L’eau du lac n’est jamais douce, Guilia Caminito

Comment survivre à une enfance dans un milieu défavorisé au bord du lac de Bracciano

Ce roman traduit de l’italien nous ouvre les portes d’une très modeste famille romaine des années 2000. Gaïa, le personnage principal, nous compte sa vie et ses aventures de l’enfance à l’âge adulte, toujours à la première personne sans que cela ne soit jamais lassant.

Gaïa a une mère singulière, qui ose aller jusqu’à des scènes dont sa fille a honte pour tenter d’obtenir un logement décent. Un père handicapé depuis qu’il a fait une très mauvaise chute sur ce chantier sur lequel il n’a jamais travaillé. Deux frères jumeaux bien plus jeunes et trop dociles, et un aîné rebelle né d’un père différent. Elle abhorre sa vie dans la pauvreté et cette condition sociale qui la place perpétuellement en marge de la vie des autres. Ils vont vivre une grande partie de leur vie à Anguillara Sabazia, une commune située près du lac de Bracciano au nord de Rome.

Elle grandit aux côtés d’Antonia, une mère au caractère bien trempé qui en est presque caricaturale. Tout repose sur elle, et elle doit se battre contre les injustices, au-delà des conventions, seule depuis que le père est relégué au rang des accessoires. L’enfance lui fait découvrir l’injustice, l’adolescence lui colle ses complexes et l’entrée dans l’âge adulte exacerbe ses difficultés. De part son milieu social Gaïa est souvent rejetée par ses camarades, surtout lorsque Antonia souhaite l’inscrire dans des écoles pour riches. Ce rejet accentue ses complexes mais fait émerger en elle des ressources insoupçonnées.

Il faut dire que sa mère lui a inculqué l’idée que seule la beauté permet aux pauvres d’accéder au milieu des riches. Alors elle se désespère, trop maigre, trop rousse, trop plate, trop mal habillée, trop différente. Mais elle découvre peu à peu qu’elle a hérité de sa mère une farouche détermination et une intelligence qui pourraient lui permettre de bousculer son destin.

Ce récit dans lequel les lieux et les événements ont leur place reste vrai, le style est léger, rythmé, féminin, poétique parfois. L’écriture de Giulia Caminito est directe, sobre, vivante, et terriblement réaliste. Les phrases sont simples, les mots précis, les répétitions de bon goût, les énumérations jamais fastidieuses et les allégories et les métaphores bien choisies. L’adolescence, point central du roman, y est bien décrite avec ses amitiés, ses expériences heureuses ou malheureuses, ses trahisons, ses succès et ses déceptions.

Difficile parfois de comprendre la psychologie du personnage principal. On la voudrait victime, elle est rebelle et toujours en colère. L’auditeur s’attache à Gaïa malgré son caractère ni sympathique ni agréable, et imagine la suite de sa vie à la lumière de ce qu’il croit comprendre. La fin un peu trop brutale à mon goût peut décevoir tellement l’empathie pour ce personnage ambigu est forte.

J’ai aimé la voix de Florine Orphelin, à la fois posée et juste dans ses atermoiements, ses hésitations, ses révoltes et ses envies de vie meilleure. Dans sa rage aussi contre une mère qui par son obsession de réussite scolaire espère lui permettre de vivre mieux qu’elle. Il y a tout dans ce personnage, l’espoir, le doute, la violence, la rébellion, l’amour et la déception, l’amitié et le deuil, et tout cela est bien transmis à l’écoute du roman.

Roman lu dans le cadre de ma participation au Jury Audiolib 2023

Catalogue éditeur : Audiolib, Gallmeister

« Notre mère ressemble à une héroïne de bande dessinée, à Anna Magnani au cinéma, elle braille, ne capitule jamais, cloue le bec à tout le monde. Mariano et moi sommes dans le couloir qui conduit aux chambres, culottes courtes et mollets raides, et sans ciller nous fixons notre peur : ne pas être comme Antonia, ne jamais être à la hauteur, ne remporter aucune bataille. »

Antonia, une femme fière et têtue, s’occupe d’un mari handicapé et de quatre enfants. Pauvre et honnête, elle ne fait pas de compromis et croit au bien commun. Pourtant, elle inculque à sa fille le seul principe qui vaille : ne compter que sur ses propres capacités. Et sa fille apprend : à ne pas se plaindre, à lire des livres, à se défendre, toujours hors de propos, hors de la mode, hors du temps. Mais sa violence, tapie tel un serpent, ne cesse de grandir.

Nous sommes en l’an 2000, les grandes batailles politiques et civiles n’existent plus, seul compte le combat pour affirmer sa place dans le monde.

