Les envolés, Étienne Kern

Un incroyable fait divers aussi émouvant que déstabilisant

Le 4 février 1912, un homme se présente à l’aube au pied de la tour Eiffel. Il a obtenu de la préfecture l’autorisation de faire un essai de saut avec un parachute de son invention, saut qui sera effectué par un mannequin. Mais ce matin-là, Franz Reichelt décide qu’il sera le seul à tester sa création, qu’il se jettera des cinquante-sept mètres du premier étage de la tour.

Aucun suspense quant à l’issue de ce saut, ce sera hélas le premier mort filmé de l’histoire du cinématographe. Comment en est-il arrivé là ? Qui est-il ? Et pourquoi en parler aujourd’hui dans ce roman ?

Subjugué par le photos de cet homme qui pose dans un étrange costume bouffant, avec des coutures, des armatures, et du tissus à ne plus savoir qu’en faire, Étienne Kern tente de comprendre qui il était et qu’elle idée folle lui est passée par la tête pour aboutir à ce jour funeste du 4 février.

M., une amie de l’auteur, souffre d’une maladie grave. Il sont très liés, pourtant c’est par un tiers qu’il apprend qu’elle s’est jetée de son balcon pour en finir avec cette vie de souffrance.

Ces deux envolés deviennent alors le fil conducteur de ce roman singulier.

Franz Reichelt est arrivé d’un village près de Prague en Bohème. Issu d’une famille de cordonniers, c’est la couture qui le séduit. Rapidement il fait ses classes puis installe son atelier en France, près de l’Opéra, à Paris. Franz était l’ami d’Antonio, un créateur comme lui. Arrivé d’Espagne, il a enduré lui aussi la méfiance des français envers les émigrés. Tout les rapproche tant qu’ils deviennent amis. Mais un jour, Antonio se prend d’amour et de passion pour les aéroplanes, ces drôles d’engins volants dont on parle de plus en plus et pour lesquels les expériences les plus dingues sont menées par des fous qui n’ont peur de rien. De couturier expérimenté, reconnu et raisonnable, Antonio devient rapidement un expérimentateur aussi dément que les autres, jusqu’au jour où il décède dans son avion, alors qu’Emma, sa jeune épouse, vient de mettre au monde leur fillette.

Emma, jeune veuve et maman de la petite Rose arrive à Paris dans l’ex atelier de son époux,. Elle y trouve du travail. Elle rencontre Franz. Une relation plus intime se noue entre eux. Pour lui plaire, il cherche à réaliser le parachute qui aurait pu sauver la vie de son ami. Lorsqu’un concours est lancé pour récompenser l’inventeur du parachute idéal, Franz se jette dans la compétition. Puis expérimente son invention.

L’auteur pose de nombreuses questions. Pourquoi cet homme qui paraissait sensé décide ce jour-là de tenter lui même le saut qui causera sa perte ? Pourquoi personne dans son entourage n’a essayé de l’en empêcher ? Quelle folie prend ainsi ces hommes qui ont tenté l’impossible pour voler, créer ces merveilleuse machines qui paraissent folles aujourd’hui mais qui ont été les précurseurs de l’aviation contemporaine ?

Le questionnement est intéressant, tout comme le parti pris d’évoquer ces inventeurs pas toujours heureux. J’ai aimé découvrir la folie et le désespoir qui se mêlent à la joie de la réussite.

J’ai aimé découvrir ce personnage totalement fou, qui n’a pas hésité une seconde avant de s’élancer vers sa mort. Ah, si seulement on pouvait savoir ce qu’il a pensé pendant ces quelques secondes avant sa fin annoncée.

Le parallèle avec M., l’amie disparue est émouvant et interpelle. Qui sont ces envolés et comment en arrivent-ils là ? Un roman aussi bouleversant que triste, étonnant qu’instructif, qui m’a donné envie d’aller chercher des informations sur Franz et les autres merveilleux fous volants dans leurs drôles de machines. Il y a une grande poésie dans ces lignes. L’alternance entre le récit intime de la relation à l’amie, les recherches pour se rapprocher de Franz sans jamais avoir pu le rencontrer, et la façon dont Étienne Kern se l’est approprié pour nous en restituer les sentiments et les interrogations m’a particulièrement séduite.

Un roman de la sélection 2022 des 68 premières fois

Catalogue édieur : Gallimard

4 février 1912. Le jour se lève à peine. Entourés d’une petite foule de badauds, deux reporters commencent à filmer. Là-haut, au premier étage de la tour Eiffel, un homme pose le pied sur la rambarde. Il veut essayer son invention, un parachute. On l’a prévenu : il n’a aucune chance. Acte d’amour ? Geste fou, désespéré ? Il a un rêve et nul ne pourra l’arrêter. Sa mort est l’une des premières qu’ait saisies une caméra.
Hanté par les images de cette chute, Étienne Kern mêle à l’histoire vraie de Franz Reichelt, tailleur pour dames venu de Bohême, le souvenir de ses propres disparus.
Du Paris joyeux de la Belle Époque à celui d’aujourd’hui, entre foi dans le progrès et tentation du désastre, ce premier roman au charme puissant questionne la part d’espoir que chacun porte en soi, et l’empreinte laissée par ceux qui se sont envolés.

