Pas la guerre, Sandrine Roudeix

Vivre à deux, ou se faire la guerre

Assia et Franck s’aiment. Ils vivent ensemble, mais l’amour n’est pas tout et au fil des jours, la cohabitation s’avère parfois difficile. Assia, est fille d’immigrés marocains, elle a toujours eu besoin d’affirmer sa place, son rôle, et certaines remarques la laissent à fleur de peau. Franck vient d’une famille dans laquelle on ne se parle pas. Difficile alors d’imaginer un dialogue fluide entre ces deux-là. Et ce soir, après une phrase malheureuse d’Assia, la dispute est bien au-delà d’un échange tendu, ils sont arrivés au bord de la rupture.

Dans une unité de temps et de lieu, cette soirée devient un mouvement de bataille, une montée en puissance du conflit avant la guerre aussi dévastatrice que définitive. Le repli d’abord, l’approche ensuite, puis l’assaut avant l’attaque.

L’autrice fait de cette soirée un moment de bascule avant l’explosion. Mais sauront-ils s’arrêter à temps ? Car la relation de couple, comme la relation amoureuse en général, n’est jamais un long fleuve tranquille. Fatigue, frustration, paroles malheureuses, cadre de référence dans lequel chacun a évolué, colère, désir, peur, envie, doute, sont autant d’éléments qui peuvent faire basculer un moment délicat en guerre ouverte.

J’ai trouvé la thématique intéressante, en particulier l’exploration et la finesse dans l’appréhension des sentiments et des tourments au plus intime. J’ai aimé l’écriture singulière, tout comme l’idée du roman. Pourtant je n’ai pas vraiment réussi à ressentir des émotions au contact d’Assia et Franck. Comme si l’intensité de leur combat les avait tenu trop loin de moi, à l’écart du monde dans leur bulle de rancœur et de violence, de certitude et d’individualisme. Mais peut-être est-ce commun à une certaine jeunesse d’aujourd’hui, individualiste et qui rêve de liberté avant de penser à vivre en couple. Pourtant ce n’est pas seulement parce qu’on s’aime que la vie à deux est facile, c’est un long chemin et un véritable travail sur soi qu’il faut faire chaque jour.

Catalogue éditeur : Le Passage

C’est l’histoire d’une fille qui se croit émancipée. C’est l’histoire d’un garçon qui se croit libre. Assia a 24 ans et est née en France de parents marocains. Franck a 25 ans et a grandi à Paris auprès d’un père militaire. Entre les deux, la possibilité d’un amour. Un emménagement. Le mélange des corps et des territoires. Mais un soir, l’entente se rompt. Comme du barbelé, des paroles les séparent. Comment aimer l’autre quand on traîne sa culture et sa famille avec soi comme autant d’ombres cachées sous le matelas ?

Sandrine Roudeix est romancière, scénariste et photographe. Elle est notamment, l’auteure des romans Attendre (Flammarion, J’ai lu) et Les Petites Mères (Flammarion), salués par la critique. Elle a également publié Diane dans le miroir, un texte consacré à la photographe américaine Diane Airbus (Mercure de France). Avec Pas la guerre, son cinquième roman, elle poursuit sa quête de l’intime et creuse de son écriture sensible et à fleur de peau les questions d’identité, d’émancipation féminine et de transmission familiale.

ISBN : 978-2-84742-477-5 / Date de publication : 6/01/2022 / pages : 160 / Prix : 18 €

Le poison du doute, Julien Messemackers

Connaissons nous vraiment ceux qui vivent à nos côtés ?

Margaux vit heureuse et paisible en baie de Somme, auprès de son époux Philippe Novak et de leur fils Romain. Elle a monté son cabinet d’infirmière et s’est associée avec Virginie. Tout le monde la connaît bien et l’apprécie à Saint-Valery. La vie se déroule sans aucune ombre au tableau. Jusqu’au jour où son mari est convoqué à la gendarmerie pour un problème de cambriolage réalisé avec une voiture identique à la sienne.

Il a beau affirmer qu’il est innocent, Judith Balmain, une policière de Versailles est persuadée que ce mari aimant et discret, cet employé sérieux est en fait celui qu’elle traque depuis plus de quinze ans, un homme coupable d’avoir assassiné femme et enfants puis qui a disparu.
Philippe est sûr de lui, même si sa naturalisation et son accident survenus quelques années plus tôt semblent compliquer les choses. Pourtant la police et les gendarmes s’obstinent, et peu à peu le doute distille son poison dans l’esprit de Margaux. Rapidement amis, voisins, relations, prennent parti contre le couple et la vie devient de plus en plus compliquée. Ils doivent affronter la violence et l’animosité des habitants qui leur tournent le dos. Même l’employeur de Philippe, tout comme Virginie et les patients du cabinet, semblent se détourner du couple.

Comment prouver son innocence, comment continuer à croire à cette innocence quand on ne sait rien du passé de celui qui partage votre vie depuis quinze ans. Voilà la question que Margaux se pose peu à peu.
Un thriller au suspense savamment dosé. Les chapitres alternent les voix de Margaux, Judith, mais aussi celles de Marianne et de la famille décimée. Les entendre tour à tour fait monter l’angoisse et les questionnements vont crescendo.
Le roman semble librement inspiré de l’affaire Xavier Dupont de Ligonnès. Mais sans doute aussi de différentes affaires criminelles pour la plupart non résolues dans lesquelles le mari et père disparaît ou se suicide après avoir supprimé toute sa famille. Ce thriller ne manque pas d’interpeller le lecteur par sa puissance, son analyse de la psychologie des différents personnages, par son rythme et par les interrogations et les doutes qu’il provoque en chacun de nous. Connaissons nous vraiment ceux qui vivent à nos côtés ?

Catalogue éditeur : Le Passage

Installée dans sa confortable petite maison en baie de Somme avec son fils et son mari, Margaux Novak connaît le bonheur tranquille de n’importe quelle mère de famille… lorsqu’une policière débarque chez elle pour mettre sa vie à sac.

Depuis plus de quinze ans, celle-ci mène l’enquête sans relâche. Elle cherche un homme qui a assassiné femme et enfants avant de disparaître. Et elle pense l’avoir retrouvé en la personne de Philippe Novak, le mari de Margaux.

Sans ADN, sans preuve tangible de l’innocence ou de la culpabilité de Philippe, c’est parole contre parole entre la flic qui accuse et le mari soupçonné. Et pour Margaux, c’est le début d’une longue descente aux enfers. Très vite, son quotidien se trouve bouleversé. Le voisinage se retourne contre elle et sa famille commence à se faire harceler. La rumeur a décidé de s’inviter dans sa vie pour la détruire à petit feu, et ce sont des pans entiers de son existence qui s’effondrent.

Entre deux cauchemars, lequel est le vrai ?

ISBN : 978-2-84742-449-2 / Paru le : Octobre 2020 / Pages : 360 / 15 x 24 cm / Prix : 19 €

A la rencontre de Jean-Baptiste Maudet

« J’avais envie d’ancrer l’histoire dans une réalité paysagère et géographique forte »

Jean-Baptiste Maudet est géographe. Il enseigne à l’université de Pau.  Matador Yankee, son premier roman qui se situait entre le Mexique et les USA a reçu le prix Orange du Livre en 2019. Son deuxième roman nous entraine du côté de la Sibérie. Des humains sur fond blanc est dans la sélection du Prix Alain Spiess, du prix Amerigo Vespucci, du prix des lecteurs de la ville de Brive, du prix Brise-lames et du prix Hors Concours. 