Lu par Florine Orphelin

Traduit par Laura Brignon

EAN 9791035411510 Prix du format cd 25,90 € / EAN numérique 9791035411381 prix du format numérique 23,45 € / Date de parution 10/08/2022 / Durée : 8h54

Un jour ma fille a disparu dans la nuit de mon cerveau, Stéphanie Kalfon

Quand la folie broie tout sur son passage et fait exploser la famille

C’est jour de fête, aujourd’hui Nina a huit ans. Sa mère a tout organisé pour lui faire plaisir, banderoles, gâteau, et une sortie en fin de journée à la fête foraine du village. Mais les parents ont un moment d’inattention et Nina disparaît.

Désespoir, gendarmerie, recherches, retour à la maison des parents anéantis qui craignent de ne jamais revoir leur fille adorée. Au grand soulagement de tous, elle est retrouvée saine et sauve, paumée et gelée, au petit matin. Tout va pouvoir rentrer dans l’ordre et la famille peut reprendre sa vie comme avant, savourer ce bonheur à trois.

Enfin, c’est sans compter sur ce doute qui s’insinue dans la tête de la maman, et si cette enfant qui lui a été rendue n’était pas la sienne ? Car elle ne la reconnaît pas, son souffle, son odeur, son sourire, la couleur de ses cheveux, les élastiques qui tiennent ses couettes, le grain de beauté, rien ne va.

A partir de là va s’installer une suspicion, une folie qui pourrait tout broyer sur son passage. Pourquoi, comment une mère peut-elle douter ou être sûre que c’est bien sa fille qui est dans ses bras, sa menotte dans sa main, son souffle au creux de sa nuque. Emma qui ne reconnaît pas sa fille mais qui sait que c’est elle qui lui parle lorsqu’elle entend sa voix au téléphone.

L’autrice a su mener son intrigue à la façon d’un roman noir, où peu à peu les mystères s’éclaircissent. Elle a su amener le lecteur à entendre et comprendre les différents points de vue, la blessure de la mère venue de bien plus loin que ce présent délétère, la violence que cela implique pour cette enfant de huit ans, le désarroi d’un père qui fait tout ce qu’il peut pour que les femmes de sa vie puissent vivre en harmonie.

J’ai aimé les suivre jusqu’à la résolution du mystère en vibrant d’émotion pour cette petite Nina, d’incompréhension et de soutien pour cette mère perdue dans ses doutes et ses terreurs, pour ce père qui cherche sans comprendre à entendre les voix et les explications de chacune. Même s’il m’a manqué une plus grande simplicité dans l’écriture, comme pour le précédent roman d’ailleurs, j’ai aimé me laisser surprendre.

Catalogue éditeur : Verticales

Emma, la narratrice de ce roman, raconte le trouble qui la saisit en revoyant sa fille Nina, disparue plusieurs heures un soir de septembre. Quelque chose dissone dans leurs retrouvailles, un « presque-rien », provoquant chez Emma une vrille qui nous plonge dans une vertigineuse incertitude.

Parution : 05-01-2023 / ISBN : 9782072994852 / 208 pages / 18,50 €

La mémoire de nos rêves, Quentin Charrier

Un roman de vie et de regrets, de souvenirs et de rencontres

Le jour où Simon apprend le décès de Franck, c’est sa jeunesse qui lui revient en mémoire. L’enfance avec ses bons et ses mauvais moments, Simon, Franck, et Clarisse. Et le chassé croisé de leurs rencontres et de leurs séparations pendant toutes ses années.

Aujourd’hui, Simon a trente deux ans et doit aller reconnaître le corps de Franck à la morgue. Un décès tristement solitaire, brutal, banal. Mais impossible de rester indifférent à cette perte ; car même si rien ne les rapprochait au départ, ils étaient amis. Depuis l’école, l’enfance, les quatre-cent coups, les accidents de la vie, les joies et les peines, les échecs pour l’un, la triste banalité du quotidien pour l’autre.

Simon, fils de bonne famille, relativement aisée, et Franck, le demi-gitan un peu voyou sur les bords que la vie n’a décidément pas gâté, et pour compléter le trio, Clarisse qui tente par les études de se sortir de sa condition. Chacun va poursuivre sa route, et leurs trajectoires vont se croiser et se séparer au fil des ans. Bien sûr, des garçons amoureux de Clarisse, bien sûr Clarisse amoureuse mais qui n’ose rien avouer, bien sûr la vie qui en décide autrement.

Mais avec le décès de Franck, Simon retrouve Clarisse et tous les deux embarquent presque par hasard pour un mini roadtrip qui les entraîne vers le passé de Franck, à la rencontre des questions sans réponses de leur propre passé.