Parution : 26-08-2021 / 160 pages, 140 x 205 mm / ISBN : 9782072920820 / 16,00 €

Le passeur, Stéphanie Coste

Passeur de rêves, passeur de vie, un roman bouleversant et indispensable

Ce sera la dernière traversée de l’année, ensuite, il faudra attendre le printemps. Aussi les candidats au départ sont-ils particulièrement nombreux, cantonnés sous de fortes chaleurs dans les entrepôts de Seyoum, sur la côte libyenne. Car loin d’être un voyage d’agrément, cette traversée est le dernier espoir de ceux qui tentent d’atteindre les côtes de l’Europe, et tout d’abord Lampedusa, pour quitter cette terre d’Afrique trop inhospitalière.

Ils ont payé le prix fort aux hommes qui les ont conduit jusque ici depuis l’Éthiopie, le Soudan ou l’Érythrée. Et Seyoum est comme tant d’autres, un passeur de vies. De ces hommes qui font fortune sur la misère des autres. Sans hésiter, il sait user de violence pour se faire respecter. Est-il sans pitié, cet homme qui s’enrichit sur la peur et le désespoir de ses congénères ? D’où viennent ces angoisses qu’il calme avec des doses de Khat et de gin dans cette chambre où il traîne sa misère dans la profondeur et la noirceur de la nuit.

Peu à peu, alors que le dernier chargement d’érythréens vient d’arriver, le passé de Seyoum se dévoile, sombre et meurtri. Car lui aussi est arrivé de ce pays voilà déjà dix ans. La vie familiale heureuse à Asmara, son amour naissant pour Madiha, puis la révolution, la peur, les arrestations et les exécutions, l’embrigadement dans les camps de travail, les tortures, et la fuite, seul. Il se nourrit aujourd’hui de son propre passé, de ses peurs les plus profondes, de ses plaies à vif qui se réveillent en cette ultime nuit.

En deux époques pour conter la vie et la misère de ses différents protagonistes, Libye 2015, Érythrée, de 1993 à 2005, Stéphanie Coste déroule une partie infime de l’histoire politique de l’Afrique. Le désespoir de ceux qui donnent tout, en prenant le risque assumé de perdre leur vie en mer, pour quitter leurs terres et vivre leur rêve de l’autre côté de la méditerranée. Cette mer devenue le tombeau de trop nombreux candidats à l’exil.

Une lecture particulièrement intéressante qui nous donne une vision depuis l’intérieur du monde des passeurs, de ces guerres d’intérêts financiers qui règnent sur les rives libyennes, pour amener jusqu’à nos côtes les migrants qui tentent de réaliser leurs rêves de vie meilleure. Mais lecture émouvante et dérangeante aussi quand elle nous présente des hommes qui ne sont pas des héros, ni totalement bons ni totalement mauvais. La malchance, le sort, le passé, le destin, sont venus se mettre en travers de leur route pour contrecarrer leurs rêves d’avenir et les obliger à en avoir d’autres, plus loin, plus compliqués, plus aléatoires. La détresse, la violence, l’espoir, sont là pour nous dire les drames qui se nouent à quelques encablures de nos côtes, pas bien loin de notre confort quotidien, confinés mais en toute sécurité.

En lisant Le passeur on ne peut s’empêcher de penser au roman magistral d’Olivier Norek Entre deux mondes mais aussi au court recueil de Khaled Hosseini publié pour venir en aide aux migrants Une prière à la mer

Catalogue éditeur : Gallimard

Quand on a fait, comme le dit Seyoum avec cynisme, « de l’espoir son fonds de commerce », qu’on est devenu l’un des plus gros passeurs de la côte libyenne, et qu’on a le cerveau dévoré par le khat et l’alcool, est-on encore capable d’humanité ?
C’est toute la question qui se pose lorsque arrive un énième convoi rempli de candidats désespérés à la traversée. Avec ce convoi particulier remonte soudain tout son passé : sa famille détruite par la dictature en Érythrée, l’embrigadement forcé dans le camp de Sawa, les scènes de torture, la fuite, l’emprisonnement, son amour perdu…
À travers les destins croisés de ces migrants et de leur bourreau, Stéphanie Coste dresse une grande fresque de l’histoire d’un continent meurtri. Son écriture d’une force inouïe, taillée à la serpe, dans un rythme haletant nous entraîne au plus profond de la folie des hommes.

136 pages, 140 x 205 mm / ISBN : 9782072904240 / Parution : 07-01-2021 / prix 12,50 €

La discrétion, Faïza Guène

Une famille, deux cultures, un roman universel contemporain

De Faïza Guène, j’avais lu et apprécié Un homme ça ne pleure pas qui évoquait déjà l’émigration algérienne en France. Dans La discrétion, l’écriture a mûri, la légèreté s’est envolée, le lecteur part à la rencontre de Yamina, et de différents membres de sa famille.

Yamina est née en 1949 dans l’Algérie colonisée, dans la province de Msirda Fouaga. Famine, sécheresse, fragilité des récoltes et dureté de la vie sont le lot quotidien de ses parents, dans ce pays soumis aux affres de la guerre. De son enfance, Yamina retient les années d’école, le bonheur d’apprendre, puis la retour à la maison, seule fille de la fratrie elle doit aider la mère et abandonner cartable et cahiers. Ce sera plus tard la fuite vers le Maroc, puis l’exil vers la France avec Brahim, ce mari plus âgé qu’on lui a choisi.

