Efface toute trace, François Vallejo

Une satire acide et féroce du marché de l’art contemporain et de ses excès

Quel est le point commun entre un chinois diabétique de Hong Kong décédé après avoir ingéré une énorme quantité de sucre, un new-yorkais qui a littéralement fondu, et un français qui décède violemment alors qu’il est seul dans un téléphérique ?

Fort que quelques constatations hasardeuses, un expert en art est sollicité par d’anonymes collectionneurs pour tenter de démêler le fin mot de ces incidents pour le moins lugubres. Ont-ils un lien entre eux, car ils ont au moins un intérêt en commun, l’art. Toutes les victimes étaient des collectionneurs d’art contemporain, ou plus spécifiquement d’Art Urbain. Reste à savoir qui leur veut du mal, pourquoi, comment.

L’idée de départ de ce roman est à priori fort séduisante, pénétrer le monde de l’art par le biais d’une enquête. Mais j’avoue que je me suis ennuyée. Sans doute du fait de la structure narrative un peu trop froide. Cet expert qui aligne les chapitres les uns derrière les autres est le seul personnage réel face au lecteur. Même si arrive rapidement un artiste inconnu, un certain jv le minusculement nommé. Il adore détourner les objets, et bien que très peu connu, il s’avère être le véritable lien entre les différents collectionneurs. Sa côte monte, mais il n’a qu’un désir, vendre une œuvre éphémère, à la façon de la petite fille au ballon de Bansky.

Car que peut-on dire de cet art qui se veut tellement original que d’aucuns y cherchent encore la beauté, le style, ce qui fait la singularité et l’intérêt d’une œuvre. À chaque fois je ne peux m’empêcher de penser à cette œuvre connue sous le nom de Merde d’artiste (oui, oui ! en italien Merda d’artista) de l’artiste italien Piero Manzoni réalisée à quatre-vingt dix exemplaires, et dont certains exemplaires avaient fui, y compris lors d’expositions ou dans des musées. Les acquéreurs s’étant même demandé si c’était une volonté de l’artiste, y compris si c’était une des qualités intrinsèques de œuvre …

Ce que j’ai apprécié dans ce roman ? Les différents genres, œuvres, artistes, que détaille l’auteur. Certains connus ou vus à plusieurs reprises dans des musées, d’autres découverts grâce à la lecture du roman. En particulier, et plus de trente ans après sa création par Keith Haring (en 1987) Tower cette fresque monumentale visible au sein de l’hôpital Necker de Paris, et qui est devenue depuis un véritable emblème de l’art de rue.

Ce qui m’a intéressée ? L’auteur mélange les genres, enquête, parti pris esthétique, social, et propose une véritable satire du marché de l’art contemporain et de ses excès. Pourtant il m’a manqué un je ne sais quoi en plus pour vraiment me convaincre.

Catalogue éditeur : Viviane Hamy
Face aux violents décès de trois amateurs d’art fortunés à Hong Kong, New York et Paris, un groupe de collectionneurs surnommé le « consortium de l’angoisse », charge un expert d’élucider ces incidents étranges. Sa mission ? Rassembler l’ensemble des faits connus et mener sa propre enquête. Le temps presse car de nouveaux accidents surviennent.
Une piste se dégage. Les victimes auraient fait l’acquisition d’œuvres subversives signées « jv ». L’artiste, un Orson Welles mâtiné d’un Bansky, obsédé par le détournement, est introuvable. Jusqu’au jour où il décide de joindre l’expert…
Provocation ? Bluff ? Falsification ? Serial artiste doublé d’un serial killer ?

Qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre ? Que signifie être artiste au sein de nos sociétés capitalistes et dématérialisées ? François Vallejo avec Efface toute trace embarque son lecteur au cœur d’une enquête palpitante où les apparences sont autant de trompe l’œil s’éclairant les uns les autres. Talentueux et féroce.

Parution : 03/09/2020 / ISBN : 9791097417970 / Pages : 294 p. / Prix : 19€

Opus 77, Alexis Ragougneau

Se laisser emporter par la musicalité de ce roman envoûtant et virtuose d’Alexis Ragougneau

Tout commence dans une église, une femme est au piano. Ariane, artiste de renommée mondiale, vient jouer pour les obsèques de Claessens, son père, lui-même mélomane, d’abord pianiste, puis chef d’orchestre de l’Orchestre de la Suisse romande.