Le contexte

Des humains sur fond blanc nous plonge dans une réalité géographique qui dévoile différentes strates de l’humanité.

  • C’est un roman court très concentré sur les détails, est-ce une volonté de départ ?

J’aime l’idée que la vraisemblance d’une fiction ne tienne qu’à quelques détails. Un détail en moins, un détail en plus et tout peut s’écrouler, comme lors d’un tour de magie où en attirant l’attention sur quelque chose qui paraît très accessoire, on rend possible la disparition d’un coffre-fort.       

  • J’ai aimé cette couverture aux couleurs vives et tranchées très opposés au blanc et pourtant en symbiose avec le texte. Est-ce voulu ?

Comme pour Matador Yankee, mon précédent roman, la couverture a fait l’objet d’un long travail de réflexion. J’étais d’avis, assez tôt, de ne pas jouer sur la redondance du titre et de la couleur blanche. Je voulais une couverture colorée, dense, lumineuse, difficile à cerner comme l’effet d’une aurore boréale, du soleil dans l’œil, d’un brouillard qui se dissipe, d’un contre-jour éblouissant. C’est un ami graphiste, Damien Martin, qui a eu cette idée de couleurs et de composition. L’éditeur m’a laissé cette liberté, on a fait quelques essais et cet équilibre entre le vert et bleu nous a paru correspondre à l’esprit du roman : le blanc est une couleur qui en appelle d’autres.   

Est-ce votre formation de géographe qui explique ce monde dans lequel vous situez l’intrigue ?

  • La réalité des rennes contaminés, radioactifs,  vient-elle réellement de là ? Existent-ils vraiment ou est-ce un élément romanesque indispensable à l’intrigue ?

J’avais envie d’ancrer l’histoire dans une réalité paysagère et géographique forte, le Grand Nord, la taïga, la toundra, la neige, la rigueur de l’hiver sans que ces éléments ne fassent écran à la réalité géopolitique et sociétale complexe de la Sibérie. Cette énigme des rennes supposément contaminés par la radioactivité condense cette double dimension et interroge les relations entre les humains, les animaux, la nature, l’histoire, la tradition, la technique, le progrès. La question des « rennes radioactifs » est un problème bien réel mais il concerne des troupeaux situés en Scandinavie encore empoisonnés par les retombées de la catastrophe de Tchernobyl qui a pollué durablement les sols et les lichens.      

  • Quel est le contexte écologique et politique tant contemporain qu’historique que vous avez voulu mettre en exergue ?

Le contexte écologique dans lequel s’inscrit l’histoire est celui d’une immense région, la Sibérie, où derrière la force de ses paysages – au demeurant très variés –  et la puissance apparente de la nature se cachent des atteintes profondes de son écosystème. Les enjeux actuels du réchauffement climatique ne font qu’accroitre ces dynamiques. D’un point de vue politique, ce qui me fascine dans cette région, c’est le nombre et l’importance des bouleversements qu’elle a connus au rythme des conquêtes, des invasions, des vagues de russification ou d’incorporation à des desseins territoriaux exogènes. La Sibérie évoque un large imaginaire de la souffrance et du destin tragique des peuples.   

Les parents de Neva, l’une des trois personnages principaux, sont d’anciens éleveurs de rennes en Sibérie totalement acculturés. Mais aujourd’hui les rennes ont été abattus et brulés par le gouvernement, même si on peut penser qu’il existe toujours des risques et que l’on a stocké de l’uranium dans les mines désaffectées. On leur a donc imposé un changement radical de vie.

  • Cette immensité blanche n’est peut-être plus aussi blanche que ça, elle semble salie par la réalité politique et économique. Ces espaces immenses ne sont-ils pas finalement très pollués ? Faut-il creuser pour trouver ce qui est caché sous cette blancheur justement aveuglante au propre comme au figuré ?

C’est exactement ça, le blanc est une couleur très ambivalente – je ne sais même pas, d’ailleurs, si c’est une couleur.  Elle renvoie souvent, dans nos sociétés, à l’idée de pureté, elle est aussi une couleur qui permet d’effacer ou de recommencer quelque chose en donnant un coup de blanc.

  • Neva parle une langue rare, le younets, cette langue existe-t-elle ?

Non, cette langue n’existe pas. C’est une forme de licence ethnographique et littéraire. J’ai inventé les Younets car je me sentais gêné de parler d’un peuple que je n’aurais jamais rencontré. J’ai rassemblé un matériau ethnographique composite plutôt inspiré des Youkagir et j’ai opté pour une sonorité proche de celle des Nenets, davantage connus, pour inventer une ethnie sur laquelle plane le mystère de sa disparition.  C’est aussi une façon pour moi d’interroger le lecteur sur les rapports complexes qui unissent vérité, vraisemblable et fiction. J’aime mélanger ces trois niveaux entremêlés tissant dans le texte littéraire un même motif.  

  • On retrouve le tigre à plusieurs niveaux dans le roman, le père de Tatiana, mais aussi le tigre de Sibérie, est-ce une sorte de fil conducteur, de lien entre les différents personnages et les terres sur lesquelles ils évoluent ?

Ce tigre est en effet protéiforme et me permet de jouer sur différentes significations qu’il peut acquérir pour le lecteur et les personnages. Le tigre est bien sûr un animal emblématique de la Sibérie. Il est une figure paternelle pour Tatiana puisque son père, mystérieusement embarqué un matin par les autorités, lui apparaît en rêve sous la forme d’un tigre blanc. Le tigre est également l’animal que les prisonniers du Goulag se tatouaient pour symboliser qu’ils avaient ciblé les forces de l’ordre lors d’un acte criminel. Le tigre est enfin une référence à Walter Benjamin qui dans ses Thèses sur le concept d’histoire a recourt à l’image du « saut du tigre dans le passé » pour interroger les télescopages des temporalités dans notre rapport à l’histoire, comme si le passé venait nous convoquer dans le présent pour donner forme et signification à certains événements. C’est tout à fait ce type de questionnement que se pose Tatiana au sujet de la disparition de son père et du sens qu’elle donne à l’errance à laquelle elle est confrontée dans le cœur du récit.

  • Camp de travail, mammouths ensevelis dans la glace, on ne dévoile pas l’intrigue, mais vous êtes-vous basé sur une réalité géopolitique contemporaine ?

On pourrait se dire que des « rennes radioactifs » et des mammouths ressurgissant des glaces relèvent de la littérature fantastique. Peut-être d’ailleurs que certaines lectrices et certains lecteurs ont pris ces aspects-là du récit comme une fantaisie invraisemblable ou, tout au moins, ont lu cette histoire avec un pacte de lecture très différent de celui que j’avais en tête. On ne fait pas toujours ce qu’on veut. Il y a bien des mammouths en Sibérie, en particulier en Yakoutie et l’exploitation de l’ivoire fait l’objet d’un commerce croissant notamment avec la Chine. L’interdiction de la commercialisation de l’ivoire d’éléphant et le réchauffement climatique rendant plus fréquent l’affleurement des mammouths ne semble faire qu’accélérer ce processus. Il y a donc tout un bestiaire qui nous fait face, tigres, rennes, mammouths et dont le sort nous renseigne sur ce que nous sommes.  

Et les personnages ?

Neva : Une héroïne de 20 ans, ronde, dans un bled paumé, qui roule en patin à roulette, décrite comme une vénus de Botero, famille issue d’une tribu d’éleveurs de rennes, exilés par le régime soviétique pour travailler dans les mines. Elle aime le patinage de vitesse, la danse et la musique et est très attirée par l’univers artistique, c’est une vraie nature.

