Hors d’atteinte, Frédéric Couderc

Hors d’atteinte de la justice des hommes, l’éternel tourment de savoir ces nazis impunis

Hambourg, en 2018, Paul Breitner est un écrivain à succès qui cherche le sujet de son prochain roman. Le jour où son grand père Viktor disparaît puis réapparaît sidéré, soudain muet, il sent qu’il tient là une source d’inspiration, mais sans forcément savoir dans quelle voie il va s’orienter.

Viktor vit sur la colline des millionnaires, à Blankenese. Un endroit sujet à interrogations, pourquoi est-il parti habiter là-bas alors que rien ne l’y prédestinait. Et lorsque Viktor réapparaît, une lettre froissées entre les mains, Paul se rend compte qu’il ne connaît rien de la vie de son grand-père. Si ce n’est qu’il a plus ou moins quitté sa femme et son fils pour vivre seul. Et lorsque son père s’est tué dans un accident, Paul s’est rapproché de son grand-père, la figure masculine devenue indispensable pour combler le vide. Mais cette complicité ne suffit pas pour comprendre son attitude actuelle. En bon romancier, Paul part sur les traces de Viktor. Il découvre que sa famille n’a pas été seulement décimée sous les bombes qui ont détruit Hambourg mais que Vera, la jeune sœur de Viktor, a subi un tout autre sort.

Un matin de 1940, Vera avait embarqué dans un de ces bus charitables qui transportaient des patients vers le centre du château de Sonnenstein. C’est à cette période que les nazis décident de mettre en place le programme de la mort miséricordieuse qui est offerte aux malades pour nettoyer le pays de toutes ces bouches inutiles. Autrement dit, Aktion T4, ou l’élimination de plusieurs milliers de malades mentaux. L’horreur absolue perpétrée à grande échelle. L’un des docteurs qui dirigent ce programme n’est autre que Horst Schumann, un médecin SS que l’on peut comparer à l’ignoble Mengele. Horst Schumann a ensuite réalisé sans relâche des expériences au rayons X et des castrations à la chaîne sur des cobayes humains, de jeunes hommes et femmes, dans le bloc 10 à Auschwitz.

À l’été 47, Viktor est enrôlé par la SS dans la Kriegsmarine et affecté au Danemark. A son retour en Allemagne, il apprend la disparition de ses parents, sa famille comme sa maison sont anéantis. C’est alors qu’il découvre l’action de Horst Schumann dans la guerre, le massacre de tant de femmes et d’hommes dans les camps, et son rôle dans la disparition de sa sœur. À partir de cette date, hanté par le souvenir de Vera, il n’aura de cesse de le retrouver. C’est aussi à cette époque qu’il rencontre Nina, une jeune rescapée qui fuit vers Israël. Nina qui restera à jamais dans le cœur de Viktor.

Pourquoi j’ai aimé lire ce livre ?

J’ai été déstabilisée au départ car l’action se situe en Allemagne, je n’étais pas forcément à l’aise avec certains lieux, mots, etc. Mais le choix m’a vite paru évident pour se glisser dans la peau d’une victime directe du programme Aktion T4. Qui mieux que Viktor pouvait avoir vécu dans sa chair l’horreur que cela représente, qui mieux que Paul, son petit fils, pour mener l’enquête qui le mène vers l’homme qui a échappé jusqu’au bout à la justice des hommes. Car si Horst Schumann décède dans son lit, la traque des criminels nazis en Amérique du sud, du Nord, en Europe ou en Afrique a été bien réelle. Hélas bien peu ont été retrouvés, même Mengele finira ses jours en Amérique du Sud et ne sera jamais jugé.

Frédéric Couderc fait alterner le présent avec Paul, cet écrivain qui cherche Viktor, puis à comprendre la vie de son grand-père et son action dans la chasse aux SS. Et le passé avec la jeunesse de Viktor pendant la guerre, la famille décimée, cette obsession qui va le poursuivre toute sa vie, retrouver celui qui a décidé de la mort de sa sœur, et ses amours contrariés avec Nina.