Ariane, un quart de siècle et des cheveux de feu, va peu à peu tirer les fils enchevêtrés de cette famille désunie. Une mère chanteuse soprano d’origine israélienne qui s’est murée dans le silence et la folie, un père musicien qui ne pouvant plus jouer est devenu chef d’orchestre, un frère, David,  violoniste enfermé dans un bunker qui lui assure un silence total. Chacun a un talent de musicien, mais on dirait que leur plus grande obsession est de le gâcher, de ne pas s’en servir, en dehors d’Ariane qui sort du cadre.

Face à l’image si forte du père, comment peut-on se construire ? Car tout se passe entre ombre et lumière, réussite et échec, espoir et désillusions, travail et abandon. Peu à peu se dessinent les contours d’une famille de prodiges qui ayant toutes les clés en eux pour réussir vont plonger inexorablement dans l’échec et la folie. Avec en trame de fond un silence pesant, celui du bunker, celui de la salle de spectacle, celui de l’église quand l’artiste pose ses mains sur le piano et indique que tout est fini.

Aux obsèques, le fils prodigue est absent, et Ariane l’appelle et lui narre (ou à nous lecteurs ?) cette vie de famille si compliquée, le poids de cet opus sur leurs vies à tous. Tout le roman se déroule au rythme du Concerto pour violon n°1 en La mineur Opus 77, composé par DImitri Chostakovitch. Chaque chapitre commence comme les quatre mouvements du concerto, Nocturne, Scherzo, Passacaglia, Burlesque, au milieu desquels s’insère la cadence. Le ton est donné, la musique, sa force et sa passion dévorante vont nous emporter.

Il y a la mort, présente tout au long du roman et dès les premières pages avec le père omnipotent.
Il y a les relations ambiguës entre un fils et son père, apaisées entre une fille et son père, fusionnelles une sœur et son frère.
Il y a la puissance destructrice de la passion pour un instrument, pour la réussite aux concours – ici l’auteur nous dit tout du Concours musical international Reine Élisabeth de Belgique – et leur exigence dévastatrice pour atteindre la perfection.

L’auteur réussi le prodige de nous intéresser et de nous faire vibrer avec ses musiciens, de nous donner l’impression que nous comprenons tout, l’exigence, la douleur, les heures de répétitions, la solitude du musicien face à son jury, face à la salle.

J’ai aimé cette immersion dans un monde inconnu et très exigeant. Alexis Ragougneau dit les sélections, les concours, le travail acharné pour devenir le meilleur, le soliste que tout la monde va s’arracher. Mais aussi l’inextricable complexité des sentiments, face à un père qui domine par son aura une famille dans laquelle les enfants ont du mal à trouver leur place. Il se dégage de ces pages une belle musicalité des mots, des sentiments, des personnages, aimables ou pas, troublants dans leur façon de réagir, émouvants dans leur solitude et leur prison de silence.

Catalogue éditeur : Viviane Hamy

« Un jour, dans mille ans, un archéologue explorera ton refuge. Il comprendra que l’ouvrage militaire a été recyclé en ermitage. Et s’il lui vient l’idée de gratter sous la peinture ou la chaux, il exhumera des fresques colorées intitulées La Vie de David Claessens en sept tableaux. Je les connais par cœur, ils sont gravés à tout jamais dans ma médiocre mémoire, je peux vous les décrire, si vous voulez faire travailler votre imaginaire :

L’enfant prodige choisit sa voie.
Il suscite espoirs et ambitions.
Le fils trébuche, s’éloigne, ressasse.
Dans son exil, l’enfant devient un homme.
Le fils prodigue, tentant de regagner son foyer, s’égare.
Blessé, il dépérit dans sa prison de béton.

Mais à la différence des tapisseries de New York, ton histoire est en cours ; il nous reste quelques tableaux à écrire, toi et moi, et je ne désespère pas de te faire sortir un jour du bunker. La clé de ton enclos, de ta cellule 77, c’est moi qui l’ai, David. Moi, Ariane, ta sœur. »

Parution : 05/09/2019 / ISBN : 9791097417437 / Pages : 256 / Prix : 19€

Meurtre à Montaigne, Estelle Monbrun

Meurtre à Montaigne, d’Estelle Monbrun célèbre les 25 ans de la collection chemins nocturnes, des éditions Viviane Hamy.