  • Cette dérive qui l’entraine vers le nord de la Sibérie va l’emmener à comprendre qui elle est vraiment et ce qu’elle souhaite. Qu’avez-vous voulu nous montrer avec cette jeune fille qui se révèle peu à peu, à la fois au lecteur et à elle-même ?

J’avais envie, avant tout, de parler d’elle, d’une jeune fille qui sort de l’adolescence et qui prend conscience d’elle-même au contact des autres, de celle qu’elle n’est pas, de ce qu’elle pourrait être.  J’avais envie de parler sans exotisme d’une certaine modernité sibérienne ou modernité tout court où chaque adolescent ou adolescente malgré les héritages, les pesanteurs, les déterminismes et les sentiments d’appartenance identitaire peut rêver d’être une personne dont la singularité est absolument irréductible. Je voulais que Neva amalgame des éclats de Russie en apparence fort discordants qu’elle utilise comme ceux d’un kaléidoscope.    

Hannibal, pilote est un ancien militaire à la retraite qui a passé sa vie à attendre la prochaine guerre. Veuf, sa femme décède alcoolique, un fils est un bureaucrate comme on en trouve tant dans le pays. Amoureux de Pouchkine et de son livre Eugène Onéguine par-dessus tout.

  • Il a un côté lourd et potache avec ses blagues, mais il fait rire Neva dont il devient aussi le protecteur. Ce côté potache par contre irrite Tatiana la scientifique, pourtant n’est-ce pas lui qui va être son révélateur ?

Tatiana est une femme qui n’aime pas beaucoup l’humour potache, encore moins misogyne et qui souffre par ailleurs d’être reléguée dans son travail par des hommes incompétents lorsqu’ils n’essaient pas tout simplement d’abuser d’elle comme son patron a essayé de le faire. Hannibal lui semble appartenir à un monde d’un autre temps, une figure masculine lourdingue assez caricaturale. Mais elle se rend compte progressivement, et notamment grâce à Neva plutôt attendrie par sa bonhommie spontanée, qu’Hannibal cache des blessures comparables aux siennes et qu’il est en quête d’une forme de rédemption. A travers ce trio se nouent des relations qui deux à deux n’auraient sans doute pas été possibles.

  • Est-ce un prénom choisi à dessein ? D’une grande portée symbolique il me semble. Pour incarner le paradoxe de la Russie identitaire ?

Oui, Hannibal en apparence est un nom qui n’a rien de russe. Hannibal Abraham est pourtant le nom de l’arrière-grand-père de Pouchkine, esclave noir qui fut racheté par l’empereur Pierre le Grand. A l’heure d’une crispation identitaire grandissante en Russie comme ailleurs, le fait que le grand poète Pouchkine célébré dans tout le pays comme une figure tutélaire soit le descendant d’un esclave noir est une idée qui me réjouit particulièrement. J’aime quand l’histoire nous rappelle le caractère fictif et chaotique des constructions mémorielles.  

Tatiana la scientifique, russe, forte tête, féministe aussi, a vécu totalement happée par la science, formée par le pays en quelque sorte. Elle comprend qu’il y a un loup quelque part quand on l’envoie en Sibérie, qu’on ne la veut plus dans son travail, et du coup elle entame un travail d’introspection. Elle est forte, puissante, parfois ordurière même, mais perdue, seule, face aux hommes et avec ses verres d’alcool.

  • Qu’avez-vous voulu montrer avec Tatiana, qui me semble être le personnage principal ? Quel est son rôle, symbole politique, symbole aussi de cette jeunesse volée à qui on impose des études, un futur ?

On peut en effet considérer que Tatiana est le personnage principal bien qu’elle ne soit pas la narratrice. Son caractère déteint en quelque sorte sur la narration qui utilise le style indirect libre. Si Tatiana devait être un symbole elle serait celui des balbutiements de l’époque post soviétique et du difficile affranchissement des pesanteurs historiques. Son histoire familiale douloureuse en relation avec la période trouble de la fin du communisme la projette dans un entre-deux où son destin lui échappe. Cette aventure lui offre l’opportunité de reprendre en main sa vie en acceptant les paradoxes et les contradictions de cet immense fond blanc que constitue l’histoire et la nature.        

  • Cette quête des rennes n’est-elle pas finalement une quête de sa propre identité, une envie de comprendre la réalité de ses aspirations ?

La quête des rennes, qui sans tout raconter n’est pas celle à laquelle elle s’attendait, lui permet en effet de s’interroger sur ce qui compte pour elle au-delà de son travail et de ses aspirations construites dans un monde d’aliénation. Elle ne trouve pas toutes les réponses mais accepte un autre regard sur le monde et sur elle-même. 

Quel conseil de lecture aimeriez-vous nous donner ?

Merci Jean-Baptiste d’avoir accepté de répondre à mes questions.

Retrouvez aussi mes chroniques des romans Matador Yankee et Des humains sur fond blanc

A la rencontre d’Angélique Villeneuve

« J’écris toujours sur elles. Ces femmes à la lisière »

crédit photo F. Blitz

La belle lumière, le dernier roman d’Angélique Villeneuve vient de paraitre en cette rentrée littéraire, et je l’ai particulièrement aimé, je vous en parle ici.

L‘auteur nous parle d’Helen Keller, cette américaine devenue sourde et aveugle à la suite d’une forte fièvre alors qu’elle n’avait que dix-neuf mois, et de sa mère Kate. Helen est née en 1880, en Alabama.

Le thème et les personnages

  • Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire sur Helen Keller, ou je devrais peut-être dire sur  Kate, sa mère, dont on sait si peu de choses, plutôt que de créer un personnage de fiction ?

Cette histoire, celle d’Helen, se tortille en moi depuis l’âge de huit ans. À l’époque, j’ai vu à la télévision le film d’Arthur Penn, Miracle en Alabama, qui donne un aperçu d’un fameux épisode de sa vie. L’histoire de cette petite fille aveugle et sourde, presque sauvage, qui entre dans la lumière du langage m’avait frappée à l’époque avec une très grande force. J’ai peu de souvenirs d’enfance mais de ça, je me souviens. Ensuite, il a fallu un déclic. Il y a quelques années, alors que je tournais autour du sujet de mon prochain roman, une de mes amies s’est mise à lire devant moi le livre qu’Helen Keller a écrit lorsqu’elle avait une vingtaine d’années. Ça m’a bondi à la figure. J’avais mon sujet. Et bien sûr, j’ai su aussitôt que mon héroïne ne serait pas Helen, sur laquelle beaucoup (mais vraiment beaucoup !) a déjà été dit, mais sur une femme de l’ombre. La mère.

  • Pour écrire un tel roman, j’imagine qu’il faut emmagasiner un grand nombre d’informations, sélectionner, trier, traduire, combien de temps cela vous a-t-il demandé, est-ce quelque chose que vous aviez commencé depuis longtemps ?

