Comme le dit Ken Follett, les dirigeants qui ont participé à la Première guerre mondiale ont avoué s’être laissé entraîner dans un engrenage qui ne pouvait déboucher que sur une guerre, ce qu’aucun d’entre eux n’avait souhaité ou anticipé. Fort de ce constat, dans son dernier roman Pour rien au monde il entraîne ses lecteurs alternativement sur trois terrains sur lesquels il situe les décisions stratégiques et géopolitiques contemporaines :
Le Sahel pour illustrer un conflit qui oppose les belligérants par procuration des grandes puissances, et révèle un certain « effet papillon ». Washington et la Maison blanche avec une présidente Américaine Républicaine très loin d’une caricature Trumpiste. Pékin et le pouvoir Chinois confrontés en interne à des tensions idéologiques et en externe à un allié Nord Coréen imprévisible.
Les situations géostratégiques décrites sont assez réalistes pour permettre au lecteur de rentrer dans le roman sans se poser trop de questions. Les personnages fictifs sont attachants et donnent envie de les suivre au quotidien.
Au Sahel, Kiah la jeune veuve tchadienne et Abdul, l’espion de la CIA, puis Tamara la conseillère de la CIA et Tabdar son homologue de la DGSE ; En Amérique, Pauline Green est à la fois présidente des États Unis, épouse et mère ; En Chine, Kai est un époux comblé, un fils de, un membre du gouvernement à la position convoitée. Si l’auteur ajoute une intrigue amoureuse sur chacun de ces terrains, ce que j’ai trouvé inutile et redondant à priori, je l’ai rapidement senti non plus comme un artifice mais bien indispensable pour rendre les protagonistes humains et presque ordinaires.
La description des exactions des Djihadistes au Sahel rendent presque jouissives les réactions violentes des occidentaux. Comme dans ces films caricaturaux tournés à la gloire de l’armée Américaine dans lesquels le héro se sort de toutes les situations. Par contre les réactions aux différentes situations de Washington et Pékin sont décrites de manière intelligente, positives et même réalistes. L’auteur bascule d’un camp à l’autre sans parti pris idéologique et cela donne d’autant plus de force à son propos.
Les incursions dans les coulisses du pouvoir Américain et Chinois sont tout à fait crédibles. Pourtant, les capacités des belligérants à observer en temps réel n’importe quel coin de la planète avec une précision millimétrique me semblent en décalage avec le réel, mais elles donnent au roman le punch nécessaire à l’action.
Le futur de l’humanité reste incertain et l’auteur réussit à construire un scénario qui permet de le démontrer. L’apocalypse est dans la main de gouvernants animés par ailleurs des meilleures intentions. Pour ce faire l’auteur nous fait entrer dans l’intimité d’une Présidente Américaine dont la vie familiale et émotionnelle ressemble tellement à Madame tout le monde. Ce roman parfois un peu long lorsqu’il nous entraîne dans les arcanes des pouvoirs ou au plus près des relations amoureuses des différents protagonistes, est une réussite quant au message délivré.
J’ai apprécié la lecture de Thierry Blanc qui sait nous transporter sur chaque continent avec une égale maîtrise de chacun des personnages. Un roman qui souffre parfois de quelques longueurs, mais une écoute passionnante qui donne envie d’avancer et d’en savoir plus. Avec ce sentiment de frustration et de « déjà fini » lorsque l’on referme la dernière page, quelle soit papier ou en audio !
De nos jours, dans le désert du Sahara, deux agents secrets français et américain pistent des terroristes trafiquants de drogue, risquant leur vie à chaque instant. Une jeune veuve tente de rejoindre l’Europe et se bat contre des passeurs. Elle est aidée par un homme mystérieux qui cache sa véritable identité. En Chine, un membre du gouvernement lutte contre de vieux faucons communistes qui poussent le pays vers un point de non-retour. Aux États-Unis, la première femme élue Présidente doit manœuvrer entre des attaques au Sahel, le commerce illégal d’armes et les bassesses d’un rival politique.
Alors que des actions violentes se succèdent un peu partout dans le monde, les grandes puissances se débattent dans des alliances complexes. Une fois les pièces du sinistre puzzle en place, pourront-elles empêcher l’inévitable ?
Il ne faudrait Pour rien au monde que ce qu’a imaginé Ken Follett n’arrive…
Ken Follett connaît son plus grand succès avec Les Piliers de la Terre, paru en 1989. C’est le début de la saga Kingsbridge, poursuivie avec Un monde sans fin, Une colonne de feu et Le Crépuscule et l’Aube (Robert Laffont, 2008, 2017 et 2020), et vendue à plus de quarante-trois millions d’exemplaires dans le monde.
Lu par Thierry Blanc Traduit par Jean-Daniel Breque, Odile Demange, Nathalie Gouyé Guilbert, Dominique Haas, Christel Gaillard-Paris
Parution : 08/12/2021Durée : 24h52 / EAN 9791035406912 Prix du format physique 31,50 € / EAN numérique 9791035406820 Prix du format numérique 28,45 €
Harcèlement, traumatisme, perte de mémoire, disparition, dans un roman qui a tout du roman noir
La narratrice est une autrice qui a cessé d’écrire et décidé de disparaître. Elle vit désormais dans la maison qu’elle avait achetée des années auparavant, dans un petit village normand en pays d’Auge. Elle se terre loin du monde auquel elle appartenait pourtant avec un certain bonheur. Son changement de vie fait suite à une hospitalisation qui a failli lui être fatale. Elle vit avec Paul, ce chien fidèle qui l’accompagne partout où elle va, y compris ce matin là lorsqu’elle trouve une Clio bleue bizarrement garée au bord de la route, personne à bord, clé bien visibles.