En Dordogne, à Saint-Michel-de-Montaigne, les touristes adorent visiter la tour et la célèbre librairie du château de Montaigne. Olivier, un étudiant spécialiste de l’auteur fait le guide pendant ses vacances. Un matin, il découvre le corps inanimé d’un jeune homme au pied de la tour.
Sur l’Ile d’Oléron, Mary, une étudiante américaine assistante de Michel Lespignac est aussi la baby-sitter des petites filles de ce grand spécialiste de Montaigne. Sur la plage, elle retrouve Caro, une jeune fille rencontrée lors de son arrivée à Paris…  Un instant d’attention, et les petites filles ont disparu…
Le commissaire Foucheroux  vient de prendre sa retraite et n’a pas encore trouvé son rythme. Lorsqu’on l’appelle à la rescousse pour résoudre cette affaire d’enlèvement qui s’avère plus complexe que prévu, il est ravi de seconder son ancienne assistante, la commissaire Leila Djemani. Ils doivent être efficaces et très discrets, eu égard au statut de Lespignac. Ce dernier doit très prochainement faire paraitre une bombe qui va secouer le milieu littéraire et les aficionados de Montaigne.

De l’enlèvement aux découvertes multiples sur les personnalités et le passé des différents protagonistes, faux-semblants, trahison, envie, jalousie, désir de vengeance, filiation et généalogie, de nombreux  thèmes vont être adroitement abordés par Estelle Monbrun. L’intrigue est parfois embrouillée et semble traitée avec légèreté, trop fin de siècle peut-être (mais où est passée la police scientifique ?) Sans doute parce que nous avons affaire à des littéraires purs et durs ! Par contre l’humour et les références littéraires sont constamment présents dans ce polar rocambolesque qui plonge le lecteur dans l’histoire des lieux et de l’écrivain. Malgré tout, ce thriller plus littéraire que noir se laisse lire fort agréablement. N’y cherchez pas une enquête fouillée et des policiers aguerris, mais plutôt une écriture et un texte érudits qui donnent envie de découvrir ces lieux chers à Montaigne, parce que c’était lui, parce que c’est vous !

Catalogue éditeur : Viviane Hamy

Un rapide pincement des lèvres rouge vif aurait indiqué à une personne moins naïve que Mary que sa présence n’était pas vraiment souhaitée. Mais sa proposition fut acceptée, et, en chemin, elle apprit que Caro faisait ses études à l’École des beaux-arts et habitait à la Cité universitaire. Après deux bises à la française, que les Américains appellent air kisses et qui n’engagent à rien, Mary suivit des yeux sa nouvelle connaissance, qui emprunta l’avenue Foch après lui avoir fait un petit signe faussement désinvolte. Quelques instants plus tard, Caro envoyait sur son portable le message suivant à une adresse cryptée­ : « Le cabillaud sera une rascasse. Veronica. »

Avec Meurtre chez tante Léonie, Estelle Monbrun a inauguré la collection « ­Chemins Nocturnes­ » aux Éditions Viviane Hamy. D’autres « meurtres » suivront. On la compare souvent à David Lodge et à Agatha Christie : « L’auteur emprunte au premier des références sarcastiques sur le milieu universitaire, représenté avec un humour impitoyable, mais aussi attendri. À la seconde, son art de la narration, des fausses pistes, des coups de théâtre. » René de Ceccatty, Le Monde.
Vous voilà prévenus.

Parution : 14/03/2019 / ISBN : 9791097417277 / Pages : 224 p. / Prix : 19€

Estelle Monbrun (nom de plume d’une proustienne émérite) s’est lancée dans une carrière de professeur de littérature française contemporaine aux États-Unis, à New-York puis à Saint-Louis. Elle s’avère être une spécialiste reconnue dans le monde entier de l’œuvre de Marcel Proust et de celle de Marguerite Yourcenar. Parallèlement à son métier d’enseignante, Estelle Monbrun écrit des polars publiés par les Éditions Viviane Hamy. Ses écrits mêlent fraîcheur d’écriture, par l’aspect ludique et parodique de sa production littéraire, et profondeur, par la qualité documentaire et scientifique que ceux-ci proposent.
« Mes livres peuvent être lus comme de simples romans policiers, mais, si on connaît le texte source sur lequel je m’appuie, on peut s’amuser à reconnaître des citations cachées, des références stylistiques, des noms de personnages codés… C’est comme un clin d’œil permanent, une complicité à trois : un écrivain, une romancière, un lecteur. »

Saltimbanques, François Pieretti

Exercice difficile et périlleux, à la manière des saltimbanques, le héros du roman de François Pieretti  doit faire le deuil d’un inconnu, et malgré le désenchantement qu’est sa vie, se trouver lui-même au bout du chemin.