Pendant une année entière, j’ai lu les biographies, les livres qu’Helen a écrits, des ouvrages et des articles de l’époque sur des sujets multiples : la culture des roses, l’entretien d’une maison, les recettes de cuisine du sud des États-Unis, la vie des Noirs après la guerre de Sécession. Lors de ces recherches, de cette enquête, devrais-je dire, j’ai trouvé ou déduit des points que je n’ai lus nulle part ailleurs. Je me suis promenée des heures sur google earth, j’ai regardé des vidéos, épluché des recensements, cherché des tombes, reconstitué des arbres généalogiques, dessiné des plans de maison, et collé des petits papiers partout sur mon mur… Et surtout, je me suis plongée, certaines heures avec effroi, dans d’insondables archives numérisées. Ces archives de l’Institution Perkins, d’ailleurs, sont ouvertes à tous, vous pouvez y jeter un œil ! https://www.perkins.org/history/archives/helen-keller-and-anne-sullivan-collections

De mémoire, il me semble que le fonds Helen Keller compte 176 000 pièces et il évolue sans cesse. Il recense des correspondances, des photos, des articles, des bulletins…C’était sans fin. La gageure était de ne pas m’y noyer ! J’ai pris mon temps, notamment parce qu’il fallait tout traduire de l’anglais. Ce temps-là, je crois, m’a été utile pour, peu à peu, habiter la même maison que la famille Keller. On me pose souvent la question, mais je n’ai jamais souhaité me rendre sur place. C’était un sacré budget et puis, pendant deux ans et demi, dès que j’en refermais la porte, mon bureau se trouvait en Alabama.

  • L’idée de nous parler de Kate est forcément novatrice, puisque très peu de choses existent sur elle, à quoi correspondait selon vous cette envie d’écrire sur ce personnage de l’ombre ? Pour lui restituer quelle place ?

J’écris toujours sur elles. Ces femmes à la lisière. Le fait que rien n’ait été écrit sur Kate me la désignait, en quelque sorte. Helen était aveugle et sourde, mais celle qu’on a ni regardée ni entendue dans l’histoire, c’était Kate. Nous nous sommes tendu les bras.

J’ai aimé cette approche des sentiments de Kate à ce sujet, la façon dont vous vous posez la question de savoir comment une mère aurait pu rester de marbre quand une jeune femme vient dompter et lui voler quelque part l’amour de son enfant, et qu’elle comprend qu’elle est peut-être en train de la perdre.

  • Avez-vous trouvé des documents, ou au contraire sommes-nous là justement dans la fiction et le romanesque qui est toute la latitude de l’écrivain ?

Dans les archives et dans les biographies, j’avais assez peu de matière, mais j’en avais, en tout cas bien assez pour raconter les faits et imaginer ce qui se trouvait autour. Si j’en avais su trop, je n’aurais pu qu’écrire une biographie, et ce n’était pas mon objet. Ce qui était dit d’elle était toujours, ou presque toujours, en regard de sa fille. J’ai tâché de déplacer le curseur. Dans les textes, elle n’est que la mère. Je suis allée chercher la femme.

Elle ne reste pas de marbre, c’est certain, Kate, elle lutte, elle freine même des quatre fers au début pour ne pas laisser cette étrangère mettre la main (et la lever, aussi, parfois, cette main) sur sa fille jusqu’alors toute puissante. C’est un nouveau combat qui s’ouvre pour elle, et c’était passionnant de l’y suivre.

Le rôle de Ann Sullivan, institutrice d’Helen Keller

Ann Sullivan est une jeune femme de vingt ans, elle va dresser Helen, lui apprendre  la dactylologie, cet alphabet manuel qui consiste à épeler les mots d’une main à l’autre.

  • Que pensez-vous du travail d’Ann Sullivan et de la place qu’elle a prise ensuite dans la vie d’Helen ?

Ann est une femme assez stupéfiante. Orpheline yankee issue d’une famille très pauvre, elle a vingt ans, ses yeux sont malades, elle n’a aucune expérience et là voilà jetée dans cette famille sudiste à la fois avide de la voir agir et de sauver l’enfant, mais, d’une certaine façon, hostile à tout changement. Et à tout ce qui vient du Nord. Les débuts seront plutôt rudes pour elle. Sa méthode, que je détaille dans le livre, est à la fois basée sur les recherches d’un grand médecin – autour d’un alphabet manuel bien particulier – et d’une justesse d’intuition étonnante, qui lui est propre. Elle est extrêmement moderne, en fait.

J’avoue qu’avant de lire la scène où Helen comprend que les mots ont une signification, où elle s’ouvre enfin aux autres, je ne pensais pas du tout à cette particularité, cet éveil à la conscience de ce qui est en dehors de soi-même. C’est une véritable révélation pour l’enfant sauvage qu’elle était alors.

  • Vous l’avez restitué de façon merveilleuse et terriblement émouvante, avez-vous trouvé des témoignages, travaillé également avec des personnes avec handicap pour cette scène en particulier ?

Non, j’ai simplement lu ce qu’Helen et Ann Sullivan en ont dit. J’avais besoin d’imaginer, à ce stade. Après tout, je ne parlais pas depuis le corps d’Helen, mais de celui de Kate. Qui n’était que témoin. C’est un rôle très intéressant, ça, témoin. Je voulais me tenir dans ce jardin avec elle, ressentir avec elle. Et j’y étais. Elle m’a laissée venir. Regarder. Écouter. Sentir les odeurs. Je suis persuadée que la fiction va fouiller le cœur de la réalité, et en délivre la vérité. Je ne voulais pas écrire le réel – à mon sens, c’est impossible, quel que soit le sujet – mais le vrai. Je me suis demandé ce que ça faisait à la mère de voir sa fille comprendre tout à coup qu’un mot existe, un mot et des milliers. Ces mots vont faire exploser la pensée de l’enfant dans toutes les directions. Ces mots, pour commencer, vont la nommer elle-même. Helen grandit d’un coup, avec une violence et un appétit saisissants. De ce bouleversement de la mère, bien sûr, on ne peut nier l’ambiguïté. La fille est sauvée, mais pas par elle. Qui demeure à la lisière. La force de Kate, selon moi, fut de s’attacher à trouver comment, de son côté, elle allait pouvoir mener sa fille une nouvelle fois à la vie.

Si elle vit dans l’ombre, Helen a trouvé la lumière des mots et du langage grâce à la pugnacité de sa mère ; mais maintenant elle va devoir laisser partir sa fille, moment difficile pour une mère.

  • Est-ce aussi cela que vous vouliez montrer ? Le rôle des parents qui élèvent leurs enfants pour qu’ils partent un jour ? Et ce difficile chemin que doit faire Kate ?

Oui, bien sûr, même si, lorsque j’ai commencé mes recherches et ma réflexion, je n’avais pas idée que ce point serait aussi important. On comprend souvent de quoi parlent nos livres après qu’on les a écrits. Et celui-ci dit l’importance de laisser-partir ceux qu’on aime pour qu’ils puissent vivre comme ils l’entendent. Ou essayent, tout au moins. Pour qu’Helen puisse grandir et accéder à la lumière, Kate doit lui lâcher la main et l’abandonner à une autre. C’est un amour immense qui est là révélé.

De mon côté, j’ai perdu un fils voici quelques années, et ma façon de continuer à l’aimer – et à vivre – est de respecter qu’il ait voulu partir. Sans nous. De l’aimer parti. Et je l’aime parti comme je l’aimais présent. C’est cette souffrance et cet amour qui me lient à l’histoire de Kate, et m’ont donné, peut-être, la légitimité et la force de me glisser en elle pour écrire ce livre.

Vous prenez un grand soin à restituer la situation géopolitique et sociale de l’époque, et de cette ville du sud des états Unis, après tout nous sommes peu de temps après la fin de la guerre de sécession et si les noirs ne sont plus esclaves leur situation ne semble pourtant pas très enviable.

  • Avez-vous trouvé des témoignages sur la vie dans la propriété des Keller ou sur les exactions qui ont sans doute eu lieu à l’époque dans la ville ?