En romançant leur histoire, il sait faire émerger cette part d’humanité indispensable pour supporter l’horreur. Donner un visage, des sentiments, des personnalités à ceux qui ont connu, vécu, enduré le mal pour qu’il soit à la fois plus présent et plus vivant. Cela permet aussi de rendre plus audibles les éléments historiques qui émaillent le roman, procès, jugements, archives, actions des nazis dans les camps, expériences, victimes, et la fuite incompréhensible de tous ces hommes dont on sait qu’ils ont été protégés partout où ils se sont terrés. La plupart sont morts de leur belle mort, qui dans un lit, qui sur une plage, sans être tourmentés. Ils ont commis des actes tellement inimaginables qu’ils ont besoin d’être dilués dans le romanesque pour pouvoir être lus par tous. Une fois de plus, Frédéric Couderc a su mêler la fiction et l’humain pour nous révéler cet homme dilué dans les méandres de notre Histoire récente, avec toujours ce credo, dire pour ne jamais oublier, car il faut toujours garder à l’esprit que le mal peut à nouveau émerger des profondeurs.

Pour aller plus loin

Ne pas hésiter à lire ces romans dont j’ai déjà parlé ici :
L’ordre du jour. Eric Vuillard sur la façon dont les industriels allemands ont participé au financement des nazis.
La disparition de Josef Mengele. Olivier Guez  sur la chasse incroyable de ce criminel de guerre jamais capturé.
Hadamar, Oriane Jeancourt Galignani sur un des centres dans lesquels s’est mis en place le programme Aktion T4.

Catalogue éditeur : Les Escales

Hambourg, été 1947. Le jeune Viktor Breitner arpente sa ville dévastée. Un jour, il croise Nina, une rescapée des camps dont il tombe éperdument amoureux. Elle disparaît, son absence va le hanter pour toujours, autant que le fantôme de sa sœur Vera, morte au début de la guerre.
Soixante-dix ans plus tard, Viktor s’évanouit à son tour. En se lançant à sa recherche, son petit-fils Paul découvre avec effroi que celui-ci est mystérieusement lié à un doktor SS d’Auschwitz semblable à Mengele : Horst Schumann. Paul est un écrivain à succès, l’histoire de son grand-père, c’est le genre de pépite dont rêvent les romanciers. Mais il redoute par-dessus tout la banalisation de la Shoah, et sa soif de vérité le mènera jusqu’aux plaines d’Afrique, dans une quête familiale aussi lourde que complexe.

23.00 € / Date de parution : 05/01/2023 / EAN : 9782365696685 / pages : 512

Mon inventaire 2020

Janvier 2021, Domi C Lire 6 ans déjà

Domi C Lire est un rendez-vous quotidien indispensable pour partager ma passion et vous donner je l’espère quelques envies de lecture.

2020 était une drôle d’année avec des mois de confinement, des jours que l’on n’a pas vu passer, et souvent l’impression de perdre son temps, de ne pas avancer…

Heureusement l’envie de lire et de partager mes coups de cœur était toujours là. Que ce soit à propos de nouvelles lectures, de rencontres (trop rares cette année) avec des auteurs, d’expositions, de musées, théâtres et les villes ou les lieux que j’ai découvert et partagé ici.

Il y a beaucoup moins d’expositions, musées, théâtre, mais on se rattrapera en 2021 j’espère. Alors avec un peu plus de 190 livres tous genres confondus lus en 2020, combien en reste-t-il ? En tout cas, impossible de n’en garder que 10 comme je pensais le faire au départ…

Voici Mon inventaire 2020

Ces premiers romans bouleversants

Ces romans qui m’ont fait vibrer

Ces thrillers qui m’ont sortie du quotidien

Une envie de voyage

Une incursion réussie en littérature étrangère

Une BD, parce que Boris Vian !