J’ai aimé découvrir à la fois le rythme et les protagonistes principaux de ce premier roman. La singularité de chacun des personnages d’abord, leur milieu, leur éducation, leurs aspirations, le poids de la famille et du déterminisme social, difficile de se comprendre lorsque l’on n’est pas « du même monde », tous ces éléments sont plutôt bien mis en scène.

L’auteur n’a pas utilisé de chronologie pour évoquer les événements du passé. Un peu comme si les souvenirs affleuraient au hasard des rencontres, des conversations, des personnages retrouvés. Les révélations permettent peu à peu au lecteur de découvrir la complexité des relations entre chacun. Trois jeunes gens noyés sous les non-dits, empêchés par leurs silences et leur timidité, par leur manque de confiance aussi sans doute. Des destins finalement pas aussi brillants que ce qu’ils avaient imaginé, des rêves loin d’être réalisés, et la banalité du quotidien pour meubler les jours de solitude. La vie, en somme.

Catalogue éditeur : Grasset

Simon, la trentaine, prof en banlieue parisienne, reçoit un appel de la morgue. Franck Aubert est mort, il faut identifier le corps. Vingt ans d’une amitié étrange défilent soudain  : celle qui, depuis l’enfance, l’aura tenu lié à ce gamin frondeur, demi-gitan et orphelin de père devenu délinquant puis caïd. Franck, auquel tout l’opposait, lui, le fils de médecin à l’avenir serein. En même temps que remontent les souvenirs, reviennent les sentiments. Notamment ceux qu’il garde pour Clarisse, son premier amour et ultime pièce de cet impossible trio amical. Les funérailles de Franck lui permettent de la revoir. Ensemble, ils partent dans le centre de la France prévenir la fille et l’ex-compagne de leur ami. Un voyage au cœur de leur mémoire et des rêves qu’ils avaient.

Parution : 11 Janvier 2023 / Pages : 320 / EAN : 9782246832041 prix :22.00€ / EAN numérique: 9782246832058 prix : 15.99€

Nom, Constance Debré

Elle n’écrit pas, elle boxe

Nom, ce sont des mots balancés comme des coups de poings pour dire non. Non à la vie, à l’enfance obéissante, à la bourgeoisie, à la famille. À tout ce qu’elle a été pour se conformer aux règles mais qu’elle a rejeté en bloc et qu’elle ne veut plus jamais être.

Renier sa famille, sachant que ses propres parents sont décédés c’est enfin possible peut être, il faut dire qu’il sont vraiment singuliers, opium, alcool, drogue, violence, une forme de déchéance, pas facile de grandir dans cette famille là.

Renier aussi une sœur des oncles des cousins un mari un fils des amantes des femmes qui passent que l’on aime et puis que l’on n’aime plus.

Renier pour enfin vivre être aimer crier dire exploser se battre rejeter abandonner prendre, parce que c’est ça ou P. L. U. T. Ô. T  C. R. E. V. E. R

Rejeter tout héritage matériel ou immatériel, y compris filial, moral, mais pas que. Vivre dans une chambre de bonne ou squatter chez les amis ou chez les rencontres d’un jour. Quitter son métier, sa famille, sa vie. Même son nom, le refuser de toute son âme de tout son corps androgyne fluet mais solide comme un roc. Elle nage vers sa vie, solitaire et forte, après avoir accompagné le père vers sa mort, dans le silence et la communion, enfin. Celui à qui elle ressemble le plus sans doute. Celui qui dénote dans cette famille bourgeoise obéissant aux règles et patriote, qui a fourni ministres et députés, rabbins et médecins, savants et artistes, à la République qu’elle respecte et dont la constitution fut écrite par le grand-père.

C’est une drôle d’expérience de lire un roman de Constance Debré. Explosent à chaque page la négation et le rejet de tout ce qu’elle a été, le désir de ne plus rien posséder, l’envie de tout jeter… même les livres. Et pourtant désormais sa vie ce n’est plus d’être avocate pour défendre les pauvres et les bandits mais écrivain pour publier les livres qui vont réveiller tous ces lecteurs abrutis par la vie confortable ou désespérée qu’ils vivent sans même avoir l’idée de chercher à en sortir. Vous et moi en quelque sorte. Des livres signés Debré quand même. Rejet du nom mais seulement jusqu’à un certain point ?

