ce qui a prévalu à ce choix ?
Je n’étais pas du tout intéressée par le système judiciaire ou par la répression dans ce roman, ce n’est pas cette histoire-là que j’avais envie de raconter. D’ailleurs, j’ai dû me forcer un peu pour écrire le peu de scènes qui concernent le procès, car elles étaient nécessaires à l’histoire. La question du terrorisme m’intéressait mais uniquement d’un point de vue humain : qu’est-ce que cet attentat fait à Leïla, au sultan, au peuple ? Comment aborde-t-on la montée de ces idées terroristes, en tant qu’être humain mais aussi en tant que personnalité politique ? Quels sont les arrangements que l’on prend avec sa conscience ? Etc
– Comment vous est venue l’idée de ce roman ?
J’ai lu un article sur les femmes défigurées à l’acide en Inde et, étant passionnée depuis un moment par la question du visage, j’ai eu envie de raconter l’histoire d’une femme défigurée volontairement.
– Avez vous déjà un autre en tête, ou en cours d’écriture ?
Je suis en train de corriger le prochain roman, qui sera très différent, et j’ai beaucoup d’idées pour les prochains. Je continue également d’écrire des poèmes.
– Depuis quand avez vous envie d’écrire ? Est-ce quelque chose que vous avez toujours eu en vous ?
Mes premiers souvenirs d’écriture remontent à mes 10 ou 11 ans et depuis cet âge-là, je crois que j’ai toujours voulu devenir écrivaine.
– Qu’avez vous pensé quand votre roman a fait partie de sélection du prix de la Vocation ?
C’était merveilleux ! Le Prix de la Vocation évoque pour moi Amélie Nothomb, Line Papin qui l’a obtenu pour son premier roman « L’éveil » et d’autres merveilleux écrivains. J’avais l’impression d’être invitée à marcher dans leurs pas, qu’on me donnait l’autorisation d’être pleinement écrivaine.
– Quelle lectrice êtes vous ? Quel roman récent avez vous envie de nous conseiller pour nos prochaines lectures ?
J’adore lire bien sûr ! C’est parfois un peu compliqué de tout concilier avec un « vrai » travail et l’écriture en plus, mais j’essaye de lire le plus possible. J’ai récemment adoré le roman en vers libres de Clémentine Beauvais, « Décomposée » qui donne la parole à la charogne de Baudelaire.
Merci Floriane de nous avoir permis de vous connaître un peu mieux et d’avoir pris le temps de répondre à mes questions.
Amis lecteurs, n’hésitez pas à découvrir le roman La belle est la bête.