Une impulsion et elle rentre dans le véhicule, le fouille, y trouve un bracelet qu’elle emporte discrètement chez elle. Puis elle part déclarer cette étrange rencontre à la police locale. Ensuite, elle écoute dans le village ce qu’il peut bien se dire de cet incident. En parle-t-on sur les réseaux sociaux ? Sait-on à qui appartient cette voiture ? A-t-on retrouvé la femme disparue qui semble y être liée ?
A mesure de l’intrigue, on comprend peu à peu que cette femme à quasiment perdu la mémoire à la suite d’un fort traumatisme liée au harcèlement dont elle a été victime cinq ans plus tôt. Et les bribes lui reviennent, la douleur, la souffrance, la seule issue qu’elle trouve dans la fuite. Surtout au moment où le harceleur en question semble être de retour. Son seul salut est dans un désir d’écrire à nouveau, comme une catharsis qui pourrait l’aider à panser ses plaies et à raviver sa mémoire. Car elle le sait depuis toujours, l’imaginaire est bien pire que le réel. Le lecteur quant à lui se demande que viennent faire cette voiture, cette rencontre dans son histoire, dans sa recherche des souvenirs disparus. Et la question se pose de savoir si par des mots posés sur le papier elle pourrait enfin traverser le gouffre qui s’ouvre devant elle avec le retour de son harceleur.
L’autrice aborde ici le traumatisme liée au harcèlement quel qu’il soit. Et la situation des harcelés souvent incompris par ceux qui les entourent ou même par la police ou la justice. Eux qui souvent passent pour faibles et uniquement victimes, sans que l’on prenne en compte la souffrance réellement endurée. Elle aborde également le rôle des réseaux sociaux. Leur influence sur des populations souvent crédules qui gobent la moindre information sans jamais chercher à la vérifier. j’ai apprécié le sujet de la perte de mémoire traité par l’autrice, et les situations ou le désespoir que cela peut aussi entraîner, qui nous fait penser aux amnésies causées par de grands traumatismes, mais aussi aux malades d’Alzheimer et à leur proches.
Enfin, le retournement final apporte une touche roman noir et explique finalement assez bien le comportement de la narratrice. De la magie des installations artistiques appliquées à l’écrit. Étrange roman dont les protagonistes ne m’ont cependant pas vraiment touchée.
De Nathalie Rheims, retrouvez également ma chronique du précédent roman Les reins et les cœurs.
La narratrice de ce roman a décidé, un jour, de couper les ponts avec le monde qui l’entoure, de renoncer à sa carrière d’écrivain, de quitter Paris pour se réfugier dans sa maison, perdue dans la campagne, au milieu du Pays d’Auge. Cela fait maintenant cinq ans qu’elle vit là, recluse, parfaitement solitaire, en dehors de son chien, Paul, qui l’accompagne partout. Depuis, elle n’a plus écrit une ligne. À l’origine de ce changement de vie, il y a un traumatisme, si violent qu’elle en a perdu la mémoire. Des bribes de souvenirs vont pourtant refaire surface. Elle découvre alors qu’elle a été la victime d’un harceleur qui ne lui a laissé aucun répit, au point qu’elle a failli y perdre la vie. Ce personnage monstrueux a réussi à s’échapper et à la retrouver. Cette fois, elle n’a plus le choix : ce sera lui ou elle.
Parution le 1er septembre 2021 / 192 pages / 17 euros / EAN 9782756113593
Quand la téléréalité dépasse la fiction, jusqu’où l’homme peut-il aller…
Quand j’ai découvert Un samedi soir entre amis cela m’a fait penser à ce roman d’Amélie Nothomb dont j’avais posté la chronique sur lecteurs.com et Babelio en 2014. J’ai eu envie d’en parler à nouveau ici.
Amélie Nothomb fait une fois de plus très fort. Dans ce roman qui se lit d’une traite tant il est court, mais qui laisse un sentiment de malaise tant il est intense, elle nous raconte l’histoire poussé à l’extrême d’une émission de téléréalité.
Mais pas n’importe laquelle bien-sûr. Là les participants sont tout simplement enlevés dans les villes, et conduits dans un camp de concentration. Surveillés par des kapos à qui tout est permis surtout la plus grande violence, et sous l’œil de caméras postées partout dans le camp et qui filment tout et tout le monde 24h sur 24. L’horreur absolue des camps de concentration de la dernière guerre, pour le plaisir des téléspectateurs d’aujourd’hui ?