Yamina déborde d’amour pour les siens, vit discrètement, accepte son sort et celui imposé aux émigrés, jamais vraiment acceptés dans ce pays qui pourtant devient aussi le leur, même si la génération d’après née sur le sol français est toujours une génération d’étrangers. Yamina et Brahim ont eu des filles et Omar, le fils chéri. Des années plus tard, Omar est taxi Uber. Pas facile de gagner sa vie, même quand on est issu d’une famille qui a toujours eu du travail, où l’on a toujours mangé à sa faim et que l’on a fait des études.

Le mariage de l’aînée est un échec retentissant et inacceptable pour les parents. Et quand leur plus jeune fille décide de quitter le domicile familial sans être mariée c’est totalement incompréhensible pour ces parents aux traditions encore fortement ancrées, malgré une vie passée en région parisienne.

Le roman alterne les récits de plusieurs époques et différents personnages, montrant ces disparités familiales, ceux qui suivent encore la tradition, ceux qui essaient de s’en libérer, le divorce comme un fléau pour les femmes, mais pas pour les hommes, la place des filles, à la maison, les études, les mariages arrangés, des règles que tous appliquent avec plus ou moins de rigueur, en pensant faire au mieux pour le bonheur de tous. Toujours présent également l’amour des parents pour leurs enfants, et l’amour filial et le respect qui empêchent parfois un enfant de vivre pleinement sa vie. Enfin, ce cruel dilemme des enfants de la deuxième génération qui ne trouvent leur place ni dans le pays d’origine de leurs parents, ni dans leur pays de naissance. Jusqu’à quand ? Combien faudra-t-il de générations avant que chacun accepte l’autre pour ce qu’il est, et arrête de voir uniquement d’où il vient.

L’écriture est précise, sans fioriture, elle décrit sans jugement, sans partis pris, sans rancune. Elle donne l’exacte dimension des sentiments de Yamina, son amour pour ses enfants, leur réussite, les souffrances de l’enfance, les regrets, mais aussi un bonheur simple enfin accessible.

Catalogue éditeur : Plon

« Ses enfants, eux, ils savent qui elle est, et ils exigent que le monde entier le sache aussi »

Yamina est née dans un cri. À Msirda, en Algérie colonisée. À peine adolescente, elle a brandi le drapeau de la Liberté.
Quarante ans plus tard, à Aubervilliers, elle vit dans la discrétion. Pour cette mère, n’est-ce pas une autre façon de résister ?
Mais la colère, même réprimée, se transmet l’air de rien.

Née en 1985, Faïza Guène est romancière et scénariste. Kiffe kiffe demain, traduit en vingt-six langues, la fait connaître à l’âge de dix-neuf ans.
Dans La Discrétion, elle rassemble les fragments d’une histoire intime qui vient bouleverser le roman national.

Parution : 27/08/2020 / EAN : 9782259282444 / Nombre de pages : 256

Héritage, Miguel Bonnefoy

Les rêves de quatre générations portés par la magie de l’écriture de Miguel Bonnefoy

En 1873, celui qui deviendra Lonsonier part de France où il était viticulteur dans le Jura, pour rejoindre la Californie après la grande épidémie de phylloxera du XIXe siècle. Le père de Lazare accoste finalement à Valparaíso au Chili avec trente Francs et un cep de vigne en poche.  C’est à Santiago du Chili qu’il va refaire sa vie, d’abord en épousant Delphine, puis en lui faisant trois fils et en reconstituant là-bas les vignes perdues de France.

Quatre générations plus tard, que sont devenus ces enfants d’émigrés ?
Lazare a connu la guerre, la moche, celle des tranchées qui le laisse à jamais exsangue et amputé à la fois d’un poumon et de sa jeunesse comme de son insouciance. Il a fait sa vie auprès de la belle et sauvage Thérèse qui aime les oiseaux autant sinon plus que les hommes.

La vie continue, arrive Margot. C’est une enfant passionnée qui rêve de devenir pilote. Pas facile quand on est une femme dans un univers d’hommes et en plus dans une discipline balbutiante. Il faut de la pugnacité pour assouvir sa passion.
Mais à son tour, portée par l’amour d’un pays qui pourtant n’est pas le sien, elle part faire la guerre en Europe, la grande cette fois. Là, elle sera une combattante de l‘ombre et c’est une femme différente, bien que saine et sauve, qui revient au pays. Un fils, Ilario Da, et une révolution plus tard, le pays sombre dans la dictature. Il faut alors essayer de vivre ou de mourir, avec ou sans gloire. Ilario est arrêté, torturé, forcé à son tour à l’exil.

L’écriture est belle, puissante et simple à la fois, les caractères sont bien trempés, le surnaturel occupe sa juste place et le rythme ne faiblit jamais. L’auteur une fois de plus nous transporte dans une saga qui, à travers plusieurs générations, mêle les traditions de deux pays, dans cette époque difficile de deux grandes guerres, aborde les affres de la dictature et ses conséquences sur tout un pays, et y pose un brin de surnaturel comme il sait si bien le faire. Une histoire qu’il connait bien et qui est aussi son propre héritage.