Nathan n’a jamais vraiment connu Gabriel ce petit frère qui disparait dans un accident de voiture à 18 ans. Il ne l’a même jamais vu grandir puisqu’il a quitté le domicile familial depuis dix ans. Aujourd’hui, malgré tout ce qui le sépare de ses parents, Nathan est revenu pour enterrer son frère. Mais comment peut-on faire son deuil d’un inconnu, dans une maison où rien ne vous le rappelle, ni  sa vie, ni son enfance, et surtout que retenir d’un adolescent qui n’est au fond qu’un étranger ?

Arrivé dans le sud-ouest de son enfance, il y fait un temps d’enterrement et l’ambiance n’est pas propice aux confidences. Nathan cherche malgré lui les traces de vie de ce frère inconnu. Il essaie de s’approcher d’une bande de jeunes gens, les amis de son frère. Une fille en particulier va l’attirer, la jolie Apolline.

Au contact d’Apolline et des autres, il découvre des pans de vie de son frère. Dans ce groupe d’ados qui joue les saltimbanques, Gabriel savait jongler comme personne, pilier du spectacle que la troupe doit donner pendant l’été. Cette troupe de jeunes est aussi déboussolée que Nathan et doit affronter la mort de leur ami à l’âge où la vie s’ouvre devant eux, c’est une cruelle épreuve.

Repartir à Paris, rester auprès de la belle et mystérieuse Apolline et de Bastien, même s’il ne trouve pas sa place ? Nathan va se poser, le temps d’aimer, de douter, d’apprendre à connaître celui qui n’est plus, au contact de ces jeunes qui auraient pu être ses amis. Et si, de rencontres en questionnement, de fuite en errances, c’était lui-même que Nathan réussissait à trouver enfin ?

Écrit sans pathos, sans tristesse au fond, malgré les temps qu’il évoque, ce roman interroge doucement avec émotion et délicatesse sur le temps qui passe, sur la quête de l’autre et de soi, sur ce que peut signifier réussir une vie… L’auteur sait nous toucher, y compris lorsqu’il aborde avec intelligence le sujet d’Alzheimer. Il nous rappelle aussi que de nombreux jeunes meurent bien trop tôt sur les routes des soirs de fêtes, et que ces morts-là signent inéluctablement la fin de l’insouciance pour tous ceux qui les entourent.

Lire également les chroniques de Nicole du blog motspourmots, de Françoise blog Mes lectures

Catalogue éditeur : Viviane Hamy

Plusieurs années auparavant, j’avais suivi mon père sur un long trajet, vers Clermont-Ferrand. Parfois il me laissait tenir le volant sur les quatre voies vides du Sud-Ouest, de longs parcours, la lande entrecoupée seulement de scieries et de garages désolés, au loin. Je conduisais de la main gauche, ma mère ne savait pas que j’étais monté devant. C’était irresponsable de sa part, mais la transgression alliée à l’excitation de la route me donnait l’impression d’être adulte, pour quelques kilomètres. Mon père en profitait pour se rouler de fines cigarettes qu’il tenait entre le pouce, l’index et le majeur. Sa langue passait deux fois sur la mince bande de colle. Il venait d’une génération qui ne s’arrêtait pas toutes les deux heures pour faire des pauses et voyageait souvent de nuit. J’avais un jour vu le comparatif d’un crash-test entre deux voitures, l’une datant des années quatre-vingt-dix et l’autre actuelle. Mon frère et sa vieille Renault n’avaient eu aucune chance.

Parution : 17/01/2019 / ISBN : 9791097417215 / Pages : 240 p. / Prix : 18€

Ne préfère pas le sang à l’eau. Céline Lapertot

Si comme moi vous avez aimé ses « Femmes qui dansent sous les bombes » alors  vous allez succomber au nouveau roman de Céline Lapertot « Ne préfére pas le sang à l’eau » chez Viviane Hamy.