Les prisonniers sont des hommes et des femmes totalement déshumanisés. Comme dans les camps nazis on leur a simplement tatoué un chiffre sur le bras pour annihiler, en effaçant leur nom, jusqu’à leur personne. Et après tout, ignorer le nom de celui ou celle qui est face à soi permet d’agir avec plus de violence et sans aucune compassion, enlève toute proximité et réalité « humaine » à la personne car « le prénom est la clé de la personne. »
Ils sont prisonniers, ils vont subir l’arbitraire des gardiens, la faim, la soif, l’épuisement provoqué par des tâches difficiles, répétitives et parfaitement inutiles. Ils sont soumis au bon vouloir des kapos qui décident chaque matin qui doit mourir. Car de ce camp nul ne s’échappe et la seule issue est la mort. Horrible, filmée elle aussi, pour le plus grand plaisir des téléspectateurs toujours plus nombreux à faire de l’audience.
Nous suivons trois personnages en particulier : la kapo Zedna, une jeune femme de 20 qui avant d’être embauchée pour ce rôle n’avait rien réussi dans sa vie ; Pannonique, étudiante en paléontologie, jeune femme de 20 ans , si belle et lumineuse qu’elle attire le regard de tous et en particulier celui des caméras et des réalisateurs de l’émission, mais qui n’est plus que CKZ114 dans le camps ; EPJ327, professeur d’histoire dans la vraie vie, est très attiré par CKZ114.
CKZ114 fait figure de résistante, car elle comprend immédiatement qu’il faut être différente et ne pas flancher devant les caméras (même si celles-ci sont vite oubliées). Elle ne pleure pas, ne se désespère pas, en tout cas pas face aux caméras, et va au contraire les utiliser pour essayer de faire bouger les téléspectateurs, les faire réagir et leur demander d’arrêter d’être complices d’une telle horreur.
Des téléspectateurs justement, par leur simple présence devant les écrans font que cette horreur existe. Ils sont passifs, mais du coup terriblement acteurs, et pourtant noyés dans la masse des « transparents », des anonymes. Ils n’ont pas l’impression d’avoir une énorme part de responsabilité dans la vie et la mort des prisonniers. La puissance de la masse anonyme, cela fait peur ! La presse joue également un rôle, et quel rôle ! Des interventions inutiles, des condamnations timides et peu efficaces qui ont un effet contraire à celui souhaité et font monter l’audimat.
Mais comme toujours, les vraies personnalités, les sentiments nobles et courageux, émergent de toute cette horreur, et l’humanité qui est en chacun s’exprime là où on ne l’attend plus.
Bien sûr il y a là une satire des extrêmes de la téléréalité, mais se pose aussi la question de savoir comment on peut facilement retourner vers l’horreur avec tellement de laisser-faire, sans se sentir ni coupable ni acteur ! Comme une alerte, d’ailleurs mise en exergue du roman : « Vint le moment où la souffrance des autres ne leur suffit plus : il leur en fallu le spectacle ». Faisons tout pour ne jamais en arriver là !
Improbable roman sur la littérature et sur l’écrivain, « L’ile
introuvable » est une véritable prouesse littéraire de cette rentrée 2019.
Un homme tombe amoureux d’une femme déjà en couple avec un autre, tous trois deviennent amis… Voilà une intrigue plutôt classique digne d’un vaudeville, mais qui est traitée ici de façon bien singulière.
Tout commence par le survol en hélicoptère de l’ile introuvable, en Italie, pour y rechercher un auteur qui a disparu des radars de l’actualité. Puis l’auteur fait un retour arrière. Olivier Ravanec rêve d’écrire le roman parfait, celui qui le rendra célèbre et qui lui donnera enfin la reconnaissance du public. Dominique Bremmer est éditrice chez Gallimard, Olivier Ravanec en est fou amoureux, mais elle est avec l’étonnant Vincent Zaïd, riche amateur de fêtes parisiennes. Ce dernier, flirtant avec la marginalité des voyous de grands chemins, intéressé par la politique et accessoirement la littérature, est donc surtout en couple avec Dominique. Après quelque aventures pour le moins ubuesques, Zaïd est emprisonné pour malversation, puis libéré au bout de quelques années. Sa vengeance sera implacable.
Impossible d’en dire d’avantage, car dans ce roman, l’important est la façon dont il est composé, à la fois un hymne à la littérature, et une œuvre fourmillant de réflexions philosophiques, littéraires, ou politiques. Le narrateur donne des avis sur les auteurs classiques ou d’autres plus actuels, sur la difficulté d’être un écrivain reconnu, sur le talent et le travail, le monde abscons de l’édition pour les néophytes que nous sommes. C’est dense, ça fourmille de références, d’idées, de personnages plus extravagants les uns que les autres. Un roman indiscutablement singulier et différent de ce que l’on a l’habitude de lire.
Plaçant sans cesse le lecteur sur une frontière floue entre réalité et fiction, tant par les personnages qu’il cite que par les situations qu’il explore, l’auteur réalise là une sorte de prouesse littéraire qui intrigue, perturbe parfois, mais donne envie d’aller jusqu’au bout. J’ai aimé le fait que l’auteur ne parte pas spécialement de faits d’actualité, ou de souvenirs, d’évènements de son vécu (en tout cas on ne les sens pas comme tels) mais nous propose bien un roman d’inventivité, construit de toute pièce, qui évoque brillamment et avec une réelle créativité la littérature et la solitude de l’écrivain. Il se distingue aussi en cela des romans que l’on a l’habitude de lire.