Oui, j’ai réussi à trouver pas mal de choses. Je parle du nombre d’esclaves que possédait le père de Kate, dans l’Arkansas, je parle d’un Noir appelé Jordan qui s’est fait lyncher après avoir été tiré de la prison de la ville par une foule acharnée – il y en a eu tant d’autres !  ça résonne avec la situation d’aujourd’hui, bien sûr – dans la ville de Tuscumbia, où vivait la famille Keller. Tout cela est vrai. Beaucoup, beaucoup de choses sont vraies, dans le livre. Et c’était très important de restituer ce contexte. Autour de la vie de Kate, le monde continue à tourner et il modèle ses perceptions. Le paysage, la situation sociale, sont des corps autour d’elle.

  • On dit souvent que les auteurs s’attachent énormément à leurs personnages, avez-vous eu du mal à laisser partir cette Kate que vous avez en partie imaginée ?

Ça oui, c’est vrai, je m’attache énormément à mes personnages. La photo de Kate est encore punaisée au mur à côté de mon bureau, et bien souvent je la regarde, je lui murmure des choses, et lui caresse le menton (elle n’aime pas ça, mais à force, je crois qu’elle s’habitue). Tous les personnages de mes livres habitent dans mon bureau. Parfois ils prennent le train avec moi lorsque je vais parler d’eux ici ou là en France. Ça commence à faire une jolie petite troupe.

Ils ont ceci de délicieux, les personnages de romans, qu’ils sont des enfants qui, jamais, ne devront partir.

Quel conseil de lecture aimeriez-vous nous donner ?

J’ai essayé, bien modestement, de trouver ma propre langue, une langue de Française, pour parler de l’Amérique de ces années et de ces terres-là. Mais lisez Faulkner, c’est quand même pas mal.

Merci Angélique pour vos réponses.

A la rencontre de Cécilia Castelli

« Le plus important lorsqu’il s’agit d’écrire est… d’être dans le vrai. Il faut viser le cœur »

Cécilia Castelli était à Paris pour le lancement de Frères Soleil aux éditions Le Passage. Elle a accepté de répondre à quelques questions sur l’écriture de ce roman. Un roman d’apprentissage, un roman sur les secrets, passés ou présents, sur la famille et sur la Corse. C’est le deuxième roman de Cécilia Castelli, le premier Mollusque est paru aux éditions Le Serpent à Plumes.

Comment vous est venue l’idée de ce roman ?

En le lisant, je l’ai ressenti comme un roman initiatique où chacun doit faire ses preuves, comme un passage de l’enfance paradisiaque et protégée des secrets des générations antérieures à une adolescence pourtant pas plus facile là qu’ailleurs.

  • Est-ce d’abord l’envie de suivre une famille corse et donc insulaire, pendant dix ans, avec ses secrets et son histoire, mais aussi avec les contraintes dues en particulier au poids des traditions ?

L’idée de ce roman correspond, me semble-t-il, avec mon retour sur l’île après être partie pendant plus de quinze ans sur le continent, pour mes études d’abord, puis pour mon travail. En revenant en Corse avec l’idée de m’y installer définitivement, je me suis rendue compte à quel point l’insularité avait marqué mon enfance.

Comme si j’avais grandi sur une terre protectrice, à part, loin de tout danger, le regard toujours tourné vers la mer, pour goûter à la liberté et vivre intensément un éternel été parmi un peuple fier de ses racines et de son histoire, et prêt à tout pour les défendre. Le sentiment d’appartenir à quelque chose de plus grand que nous est très prégnant ici et chaque habitant de l’île ressent de façon intrinsèque et presque indicible ce privilège.

Pourtant derrière le décor idyllique, il y a le revers de la médaille, le sentiment d’enfermement, l’impossibilité d’échapper à la famille et au poids des traditions. La nostalgie dans laquelle baigne l’île s’accompagne parfois d’une certaine violence ou tout simplement d’une crainte concernant l’avenir.

C’est un combat perpétuel entre le passé, ce que défendaient nos aïeuls et une volonté de s’ouvrir à un monde et à un futur différent. Se pose alors souvent la question de rester ou de partir. Surtout lorsqu’on est à l’aube de sa jeune vie d’adulte. Tout quitter pour s’affranchir, est-ce une liberté ou une trahison ? Il me semble que c’est le dilemme que vivent de nombreux jeunes. Même si pour certains, la réponse est évidente.

  • J’ai l’impression que les jeunes garçons sont assez représentatifs des enfants de leur âge, où qu’ils soient. Mais pour ce qui est de la famille, est-elle également représentative des familles corses encore aujourd’hui ?

Au-delà du caractère insulaire, les thèmes traités dans Frères Soleil ont effectivement une portée bien plus universelle et l’histoire de Rémi, Baptiste et Christophe peut être l’histoire de n’importe quel enfant, fille ou garçon, quels que soient l’époque et le lieu où il a grandi. C’est avant tout un récit d’apprentissage où chacun se confronte au regard de l’autre, que ce soit le regard des plus jeunes ou celui des adultes, et c’est à travers les jeux et les expériences vécues que les personnages se construisent avant d’être en capacité de faire leurs propres choix. Il est vrai que la famille joue un rôle primordial dans la mesure où les proches vont être les premières personnes à porter un jugement, ce qui peut être problématique. C’est ce que l’on voit avec Rémi, considéré par les siens comme le petit dernier de la famille, celui que l’on doit protéger et qui doit prendre exemple sur les autres. Il aura vraiment du mal à se départir de ce rôle de suiveur, et c’est ce qui le conduira jusqu’au drame.

D’abord discrète et faite de petites touches posées çà et là, la tension va crescendo…

  • Il y a ce grand-père qui disparait tragiquement, mais qui n’est mentionné que par intermittence. Est-ce une volonté de montrer qu’il y a dans chaque famille des secrets qu’il vaut mieux taire et leur poids sur les différentes générations ? Les enfants grandissent avec ces secrets, mais ne risquent-ils pas de reproduire à leur tour le passé ?

J’ai découvert il y a quelques années à travers des témoignages et des reportages la psychogénéalogie et c’est trouvé cela réellement passionnant. Se demander à quel point il existerait un inconscient familial qui se transmettrait de génération en génération à travers les silences et les blessures cachées de chacun.

Que nous lègueraient nos parents, nos grands-parents de leurs traumatisme passés ? Souvent, c’est dans le but de protéger l’enfant qu’apparaissent les secrets de famille. On préfère ne rien dire. Faire semblant. Faire croire que tout va bien. Mais c’est un héritage lourd à porter.

Comme une sensation que quelque chose de terrible se dissimule en soi, se développe à l’intérieur des familles, prêt à bondir pour tout détruire. Et qui, de toute manière, finira par surgir jour ou l’autre.

Comme une sorte de fatum, tel exprimé dans les tragédies grecques étudiées en classe, on sait que personne ne peut y échapper malgré toutes les précautions prises, malgré une volonté puissante d’échapper au destin.

Les parents des trois jeunes cousins ont beau les préserver de tout, taire les douleurs sous la chaleur de l’île, en été, sous le soleil réparateur, lorsque l’hiver arrive, la nouvelle génération prend le relai et subit à son tour le coup du sort. Ils reproduisent les mêmes erreurs que leurs parents.

  • J’ai aimé voir la façon dont grandissent ces trois jeunes, élevés par des mères proches, ils vont avoir des destins différents. Était-ce facile de se mettre dans la peau de vos différents personnages, tour à tour ces jeunes garçons qui évoluent avec les années, puis leurs mères, et enfin cette vieille tante qui évoque si bien la Corse traditionnelle immuable ?