Rivage de la colère, Caroline Laurent

Avec Rivages de la colère, Caroline Laurent confirme son talent de conteuse et attise les braises incandescentes de l’histoire

Elle nous avait conquis avec son premier roman et revient avec un roman d’amour et de justice.

Archipel des Chagos, janvier 1971, la vie bascule, les habitants sont sommés de quitter immédiatement l’ile, leur seul et unique lieu de résidence depuis des générations. Mais qui veut cela, et pourquoi et comment en est-on arrivé là ?

Pour mieux comprendre, il faut sans doute revenir sur un peu d’histoire. Possession coloniale britannique depuis 1810, l’ile Maurice accède à l’indépendance en aout 1967. Mais qui dit Maurice, dit aussi d’autres iles de l’archipel des Mascareignes, Rodrigues, mais également les Chagos, qui comptent une cinquantaine d’îles réparties en sept atolls situés dans le nord de l’océan Indien. L’ile principale, la seule habitée, est Diego Garcia. Louée dans le plus grand secret aux États-Unis par le Royaume-Uni, Diego Garcia est aujourd’hui encore une base américaine devenue prépondérante dans la politique de lutte contre le terrorisme dans cette zone.

Dans les années 60, le gouvernement britannique entreprend d’expulser peu à peu les habitants de l’archipel en leur rendant la vie de plus en plus difficile, interdisant à ceux qui voyagent en dehors de l’ile d’y revenir, empêchant les bateaux qui y venaient de façon régulière d’accoster pour y apporter l’approvisionnement en nourriture et en médicaments, puis n’hésitant pas à empoissonner et gazer les chiens. En dernier ressort, les ultimes habitants sont déportés vers l’île Maurice.

Et l’on comprend vite que les habitants sont totalement ignorés, oubliés. Exilés à Maurice, aucune mesure d’aide ou de soutien ne viendra leur éviter la misère dans laquelle le gouvernement les a pongés. Arrachés à leur ile, ils vivent dans des bidonvilles et doivent réapprendre la vie en société, eux qui vivaient en autarcie sur leur ilot paradisiaque.

Prétexte à nous raconter et à faire revivre pour ses lecteurs cet épisode méconnu de l’histoire de ce pays, Caroline Laurent nous plonge avec émotion dans un drame historique qui se déroule sur fond de roman d’amour. Son héroïne est Marie-Pierre Ladouceur. Cette magnifique fille-mère de basse-classe à la personnalité affirmée tombe amoureuse de Gabriel, le nouvel adjoint du gouverneur. Arrivé tout droit de Maurice, ce créole issu d’une grande famille traine lui aussi des blessures et des rêves d’ailleurs. Malgré les difficultés, ce couple singulier séparé par les circonvolutions de l’Histoire donnera naissance à Joséphin. Même si le chemin est semé d’embuches, Gabriel saura se réaliser en tant que père et vivre cette paternité dans l’amour des siens. Dans une émouvante alternance de récit entre le passé et le présent, nous découvrons la lutte de ce fils, instruit et respectueux de justice et d’équité, qui va tout faire pour obtenir justice et permettre aux chagosiens de revenir sur leur île.

Avec Rivage de la colère, Caroline Laurent nous offre un magnifique roman sur l’exil, une belle histoire d’amour impossible et un portrait de femme remarquable, mais aussi un prétexte pour nous éveiller à cette injustice qui frappe encore aujourd’hui les anciens habitants de Diego Garcia et leurs descendants. C’est tout à la fois émouvant, consternant, attachant et instructif.

En effet, le 25 février 2019 la Cour internationale de justice a estimé que le Royaume-Uni avait illicitement séparé l’archipel des Chagos de l’île Maurice après son indépendance en 1968. Pourtant les britanniques ont renouvelé le bail des américains pour vingt ans.

De Caroline Laurent on ne manquera pas de découvrir également le premier roman écrit avec Evelyne Pisier, Et soudain, la liberté.

