La valeur des rêves, Marie Lebey

Les œuvres d’art, valeur sûre ou relative ?

Simon Bret, commissaire-priseur s’est perdu un week-end de mai du coté d’Aix-en-Provence. Alors qu’il cherche une station service, ses pérégrinations le conduisent tout à fait par hasard dans le village vacances de La Trâine-les-Pins.

Là, il tombe en arrêt devant le curieux échafaudage métallique sur lequel les vacanciers ont coutume d’accrocher maillots mouillés et serviettes de plage. Mais l’œil averti du marchand d’art lui fait repérer un objet incroyable en ces lieux, cette structure monumentale en acier qu’il attribue immédiatement à Alexandre Calder. Et au centre du stabile, il repère même le monogramme CA que l’artiste avait l’habitude d’inscrire sur ses œuvres.

Dès lors, Simon Bret n’a de cesse de faire authentifier le stabile et son origine, tout comme sa propriété actuelle, afin de le réintégrer le plus rapidement et légalement possible dans le milieu très fermé de l’art. Il lui faut au minimum prouver que le stabile était là depuis au moins trente ans, ou en trouver l’origine.

Pour cela, il engage la jeune et jolie Lucie de Clichy, qui doit mener l’enquête pour lui. Elle part alors à la rencontre des lieux, des personnes, des témoignages de ceux qui ont connu ou côtoyé Calder afin de déterminer si oui ou non il aurait pu fabriquer ce stabile.

Cette enquête est prétexte pour l’autrice pour nous parler de l’artiste et de son œuvre, mais surtout de la folie du marché de l’art, et de la valeur si relative d’une œuvre d’art ou d’un magnifique et dérisoire tas de ferraille. Car avouons-le, s’il n’est pas reconnu comme étant une œuvre d’art, c’est bien à la casse que ce stabile devrait partir, alors que si il s’avère être une œuvre d’art, il va tutoyer les sommets de la gloire et son prix va s’envoler lors d’une prochaine vente aux enchères. Ah, la subtilité et la relativité des œuvres. Forcément on ne peut que penser aux œuvres de Bansky, ou aux NFC et à leur étrange volatilité.

Quelques personnages assez nombreux viennent étoffer le roman, on s’y perd parfois, mais cela ne m’a pas du tout gênée pour apprécier cette lecture. C’est un roman qui se lit aisément, nous entraîne dans une enquête simple mais pas désagréable, avec des personnages décalés et attachants.

Pour aller plus loin :

Le sculpteur américain est connu pour avoir créé un certain nombre de stabiles et de mobiles (le stabile étant une structure immobile quand le mobile est une structure mouvante) en ferraille, qui valent aujourd’hui quelques millions de dollars. Car tout comme les pionniers de la peinture abstraite qu’il fréquentait, il a souhaité faire des œuvres différentes, faire des Mondrian qui bougent pour intégrer des formes radicales dans un espace tridimensionnel.

Catalogue éditeur : Léo Scheer

Comment Moustipic, chef-d’œuvre d’Alexander Calder, a-t-il pu atterrir dans un club de vacances, où il servait d’étendoir pour maillots de bain ? Lucie de Clichy ne comprend rien à l’art contemporain, où même « rien » signifie quelque chose mais, pour Simon Bret, le commissaire-priseur fantasque qui l’a embauchée, elle devra retrouver l’origine de cette sculpture monumentale ; si elle réussit, Moustipic passera du statut de porte-serviettes à celui de stabile – soit une œuvre d’art majeure, susceptible de battre un record en salle des ventes…
Dans ce roman plein de fantaisie et d’érudition, Marie Lebey élabore une véritable enquête peuplée de personnages hauts en couleur, comme le petit monde de l’art sait les agiter, et nous montre l’incroyable destin de Moustipic, simple tas de ferraille ou authentique trésor. N’est-ce pas cela, la valeur des rêves ? Marie Lebey vit à Paris. La Valeur des rêves est son septième roman.

Parution le 1er février 2023 / 176 pages / 18 euros / EAN 9782756114095

Au long des jours, Nathalie Rheims

Rencontre avec un homme remarquable

Nathalie Rheims se raconte de roman en roman, et j’avoue que j’aime cette écriture intime et universelle à la fois. Ici, c’est un vieux Polaroid la représentant à dix-huit ans avec un homme et pris par sa sœur qui est à l’origine de son 23e roman.

Dans Au long des jours, le lecteur part à la rencontre d’une jeune Nathalie de 18 ans. Depuis des années elle rêve de faire du théâtre. Une condition imposée par son père lorsqu’il rend les armes et accepte qu’elle quitte l’école si elle réussit à rentrer au Conservatoire. C’est chose faite alors qu’elle a tout juste 15 ans. Et la voilà qui joue rapidement avec des troupes d’acteurs plus âgés qu’elle, jeune artiste en devenir, adolescente sage qui s’endort avant les autres lors des tournées dans les théâtres de province.