Ça cogne et ça bouscule dans ces pages, je ne sais pas si l’idée est de choquer le lecteur pour lui donner envie de se réveiller, ou au contraire l’envie de refermer le livre en se contentant de continuer à vivre comme avant. Mais il me semble que ça doit changer bousculer éveiller quelque chose chez chaque lecteur, d’une façon ou d’une autre. A moins que ce ne soit pour se convaincre elle-même du bien fondé de tous ces rejets. Le livre d’une écorché vive peut-être. Si j’ai ressenti une profonde violence dans les mots, la façon de vivre, les actes, la solitude et le dénuement assumés, il m’a semblé aussi percevoir une douleur en trame de fond. Alors bien que l’on soit parfois mal à l’aise ou un peu dubitatif à cette lecture, elle est vraiment intense et j’avoue qu’elle ne m’a pas laissé indifférente.

Catalogue éditeur : J’ai lu, Flammarion

« J’ai un programme politique. Je suis pour la suppression de l’héritage, de l’obligation alimentaire entre ascendants et descendants, je suis pour la suppression de l’autorité parentale, je suis pour l’abolition du mariage, je suis pour que les enfants soient éloignés de leurs parents au plus jeune âge, je suis pour l’abolition de la filiation, je suis pour l’abolition du nom de famille, je suis contre la tutelle, la minorité, je suis contre le patrimoine, je suis contre le domicile, la nationalité, je suis pour la suppression de l’état civil, je suis pour la suppression de la famille, je suis pour la suppression de l’enfance aussi si on peut. »

Paru le 01/02/2023 / 7,00€ / 160 pages / EAN : 9782290380321

Mères indignes, Luce Caron

Voir les mères et la maternité avec un regard neuf et sincère

Huit nouvelles sur la difficulté d’être soi en devenant mère. Sur cet amour et cet altruisme que l’on attend des femmes comme une normalité culpabilisante lorsqu’elles ont enfanté. Sur cette capacité à entendre, donner, partager, prendre sur soi, et s’oublier qui paraît évidente aux autres mais qui est si difficile, exigeante, péremptoire, celle de ne plus exister dans le regard des autres que comme une mère.

J’ai aimé ces nouvelles si dérangeantes mais au fond si vraies, qui posent de bonnes questions sur le regard et le jugement d’une société qui exige sans contrepartie. Une société qui considère normal qu’une femme ait des enfants, que devenir mère c’est être enfin une femme accomplie. Un vrai regard neuf, direct, sans pathos ni faux-semblants.

Céline, restée seule à partir du moment où son ventre s’est arrondi, a de plus en plus de mal à supporter les pleurs de son bébé, comment réagir sans commettre le pire.

Aurélie est mère de trois garçons, mais elle n’en peut plus des pourquoi, des questions, de cet incessant besoin qu’ils ont tous d’elle et de sa présence active, souriante, disponible, et si la fuite était la solution pou être enfin tranquille.

Agnès est mère célibataire d’un ado en crise, enfin, en crise il l’est depuis longtemps, puisqu’il n’a envie de rien, ne travaille pas, et ne lui répond plus, et s’isole de plus en plus dans son monde virtuel. Mais existe-t-il une solution pour le ramener à la vraie vie.

Elsa retrouve son frère pour aller aux obsèques d’un proche, enfin un proche de sa mère en tout cas, drôle de famille, drôle d’enfance.

Olivia part aux obsèques de sa mère avec sa grand-mère. Sa mère, cette femme admirable ou cette mère perverse si peu aimante, qui était-elle au fond.

Caroline attend le départ de son fils chez le père pour s’adonner à son addiction favorite et dévastatrice, jusqu’au jour où elle dépasse certaines limites.

Sabine veux faire des efforts, note tout, se crée de alertes, mais Sabine est tellement étourdie qu’elle ne sait même plus pourquoi elle les a créées. Comment vivre sereinement avec fille et mari dans ce cas, comment ne pas lasser ceux qui l’entourent.

Retrouvez l’autrice sur le blog mères indignes

Catalogue éditeur : Chloé des Lys

ISBN : 978-2-39018-238-2 / parution : Décembre 2022 / 22,00 €

La nuit des pères, Gaëlle Josse

Retrouver le père pour guérir les cicatrices invisibles

Il s’est passé de nombreuses années depuis son départ du village de montagne où vivent son père et son frère. Pourtant aujourd’hui Isabelle y revient.

Le père est au plus mal, et Olivier ne peut plus assumer cette charge seul, il a besoin de sa sœur, même dans le silence, malgré les rancœurs et les secrets.

Isabelle a quitté le domicile familial au décès de sa mère. Comment rester auprès d’un homme qui n’a jamais montré d’amour ni même d’affection. Comment s’épanouir et vivre libre auprès de cet amoureux des grands espaces qui a fuit toute sa vie vers les sommets, préférant la nature au cocon familial. Et quand le père ne rêve que de l’élever vers les cieux, Isabelle préfère quant à elle les profondeurs et le silence des mers. Comment pourraient-ils alors se retrouver.