C’est là tout le rôle de la littérature et surtout du travail de l’écrivain. Pouvoir retranscrire les destins, les sentiments multiples et infinis de tout un chacun sans se cantonner, ce qui serait dommage, à ce que l’on est et vit personnellement. Et c’est un réel plaisir lorsque l’on reçoit des témoignages affirmant que cela est réussi et fait avec justesse.

Le plus important lorsqu’il s’agit d’écrire est, je pense, de ressentir l’émotion vive au moment où l’on pose les mots, d’être dans le vrai, sans tomber dans le cliché ou le stéréotype du personnage qui serait soit totalement bon, soit totalement mauvais. Tout est une question de nuances. Il faut viser le cœur. C’est ainsi que l’écriture se libère et peut parler à chacun, de n’importe qui et de n’importe quelle époque. De n’importe quel garçon, de n’importe quelle mère, de n’importe quelle tante à moitié sorcière ou pas.

Les grandes thématiques comme l’attachement aux traditions, le nationalisme, l’omerta, sont présentes mais esquissées.

  • Est-ce une volonté de proposer une fiction romanesque plutôt qu’un roman étayé par des faits réels et si oui, pourquoi ?
  • Présente aussi, la peur de l’autre, celui qu’on ne connait pas, l’étranger, comme un mal profond qui atteint l’ile. On est dans les années 60 à 90, mais une fois encore est-ce toujours d’actualité, avez-vous voulu montrer l’absurdité de cette peur ?

Avant d’entamer l’écriture de Frères Soleil, je me suis posée la question de me documenter de façon approfondie sur l’histoire de la Corse, sur la présence du nationalisme sur l’île et de me baser principalement sur des faits réels. Mais en lisant des ouvrages à ce propos, il me semble que d’autres en parlaient bien mieux que moi, sous des formes beaucoup plus adaptées qu’un roman. Très vite, je me suis aperçue que ce n’était pas ce que je voulais faire ni là où je voulais aller. Ainsi les personnages se sont imposés d’eux-mêmes avec leurs propres histoires à raconter.

C’est eux qui ont pris toute la place même si, bien sûr, on retrouve des références à des faits divers, à tout ce contexte historique et sociétal dans lequel ils ont pu évoluer à cette époque.

C’est aussi ce qui forge une identité. Bien au-delà des jeux d’enfants qui s’amusent à se faire peur en parlant des meurtres de Tommy Recco ou des nuits bleues. Quant à la peur de l’autre, de l’étranger, le problème est malheureusement, je crois, toujours d’actualité et n’est pas forcément inhérent à l’île. C’est un problème universel. Même si les mentalités changent… mais il est tout de même incroyable de voir qu’en 2020, il faille encore des mouvements tels que #blacklivesmatter pour dire aux gens de ne pas avoir peur les uns des autres. Le combat n’est pas encore gagné.

J’ai beaucoup aimé ce livre qui m’a donné envie de revenir sur cette ile de beauté qui porte si bien son nom. A votre tour de le découvrir.

Quel conseil de lecture aimeriez-vous nous donner ?

Pour reprendre les mots de Samuel Beckett, je dirais qu’il faut découvrir ou redécouvrir Emmanuel Bove : « il a comme personne le sens du détail touchant ». Un titre ? Mes amis.

Concernant la rentrée littéraire, le livre de Laurent Petitmangin, Ce qu’il faut de nuit, dont on parle beaucoup m’attend sur ma table de chevet. D’autres me font également très envie. Sinon, je suis réellement admiratrice de l’écriture de Laurent Gaudé. Je conseillerais tous ses livres. De la poésie et de l’émotion pure à chaque phrase.

Merci Cécilia d’avoir accepté de répondre à mes questions.

Retrouvez ma chronique de Frères soleil et celle de Ghislaine du blog Le domaine de Squirelito

Frères soleil, Cécilia Castelli

Un roman d’apprentissage dans lequel la Corse tient la première place


Dans les années 60, en Corse, trois jeunes garçons jouent au bord de la mer. Deux frères, Christophe et Baptiste et leur cousin Rémi. Les frères habitent au village, avec leur mère Gabrielle. Rémi quant à lui est né à Marseille mais il vient toujours passer ses vacances sur l’île avec Martine, sa mère, heureuse de retrouver le village et la famille le temps d’un été. Elle l’a quitté à 19 ans à peine pour chercher fortune ailleurs, pour chercher une forme de liberté aussi sans doute. Contre l’avis de son père mais avec l’assentiment de sa mère, elle a trouvé un travail et un mari, marin, parti longtemps, souvent, l’homme de sa vie.

Nous suivons les trois cousins et leurs familles pendant une dizaine d’années. Ces jeunes qui pour certains ne souhaitent jamais au grand jamais quitter l’île, se contentant d’y exercer le boulot qu’ils y trouveront. Ou cet autre qui rêve de devenir médecin, de faire des études à Marseille, d’éprouver enfin la liberté des années d’université.
Ces jeunes femmes enfin qui brisent les tabous et l’ordre établi qui veut que les filles restent au pays, et s’en vont sur le continent chercher un travail et un mari. Certaines pour toujours, d’autres reviendront, plus tard.

Dans la famille, il y a comme partout des singularités, des secrets, des non-dits, le grand père assassiné dont on ne doit pas parler, la fille partie sur le continent dont on dit qu’elle porte le diable, et tant d’autres bien sûr, inavouables et tus par tout le village, la communauté.
Un roman sur la famille, l’apprentissage de la vie, l’enfance et l’adolescence. Sur la famille et sur l’émancipation des femmes pas toujours évidente quand les traditions et la famille sont omniprésentes. Un roman aussi sur la peur de l’autre, l’étranger, celui qui est différent, que l’on rejette sans chercher à la connaitre, à le comprendre. Un roman sur les choix et les non-choix de certaines de nos actions, et sur leurs conséquences. L’auteur aborde aussi la spécificité du nationalisme et le poids de l’omerta omniprésente dans chaque famille, à chaque génération.
Enfin, un roman sur la Corse, personnage à part entière avec sa singularité ilienne, ses nationalistes, ses traditions et ses sorcières jetant des mauvais sorts ou déjouant le malin, ses paysages magnifiques et odorants, enfin, ses familles viscéralement attachées à leur île.

Une écriture tout en finesse, précise, avec des descriptions très visuelles et des personnages qui sont comme ces dentelles si fines et complexes que l’on se plaît tant à admirer, ciselés, polis, et terriblement attachants.

Un roman dans lequel on s’immerge immédiatement, on découvre pas à pas ces jeunes et leur famille, un récit fait de retour arrière qui ne perd jamais le lecteur et qui au contraire ancre chacun dans sa réalité, son environnement, pour une meilleure fluidité de l’ensemble. Il s’en dégage beaucoup de douceur et de beauté, tant des paysages que des hommes et de leurs sentiments, mais toujours en dessous une violence intense, dévastatrice, étouffée.
Une jolie découverte qui nous entraîne avec bonheur sur cette île de beauté que comme tout bon touriste qui se respecte nous aimons tant.