Un soir, une amie arrive dans sa loge avec son ami qui est accompagné d’un homme bien plus âgé qu’elle. Pour Nathalie c’est le coup de foudre, immédiat, instantané. Un regard, quelques mots échangés, et lui vient aussitôt l’envie d’aller l’écouter chanter, car elle l’a reconnu et aime ce qu’il propose aux spectateurs et amateurs de ses textes et de sa musique.

C’est cette rencontre que l’autrice nous fait vivre ici. Mais aucunement de façon déplacée, au contraire, il y a la fois fois une grande pudeur et une étonnante sincérité dans les mots qui disent les regards, les échanges, les discussions, les gestes, qu’elle a avec cet homme qui a plus de 35 ans de plus qu’elle mais dont elle se sent si proche.

Si elle ne donne jamais son nom, sa photo en couverture du livre, son sourire, mais surtout les textes de ses chansons nous le dévoilent sans aucune hésitation. Mouloudji, français par sa mère, musulman par son père comme il le chantait, est un beau brun ténébreux au sourire dévastateur. C’est aussi un homme marié qui aime les femmes et ne s’en lasse pas, sans doute une conséquence de son enfance malheureuse auprès d’une mère malade. Loin de vouloir être voyeur ou d’étaler son intimité, ce roman, car c’en est un, nous faire pénétrer dans l’âme et les sentiments d’une jeune fille des années 70 bien dans sa vie, dans sa peau, dans son cœur et son corps.

Le livre est émaillé de noms d’artistes de cette époque, d’amis de Mouloudji, auteurs, poètes, écrivains, acteurs. C’est également un bel hommage à cet artiste un peu oublié aujourd’hui, à ses écrits, ses textes, sa voix et son œuvre que l’autrice m’a donné envie de redécouvrir.

J’ai aimé la suivre, les suivre, vivre leur amitié, leurs élans, et les douces pensées qu’il en reste aujourd’hui chez celle qui a vécu ces quelques mois d’une liaison heureuse et libre, bien que cachée et tue pendant tant d’années. L’écriture de Nathalie Rheims est toujours aussi agréable à découvrir, ni trop ni pas assez, et ce qu’il faut d’émotion pour nous emporter avec elle.

Catalogue éditeur : Léo Scheer

En 1977, la narratrice vient d’avoir 18 ans. Trois ans plus tôt, elle a fait ses débuts de comédienne. Un soir, après le spectacle, un visiteur se présente dans sa loge du Théâtre de la Ville pour la saluer. Commence alors, avec cet homme hors du commun, de trente-sept ans son aîné, une véritable passion amoureuse. C’est en voyant réapparaître par hasard, au fond d’un tiroir, un Polaroid pris par sa sœur à l’époque, que la romancière a eu, après toutes ces années, le désir de raconter cette histoire restée secrète.

Parution le 11 janvier 2023 / 176 pages / 17 euros / EAN 9782756114040

Danger en rive, Nathalie Rheims

Harcèlement, traumatisme, perte de mémoire, disparition, dans un roman qui a tout du roman noir

La narratrice est une autrice qui a cessé d’écrire et décidé de disparaître. Elle vit désormais dans la maison qu’elle avait achetée des années auparavant, dans un petit village normand en pays d’Auge. Elle se terre loin du monde auquel elle appartenait pourtant avec un certain bonheur. Son changement de vie fait suite à une hospitalisation qui a failli lui être fatale. Elle vit avec Paul, ce chien fidèle qui l’accompagne partout où elle va, y compris ce matin là lorsqu’elle trouve une Clio bleue bizarrement garée au bord de la route, personne à bord, clé bien visibles.

Une impulsion et elle rentre dans le véhicule, le fouille, y trouve un bracelet qu’elle emporte discrètement chez elle. Puis elle part déclarer cette étrange rencontre à la police locale. Ensuite, elle écoute dans le village ce qu’il peut bien se dire de cet incident. En parle-t-on sur les réseaux sociaux ? Sait-on à qui appartient cette voiture ? A-t-on retrouvé la femme disparue qui semble y être liée ?

A mesure de l’intrigue, on comprend peu à peu que cette femme à quasiment perdu la mémoire à la suite d’un fort traumatisme liée au harcèlement dont elle a été victime cinq ans plus tôt. Et les bribes lui reviennent, la douleur, la souffrance, la seule issue qu’elle trouve dans la fuite. Surtout au moment où le harceleur en question semble être de retour. Son seul salut est dans un désir d’écrire à nouveau, comme une catharsis qui pourrait l’aider à panser ses plaies et à raviver sa mémoire. Car elle le sait depuis toujours, l’imaginaire est bien pire que le réel. Le lecteur quant à lui se demande que viennent faire cette voiture, cette rencontre dans son histoire, dans sa recherche des souvenirs disparus. Et la question se pose de savoir si par des mots posés sur le papier elle pourrait enfin traverser le gouffre qui s’ouvre devant elle avec le retour de son harceleur.