Dans un étrange huis-clos au cœur de la montagne, elle va égrener les souvenirs pour tenter de comprendre. L’attitude du père, sa froideur, ses silences, ses absences, ce manque d’amour qui détruit tout. Mais désormais la mémoire du père s’enfuit, il sera bientôt impossible de lui parler.

L’autrice fait parler chacun des personnages, Isabelle, Olivier, le père, pour tenter d’ouvrir les cœurs et les mémoires, d’éveiller les souvenirs, de comprendre les réticences. Pour évoquer une enfance dévastée, le besoin d’amour d’une enfant envers son père, le silence de la mère, les violences parfois silencieuses, insidieuses, comme la scène avec le chiot si difficile à supporter. Pour dire enfin ce qui a été tu toute une vie, et de se demander lors, et si cela avait été différent, qu’elles auraient été les vies de chacun dans cette famille. Échange, discussion, partage, résilience, pardon, tant de choses sont dites dans ce roman qui cependant en peu de pages semble porter toute une vie de silence et de regrets.

On retrouve une fois encore l’écriture de Gaëlle Josse à la fois humaine et pudique, ciselée et précise, au plus près des sentiments et des interrogations qui nous touchent tous plus ou moins un jour ou l’autre.

Catalogue éditeur : Noir sur Blanc

Appelée par son frère Olivier, Isabelle rejoint le village des Alpes où ils sont nés. La santé de leur père, ancien guide de montagne, décline, il entre dans les brumes de l’oubli.
Après de longues années d’absence, elle appréhende ce retour. C’est l’ultime possibilité, peut-être, de comprendre qui était ce père si destructeur, si difficile à aimer.
Entre eux trois, pendant quelques jours, l’histoire familiale va se nouer et se dénouer.
Sur eux, comme le vol des aigles au-dessus des sommets que ce père aimait par-dessus tout, plane l’ombre de la grande Histoire, du poison qu’elle infuse dans le sang par-delà les générations murées dans le silence.

Les voix de cette famille meurtrie se succèdent pour dire l’ambivalence des sentiments filiaux et les violences invisibles, ces déchirures qui poursuivent un homme jusqu’à son crépuscule.

Date de parution : 18/08/2022 / Prix : 16,00 € / 192 pages / ISBN : 978-2-88250-748-8

Laissez-moi vous rejoindre, Amina Damerdji

Cuba, une histoire d’amour, de révolution et de deuil

Grâce à ce premier roman, je découvre une figure féminise emblématique de la révolution cubaine largement passée sous silence à la suite de son suicide jugé contre révolutionnaire par Fidel Castro. En 1980, Haydée Santamaría se souvient de tout. Elle sait déjà que sa vie va s’arrêter là, et revit pour nous les années les plus fortes de sa jeunesse. Son amour pour son frère Abel, pour le grand Boris, pour la révolution et la lutte. Mais aussi l’amitié, les amours, les combats, les deuils.

Ce personnage que l’autrice place adroitement au seuil de sa vie a du coup assez de recul pour nous en parler avec justesse, et pas comme cela aurait pu être avec la fougue de la jeunesse ou dans la violence du feu de l’action. Dans les années 50, les jeunes idéalistes se révoltent contre la dictature de Batista, arrivé au pouvoir en 52 grâce au soutien des américains. Haydée Santamaría est issue d’un famille relativement aisée. Avec son frère Abel, ils prennent part aux réunions, aux meetings qui ont lieu souvent dans leur appartement, au réveil révolutionnaire, et même créer un journal. Si sa participation est d’avantage issue d’une envie d’être comme les autres amis de son frère, de s’intégrer dans sa bande de copains, rapidement le souci d’égalité, la passion révolutionnaire s’emparent d’Haydée.

Viennent les soirées entre amis, le longue discussions, la rencontre avec Boris, la naissance d’un amour, leur relation plus intime, la présentation du fiancé aux parents circonspects.
Viennent surtout les préparatifs de l’attaque de la caserne de la Moncada à Santiago de Cuba, pour lesquels elle a une tache importante à accomplir.
Mais ce 26 juillet 1953 marque d’une pierre noire le destin d’Haydée, lorsque certain hommes sont arrêtés, torturés, exécutés. Boris et Abel seront de ceux-là.

C’est une femme meurtrie, amère, blasée, qui se retourne sur son passé et sa jeunesse au seuil de la mort. Les années ont passé, et malgré la vie qu’elle a eu depuis, les blessures ouvertes en 1953 ne se sont jamais refermées, et occupent toute la place en cette année 1980.