Tout à fait le genre de livre qu’il faudrait relire pour en tirer toute la substantifique moelle, bien évidemment ! Comment ne pas méditer sur la transformation d’un homme au contact de ses lectures, son unique occupation pendant des années. Ah, et cet hommage au Comte de Monte Cristo d’Alexandre Dumas m’a peut-être bien donné envie de le relire !
Il faut rappeler comme une
loi que la vie n’est jamais pareille à la littérature et, surtout, que c’est
une folie de vouloir remplir sa vie de littérature. Puisse ce livre ou un
autre, mais plutôt ce livre, démontrer l’inverse. » Olivier Ravanec.
Au-dessus d’une petite île de la Méditerranée, un
hélicoptère survole un château en flammes. À son bord, un « enquêteur
d’assurances » lancé sur la piste d’un écrivain passé de mode et néanmoins
recherché : Olivier Ravanec. Sa disparition est d’autant plus troublante
qu’elle survient quelques mois à peine après celle de sa compagne, l’éditrice
Dominique Bremmer. « Une histoire d’amour, avait dit un jour Ravanec, c’est
trois personnes minimum. » Songeait-il en particulier à ce roi déchu de la nuit
parisienne, dont Dominique avait été longtemps éprise ? Lui s’appelle Vincent
Zaid ; son intelligence est aussi vraie que dépourvue du moindre esprit, et si
sa fortune lui a donné beaucoup d’amis, sa condamnation pour meurtres les a
fait disparaître. Ravanec, Bremmer, Zaid : trois créatures venues d’un prétendu
âge d’or – les années 80 – et qui n’ont pas retrouvé leur place dans le « monde
d’après », attiédi et salement hygiéniste.
Ici commence le roman, le vrai, celui qui déborde, celui de
la vengeance, où l’on verra justement qu’une passion pour le romanesque peut
vous offrir toutes ces aventures et mésaventures qu’on appelle, par commodité,
« un destin ».
Jean Le Gall
dirige les Éditions Séguier. Son précédent roman,
Les Lois de l’apogée, qui l’a révélé au public, a suscité les
commentaires élogieux de la critique et figuré sur plusieurs listes de prix.
EAN : 9782221200223 / Nombre de pages : 432 / Format : 135 x
215 mm / Prix : 21.00 € / Date de parution : 22/08/2019
C’est le roman le plus improbable et le plus ambitieux de cette rentrée littéraire. Si vous embarquez avec Francis Rissin, vous n’êtes pas sûr de comprendre où vous allez, mais vous ne pourrez plus le lâcher !
Dans ce roman, tout étonne, et d’abord sa structure. En onze parties construites de façon fort différentes, tantôt un cours magistral d’université, tantôt une enquête de police, un rapport administratif, les délires d’un fan absolu ou encore les écrits des apôtres, tout y passe dans cette dystopie totalement décalée. Y compris les mots et les délires du journal intime de Francis Rissin lui-même, excusez du peu. Mais en fait, qui est-il ? Qui le connait ? Qui a compris ses desseins ? C’est l’alerte générale dans tout le pays, qui est Francis Rissin ?
De son existence supposée à son existence avérée. Des affiches fleurissent sur tous les murs en France et le plus fin limier suit ses traces de village en village. Mais Francis Rissin sillonne le pays et nul ne peut le suivre, le devancer ou même l’arrêter. Capable de soulever les foules par son seul charisme, ce nouveau messie des temps modernes est aussi totalement incompris du pouvoir en place. Pourtant tous ceux qui l’ont connu l’apprécient, et tels des apôtres, ils écrivent les évangiles de Francis Rissin.
Car oui, en vérité, je vous le dis, dès sa jeunesse il savait qu’il lèverait une armée pour sauver la France… Tient, ça vous rappelle quelqu’un ?
Stupeur, colère et inquiétude, voilà les sentiments qui dominent dans tout le pays… Comment peut-il être présent à différents endroits à la fois éloignés géographiquement et très proches dans le temps. Le mystère s’épaissit. Et si c’était Rissin versus Rissin ? Sont-ils nombreux ? Est-il un ? Est-il multiple ? En vérité, une fois encore, sachez-le, Francis est légion !
Je ne vous en dis pas plus, j’en ai d’ailleurs déjà trop dit, car parler de ce roman tellement différent de tout ce qu’on lit habituellement n’est pas aisé. Alors si vous aimez les paris impossibles, si quelques six cent pages ne vous rebutent pas pour tenter de percer à votre tour ce mystère, soyez curieux, immergez-vous, acceptez le challenge, et partez à la découverte de Francis Rissin. Puis venez me dire ce que vous en aurez pensé ! Attention, il me semble cependant que ce roman est avant tout à conseiller aux lecteurs passionnés, tant il est dense, déroutant et singulier.
De mystérieuses affiches bleues apparaissent dans les villes de France,
seulement ornées d’un nom en capitales blanches : FRANCIS RISSIN. Qui est-il ?
Comment ces affiches sont-elles arrivées là ? La presse s’interroge, la police
enquête, la population s’emballe. Et si Francis Rissin s’apprêtait à prendre le
pouvoir, et à devenir le Président qui sauvera la France ?