Catalogue éditeur : éditions Le Passage

Chaque été sur l’île, les deux frères retrouvent leur jeune cousin venu du continent. Ensemble, les enfants pêchent, jouent, chahutent. Rémi, le plus jeune des trois, est en admiration devant les deux grands. Il aimerait leur ressembler mais il n’est pas vraiment comme eux, il ne vit pas ici. De leur côté, les adultes profitent de l’insouciance de l’été. Sur le terrain familial, au bord de la mer, l’existence est plus douce. Au soleil, ils souhaitent effacer les anciennes cicatrices, celles dont on ne parle jamais, le meurtre du grand-père et l’enfant qui devait naître.
Leur histoire se mêle à celle des ancêtres. Dans la maison au figuier, figure tutélaire, il y a la vieille tante Maria. Signadora mystique, sorcière, guérisseuse qui perpétue les traditions immémoriales. Les enfants la redoutent, s’interrogent sur cette femme silencieuse et toujours en noir. Puis ils grandissent et pensent à d’autres jeux, aux feux de camp sur la plage avec les filles notamment.
Mais quand vient la fin de l’adolescence, que certains choix s’imposent même s’il semble impossible de quitter l’île, un nouveau drame se produit. Meurtre ou accident ? Comme leurs parents avaient autrefois dissimulé les blessures, la nouvelle génération se retrouve à son tour confrontée à l’indicible.

Cécilia Castelli est née et vit à Ajaccio. Avec Frères Soleil, elle nous livre un roman intense sur la force vénéneuse des secrets. Un roman d’enfance et d’égarement. Entre mer et montagne. Entre sublime et violence.

ISBN: 978-2-84742-445-4 / Date de publication: Août 2020 / Nombre de pages: 280 / Dimensions du livre: 14 × 20,5 cm / Prix public: 18 €

La belle lumière, Angélique Villeneuve

Le magnifique parcours d’une mère pour sauver sa fille, un roman inoubliable

L’auteur porte un regard émouvant et réaliste sur la vie de Kate Keller, la mère passionnée et attentive d’Helen, cette enfant sauvage et folle, sourde muette et aveugle que tous lui conseillent de placer à l’asile.

Cette enfant c’est Helen Keller, devenue la première femme handicapée à réussir un diplôme universitaire, auteure prolifique, elle crée une fondation pour personnes handicapées et milite au sein de mouvements socialistes, féministes et pacifistes, elle voyage dans le monde entier pour défendre les personnes handicapées.

En Alabama en 1880, Kate a quitté ses parents pour suivre Arthur, ce veuf de vingt ans son ainé. Mais la vie n’est pas facile pour cette jeune femme qui sait bien qu’elle ne prendra jamais la place de la première épouse trop tôt disparue. La naissance de son premier enfant est vécue comme une fête. Helen est un bébé comme les autres, aimée de ses parents, élevée dans cette grande maison au bord de la rivière. Jusqu’à ces journées de fièvre qui  laissent la mère et la fille exsangues et changent à jamais le cours de leurs vies. Helen a dix-neuf mois.

Vont suivre des années de recherche tous azimuts pour cette mère aussi obstinée que pugnace, médecins, oculistes, médecines alternative, eaux miraculeuses ou plantes qui guérissent, tout y passe, rien n’y fait. L’enfant grandit, sauvage, exigeante, indocile.

La relation quasi-charnelle et si forte qu’elle a avec sa fille lui dit qu’elle peut faire quelque chose pour elle. Alors Kate s’obstine, laisse Helen vivre, toucher, crier, mordre, blesser, fuir. Kate cherche et trouve enfin une école pour malentendants et aveugles, l’école Perkins à Boston et convainc son époux de faire venir Ann Sullivan, une jeune femme qui prend en charge l’éducation d’Helen. Plus qu’éduquer, il lui faudra dompter la jeune Helen, et soumettre à rude épreuve ces parents aimants qui ne comprennent pas forcément la difficulté et l’exigence de cette éducation.

Le difficile parcours de cette mère qui aime sa fille et se bat contre tous pour lui donner une vie « normale » est magnifiquement dépeint par les mots, la force et la douceur de l’écriture de l’auteur. Une écriture qui touche le lecteur au cœur et à l’âme. Bien sûr, comme elle le dit, peu de documents existent sur la réalité de la vie de Kate, mais Angélique Villeneuve la fait vivre sous nos yeux avec intelligence et sincérité, c’est particulièrement réussi et terriblement émouvant

La beauté, la complexité, la dualité des sentiments de cette mère, les difficultés qu’elle doit affronter, l’isolation face à une société qui n’est pas prête à accepter ces enfants si différents. Mais aussi la complexité de cette Amérique qui sort de la guerre de sécession, les conflits latents entre le nord et le sud, malgré la fin de l’esclavage une réalité qui veut que ces hommes et ces femmes qui ne sont plus esclaves n’ont pas pour autant leur place dans la société, sont également traduits avec finesse. Tout y est. C’est émouvant, beau, triste et magnifique à la fois.

Retrouvez aussi ma chronique de Maria paru en 2018

Catalogue éditeur : Le Passage

Alabama, 1880. Dans une plantation du sud des États-Unis, la naissance d’Helen console sa mère d’un mariage bancal. Un monde s’ouvre entre Kate et sa fille, et puis tout bascule : les fièvres féroces ravagent l’enfant adorée.
Cette fillette à la destinée extraordinaire, beaucoup la connaissent. La renommée d’Helen Keller, aveugle, sourde et muette, enfant farouche tenue pour folle et puis surdouée, a franchi frontières et années.
Kate Keller, que La Belle Lumière éclaire aujourd’hui, semblait en revanche repoussée dans l’ombre à jamais. Sans elle, pourtant, sa fille aurait-elle pu accéder au miracle de la connaissance ?
Comme glissée au cœur de son héroïne, tant vibre dans ces pages le corps déchiré de Kate, Angélique Villeneuve restitue, de son écriture sensuelle et précise, la complexité d’une femme blessée et dévorée par l’amour. Dans ce Sud encore marqué par la guerre de Sécession et les tensions raciales, le lecteur traverse avec elle une décennie de sauvagerie, de culpabilité et de nuit. Mais découvre aussi, et c’est là la force du livre, un temps de clarté et de grâce.

ISBN: 978-2-84742-447-8 / Date de publication: Août 2020 / pages: 240 / Prix : 18 €

Matador Yankee, Jean-Baptiste Maudet

Un road trip sur fond de corrida, des dettes de jeu, une belle qui disparaît, et on a tous envie de suivre Matador Yankee

Harper le blondinet vit à la frontière entre deux mondes, Mexique d’un côté, États-Unis de l’autre, il n’appartient réellement ni à l’un, ni à l’autre, mais un peu des deux coule dans ses veines. Pas vraiment cowboy, pas vraiment garçon vacher, il est devenu torero par le force des choses, faute de mieux peut-être. C’est un toréro de pacotille qui n’a jamais réellement connu le vrai succès. Il se produit dans les arènes de chaque côté de la frontière. Il s’évade dans sa tête et s’imagine qu’il est le vrai fils de Robert Redford, son idole, surtout dans ce film où il joue avec Paul Newman, Butch Cassidy et Sundance kid. Faute de mieux, pourquoi ne pas s’inventer la famille dont on rêve.