J’ai aimé découvrir ce personnage, retrouver le prémices de la révolution chez ces jeunes combatifs et engagés. Cela m’a donné envie de me plonger à nouveau dans l’histoire de Cuba. Et m’a rappelé avec plaisir ma lecture de Le jour se lève et ce n’est pas le tien, le roman de Frédéric Couderc sur cette même période de l’historie de Cuba.

Un roman de la sélection 2022 des 68 premières fois

Catalogue éditeur : Gallimard

« Je ne peux pas dire que nous ayons pris les armes pour ça. Bien sûr que nous voulions un changement. Mais nous n’avions qu’une silhouette vague sur la rétine. Pas cette dame en manteau rouge, pas une révolution socialiste. C’est seulement après, bien après que, pour moi en tout cas, la silhouette s’est précisée. »
Cuba, juillet 1980. En cette veille de fête nationale, Haydée Santamaría, grande figure de la Révolution, proche de Fidel Castro, plonge dans ses souvenirs. À quelques heures de son suicide, elle raconte sa jeunesse, en particulier les années 1951-1953 qui se sont conclues par l’exécution de son frère Abel, après l’échec de l’attaque de la caserne de la Moncada.
L’histoire d’Haydée nous plonge dans des événements devenus légendaires. Mais ils sont redessinés ici du point de vue d’une femme, passionnément engagée en politique, restée dans l’ombre des hommes charismatiques. Ce premier roman offre le récit intime et pudique d’une grande dame de la révolution cubaine gagnée par la lassitude et le désenchantement, au seuil de l’ultime sacrifice.

320 pages, 140 x 205 mm / Parution : 26-08-2021 / ISBN : 9782072940439 / 20,00 €

Le guerrier de porcelaine, Mathias Malzieu

Traverser la guerre à travers les yeux d’un enfant

Mainou vient de perdre sa mère, morte en couche alors que la famille attendait impatiemment une petite sœur. Drame de la vie qui ne devient plus du tout ordinaire quand on sait que cela se passe en zone libre, en août 1944, et que le père de Minou est engagé dans les combats. Impossible pour cet homme seul de s’occuper de son fils si jeune. Il décide donc de l’envoyer chez sa propre mère. Mais la grand-mère de Mainou habite en Lorraine, zone occupée par l’Allemagne depuis trente ans.

Débute alors pour le garçonnet un voyage clandestin hors du commun, puisqu’au lieu de fuir la zone occupée, il doit franchir incognito la ligne de démarcation pour aller se terrer en zone occupée.

Avec l’aide de son père, puis de complices, d’une cousine, de passeurs, il embarque dans le train puis sur une charrette, caché sous la paille, et arrive sans heurts à sa destination. Mais la vie à la ferme n’est pas vraiment amusante pour cet enfant qui, ne parlant pas allemand, et n’étant pas du coin, doit se cacher chaque jour. Impossible de courir, de jouer, de sortir, pendant une année entière.

Fort heureusement, il se passe malgré tout quelques aventures dans cette ferme isolée. Un cambrioleur du grenier, une voisine accorte à qui il faut apporter ses poèmes quotidiens, un oncle et une grand-mère pas si bourrus que ça, un vélo que l’on peut emprunter la nuit sans lumière, un œuf qui bientôt laissera sortir un cigogneau baptisé Marlène Dietrich, compagnon des jours de solitude, et surtout l’ombre de la meilleure amie de sa mère qui rode par là.

Ce roman, qui pourtant évoque une période difficile, est un véritable bonheur de lecture. Lors qu’il était hospitalisé et qu’il luttait pour rester en vie, Mathias Malzieu avait demandé à son père de lui raconter cet épisode pour le moins singulier de son enfance. Il a réussi par ses mots, son humanité, sa justesse, sa capacité à se mettre dans la tête d’un gamin, à nous faire rire, à nous émouvoir, nous étonner, nous bouleverser.

J’ai écouté la version audio après avoir lu le roman publié chez Albin-Michel. La voix de Mathias Malzieu est juste, attachante, posée, dansante, espiègle parfois. La musique qui rythme certains passages en allant crescendo donne une vitalité et une dynamique au texte. Une angoisse aussi, telle que devait la vivre cet enfant orphelin de mère, dont la père à également disparu, car du moins nul ne sait s’il reviendra un jour, perdu dans sa famille inconnue, adopté avec amour par les siens mais contraint au silence et aux questionnements sans réponse, au milieu de cette guerre atroce. C’est un bonheur à écouter, et pourtant il parle de chagrins, de guerre, de deuil, mais l’auteur sait faire émerger la lumière à travers le mots de Mainou qui chaque jour pose quelques lignes sur le papier, dans ces lettres qu’il écrit sans s’arrêter à la mère absente, à celle qui console, qui dorlote, qui aime et qui protège.