Pour son premier roman, Martin Mongin signe un livre vertigineux. Un roman composé de onze récits enlevés, onze voix qui lorgnent tour à tour vers le roman policier, le fantastique, le journal intime ou encore le thriller politique, au fil d’une enquête paranoïaque sur l’insaisissable Francis Rissin. Avec une maîtrise rare, Martin Mongin tisse sa toile comme un piège qui se referme sur le lecteur, au cœur de cette zone floue où réalité et fiction s’entremêlent. Autant marqué par l’art de Lovecraft, de Borges ou de Bolaño que par la pensée de La Boétie ou d’Alain Badiou, Francis Rissin est un premier roman inventif et inattendu, au propos profondément politique.
Martin Mongin est né en 1979. Il est professeur de philosophie, et passionné de politique. Il a signé plusieurs articles et publié divers essais politiques sous des noms d’emprunt, notamment aux éditions Pontcerq. En parallèle, il a toujours écrit de la fiction, imprimant ses ouvrages à quelques dizaines d’exemplaires pour ses proches. Francis Rissin est son premier roman, qu’il a envoyé par la poste à Tusitala à la fin de l’année 2018.
616 pages / 22 euros / ISBN : 979-10-92159-17-2 / Parution :
21 août 2019
Jean-Marie Blas de Roblès nous régale une fois de plus avec « Le Rituel des dunes » paru aux éditions Zulma. Roman exotique et parfaitement décalé, aux personnages multiples et foisonnants, porté par sa sublime écriture. J’ai eu envie de lui poser quelques questions à propos de ce roman, et de son travail d’écriture. Toutes les réponses sont à découvrir ici.
À propos du roman « Le Rituel des dunes »
Dans Le Rituel des dunes, le protagoniste
principal, Roetgen, est parti comme expatrié en Chine, je crois que c’est également votre propre
expérience, est-ce la raison qui vous a donné envie d’écrire ce roman ?
J’ai effectivement vécu en Chine de 1983 à 1984. J’y ai fait l’expérience d’un monde si étrange, si différent du nôtre qu’il semblait incompréhensible à première vue, presque monstrueux par son altérité. « La civilisation chinoise, écrit Joseph Needham, le grand sinologue britannique, présente l’irrésistible fascination de ce qui est totalement « autre », et seul ce qui est totalement « autre » peut inspirer l’amour le plus profond, en même temps qu’un puissant désir de le connaître. » Cela a certainement joué lorsque je me suis mis en tête de raconter l’histoire de Roetgen et sa rencontre avec Beverly, mais je ne connais pas de « raison » préalable qui me pousse à écrire tel ou tel roman. C’est toujours le résultat d’un processus complexe d’amalgames, d’une longue maturation dont je ne maîtrise pas les différentes étapes.
Quand
on est écrivain, j’imagine que l’on peut mettre beaucoup de soi dans ses
livres, ou au contraire très peu. Comment vous situez-vous ?
C’est la fiction qui m’intéresse, l’exploration d’un univers aberrant situé à la marge du réel. Ce qui ne veut pas dire que je n’intègre pas certaines expériences vécues à mes romans, mais que je les utilise comme n’importe quel autre matériau dans ce collage de petites réalités disparates que nécessite toute invention dans l’ordre de l’imaginaire. Pas d’autobiographie, donc, même si mes livres reflètent sans doute ce que je suis, puisqu’ils témoignent du long travail d’écriture et des questionnements qui occupent ma vie depuis bientôt cinquante ans.
Le
protagoniste principal, Roetgen va vivre des moments forts avec Beverly, cette
américaine fantasque et un peu folle, mais qui a pourtant bien des choses à lui
apprendre. J’ai eu l’impression que le
personnage est important aussi, d’abord par sa personnalité, pour ce qu’il
éveille chez Roetgen. Mais aussi parce
qu’il me semble confronter deux mondes – les USA et la Chine –, deux caractères
et deux âges… Quelle est votre vision de Berverly, elle qui me semble
indispensable pour « révéler » Roetgen.
Beverly est le personnage central du Rituel des dunes. C’est sa personnalité déconcertante, sa folie que le narrateur retient de son séjour en Chine. Il lui faudra trois cents pages de remémoration pour qu’il se reproche enfin de ne pas avoir su l’accueillir dans son étrangeté. Cette Chine millénaire et encore maoïste où ils sont plongés, cette façade à première vue impénétrable à nos yeux d’occidentaux, n’est qu’une amplification de l’étrangeté de l’autre lorsqu’il n’obéit pas à nos propres codes de reconnaissance culturelle. Il faut un violent effort sur soi-même pour aller vers lui sous peine de n’apercevoir que son exotisme ou sa bizarrerie. C’est le sens de la phrase de Zhuang Zi mise en exergue du roman : À vrai dire, tout être est autre, et tout être est soi-même. Cette vérité ne se voit pas à partir de l’autre, mais se comprend à partir de soi-même. Roetgen s’aperçoit qu’il a manqué Beverly, comme elle-même ou les expatriés qu’ils côtoient ont manqué la Chine. Tous deux ont échoué, faute d’empathie dans le rituel d’approche nécessaire à toute rencontre véritable.
Roetgen
écrit un roman policier, mais nous n’en connaissons qu’une partie… Comment et
pourquoi vous est venue cette envie de faire travailler notre imagination
?