Les personnages hauts en couleurs nous font vivre à travers leurs familles l’histoire du Chili, ses liens avec la France et la difficile adaptation des migrants qui jamais ne renient leur pays d’origine. Il est important aussi de se souvenir que si les français accueillent sur leur sol les migrants d’aujourd’hui, de nombreuses générations ont eu par le passé à migrer à leur tour vers des terres plus ou moins hospitalières.


Catalogue éditeur : Rivages

La maison de la rue Santo Domingo à Santiago du Chili, cachée derrière ses trois citronniers, a accueilli plusieurs générations de la famille des Lonsonier. Arrivé des coteaux du Jura avec un pied de vigne dans une poche et quelques francs dans l’autre, le patriarche y a pris racine à la fin du XIXe siècle. Son fils Lazare, de retour de l’enfer des tranchées, l’habitera avec son épouse Thérèse, et construira dans leur jardin la plus belle des volières andines. C’est là que naîtront les rêves d’envol de leur fille Margot, pionnière de l’aviation, et qu’elle s’unira à un étrange soldat surgi du passé pour donner naissance à Ilario Da, le révolutionnaire.
Bien des années plus tard, un drame sanglant frappera les Lonsonier. Emportés dans l’oeil du cyclone, ils voleront ensemble vers leur destin avec, pour seul héritage, la légende mystérieuse d’un oncle disparu.

Dans cette fresque éblouissante qui se déploie des deux côtés de l’Atlantique, Miguel Bonnefoy brosse le portrait d’une lignée de déracinés, dont les terribles dilemmes, habités par les blessures de la grande Histoire, révèlent la profonde humanité.
Miguel Bonnefoy est l’auteur de deux romans très remarqués, Le Voyage d’Octavio (Rivages poche, 2016) et Sucre noir (Rivages poche, 2019). Ils ont tous deux reçu de nombreux prix et été traduits dans plusieurs langues.

EAN: 9782743650940 / Parution: août, 2020 / 256 pages / Prix: 19,50€

Furie, Grazyna Plebanek

Puissant comme les poings serrés de Mohamed Ali, violent comme le racisme, émouvant comme la vie de la jeune Alia, rythmé comme la voix de Furie, un roman qui marque ses lecteurs

Le Belgique et le Congo, c’est une histoire d’amour et de haine, une histoire de colonies qui va du Congo Belge au Congo d’aujourd’hui. Quand la famille d’Alia arrive à Bruxelles dans les années 80, c’est dans les bagages de Bastien qui quitte Kinshasa pour rentrer chez lui.

Dans cette famille il y a Eddy, le père qui est chauffeur de maitre, ou de maitresses, c’est selon. Eddy le conteur, le griot, qui aime la palabre et le contact avec ceux qui l’écoutent, mais qui s’étiole en Belgique. Jusqu’au jour où il rentre à Kinshasa pour quelques jours, et oublie de revenir, laissant sur la touche femme et enfants, y compris Riva, ce petit dernier qui s’annonce alors qu’il vient de les quitter.

Il y aussi Fourmi, collée devant l’écran de télévision à regarder chaque jour des séries. C’est Alia qui a la charge de l’éducation de son frère Joe. Il faut dire que là-bas, c’est Fourmi qui devait s’occuper de tous les enfants que son père a eu avec ses autres épouses, alors elle en a soupé et ne veut plus travailler.

Il y a Alia, la forte, la fille de son père, prénommée d’après Mohamed Ali, son idole, et qu’il va initier à la boxe, avec ce sac suspendu dans l’entrée et sur lequel elle frappe, frappe encore. Comme une violence contenue qui doit exploser, comme un appel au secours peut-être, face au racisme, à la difficulté d’être noire dans un pays de blancs, d’être fille aussi dans une cité difficile. Elle a des rêves Alia, que ses frères réussissent, que sa mère travaille, faire de la boxe, et surtout rentrer dans la police. Elle a du courage aussi, de la pugnacité et de la suite dans les idées. Alors malgré la violence, le racisme ambiant, elle devient celle quelle rêvait d’être, policière dans un monde d’hommes, violent, raciste, délétère.

Prenant prétexte de nous conter Alia et ses rêves, Grazyna Plebanek explore l’histoire récente de la Belgique. Elle insère ses personnages dans la réalité de ces années-là, celles des tristement célèbres Tueurs du Brabant, de cette période incroyable d’un pays sans gouvernement, on se souvient des conflits sans fin entre les deux communautés linguistiques que sont les Flamands et les Wallons. C’est puissant et violent, un étonnant roman qui dérange et dont on se souvient longtemps il me semble.

Roman lu dans le cadre de ma participation au Jury du Prix des Lecteurs du Livre de Poche 2020

Catalogue éditeur : Le Livre de Poche et Éditions Emmanuelle Collas

Congolaise originaire de Kinshasa, Alia a cinq ans quand elle arrive à Bruxelles. C’est un nouveau monde, hostile, que découvre la petite fille. Son père, un fan de Mohamed Ali, l’initie à la boxe, qui devient pour elle le moyen de réprimer sa colère.
Devenue adulte, elle entre dans la police. Mais c’est un milieu machiste, et où une majorité de ses collègues sont atteints par un racisme viscéral. Car s’ils acceptent la jeune femme comme l’une des leurs, ils veulent éliminer les migrants, qu’ils torturent grâce à une milice de policiers qui ne sont pas d’origine belge. Débarrasser le pays des étrangers grâce aux étrangers, tel est le but de cette organisation. Et Alia en fait partie.
Pour s’imposer dans ce jeu de pouvoir, elle va commettre l’irréparable.