Roman lu dans le cadre des 68 premières fois, session anniversaire 2020

Catalogue éditeur : Les Escales

Certains rendez-vous contiennent le combat d’une vie.
Septembre 2018. Pour Joséphin, l’heure de la justice a sonné. Dans ses yeux, le visage de sa mère…
Mars 1967. Marie-Pierre Ladouceur vit à Diego Garcia, aux Chagos, un archipel rattaché à l’île Maurice. Elle qui va pieds nus, sans brides ni chaussures pour l’entraver, fait la connaissance de Gabriel, un Mauricien venu seconder l’administrateur colonial. Un homme de la ville. Une élégance folle.
Quelques mois plus tard, Maurice accède à l’indépendance après 158 ans de domination britannique. Peu à peu, le quotidien bascule et la nuit s’avance, jusqu’à ce jour où des soldats convoquent les Chagossiens sur la plage. Ils ont une heure pour quitter leur terre. Abandonner leurs bêtes, leurs maisons, leurs attaches. Et pour quelle raison ? Pour aller où ?
Après le déchirement viendra la colère, et avec elle la révolte.

Caroline Laurent est franco-mauricienne. Après le succès de son livre co-écrit avec Evelyne Pisier, Et soudain, la liberté (Les Escales, 2017 ; Pocket, 2018 ; prix Marguerite Duras ; Grand Prix des Lycéennes de ELLE ; Prix Première Plume), traduit dans de nombreux pays, elle signe son nouveau roman Rivage de la colère. En parallèle de ses fonctions de directrice littéraire chez Stock, Caroline Laurent a été nommée en octobre 2019 à la commission Vie Littéraire du CNL.

EAN : 9782365694025 / Nombre de pages : 256 / Format : 140 x 225 mm / Date de parution : 09/01/2020 / Prix : 19.90 €

Après la fête, Lola Nicolle

Reflet criant de vérité sur les attentes et les désillusions de la jeunesse d’aujourd’hui, « Après la fête » de Lola Nicolle, le premier roman d’une jeune autrice au style très prometteur.

Se rencontrer, vivre ensemble, s’aimer, et c’est la fête… Mais quand l’amour s’en va, doucement, lentement, inexorablement, on se demande pourquoi et comment on en est arrivé là, après la fête.

Depuis l’université, Raphaëlle et Antoine sont inséparables. Leurs études, les amitiés en commun, le monde à refaire, les projets et l’insouciance des années étudiantes les ont rapprochés. Vivre ensemble est un bonheur de chaque jour. Pourtant, une fois leurs diplômes en poche, lorsque Raphaëlle trouve un emploi, Antoine peine à trouver sa place. D’échecs et refus, son caractère change. Il devient irritable, perd confiance et cette instabilité vient perturber l’équilibre du couple. Leur relation se délite peu à peu.

Sous la plume de l’auteur qui écrit à la première personne, Raphaëlle évoque sa vie avec Antoine et s’adresse à lui tout au long du roman, en employant alors la deuxième personne. C’est tout d’abord déroutant, puis on entre peu à peu dans cette écriture. J’ai suivi avec bienveillance les aléas de leur  vie, qui nous rappelle insidieusement celle de tous ces jeunes gens qui vivent ou ont vécu ces moments de doute et d’incertitude. Qui a dit que l’entrée dans le monde du travail et la vie adulte était une libération ? La vie étudiante est une période d’insouciance et de liberté unique, c’est aussi le siège de nombreux enjeux dont la réussite ou l’échec vont conditionner votre avenir.

Malgré quelques longueurs ou répétitions, Lola Nicolle a su me faire entrer dans la tête de Raphaëlle, et d’Antoine à ses côtés. Il y a dans son roman une forme de mélancolie et une sincérité dans les personnages qui les rend particulièrement attachants. Leurs émotions, leurs espoirs, leurs échecs et leur désamour, je les ai vécus près d’eux, avec eux, intensément, tristement. J’ai aimé découvrir et tenter de comprendre leurs interrogations sur l’amour, la relation de couple, les projets d’avenirs, les rêves enfuis.