Beverly s’est construit une théorie sur ce qui permet de connaître quelqu’un : Une véritable autobiographie, dit-elle, devrait être la sélection d’une parfaite série de faits sur soi-même, série qui permettrait à un lecteur de prédire tout le reste. Ou, en termes formels, d’axiomes à partir desquels nous pourrions dériver l’ensemble des théorèmes concernant une personne. Lorsque Roetgen lui demande « qui elle est », l’Américaine le prend au sérieux et lui offre toute une série d’axiomes de sa propre biographie permettant peut-être de répondre à la question posée. Elle se raconte sans fards, mais demande en contrepartie que Roetgen lui lise ce qu’il écrit. Le lecteur assiste à ces lectures : la nuit de ce con de Lafitte dans un chaudron de la Cité interdite, le conte fantastique d’un empereur à double visage au sein du Repos précieux des monstres désirables, et plusieurs chapitres d’un roman policier que Roetgen s’amuse à écrire par correspondance avec un ami de Pékin, chacun inventant la suite de l’intrigue à partir des pages qu’il reçoit. Roetgen ne dispose que de son propre texte et ne peut livrer à Beverly qu’un chapitre sur deux du roman policier en question. Beverly s’en satisfait, arguant que c’est aussi la part du lecteur de combler les « trous » : Imagine qu’on supprime un chapitre sur deux dans « Le Grand Sommeil » de Chandler, ou même de « Salammbô » ou de « Guerre et Paix », est-ce que ça gênerait ? Est-ce que tu n’imaginerais pas une intrigue au moins aussi intéressante, aussi captivante que dans l’original ? Je ne suis pas loin de partager son avis, mais j’ai fait en sorte de glisser dans ces chapitres nombre d’éléments qui permettent de suivre l’intrigue principale, malgré la discordance annoncée. La référence aux Mille et une nuits et à Shéhérazade est explicite : il s’agit avant tout de se raconter des histoires pour survivre.
J’avoue
qu’au début du roman, j’ai à deux reprises relu les chapitres précédents, un
peu perdue par ces différents textes… Vous avez l’art de nous faire
réfléchir ! Je n’ose imaginer la complication pour l’écriture…
Retour aux Mille et une nuits : il faut seulement se laisser porter, accepter de passer d’une histoire à une autre, rêver. Dans mes lectures, j’aime que l’auteur prenne au sérieux mon pouvoir de discernement, j’apprécie d’être sollicité. En écrivant, je reproduis certainement ce mécanisme qui provoque chez moi la délectation.
J’ai
particulièrement aimé comme pour le roman précédent tout d’abord votre
écriture, si fine, ciselée, précise, mais aussi ces évocations de la Chine avec
la précision et la finesse d’un orfèvre, le travail du sculpteur, la cité
interdite… Faut-il avoir vécu et surtout apprécié ces moments-là pour en parler
aussi bien ?
Nourri d’une documentation suffisante, notre imaginaire est plus riche, plus exact, plus véridique que n’importe quelle expérience de terrain. Hubert Haddad, par exemple, a écrit l’un des plus beaux romans sur la culture japonaise – Le peintre d’éventail – sans avoir mis un pied au Japon. L’écriture romanesque met en scène des illusions d’optique, des trompe-l’œil plus vrais que nature.
Ce
roman est paru une première fois il y a trente ans, pourquoi avoir choisi de le
republier, et dans quelle circonstances ?
Tous les romanciers, dit en substance David Lodge, écrivent « pour défier la mort, pour que leur nom et leur œuvre se perpétuent ; c’est une sorte de réconfort pour eux, et de grande fierté, lorsque leurs livres restent disponibles au catalogue ». Quand mon éditrice m’a proposé de republier un livre épuisé depuis vingt ans, j’ai bien évidemment sauté de joie.
Aviez-vous
ressenti le besoin d’une réécriture, et est-ce un réel plaisir de le
faire ?
Quels
sont vos sentiments lorsque vous relisez vos premiers romans ? Il me
semble que cette démarche ne doit pas être si habituelle chez les écrivains, il
y a tant à dire de nouveau sans doute…
Lorsque je relis mes premiers livres, j’y trouve à la fois matière à me réjouir et à m’affliger. Si je suis agréablement surpris par la maturité de certains passages, ou la présence de thèmes qui n’ont cessé de se développer ensuite, j’y aperçois aussi des faiblesses stylistiques qui m’avaient échappé et que je suis incapable de conserver telles quelles. La réédition d’un livre autorise sa « mise à jour », elle me permet d’en corriger les failles, voire de remanier sa structure en profondeur – comme c’est le cas pour Le Rituel des dunes – de façon à ce qu’il corresponde à mes exigences d’aujourd’hui et s’intègre avec plus de cohésion dans l’édifice qui se construit à partir de La Mémoire de riz. Cette démarche n’est pas si rare, me semble-t-il. C’est celle de tout créateur en quête d’excellence, ou du moins d’une progression dans le projet qui est le sien. En retouchant mes œuvres disait Yeats, c’est moi que je corrige. Il ne s’agit pas tant de dire des choses nouvelles que de mieux exprimer celles qui l’ont été.
Et …
si j’ose vous demander, avez-vous déjà la trame ou le sujet de votre prochain
roman ? Je crois me souvenir que
vous avez une vision assez précise de ceux que vous souhaitez écrire et qu’ils
s’installent dans un schéma précis, pourriez-vous nous en parler ?