Avec Furie, l’écrivaine Grayna Plebanek nous offre un livre puissant et un inoubliable portrait de femme.

Un roman écrit avec maîtrise par l’une des nouvelles voix les plus originales des lettres polonaises. Alain Mabanckou.

Grayna Plebanek est écrivaine, feuilletoniste et boxeuse. Née en Pologne, elle est diplômée en philologie polonaise et anthropologie culturelle. Elle est l’auteure de plusieurs bestsellers en Pologne, traduits en Angleterre, aux États-Unis et au Canada. Furie est son premier roman traduit en français. Elle vit à Bruxelles depuis 2005. 

Traduit du polonais par Cécile Bocianowski.

432 pages / Parution : 29/01/2020 / EAN : 9782253934417 / Prix : 8,20€

Santa Muerte, Gabino Iglesias

Pourquoi il faut lire Santa Muerte, cet étonnant road trip sanglant en pays mafieux. Le thriller noir revisité par Gabino Iglesias

Quand Fernando débarque à Austin, Texas, on se doute que les choses ne sont pas tout à fait claires et qu’il a connu des jours meilleurs sous le soleil. En effet, ce clandestin arrive tout droit du Mexique, là-bas il risque sa peau. Il faut dire que lorsque sa petite sœur lui a dit qu’elle était harcelée par deux hommes, il n’a écouté que son cœur et sa force… mais dans certains milieux, on ne s’attaque pas à n’importe qui.

Alors il se planque aux USA. Fernando est dealer, il travaille pour Guillermo, le chef du gang qui règne sur une partie de la ville. Mais quand ça ne veut pas, ça ne veut pas. Il se fait enlever par le gang adverse. Les hommes de la Salvatrucha sont féroces et n’hésitent pas à montrer à quel point en torturant devant ses yeux un comparse de Fernando. Et Indio, le plus féroce d’entre eux, est un véritable cauchemar ambulant. Fernando a  la mission de prévenir Guillermo, celui-ci doit céder une partie de son territoire.

La leçon est particulièrement sanglante, on ne compte plus les morts et Fernando va devoir jouer fin pour s’en sortir. Quitte à demander l’aide de la Santa Muerte, en s’appuyant sur les croyances et le mysticisme le plus incongru, ou même à plus méchant ou tordu que lui.

Un étonnant road trip sanglant en pays mafieux, où le plus malin n’est pas le plus méchant, où l’on plaint vite ce pauvre clandestin plus faible que violent à priori. C’est sanglant donc, mais aussi décalé, le personnage de Fernando est à la fois atypique et perdu entre les deux cultures de ces deux pays, cultures auxquelles il doit adhérer pour être accepté et survivre. La fatalité, la violence, les morts, les prières, les peurs et les croyances ancestrales se succèdent dans ce thriller noir revisité à la sauce Santa Muerte. Tout en maintenant une progression dans l’intrigue et dans la violence, Gabino Iglesias propose une analyse fine du contexte social et culturel, de cette double appartenance, de la difficulté d’être clandestin dans un pays qui vous rejette, et une évocation intéressante des croyances et de l’étrange qui régissent certains cultures. Un excellent moment de lecture, à ne pas mettre entre toutes les mains, lecteurs sensibles s’abstenir !

Catalogue éditeur : Sonatine

Pierre SZCZECINER (Traducteur)

Santa Muerte, protegeme…
Austin, Texas. Tu t’appelles Fernando, et tu es mexicain. Immigré clandestin. Profession ? Dealer. Un beau jour… Non, oublie « beau ». Un jour, donc, tu es enlevé par les membres d’un gang méchamment tatoués qui ont aussi capturé ton pote Nestor. Pas ton meilleur souvenir, ça : tu dois les regarder le torturer et lui trancher la tête. Le message est clair : ici, c’est chez eux.
Fernando croit en Dieu, et en plein d’autres trucs. Fernando jure en espagnol, et hésite à affronter seul ses ennemis. Mais avec l’aide d’une prêtresse de la Santería, d’un Portoricain cinglé et d’un tueur à gages russe, là oui, il est prêt à déchaîner l’enfer !

Originaire de Porto Rico, Gabino Iglesias vit à Austin. Il est culturiste et dort quatre heures par nuit. Santa Muerte est son premier roman publié en France.

Date de parution : 20/02/2020 / 20.00 € /  EAN : 9782355847769 / Pages : 192

La photographe, Diane Château Alaberdina

Diane Château Alaberdina aborde toute la complexité de l’image reçue et de celle que l’on projette, comme un miroir de l’âme.

Lud vivait à Saint-Pétersbourg jusqu’au jour où ses parents ont décidé d’émigrer en France. A Paris, L’Archipel café est le point de rencontre de la diaspora slave autour d’Agafonova, une écrivaine énigmatique et emblématique de ce passé Russe parfois idéalisé, et de sa fille Taisiya.