J’ai écouté la version audio avec mes petits-fils de sept et neuf ans, en faisant régulièrement des pauses pour expliquer certaines situations, ils ont adoré et avaient chaque fois hâte de reprendre la lecture.

Catalogue éditeur : Albin-Michel Audiolib

En juin 1944, le père de Mathias, le petit Mainou, neuf ans, vient de perdre sa mère, morte en couches. On décide de l’envoyer, caché dans une charrette à foin, par-delà la ligne de démarcation, chez sa grand-mère qui a une ferme en Lorraine. Ce sont ces derniers mois de guerre, vus à hauteur d’enfant, que fait revivre Mathias Malzieu, mêlant sa voix à celle de son père. Mainou va rencontrer cette famille qu’il ne connaît pas encore, découvrir avec l’oncle Émile le pouvoir de l’imagination, trouver la force de faire son deuil et de survivre dans une France occupée.

Albin-Michel 12 janvier 2022 / Édition Brochée 19,90 € / 240 pages / EAN : 9782226470379

Audiolib Date de parution 16/02/2022 / Durée 4h35 / EAN 9791035408039 Prix du format cd

21,90 € / EAN numérique 9791035407896 Prix du format numérique 19,95 €

Le café du temps retrouvé, Toshikazu Kawaguchi

Plonger dans une tasse de café aux vapeurs douces amères

L’an passé j’avais poussé la porte du Funiculi funicula pour y découvrir les aventures de Tant que le café est encore chaud, j’y reviens aujourd’hui avec plaisir.

Nagare est toujours derrière le comptoir, sa fille de sept ans rêve d’être en âge de verser le café qui aide à retourner dans le passé. Il est toujours secondé par Kazu, serveuse aussi discrète qu’efficace.

Au Funiculi funicula, certains clients entrent dans un seul et même but, faire un voyage dans le temps. Passé ou futur, chacun a le choix et doit simplement savoir que son voyage ne changera en rien le cours des événements passés ou futurs. Kazu connaît les règles et les édicte simplement pour qu’elles soient bien comprises, elle verse ensuite le café fumant dans la tasse d’une blancheur immaculée. Un breuvage fort et amer qui devra être terminé tant que le café est encore chaud.

Tour à tour viennent se confronter à leur passé Gôtaro, qui élève sa fille seul ; Yukio, pour enfin parler avec sa mère après toutes ces années d’absence ; Kurata cherche à revoir celle avec qui il aurait pu être heureux ; Kiyoshi, inspecteur de police, veut enfin offrir son cadeau d’anniversaire à son épouse.

Le ton est à la fois léger et sérieux, avec cette sobriété toute japonaise qui donne une impression de sérieux et de froideur. Pourtant la vie et l’espoir sont là, présents, confortés par les voyages d’où il faut revenir le cœur parfois brisé, mais souvent plus léger. Bien sûr, le lecteur connaît vite les conditions à respecter pour faire ce voyage, et les nombreuses répétitions sont parfois un peu lourdes. Mais il y a surtout de belles émotions, des conseils sur l’amitié, l’amour, la famille, les regrets, les désirs, une thérapie par l’expression d’un bonheur simple, sans essayer de changer ce qui a été ou ce qui sera.

J’ai aimé retrouver cette ambiance feutré et discrète, ces trois pendules, ces serveurs et leurs clients avec leurs chagrins et leurs questions. Et ce même si peu de choses ont changé depuis le premier roman. Finalement chacun vient chercher dans ce café le plaisir immuable et salvateur, celui de se retrouver face aux personnes qui les ont marqués dans leur passé.

Catalogue éditeur : Albin-Michel

La légende raconte qu’un petit café tokyoïte propose une expérience unique à ses clients : voyager dans le passé… le temps d’une tasse de café.
Gôtarô voudrait revoir un ami décédé il y a plus de vingt ans; Yukio, dire à sa mère combien il s’en veut de n’avoir été plus près d’elle ; Katsuki, retrouver la jeune fille qu’il regrette de n’avoir épousé; Kiyoshi, un vieil enquêteur, offrir sa à femme le plus précieux des cadeaux…
Se réconcilieront-ils avec leur passé ?

Toshikazu Kawaguchi est né à Osaka en 1971. Il est dramaturge et a produit et dirigé le groupe théâtral Sonic Snail.