Il m’est déjà très difficile de parler d’un livre déjà écrit : c’est trop me demander que d’évoquer un roman qui n’existe pas encore.
Je n’ai pas de vision précise des livres à venir, mais ils s’inscrivent bien dans un schéma dont la matrice est constituée par les vingt-deux nouvelles de La mémoire de riz. Tous les personnages présents dans ce recueil initial sont appelés à voyager d’un roman à l’autre, avec des effets de loupe pour certains, des compléments d’histoire ou de simples allusions ; cela vaut également pour les objets, les animaux, les lieux, les atmosphères. En installant cette porosité d’ensemble, j’espère laisser derrière moi une sorte d’architecture romanesque où le lecteur reconnaîtra un jour l’ombre portée d’un seul livre aux multiples facettes.
Quel lecteur êtes-vous ?
Si
vous deviez me conseiller un livre, que vous avez lu récemment, ce serait
lequel et pourquoi ?
J’ai particulièrement aimé Vénus s’en va, de Damien Aubel, publié fin 2018 chez Inculte. Ce roman dresse le portrait intime de l’empereur Claude, souverain dont Suétone, entre autres, a fait l’idiot de la famille des Auguste. À rebours de cette triste réputation – celle d’un cocu gâteux et pitoyable presque invisible entre les règnes excessifs de Caligula et de Néron – nous découvrons un homme inquiet, tourmenté par sa quête mystique de la déesse Vénus. C’est l’époque de Messaline, des jardins de Lucullus : avec une érudition maîtrisée, Damien Aubel ne nous épargne rien des intrigues de palais ni des lupanars sordides du quartier de Suburre, mais il le fait dans un style exceptionnel, puissamment novateur, avec cette liberté poétique, cette aptitude à distordre la langue où je reconnais d’emblée l’inutile et nécessaire beauté de la grande littérature.
Laure Leroy & Jean-Marie Blas de Roblès
Présentation des éditions Zulma
Merci pour la rencontre !
Un grand merci à Jean-Marie pour avoir accepté de répondre à toutes ces questions. Et pour le plaisir que procure la lecture de chacun de ses romans.
Vous n’avez pas vu l’exposition David Hockney au centre Pompidou ? Moi non plus, aussi la frustration était grande de ne pas avoir eu la possibilité de mieux le connaître. Mais depuis j’ai lu Vie de David Hockney de Catherine Cusset, et j’ai eu l’impression d’avoir rencontré l’artiste.
Lorsque j’ai ouvert le roman de Catherine Cusset, j’ai plongé tête la première, et je suis partie passer une nuit dans la vie de David Hockney ! Si, si, car les mots sont tellement vivants, passionnants, l’écriture tellement prenante, que j’ai vraiment eu l’impression de passer quelques heures à ses côtés, un véritable bonheur, impossible de lâcher ce livre.
Né en 1937 en Grande Bretagne, le jeune David connait une enfance heureuse, choyée, dans une famille aisée du Yorkshire. Ses parents comprennent sa passion et lui permettent de faire des études dans une école d’art. David est prêt à innover, à casser les codes, bousculer les habitudes, autrement dit, il veut créer et faire ce que lui plait ! Bien lui en prend car très tôt, la vente d’une de ses œuvres va lui permettre de quitter l’Angleterre pour les États Unis. Puis de s’installer en Californie. Là, David Hockney va trouver l’inspiration, la lumière et les couleurs qui feront ce style inimitable emblématique de sa personnalité artistique. Là il va également trouver, puis perdre, l’amour, mais aussi une forme de liberté. Car en Californie à cette époque là, contrairement au vieux continent, si vous êtes homosexuel, vous n’avez pas besoin de vous cacher, vous pouvez vivre votre passion au grand jour. Le bonheur en somme… mais il va vivre tout cela à une époque difficile, celle du sida, qui verra disparaitre les amis intimes ou simplement proches, la perte de ses êtres chers sera une épreuve à surmonter pour continuer à vivre. Sa volonté, son sens artistique unique, et son goût de la vie vont l’aider à toujours inventer. Artiste novateur, de ses années de jeunesse à celles d’un déclin inéluctable, il va essayer de nouvelles techniques car c’est un homme qui avance et qui ose.
Alors j’avoue, j’ai passé une nuit avec David, avec cet artiste, cet homme si créatif, qui ose, qui dépasse les convenances, qui m’a passionnée lorsque j’ai découvert ce que l’auteur a fait transparaitre de sa vie, ses sentiments, ses amours, ses interrogations… J’ai vraiment eu l’impression de vivre à ses côtés pendant quelques heures et de parcourir sa vie. Et puis, bien évidemment, j’ai ensuite voulu retrouver toutes ces œuvres dont j’ai découvert la genèse et que j’avais l’impression de déjà bien connaître.
Ce roman est magnifique ! Bien sûr, Catherine Cusset nous parle d’un artiste connu, vivant, et que nous ne rencontrerons sans doute jamais de notre vie. Mais je vous l’assure, les lignes dansent les pages se tournent, et vous avez l’impression de voir David Hockney chez lui, ou chez ses amis, de le voir peindre ces toiles si bien décrites que vous n’avez même pas besoin de chercher pour savoir laquelle est dans telle ou telle scène. Vous les voyez, vous voyez l’eau, la piscine, les amants et les amours de l’artiste, les bonheurs et les chagrins, l’ombre et la lumière, la vie et la mort autour de lui. Vous êtes à ses côtés et c’est superbe de vérité. Catherine Cusset a un grand talent de conteuse, un talent pour poser un regard particulier sur cet artiste et rendre vivants, humains et présents les personnages de Vie de David Hockney. Elle réussi à faire de cette vie un roman, une belle histoire que l’on n’a pas envie de lâcher, bien au delà d’une banale biographie.