Les années passent, chacun prend des chemins différents. Un jour, Lud croise par hasard Agafonova puis revoit sa fille Taisiya. Celle-ci lui demande de la photographier nue avec son mari. Il faut dire que Lud, comme son père avant elle, est passionnée de photographie. Les différentes étapes qui révèlent la photo dans la chambre noire exercent une attraction irrésistible sur l’enfant puis la jeune femme. Elle sait capturer comme personne l’âme de la nature qui l’entoure, mais aussi celle des gens qu’elle croise ou qui acceptent de prendre la pose devant son objectif.

Il n’est pas aisé de saisir l’image qui va le mieux caractériser un sujet mais Lud est de celles qui savent, comme elle sait saisir les tréfonds de l’âme de l’énigmatique Taisiya. Une valse ambiguë et empreinte de nostalgie commence alors entre elles. A travers ces corps abandonnés à son objectif, Lud entrevoit le temps qui passe, la vie, ses aléas. Sur fond de souvenirs d’un pays peut-être idéalisé à travers ces deux femmes, mère et fille, qui exercent un pouvoir d’attraction évident, Lud va vivre des émotions intenses.

L’écriture est à la fois poétique et maitrisée.  A travers un certain flou à la David Hamilton, tant sur les sentiments entre les différents personnages – amour, jalousie, séduction – que sur certaines scènes, l’auteur laisse toute la place à l’imagination des lecteurs qui s’imprègnent de ces relations complexes entre les femmes, avec le frère, avec le pays d’origine.

Roman lu dans le cadre de ma participation au jury du prix littéraire de la Vocation 2019.

Catalogue éditeur : Gallimard

«Elle était grande. Elle donnait cette impression d’être étirée, son visage majestueusement ancré sur son cou. Elle me faisait penser à ces femmes russes que l’on trouve dans les magazines à deux euros dans les kiosques. Pendant un instant, j’ai eu envie de prendre sa place.
De savoir ce que cela faisait d’être une autre femme, avec cette voix monotone et ces yeux d’une incomparable tristesse.»
Lud a grandi dans l’admiration d’Agafonova, écrivaine autour de laquelle gravitait toute la diaspora slave de l’Archipel Café, et de sa fille Taisiya. Lorsqu’elles se retrouvent à l’âge adulte et que Taisiya devient son modèle, un jeu ambigu se met en place entre la photographe et cette femme qui, en s’offrant nue devant son appareil, dévoile sa fragilité et ses fêlures.

160 pages, 140 x 205 mm  / Achevé d’imprimer : 01-02-2019  / ISBN : 9782072830624 / Parution : 07-03-2019

La belle de Casa. In koli Jean Bofane

La belle de Casa, de In Koli Jean Bofane, c’est une histoire de vie et de mort, un conte moderne dans les rues de Casa la belle.

Domi_C_Lire_la_belle_de_casa_actes_sudDans Casa la belle, migrants et voyous se rencontrent dans les quartiers populaires. Sese est un jeune clandestin arrivé de Kinshasa. Il a atterri là alors qu’il pensait arriver en Normandie. Depuis il vivote  en faisant casquer sur internet quelques européennes en mal d’amour, en les amadouant et en leur promettant la lune. Il était associé dans son petit business avec Ichrak.

Un matin, dans une ruelle peu fréquentée, il découvre la belle Ichrak morte, ensanglantée. Ichrak n’a pas de père et sa mère, la farouche Zahira, est folle depuis longtemps. Alors qui pouvait bien lui en vouloir ? Tous ! Car Ichrak la sublime avait la langue bien pendue et ne s’en laissait pas conter.

Et certainement pas par tous ces hommes concupiscents qui la guettaient et rêvaient de la soumettre à leur volonté. Ces nombreux hommes qui évoluent autour d’Ichrak, à commencer par le commissaire Daoudi, qui mène l’enquête. Lui-même est tombé sous le charme de la belle, mais n’a jamais réussi à la faire plier. Il y a bien sûr Sese le migrant, mais aussi Nordine le voyou, Farida la femme d’affaires avertie et son mari le très ambigu Cherkaoui, qui entretient une bien étrange relation avec Ichrak.

Dans ce quartier misérable, les migrants arrivent du Congo, du Cameroun, du Sénégal. Ils n’ont pas trouvé d’issue à leur course vers l’Europe et ont posé ici leurs maigres bagages. Ils squattent des immeubles miteux lorgnés par les promoteurs. Ces derniers rêvent de transformer les quartiers pauvres de Casablanca  pour les proposer aux plus riches, centres commerciaux, palaces, immeubles de luxe remplaceraient opportunément ces ruines, pourvu que l’on puisse en chasser les habitants. Et l’auteur nous décrit, avec une gouaille et un sens du dialogue qui nous embarquent dans une sordide réalité, les malversations, magouilles et affaires qui se trament ici sous le manteau.

En parallèle, on découvre le sort de ces migrants qui ont quitté l’Afrique noire et se retrouvent prisonniers en Lybie dans des conditions sordides, tant qu’ils n’ont pas payé un lourd écot aux passeurs, risquant leur vie pour un espoir d’avenir meilleur en Europe ou en Afrique du Nord.

Et comme un bouleversement majeur qui agirait en continu tout au long du roman, il y a le vent Chergui, ce vent du désert qui assèche, qui chamboule les hommes par sa chaleur, sa force, qui les contraint à trouver une issue à leurs souffrances. Symbole de ce changement climatique qui pousse hommes et femmes à chercher vers le nord un territoire où se poser ?