On appréciera également la bande son qui accompagne le roman, comme pour ancrer chaque chapitre dans le quotidien des gens ordinaires que nous sommes aussi.

Roman lu dans le cadre de ma participation au jury du prix littéraire de la Vocation 2019.

Roman lu dans le cadre de ma participation aux 68 premières fois

Catalogue éditeur : Les Escales

Dans le Paris d’aujourd’hui, Raphaëlle et Antoine s’aiment, se séparent, se retrouvent… pour mieux se séparer et s’engouffrer dans l’âge adulte. En quête de sens, ils ont du mal à trouver leurs repères.
Un premier roman d’une grâce absolue. Une écriture éblouissante et sensorielle. La force d’un roman générationnel. Arpentant les rues du quartier de Château-Rouge, Lola Nicolle nous plonge dans le Paris d’aujourd’hui.
Après la fête raconte les ruptures qui font basculer dans l’âge adulte. Il y a d’abord celle – universelle – entre deux êtres, quand Raphaëlle et Antoine se séparent. Puis celle qui survient avec l’entrée dans le monde du travail, lorsque la réalité vient peu à peu…

Née en 1992, Lola Nicolle est éditrice. Elle est l’auteure  d’un recueil de poésie Nous oiseaux de passage (Blancs Volants, 2017) et a participé à l’ouvrage collectif Les Passagers du RER (Les Arènes, 2019). Elle vit à Paris et signe avec Après la fête son premier roman.

Et soudain, la liberté. Évelyne Pisier, Caroline Laurent.

De la France des colonies aux bras de Fidel, de la lutte pour l’émancipation des femmes à la défense des homosexuels, découvrir la très solaire Évelyne Pisier

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Un jour, Évelyne Pisier raconte l’histoire de sa vie à Caroline Laurent, jeune éditrice. Son désir ? Passer par la fiction pour raconter l’histoire de sa vie dans un roman. Mais comme dans les romans qui finissent souvent mal, le décès brutal d’Évelyne avant même l’écriture de son livre aurait dû signer la mort du récit/roman.

Pourtant, une amitié tellement intense s’est tissée  entre les deux femmes que Caroline Laurent décide d’écrire cette histoire. Mais pas seulement, car dans Et soudain, la liberté en plus de ces vies de femmes exemplaires de liberté et d’un courage hors du commun, il y a aussi l’histoire de cette histoire, de cette belle amitié.

Un destin et des combats incroyables.

Je ne sais pas vous, mais si j’avais entendu parler de Marie-France Pisier, je dois avouer que je ne connaissais pas du tout Évelyne, pourtant elle aussi est un personnage public qui a compté. Née en 1941 en Indochine, à Hanoï, (comme un de mes oncles, les colonies ont marqué de nombreuses familles et générations) cette femme ardente va mener tous les combats de son temps et certainement même en avance sur son temps. Dans cette France coloniale la vie s’écoule sereine et facile pendant quelques années. La jeune Lucile (la protagoniste du roman, le double d’Évelyne) profite de la vie sous la férule d’un père omniprésent, quasi omnipotent, maître du monde, du moins de son monde. Cet homme aux idées bien arrêtées sur les différences entre les races, sur l’inégalité entre les hommes, sur leur valeur, sur la hiérarchie des sexes, est aussi un fervent partisan du Maréchal. C’est une véritable caricature, mais pas un exemplaire unique, de cette intelligentsia coloniale dont on préfère aujourd’hui ne pas trop se souvenir.