Domi_C_Lire_celine_lapertot_ne_prefere_pas_le_sang_a_l_eauD’un côté, il y a les migrants qui, comme Karole et sa famille, ont franchi des kilomètres dans la souffrance et la faim pour arriver jusqu’à Cartimandua. Dans cette ville une citerne géante abreuve la population avec ce bien qui manque à tous : l’eau.

De l’autre côté il y a les habitants de la ville, qui ont du mal à accepter ces nez-verts qu’ils ne connaissent pas et qui les terrifient. Comme cela arrive souvent avec l’arrivée des migrants, ces peuples méconnus que l’on rejette avant même de les comprendre et les accepter.

Un jour, le drame arrive, la citerne explose et dévaste une partie de la ville. La jeune Karole jouait tout à côté, dans le bac à sable. Petite marionnette cassée, entrainée par les flots, cette enfant qui a traversé le désert avec sa famille meurt noyée, engloutie par l’eau qui devait apaiser les brulures de sa gorge déshydratée et enfin la désaltérer.

Alors que la soif risque de toucher toute la population, le pays tombe sous la coupe d’un dictateur, Ragazzini, qui établit sa puissance en assoiffant les populations.

Dans cette ville où les hommes meurent désormais de soif, il y a également un pénitencier. Là, au fond de sa cellule, il y a T, qui compte inexorablement les briques rouges qui composent les murs de sa prison. T qui a osé écrire sur les murs pour dénoncer, dire l’espoir, réveiller les consciences et a été trahi par son ami d’enfance.

On comprend immédiatement que ce pays, ces hommes, cette époque sont tous imaginaires, mais que tout cela pourrait être ici et maintenant. Car dans son roman Céline Lapertot parle avant tout d’immigration, de dictature, de liberté, de différence, de violence. Elle évoque aussi les mots qui sauvent, l’écriture, la fraternité et la confiance.

J’avais aimé Femmes qui dansent sous les bombes, je retrouve de nouveau la force, l’engagement, la violence de situation découverts avec ce roman. L’auteur est une jeune femme aux textes engagés qui décillent les yeux de ceux qui les découvrent. Je dois avouer que ce pays imaginaire m’a cependant par moment tenue à distance du sujet, de la souffrance dénoncée, en lui donnant une dimension irréelle et trop abstraite. Pourtant, il est évident que ce sujet interroge et touche ses lecteurs. C’est un roman d’anticipation qui entre véritablement  en résonnance avec l’actualité et avec nos interrogations actuelles.

Si vous avez aimé ce roman, et surtout si le sujet abordé vous interpelle vous aussi, n’hésitez pas à découvrir le dernier roman de Philippe Claudel, L’archipel du Chien, ainsi que L’opticien de Lampedusa de Emma-Jane Kirby.

💙💙💙


Catalogue éditeur : Viviane Hamy

« Cette sensation de fin du monde, quand tu as dix ans et que tu comprends, du haut de ton mètre vingt, qu’il va falloir abandonner la sécheresse de ton ocre si tu ne veux pas crever. Je serais restée des millénaires, agenouillée contre ma terre, si je n’avais pas eu une telle soif.
Maman a caressé la peau de mon cou, toute fripée et desséchée, elle m’a vue vieille avant d’avoir atteint l’âge d’être une femme. Elle a fixé les étoiles et, silencieusement, elle a pris la main de papa. On n’a pas besoin de discuter pendant des heures quand on sait qu’est venu le moment de tout quitter. J’étais celle à laquelle on tient tant qu’on est prêt à mourir sur les chemins de l’abîme.
J’étais celle pour laquelle un agriculteur et une institutrice sont prêts à passer pour d’infâmes profiteurs, qui prennent tout et ne donnent rien, pourvu que la peau de mon cou soit hydratée. J’ai entendu quand maman a dit On boira toute l’humiliation, ce n’est pas grave. On vivra. Il a fallu que je meure à des milliers de kilomètres de chez moi. »

Parution 11/01/2018 / Collection Littérature française / ISBN 9791097417048 / Pages 152 p / Prix 17€