L’autrice aborde ici le traumatisme liée au harcèlement quel qu’il soit. Et la situation des harcelés souvent incompris par ceux qui les entourent ou même par la police ou la justice. Eux qui souvent passent pour faibles et uniquement victimes, sans que l’on prenne en compte la souffrance réellement endurée. Elle aborde également le rôle des réseaux sociaux. Leur influence sur des populations souvent crédules qui gobent la moindre information sans jamais chercher à la vérifier. j’ai apprécié le sujet de la perte de mémoire traité par l’autrice, et les situations ou le désespoir que cela peut aussi entraîner, qui nous fait penser aux amnésies causées par de grands traumatismes, mais aussi aux malades d’Alzheimer et à leur proches.

Enfin, le retournement final apporte une touche roman noir et explique finalement assez bien le comportement de la narratrice. De la magie des installations artistiques appliquées à l’écrit. Étrange roman dont les protagonistes ne m’ont cependant pas vraiment touchée.

De Nathalie Rheims, retrouvez également ma chronique du précédent roman Les reins et les cœurs.

Catalogue éditeur : éditions Léo Sheer

La narratrice de ce roman a décidé, un jour, de couper les ponts avec le monde qui l’entoure, de renoncer à sa carrière d’écrivain, de quitter Paris pour se réfugier dans sa maison, perdue dans la campagne, au milieu du Pays d’Auge.
Cela fait maintenant cinq ans qu’elle vit là, recluse, parfaitement solitaire, en dehors de son chien, Paul, qui l’accompagne partout. Depuis, elle n’a plus écrit une ligne.
À l’origine de ce changement de vie, il y a un traumatisme, si violent qu’elle en a perdu la mémoire. Des bribes de souvenirs vont pourtant refaire surface.
Elle découvre alors qu’elle a été la victime d’un harceleur qui ne lui a laissé aucun répit, au point qu’elle a failli y perdre la vie.
Ce personnage monstrueux a réussi à s’échapper et à la retrouver. Cette fois, elle n’a plus le choix : ce sera lui ou elle.

Parution le 1er septembre 2021 / 192 pages / 17 euros / EAN 9782756113593

Les reins et les cœurs, Nathalie Rheims

Quand la vie ne tient plus qu’à un fil, la résurrection est parfois au bout du chemin

couv du récit les reins et les cœurs de Nathalie Rheims photo Domi C Lire

« Les reins et les cœurs » le récit témoignage de Nathalie Rheims paru aux éditions Léo Scheer est le vingtième livre de l’auteur. Mais pour celui-ci elle n’a pas eu besoin d’imagination, ni de personnages fictifs, mais bien d’une réalité qui poursuit les femmes de sa famille de génération en génération. Jusqu’au jour où cette maladie héréditaire la frappe à son tour. Jusqu’au jour où ses reins s’arrêtent de fonctionner.

Bien sûr au départ il y a le déni – pas moi, je ne suis pas de cette famille-là-, le doute –et si c’était vrai- puis la révolte, la faiblesse et l’abandon, faut-il rendre les armes ou accepter l’inéluctable, ce par quoi sont passées les autres femmes, mère, tantes, grand-mère…

Alors que son corps abdique et que la mort semble si proche, il en aura fallu de la volonté, du courage, et l’aide et le travail de la médecine et des personnels soignants pour remonter la pente vertigineuse qui mène à la mort, puis le don absolu pour parvenir à l’impossible, le reins d’un autre, pour retrouver la vie au bout de ce tunnel de souffrance inimaginable.

J’ai fait cette lecture en apnée, impossible à lâcher, c’est un témoignage particulièrement émouvant, mais aussi tellement positif. Moi qui vit avec une mère malade des reins depuis tant d’années, avec un père décédé d’un cancer du rein, comment-dire, je suis émue, touchée, bouleversée par ce livre.

En lisant ce récit, impossible de ne pas penser également au roman de Maylis de Kerangal, Réparer les vivants.

Catalogue éditeur : Léo Scheer

« J’avais fini par imaginer que les reins, parce qu’ils fonctionnent sans qu’on puisse rien en savoir, sont le véritable siège de l’inconscient. J’avais opté pour les maintenir dans cette sphère de mon ignorance. Inutile de fouiller dans ces zones d’ombre, je savais très précisément où cela me conduirait. Qui étais-je pour me croire l’égale de celui qui, seul, peut sonder les reins et les cœurs ? »
Pour écrire ce texte, Nathalie Rheims n’a pas été guidée par son imagination. Confrontée à une réalité implacable, elle raconte une année de lutte contre un mal singulier, qui, de génération en génération, frappe toutes les femmes de sa famille. Arrivée aux limites de ce que le corps et la conscience sont capables d’endurer, elle doit faire un choix, auquel elle n’aurait jamais cru devoir faire face, un choix sublimé par le don, mais rongé par le sentiment de culpabilité.

Parution 21 août 2019 / 216 pages / 18 euros / EAN 9782756112909