Mona, la mère amoureuse et effacée, et Lucile, la fille, toutes deux obéissantes et soumises, acceptent ce point de vue, cette tyrannie domestique… jusqu’au jour où arrivent les conflits, la guerre est là, les japonais envahissent l’Indochine et parquent les femmes dans des camps – je me souviens des longs récits de mon père sur cette période, et imagine totalement les scènes si réalistes et douloureuses du roman. Comme dans tout pays en guerre, la famine, le viol des femmes, leur soumission, sont des prises de guerre faciles et valorisantes pour l’occupant qui laissent des traces comme marquées au fer rouge.

Pour Évelyne, il y a l’Indochine, puis la Nouvelle Calédonie, enfin la France. Il y a avant tout une émancipation, aidée en cela par une mère qui ouvre enfin les yeux, par une réalité qui s’avère être bien éloignée des règles édictées par le père. Il y a aussi la lecture de Simone de Beauvoir et de son Deuxième sexe, qui ouvre les yeux de Mona, qui décille ceux de Lucile, et permet aux deux femmes de s’émanciper. Ce sera un amant, un permis de conduire obtenu de haute lutte, des combats féministes pour le droit de femmes engagés pour Mona. Pour Lucile / Évelyne, c’est aussi une lutte de chaque instant pour se défaire de la mainmise et des allégations d’un père qui se fourvoie dans un racisme quasi d’état depuis si longtemps. La liberté, sa liberté, est au bout du chemin. Étudiante, il y a alors Cuba, il y a Fidel, il y a avant tout un destin incroyable pour cette femme qui aura su sortir de cette emprise et mener des combats toute sa vie.

Quel bonheur pour nous lecteurs qu’Évelyne ait transmis son message, que Caroline ait souhaité porter vers nous la voix de cette femme lumineuse. Évelyne Pisier a vécu soixante années de passions et de luttes, à une époque pas si lointaine où le monde a tant changé, des colonies aux combats contre les grandes puissances, de la révolution du Che et de Fidel à celle de 68, mais surtout à celle d’une femme qui décide de s’émanciper du joug masculin qui avait jusqu’alors dicté trop souvent la conduite des femmes. Une histoire dans l’Histoire, une fois de plus, mais on aime tant ça quand c’est aussi bien écrit.

Ce livre est paru le 16 août chez Pocket, courrez l’acheter, lisez-le, partagez-le ! Je vous assure que vous ne le regretterez pas.

Vous pouvez découvrir également les avis de Nicole du blog Mots pour Mots , de Joëlle du blog les livres de Joëlle, et de Nicolas du blog l’Albatros

Catalogue éditeur : Pocket

Une incroyable traversée du XXe siècle : l’histoire romancée d’Evelyne Pisier et de sa mère, deux femmes puissantes en quête de liberté.
Mona Desforêt a pour elle la grâce et la jeunesse des fées. En Indochine, elle attire tous les regards. Mais entre les camps japonais, les infamies, la montée du Viet Minh, le pays brûle. Avec sa fille Lucie et son haut-fonctionnaire de mari, un maurrassien marqué par son engagement pétainiste… Lire la suite

Évelyne Pisier est née en 1941 en Indochine. Sœur de l’actrice Marie-France Pisier, sa vie résume tous les grands combats de la seconde moitié du XXe siècle : le féminisme, la décolonisation, la révolution cubaine, la lutte contre le racisme, la défense des homosexuels, la critique du totalitarisme… Elle a été l’une des premières femmes agrégées de droit public en France, discipline qu’elle enseigna à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne. Directrice du Livre et de la Lecture de 1989 à 1993, au ministère de la Culture dirigé par Jack Lang, elle fut également écrivain et scénariste. Elle est décédée en février 2017.

Caroline Laurent est née en 1988.  Éditrice et amie d’Évelyne Pisier, elle co-signe son dernier roman.

Aux éditions Les Escales : date de parution : 31/08/2017 / EAN : 9782365693073 / Nombre de pages : 448 / Format : 140 x 225 mm
Chez Pocket : Date de parution : 16/08/2018 / EAN : 9782266282505 / Nombre de pages : 480 / Format : 108 x 177 mm