Trois saisons d’orage. Cécile Coulon

« Trois saisons d’orage », le dernier roman  de Cécile Coulon est beau comme un roman du siècle dernier, d’une écriture dense comme les paysages qu’elle évoque et rude comme la vie aux Trois-Gueules.

coulonUn lieu comme personnage principal, trois générations comme personnages secondaires, des vies qui passent comme décor, voilà une tragédie – car c’est ce qui est annoncé dans les toutes premières pages – à la fois classique et actuelle, étrangement intemporelle. Toute l’intrigue de ces Trois saisons d’orage se déroule aux Fontaines, un hameau de quelques âmes, jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale. A ce moment-là, les frères Charrier vont ouvrir une carrière et permettre aux ouvriers de s’installer là et d’y vivre.

Aux fontaines la vie est paisible, mais elle est rude aussi, comme savent l’être les montagnes, dures comme la pierre, belles comme un lever de soleil, intenses et déchainées comme un ciel d’orage. Il peut même être difficile de s’y faire une place, car les paysans, les ouvriers, tous les natifs du coin ont du mal à accepter les nouveaux, ceux de la ville qui viennent là et ne rêvent que de cette vie paisible, dans ces paysages qu’ils croient pouvoir dompter, qu’ils imaginent pouvoir sculpter à leur image dans la pierre des maisons, des chemins, des montagnes.

André est médecin. Il s’est établi aux Fontaines, dans ce lieu hors du temps qui pourrait être une enclave dans une montagne rocheuse et escarpée, ce genre de lieux où l’on décide l’aller exprès, car aucune route ne le croise, aucun chemin ne le traverse. Il avait rencontré Élise à la ville. Elle y restera, mais de leur soirée arrosée est né un fils, Bénédict, qu’André élève aux Fontaines. Devenu médecin à son tour, Bénédict épouse Agnès, une autre fille de la ville qui adopte la solitude et le calme des Fontaines. Puis arrive la troisième génération avec leur fille Bérangère.

Si André est venu là, c’était pour soigner paysans et ouvriers, ceux qui travaillent aux carrières, et surtout ces enfants qui meurent si jeunes sans que nul médecin n’y puisse rien. Il y a fait sa vie, son fils aussi, qui après ses études a rejoint son père dans leur cabinet médical où passe  toute la population des Trois-Gueules.

Aux Fontaines, il y a aussi Maxime et surtout Valère, son fils. Paysans de père en fils, ils sont nés là, au milieu de leurs champs, parmi les vaches sur cette terre qu’ils connaissent si bien. Valère et Bérangère se rencontrent à l’école et comme une évidence ils savent qu’ils vivront ensemble et sont faits l’un pour l’autre. Bérangère est une native du pays, amoureuse d’un gars d’ici. Alors bien sûr tout le monde trouve normal qu’ils pensent déjà au mariage, même s’ils sont si jeunes.

Mais dans la vie de Bénédict et de Bérangère, il y a aussi Agnès, la mère, si belle, si magnétique, si inaccessible, que par elle ou pour elle, l’impensable peut arriver… Et c’est là tout l’art de Cécile Coulon, de faire jaillir de ce conte idyllique le drame que nul n’attendait. Difficile d’en dire plus sans trop en dévoiler.

Voilà un roman étrange dans lequel la force des sentiments est tout juste évoquée, car elle est surtout combattue par ceux qui les éprouvent, où l’amour est omniprésent alors qu’il est pourtant tenu secret, silencieux, rejeté, et surtout dévastateur. La force de l’indicible, le silence, l’amour plus fort que la volonté, la fidélité et le destin vont se jouer des personnages dans une fresque étonnamment classique. J’ai cru très souvent lire un roman du 19e alors que Cécile Coulon est une auteur si jeune et à l’écriture absolument contemporaine ! On se laisse vraiment emporter par cette histoire familiale.


Catalogue éditeur : Viviane Hamy

Trois générations confrontées à l’Histoire et au fol orgueil des hommes ayant oublié la permanence hiératique de la nature.
Saga portée par la fureur et la passion, Trois Saisons d’orage peint une vision de la seconde partie du XXe siècle placée sous le signe de la fable antique. Les Trois-Gueules, « forteresse de falaises réputée infranchissable », où elle prend racine, sont un espace où le temps est distordu, un lieu qui se resserre à mesure que le monde, autour, s’étend. Si elles happent, régulièrement, un enfant au bord de leurs pics, noient un vieillard dans leurs torrents, écrasent quelques ouvriers sous les chutes de leurs pierres, les villageois n’y peuvent rien ; mais ils l’acceptent, car le reste du temps, elles sont l’antichambre du paradis.