Date de parution 02 novembre 2022 / 18,90 € / 224 pages / EAN : 9782226475343

Comment font les gens, Olivia de Lamberterie

Une histoire de femmes, état des lieux de la vie d’une parisienne d’aujourd’hui

Peter a mis le cœur d’Anna en mille morceaux. Mais ce soir, sa fille Allegra vient dîner car elle a une importante nouvelle à annoncer. Anna sait déjà qu’il faudra composer pour que tout se passe au mieux. La journée qui s’annonce dense est propice aux souvenirs, aux questionnements, à analyser sa vie.

Anna a cinquante ans, trois filles. L’aînée Allegra, qu’elle voit trop peu pour bien la connaître, Félicité et Joy deux adolescentes qu’elle voit au quotidien mais qu’elle connaît de moins en moins bien. Ainsi va la vie, et à chaque âge ses décalages, sa façon d’être, ses convictions et ses combats.

Sa mère Nine, femme indépendante et féministe convaincue, ne la reconnaît pas toujours. Elle cherche encore à revenir dans son appartement de la rue de la glacière alors qu’elle a pris pension aux Acacias où elle perd la tête chaque jour un peu plus.

Anna doit tout gérer, Peter son époux volage, ses filles, sa mère, et son métier d’éditrice qu’elle adore et qui lui convient parfaitement. Elle a du métier et une certaine assurance mais aujourd’hui, les envies de sa nouvelle directrice d’éditer du feel-good à gogo ne la satisfont plus. Qu’importe il y a toujours ses fidèles et irréductibles copines, celles avec qui elle aime échanger quelques SMS ou un Gin tonic au café du coin et qui trouvent toujours du temps pour se soutenir et se réconforter.

L’histoire de cette famille, à travers vingt-quatre heures de la vie d’une parisienne ne semble avoir été écrite que pour balayer des sujets d’actualité et permettre à l’autrice d’exprimer des opinions au travers de ses personnages.

Le féminin-féministe y tient la première place et l’esprit bobo parisien la seconde.

Féminisme, éducation, publicité, place des femmes et des hommes, – les pauvres ont un bien mauvais rôle lorsqu’ils en ont un, Anna est une fille sans père, alors comment aimer les hommes ?- place de la lecture, amitié, famille, réseaux sociaux, végan, anti-vax, vie dans les EHPAD, tout y passe. Mais aussi Me-too, PPDA, inceste, harcèlement, révolution sexuelle de 68, droits des femmes, célibataires -vivent Bridget Jones et Friends- maternité et mariage, etc..

J’ai donc plongé dans le quotidien d’Anna, intello bobo parisienne, attentive au monde qui l’entoure et à l’actualité, n’ayant aucun soucis d’argent, aimant son métier et sa famille, qui s’interroge sur sa vie et sur ses choix. Mais en me demandant régulièrement si l’autrice avait hésité entre écrire un roman ou un essai, y transposant peut-être une expérience très personnelle en particulier dans le milieu de l’édition. Chaque situation est ponctuée d’exemples souvent tirés de médias qui finissent par énerver, un peu comme ces candidats de jeux télé qui ont réponse à tout.

Le roman est bien écrit, l’écriture semble facile, les dialogues sont pertinents, mais le style laisse une impression de too-much et je m’y suis souvent ennuyée. On comprend vite qu’il ne se passera rien dans cette journée somme toute assez banale et que l’autrice ne nous fera pas voyager bien loin.

La lecture par Julia Piaton m’a parue assez froide au départ, puis je m’y suis habituée. Mais elle n’a pas su me faire adhérer au personnage d’Anna ni me la rendre sympathique. Cela n’est sans doute pas dû à la voix de la lectrice, mais il ne suffit pas d’avoir du talent encore faut-il avoir quelque chose à raconter pour que ce soit intéressant. Dommage, j’avais très envie de découvrir l’écriture d’Olivia de Lamberterie dont j’apprécie par ailleurs les chroniques littéraires.

Catalogue éditeur : Audiolib et Stock

Anna, la narratrice de ce roman à la mélancolie aigre-douce façon Sagan, se débrouille comme elle peut avec la vie. Plutôt mal. Elle encaisse. Elle en rit même. Elle se souvient, aussi. Coincée entre une mère féministe mais atteinte d’une forme de joyeuse démence, trois filles à l’adolescence woke, un mari au sourire fuyant et à la tenue fluo, un cordon sanitaire d’amies, Anna pourrait crier, comme on joue, comme on pleure, « Arrêtez tout ! », mais ça ne marche qu’au cinéma.

Lu par Julia Piaton

EAN 9791035411541 Prix du format cd 22,90 € / EAN numérique 9791035411718 Prix du format numérique 20,45 € / Date de parution 14/09/2022