Ce que j’ai aimé ?  Le style, l’écriture, les vies et les portraits de ces personnages, réalistes, tragiques, vivants, décrivant une réalité douce-amère avec beaucoup d’humanité et de véracité. On s’y croit.. on y croit, et c’est bouleversant.

💙💙💙💙

Quelques photos de l »auteur aux Correspondances de Manosque, en cette belle fin de mois de septembre.

 


Catalogue éditeur : Actes Sud

Qui a bien pu tuer Ichrak la belle, dans cette ruelle d’un quartier populaire de Casablanca ? Elle en aga­çait plus d’un, cette effrontée aux courbes sublimes, fille sans père née d’une folle un peu sorcière, qui ne se laissait ni séduire ni importuner. Tous la convoi­taient autant qu’ils la craignaient, sauf peut-être Sese, clandestin arrivé de Kinshasa depuis peu, devenu son ami et associé dans un business douteux. Escrocs de haut vol, brutes épaisses ou modestes roublards, les suspects ne manquent pas dans cette métropole du xxie siècle gouvernée comme les autres par l’argent, le sexe et le pouvoir. Et ce n’est pas l’infatigable Chergui, vent violent venu du désert pour secouer les palmiers, abraser les murs et assécher les larmes, qui va apaiser les esprits… Lire la suite

Août, 2018 / 11,5 x 21,7 / 208 pages / ISBN 978-2-330-10935-6 / prix indicatif : 19, 00€

L’archipel du Chien. Philippe Claudel

L’archipel du Chien, de Philippe Claudel, un conte moderne pour décrire un territoire qui rassemble tous les mondes, tous les humains, pour un étrange panorama de l’humanité dans ce qu’elle a de plus banalement inhumain peut-être…

Domi_C_Lire_l_archipel_du_chien.jpgSur cet archipel du Chien, un volcan menace de se réveiller, les autres iles de l’archipel sont désertes, l’activité manque, la pêche reste la seule ressource, et Oh miracle, un consortium propose de créer un centre balnéaire qui va enfin pouvoir faire vivre la communauté… Mais c’est compter sans le hasard…
L’auteur a choisi un lieu imaginaire pour planter son décor. S’il n’existe pas vraiment, nous pourrions cependant le situer en de nombreux endroits de ces mers et océans qui nous entourent, sur ces terres que nous connaissons bien. On peut l’associer par exemple aux Iles Canaries, où pendant de nombreuses années les  migrants venus d’Afrique se sont échoués sur les rives de l’archipel.

Ici, on ne sait pas d’où ils arrivent, mais ils sont là… Par un petit matin pareil à tous les autres, le chien de la Vieille, une ancienne institutrice acariâtre, découvre trois cadavres échoués sur la plage. Que faire, qu’en faire, comment faire ?

Alors dans le village, tout ce qui compte comme autorité va avoir un mot à dire, le maire, qui n’a de nom que sa fonction de maire, représentant de l’autorité sur l’ile, le prêtre et ses abeilles, qui a l’air de planer au-dessus des contingences et ne montre pas beaucoup plus d’humanité que tous les autres, sauf pour ses abeilles, le commissaire, le docteur bien sûr, qui est l’aidant, le soignant, mais le sera-t-il dans ce cas ? Puis l’instituteur, le seul à se rebeller et à démontrer une forme d’humanité.
On le comprend vite, chaque protagoniste va à sa façon défendre l’ile, les habitants, leur futur tranquille et sans histoire, pensant qu’il a les meilleures raisons du monde tout en ayant à la fois tord et raison… Après avoir fait le nécessaire pour ne plus voir les corps des naufragés, ils vont devoir vivre avec le souvenir de ce drame et affronter la rébellion de l’instituteur. Mais tout ne se passera pas comme ils l’ont imaginé… là il est difficile d’en dévoiler davantage.

J’ai trouvé le parti pris de l’auteur intéressant. Il nous montre avec ses personnages caricaturaux, que l’on peut être dans le vrai et pourtant se fourvoyer, que chacun a ses raisons pour faire avancer le monde qui l’entoure, fort de ses attributions ou de son rôle, mais que la morale, la vérité, et le bien commun ne sont pas toujours pris en compte, et qu’il est parfois bien facile – ou difficile ? –  de ne pas basculer dans la peau d’un sauveur ou dans celle d’un malfaiteur.

Si j’ai trouvé parfois l’intrigue un peu inégale, il y a cependant dans L’archipel du Chien la morale et l’humanité, servis ou bafoués, la lâcheté et le courage, le mensonge et la fuite, des situations et des sentiments tellement communs et sans doute humains qu’ils semblent véridiques. Et qui confrontent le lecteur à ses propres sentiments, à ses propres questionnements : qu’aurions nous fait ? Voilà assurément un roman qui pousse à la réflexion, comme sait si bien nous les offrir Philippe Claudel et sa belle écriture.

Relire le compte rendu de la rencontre avec Philippe Claudel, avec les éditions Stock, lors de la sortie du roman.

💙💙💙💙


Catalogue éditeur : Stock

« Le dimanche qui suivit, différents signes annoncèrent que  quelque chose allait se produire.