Parution : 05/01/2017 / ISBN : 9782878583373 / Pages : 272 p. / Prix : 19€

Des femmes qui dansent sous les bombes. Céline Lapertot

Quiconque s’empare de mon corps de femme, je le tue.
Quiconque me marche dessus, je le tue.
Quiconque cherche à me coucher, je le tue...

« Des femmes qui dansent sous les bombes » un titre étrange, et une quatrième de couverture qui donnent envie de découvrir le roman de Céline Lapertot. Un coup de cœur !

Dans ce roman, nous faisons connaissance avec les souffrances et la force de Séraphine, devenue une lionne impavide après le massacre de sa famille, avec Blandine, avec ces femmes qui, pour ne pas mourir, vont danser sous les bombes. Mais cette danse-là n’a rien de poétique ni d’imagé. Elles vivent au Congo, mais cela pourrait être en Afrique ou dans n’importe quel pays en guerre. Là où la vie d’une femme et son intégrité sont bien trop souvent de vains mots, quand les hommes, tous puissants, se servent, violent, pénètrent, éventrent, massacrent, tuent (les faibles, les enfants, bien sûr) mais surtout les femmes, premières victimes des violences et des exactions, partout et de tous temps. C’est aussi un roman qui monte l’indicible, les sentiments de honte, de peur, d’un père qui assiste au massacre de sa femme ou de ses filles, ce regard de désespoir que l’on peut ressentir et imaginer, tant les mots sont précis et forts.
C’est avant tout un hymne à la femme, résistante, confiante, courageuse, et cependant toujours fragile. Il y a infiniment de puissance dans ces lignes, de sentiments très forts, d’amitié, de confiance, de courage. Il y a aussi des peurs et des victoires, sur soi-même d’abord, puis sur l’autre, l’ennemi, le milicien, celui qui tue impunément le plus souvent, puisque l’acte de tuer, de se rebeller, de se défendre, n’est pas un sentiment naturel chez ces femmes. Elles donnent la vie, élèvent les enfants, cultivent la terre, nourrissent leur famille. Elles n’ont pas été élevées pour tuer, mais doivent se lever et se défendre pour vaincre le mal qui gangrène leur pays, leur tribu.

Écrit avec des mots superbes de justesse et de retenue, c’est un livre sur la passation du savoir, l’entraide, l’amour de son pays, l’amour de l’autre que l’on défend au péril de sa vie, sur les choix que l’on fait ou que l’on aurait dû faire et qui décident d’un avenir, sur le goût amer de la défaite aussi.
La construction est intéressante, présentant une alternance de personnages qui s’adressent à une journaliste qui filme et interroge. Mais ce n’est ni lourd ni répétitif, au contraire. Les chapitres sont courts et on s’attache rapidement aux différents personnages que l’on voudrait mieux connaitre tant leurs personnalités sont passionnantes. Un très beau roman.

domiclire_POL2016  Sélection 2016 du Prix Orange du livre


Catalogue éditeur : Viviane hamy

« Savez-vous pourquoi l’on a accepté de nous livrer ainsi à vous, dans ce que nous avons de plus intime. C’est parce que vous avez marché avec nous. Vous avez couru à nos côtés, la caméra embarquée. Vous avez marché aux côtés de nos mères, lorsqu’elles vendaient nos haricots, nos œufs et notre lait. Vous avez partagé la sueur de nos mères. Vous les avez suivies tout le temps. Vous nous suivez partout, que nous nous battions, que nous vendions, que nous produisions. Vous avez constaté une chose : nous marchons. Nous marchons toujours. La marche est notre socle, le fondement de notre petite civilisation de femmes. Nous marchons pour vendre, nous courons pour fuir mais nous marchons encore pour tuer. »
Dans ce pays d’Afrique, la guerre civile fait rage et nul destin n’est tracé. Celui de Séraphine s’annonce heureux – elle épousera bientôt l’homme qu’elle aime –, mais il bascule lorsque des miliciens saccagent son village. Lire la suite

Parution : 03/03/2016 / Collection Littérature française / ISBN : 9782878583014 / Pages : 200 p. / Prix : 18€

 

Le cœur du Pélican. Cécile Coulon

Le cœur du pélican, c’est celui d’Anthime, celui qui court et fuit ses peurs et ses espoirs déçus pour se retrouver, ou se perdre.