S’il n’est pas vraiment un mauvais bougre, Harper est totalement fauché, il a contracté une forte dette de jeu et doit beaucoup d’argent à Roberta, la tenancière du bordel de Tijuana… Il vient trouver Antonio, l’ami de toujours, le fils de celui qui l’a aidé et soutenu lorsqu’il était enfant, mi bandit mi paumé, qui est devenu le gardien des arènes de Tijuana, pour qu’Antonio éponge sa dette. Il devra se donner en spectacle dans les arènes d’un village paumé de la Sierra Madre, et dire au maire du dit village qu’Antonio veut épouser Magdalena, sa fille. Mais Magdalena a disparu…

Bon, là c’est déjà embrouillé, mais ça va l’être encore plus, car ce village est peuplé d’indiens un peu sauvages, d’un maire et de sa femme tous deux légèrement hystériques, et la dette à Roberta, la disparition de Magdalena, ne sont pas aussi faciles à solutionner que ce que l’on pouvait penser de prime abord…

Impossible d’en dévoiler d’avantage… Lisez et vous serez comme moi pris par l’intrigue, les personnages, l’écriture, de ce roman qui court, respire, s’essouffle, transpire, lutte, sanglote, déteste et aime. C’est une sarabande que l’on n’a pas envie de lâcher, juste envie de savoir où part Harper… dans quel fichu pétrin il va se fourrer…

J’ai aimé l’écriture de ce premier roman, mais surtout les personnages, leur côté excessif, bandits, menteurs, séducteurs, cowboy sur le retour,  femmes en mal d’amour… On s’y attache et on tourne les pages avec l’envie d’aller au bout de leur histoire.

Catalogue éditeur : Le Passage

Harper aurait pu avoir une autre vie. Il a grandi à la frontière, entre deux mondes. Il n’est pas tout à fait un torero raté. Il n’est pas complètement cowboy. Il n’a jamais vraiment gagné gros, et il n’est peut-être pas non plus le fils de Robert Redford. Il aurait pu aussi ne pas accepter d’y aller, là-bas, chez les fous, dans les montagnes de la Sierra Madre, combattre des vaches qui ressemblent aux paysans qui les élèvent. Et tout ça, pour une dette de jeu.
Maintenant, il n’a plus le choix. Harper doit retrouver Magdalena, la fille du maire du village, perdue dans les bas-fonds de Tijuana. Et il ira jusqu’au bout. Parfois, se dit-il, mieux vaut se laisser glisser dans l’espace sans aucun contrôle sur le monde alentour…
Alors les arènes brûlent. Les pick-up s’épuisent sur la route. Et l’or californien ressurgit de la boue.

Avec Matador Yankee, sur les traces de son héros John Harper, Jean-Baptiste Maudet entraîne le lecteur dans un road trip aux odeurs enivrantes, aux couleurs saturées, où les fantômes de l’histoire et du cinéma se confondent. Les vertèbres de l’Amérique craquent sans se désarticuler.

Jean-Baptiste Maudet est géographe. Il enseigne à l’université de Pau.  En 2019, il publie Matador Yankee, son premier roman.

ISBN: 978-2-84742-407-2 / Date de publication : Janvier 2019 / Nombre de pages : 192 / Dimensions du livre : 14 x 20,5 cm / Prix public: 18 €

Les pécheurs d’étoiles, Jean-Paul Delfino

1925, traverser Paris dans les pas d’Erik Satie et de Blaise Cendras, pour une singulière nuit d’aventure et de découverte

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Ce sont les années folles, celles qui permettent toutes les extravagances, celles de la gaîté et de l’insouciance de l’après-guerre, du foisonnement de la vie artistique, mais où parfois l’on tire le diable par la queue, pour ces artistes qui bien souvent se cherchent et dont le talent n’est pas encore reconnu par leurs pairs.

Dans Paris, en cette nuit de 1925, deux hommes passablement imbibés d’alcool vont vivre une nuit insolite. Recherchant l’aimée, l’absente, Biqui, Suzanne Valadon, pour l’un, cherchant à l’aider pour l’autre, il vont à l’aventure, puis à la rencontre d’un allumeur de réverbère, mais pas seulement. Ils partent surtout à la rencontre de ceux qui ont fait ce siècle, que ce soit Jean Cocteau, l’enfant terrible aux mœurs dissolues, Modigliani le peintre maudit, les époux Sonia et Robert Delaunay, coloristes magiciens, mais aussi Toulouse-Lautrec artiste de génie à la courte vie de débauché, ou même évoquant le souvenir de Chaplin, rencontré ou pas dans une autre vie, mais aussi sur la tombe de Guillaume de Kostrowitzky, plus connu sous le nom de Guillaume Apollinaire. Au cours de cette folle nuit d’aventure et de poursuite on ne rencontre pas seulement des hommes, on découvre aussi quelques lieux mythiques, Le Père Lachaise et quelques-unes de ses plus célèbres tombes, l’opéra Garnier et son lac souterrain ou ses greniers peuplés de petits rats surréalistes, les cabarets où boivent jusqu’à plus soif quelques Russes blancs bagarreurs, la Closerie des Lilas qui n’abrite pas encore de chanteur ou de prix littéraire, des banlieues peuplées de gitans pourvoyeurs d’animaux fantastiques ou d’armes hétéroclites.

Ça foisonne, ça fourmille, ça éclate, d’amitié, d’alcool triste et fauché, de soutien dans le désespoir et la détresse, de talent, de complicité, de créativité. Dans cette folle traversée, les rêves et les souvenirs se confrontent, les désirs et les regrets s’exacerbent, l’amitié et l’amour se révèlent.
Où l’on découvre un Erik Satie rêveur immobile, qui a pourtant parcouru à pieds en vingt-sept ans le trajet de la terre à la lune, et un Blaise Cendras qui l’accompagne en pensées lors de son tout dernier voyage. Voilà assurément un beau roman à lire, et sans doute même plusieurs fois tant il est riche et fourmille d’anecdotes et de connaissance, pour mieux en extraire toute la richesse et en ressentir toute la poésie. Et nous voilà au plus près, au plus intime de ces deux hommes dont le talent sera largement reconnu un siècle plus tard, deux légendes chacun dans sa spécialité. Quel bonheur de passer une nuit auprès d’eux, merci à Jean-Paul Delfino pour ce beau voyage dans le temps.

Pour le plaisir, quelques belles phrases :

Qu’est-ce qu’il y a ? t’as les pétoches ? Laisse-moi te dire que ça tombe mal, parce qu’on va se le faire, lui ! lui et tous ceux de sa race ! Ce soir, ça va être la saint Barthélémy des zouaves et des peignes-culs de salons ! Les dadaïstes ! Les cubistes ! Les surréalistes ! Les symbolistes ! Les modernistes ! Les futuristes ! Il va y a avoir de la viande froide d’intellos sur le pavé de Paname, crois-moi ! l’artiste va se ramasser à la petite cuillère, nom de Dieu !

– L’essentiel dans un voyage est le voyage lui-même. Jamais le but.

Je me demandais juste pourquoi elle ? Pourquoi cette Biqui-là ?
Avec la candeur d’un enfant, Erik Satie arrêta de faire tourner son parapluie pour observer son compagnon. Puis il lui répondit :
– « Mais parce que elle, précisément… »
Après un instant d’hésitation, Cendras fini par s’exclamer : « Nom de Dieu ! Je crois que tu viens de me donner la meilleure définition de l’amour que j’ai entendue de toute ma chienne de vie ! Parce que elle… »

Catalogue éditeur : Le Passage

Paris, 1925. Dans le bouillonnement des années folles, deux hommes vont vivre une nuit d’exception.
À la poursuite d’une femme fantomatique et aimée, sur les traces de Jean Cocteau qui leur a volé l’argument d’un opéra, ils sillonnent la nuit parisienne, …
Ces deux hommes, dont le génie n’est pas encore reconnu, se nomment Blaise Cendrars et Erik Satie. Ensemble, ils vont se trouver et se perdre, tenter de réenchanter le monde, jusqu’au bout de la nuit.

ISBN : 978-2-84742-337-2 / Date de publication : septembre 2016 / Dimensions du livre : 14 x 20,5 cm / Prix public : 18 €