Ce fut déjà et cela dès l’aube une chaleur oppressante, sans  brise aucune. L’air semblait s’être solidifié autour de l’île,  dans une transparence compacte et gélatineuse qui déformait  ça et là l’horizon quand il ne l’effaçait pas : l’île flottait au milieu de nulle part. Le Brau luisait de reflets de  meringue. Les laves noires à nu en haut des vignes et des  vergers frémissaient comme si soudain elles redevenaient  liquides. Les maisons très vite se trouvèrent gorgées d’une haleine éreintante qui épuisa les corps comme les esprits.
On ne pouvait y jouir d’aucune fraîcheur.
Puis il y eut une odeur, presque imperceptible au début, à  propos de laquelle on aurait pu se dire qu’on l’avait rêvée,  ou qu’elle émanait des êtres, de leur peau, de leur bouche,  de leurs vêtements ou de leurs intérieurs. Mais d’heure en  heure l’odeur s’affirma. Elle s’installa d’une façon discrète,  pour tout dire clandestine. »

Parution : 14/03/2018 / 288 pages / Format : 138 x 215 mm / EAN : 9782234085954 / Prix : 19.50 €

Ne préfère pas le sang à l’eau. Céline Lapertot

Si comme moi vous avez aimé ses « Femmes qui dansent sous les bombes » alors  vous allez succomber au nouveau roman de Céline Lapertot « Ne préfére pas le sang à l’eau » chez Viviane Hamy.

Domi_C_Lire_celine_lapertot_ne_prefere_pas_le_sang_a_l_eauD’un côté, il y a les migrants qui, comme Karole et sa famille, ont franchi des kilomètres dans la souffrance et la faim pour arriver jusqu’à Cartimandua. Dans cette ville une citerne géante abreuve la population avec ce bien qui manque à tous : l’eau.

De l’autre côté il y a les habitants de la ville, qui ont du mal à accepter ces nez-verts qu’ils ne connaissent pas et qui les terrifient. Comme cela arrive souvent avec l’arrivée des migrants, ces peuples méconnus que l’on rejette avant même de les comprendre et les accepter.

Un jour, le drame arrive, la citerne explose et dévaste une partie de la ville. La jeune Karole jouait tout à côté, dans le bac à sable. Petite marionnette cassée, entrainée par les flots, cette enfant qui a traversé le désert avec sa famille meurt noyée, engloutie par l’eau qui devait apaiser les brulures de sa gorge déshydratée et enfin la désaltérer.

Alors que la soif risque de toucher toute la population, le pays tombe sous la coupe d’un dictateur, Ragazzini, qui établit sa puissance en assoiffant les populations.

Dans cette ville où les hommes meurent désormais de soif, il y a également un pénitencier. Là, au fond de sa cellule, il y a T, qui compte inexorablement les briques rouges qui composent les murs de sa prison. T qui a osé écrire sur les murs pour dénoncer, dire l’espoir, réveiller les consciences et a été trahi par son ami d’enfance.

On comprend immédiatement que ce pays, ces hommes, cette époque sont tous imaginaires, mais que tout cela pourrait être ici et maintenant. Car dans son roman Céline Lapertot parle avant tout d’immigration, de dictature, de liberté, de différence, de violence. Elle évoque aussi les mots qui sauvent, l’écriture, la fraternité et la confiance.

J’avais aimé Femmes qui dansent sous les bombes, je retrouve de nouveau la force, l’engagement, la violence de situation découverts avec ce roman. L’auteur est une jeune femme aux textes engagés qui décillent les yeux de ceux qui les découvrent. Je dois avouer que ce pays imaginaire m’a cependant par moment tenue à distance du sujet, de la souffrance dénoncée, en lui donnant une dimension irréelle et trop abstraite. Pourtant, il est évident que ce sujet interroge et touche ses lecteurs. C’est un roman d’anticipation qui entre véritablement  en résonnance avec l’actualité et avec nos interrogations actuelles.

Si vous avez aimé ce roman, et surtout si le sujet abordé vous interpelle vous aussi, n’hésitez pas à découvrir le dernier roman de Philippe Claudel, L’archipel du Chien, ainsi que L’opticien de Lampedusa de Emma-Jane Kirby.

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Catalogue éditeur : Viviane Hamy

« Cette sensation de fin du monde, quand tu as dix ans et que tu comprends, du haut de ton mètre vingt, qu’il va falloir abandonner la sécheresse de ton ocre si tu ne veux pas crever. Je serais restée des millénaires, agenouillée contre ma terre, si je n’avais pas eu une telle soif.
Maman a caressé la peau de mon cou, toute fripée et desséchée, elle m’a vue vieille avant d’avoir atteint l’âge d’être une femme. Elle a fixé les étoiles et, silencieusement, elle a pris la main de papa. On n’a pas besoin de discuter pendant des heures quand on sait qu’est venu le moment de tout quitter. J’étais celle à laquelle on tient tant qu’on est prêt à mourir sur les chemins de l’abîme.
J’étais celle pour laquelle un agriculteur et une institutrice sont prêts à passer pour d’infâmes profiteurs, qui prennent tout et ne donnent rien, pourvu que la peau de mon cou soit hydratée. J’ai entendu quand maman a dit On boira toute l’humiliation, ce n’est pas grave. On vivra. Il a fallu que je meure à des milliers de kilomètres de chez moi. »

Parution 11/01/2018 / Collection Littérature française / ISBN 9791097417048 / Pages 152 p / Prix 17€