 « Le cœur du Pélican », c’est l’histoire d’Anthime, un jeune garçon qui vient d’aménager avec ses parents dans une nouvelle ville. Lors d’un piquenique bien peu fraternel, par peur de paraitre pleutre ou faible, il va courir de toutes ses forces et se découvrir des appétences et un talent insoupçonné pour la course.  Brice, ancien coach un peu alcolo sur le retour, décide de le prendre en main et de l’emmener à la victoire. Admiré au lycée comme sur la piste, Anthime se laisse griser par le succès, les garçons le respectent, les filles l’adulent, en particulier sa voisine Johanna. Il partage un amour ambigu et fraternel avec Helena, sa sœur, sa moitié, celle qu’il admire et qui le comprend sans qu’il ait besoin de parler. Mais Anthime est jeune, son entraineur le pousse au-delà de ses capacités d’adolescent, trahit pas ses tendons, il s’écroule lors d’une course primordiale pour le reste de sa jeune carrière. Ses rêves et son aura s’effondrent aussi vite qu’ils s’étaient formés. Ses espoirs de victoire anéantis à jamais, il se terre, et finalement épouse Johanna, sa voisine amoureuse, envahissante et fade, il est l’homme de sa vie, mais elle n’est pas la femme de la sienne. Vingt ans plus tard, Anthime, père de famille, époux blasé et amer, a pris du gras et du ventre. Des réflexions désobligeantes déclenchent un sursaut dans son quotidien triste et résigné. Le voilà qui s’entraine, puis qui part dans une course éperdue à travers le pays, à la façon d’un  Forest Gump, ou d’un Harold Fry (La lettre qui allait changer le destin d’Harold Fry). Il court ! Il court vers sa vie, son passé, ses échecs, ses espoirs et ses questionnement, vers tout ce qu’il n’a jamais su accomplir, vers ce qu’il aurait dû être, il court pour se retrouver. A la façon de ces marcheurs qui sur le chemin de saint Jacques cherchent non pas la foi, mais bien leur propre être intérieur, qui cherchent à se comprendre et à mieux se connaitre. Il y a une extraordinaire dose de désespoir dans sa course. Il court longtemps, il court loin, sans espoir de retour, il fuit sa femme, ses enfants, sa sœur, son passé.

J’avais entendu et lu beaucoup de bien de ce roman d’une auteure particulièrement jeune, mais je ne savais pas vraiment à quoi m’attendre. Le texte est particulièrement bien écrit, et j’ai particulièrement apprécié la première partie, pourtant certaines incohérences ne m’ont pas permis d’y adhérer entièrement. Car comment imaginer des parents incapables de suivre l’entrainement de leur gamin et de le protéger, laissant faire l’impossible qui le mène à l’échec d’une vie ? Comment imaginer cet homme médiocre à la colère rentrée pendant vingt ans, assis à faire du gras sur sa terrasse, vivant à côté de sa femme et de ses enfants, sans arriver à dépasser l’échec de son adolescence ? Comment imaginer un homme de 40 ans aussi plein de rage rentrée, soudain capable de se relever seulement pour faire autant de mal à tous ceux qui l’entourent, avec autant de colère et de violence. Malgré tout l’écriture est belle et maitrisée, gravée au scalpel sur les muscles et les douleurs retrouvées d’Anthime, on devine ses peurs et ses tourments, sa fuite et ses espoirs, on y ressent cette fatalité qui le frappe,  inéluctable, même si on n’y adhère pas toujours.

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Catalogue éditeur : Viviane Hamy

Porté par une extrême émotion, Le Cœur du Pélican nous parle de la gloire et de sa fragilité, du sport et de sa souffrance. Il raconte le courage et la destinée à la fois banale et extraordinaire d’un homme qui réussit, connaît le succès, tombe et se relève. Cécile Coulon parvient formidablement à incarner ses personnages aux prises avec leurs désirs et aveuglés par les non-dits.

Parution : 15/01/2015 / ISBN : 9782878586015 / Pages : 240 p.