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Merci Catherine Cusset pour la belle dédicace, digne du maître !
Retrouvez Catherine Cusset sur son blog : Catherine Cusset
Lire aussi l’avis de Céline du blog Arthémiss
«Peut-être n’éprouverait-il plus jamais de passion comme celle qu’il avait sentie pour Peter, peut-être n’y aurait-il plus d’union parfaite, mais il restait la perfection de l’amitié, la beauté des cyprès sur les collines et la joie que donnait le travail. Et s’il oubliait Peter, s’il réussissait à vivre sans lui, ce dernier ne reviendrait-il pas? Personne n’était attiré par la tristesse et la mélancolie. Mais par la gaieté, la force, le bonheur, oui.»
Né en 1937 dans une petite ville du nord de l’Angleterre, David Hockney a dû se battre pour devenir un artiste. Il a vécu entre Londres et Los Angeles, traversé les années sida et secoué le monde de l’art avec une vitalité et une liberté que n’ont entamées ni les chagrins amoureux, ni la maladie, ni les conflits, ni le deuil. Sous la plume incisive de Catherine Cusset, ce livre à mi-chemin du roman et de la biographie dresse un portrait intime, émouvant, habité, du peintre anglais vivant le plus connu.
192 pages, 140 x 205 mm / Parution : 11-01-2018 / Achevé d’imprimer : 01-12-2017 / ISBN : 9782072753329
Chercher l’amour d’une mère, chercher l’absente, et se trouver soi-même. C’est le chemin que va suivre Lucien, le jeune héros de « l’attrape-souci » le premier roman de Catherine Faye.
L’histoire débute à Buenos Aire, dans une librairie. Le jeune Lucien, onze ans, est tellement ému et interpellé par les « attrape-souci » que vient de lui promettre sa mère, qu’il la perd de vue lorsqu’elle sort regarder la vitrine. Il l’attend pendant des heures, puis fini par errer dans les rues, d’abord à la recherche de sa mère, puis finalement d’un abri pour la nuit, pour quelques jours, pour plus longtemps peut-être. Car il est bien difficile lorsque vous venez de débarquer dans une ville inconnue – ils arrivent de Paris- de savoir se repérer et de pouvoir retrouver cette mère perdue.
Lucien est à la rue. Il partage ses nuits avec un clochard qui le prend sous son aile, puis avec Solana, une jeune femme qui se transforme en belle de nuit à la tombée du jour. Là, il va rester quelque temps, mais comment avouer et expliquer qu’il est perdu, qu’il n’a pas fugué, que sa mère adorée ne l’a pas retrouvé et que lui non plus ne sait pas où ni comment la chercher ? Difficile de savoir ce qu’il est possible de dire ou pas sans créer la confusion et risquer d’être embarqué par la police.
De vagabondage en exil forcé dans les quartiers interlopes ou perdus de Buenos Aire, il se retrouve chez Arrigo, un homme qui s’occupe d’une jardinerie et lui apprend quelques rudiments qui vont lui permettre de l’aider, de travailler, de cultiver la terre et les plantes avec lui. Il sera pris sous son aile et va s’y blottir, faute de retrouver celle qu’il aime plus que tout et qui lui manque tant, cette mère qui semblait toujours tellement lasse de ses erreurs, de ses problèmes, de ses échecs de gamins, et dont il guettait la moindre parcelle d’amour.
Étonnant roman sur l’amour d’un fils pour sa mère, sur la recherche de soi, sur l’exil aussi et sur la compassion, l’entre-aide, l’amitié parfois plus forts que l’amour que l’on trouve, ou pas, dans sa famille. Lucien est attachant, et on aimerait tant l’aider dans son malheur, ce manque d’amour et cette enfance déchirée sont très bien restitués par Catherine Faye, un joli, lumineux et émouvant premier roman dans un Buenos Aire parfaitement restitué par l’auteur.
Décembre 2001. Lucien, onze ans, vient d’arriver à Buenos Aires avec sa mère. Dans une librairie, il est captivé par de mystérieuses petites boîtes jaunes. Dedans, de minuscules poupées. Selon une légende, si on leur confie ses soucis avant de s’endormir, le lendemain, ils se sont envolés. Le temps qu’il choisisse son attrape-souci, c’est sa mère qui s’est envolée. Disparue. Lucien part à sa recherche. Se perd. Au fil de ses errances, il fait des rencontres singulières. Cartonniers, prostituées, gamins des rues avec qui il se lie, un temps. Et grâce à qui, envers et contre tout, il se construit, apprend à grandir. Autrement. Rebaptisé Lucio par ses compagnons de route, cet enfant rêveur et déterminé incarne ce possible porte-bonheur que chacun a en soi.
Parution : 17/01/2018 / EAN : 9782863744758 / EAN numérique : 9782863747582 / Pages : 300 / Format : 135 x 215 mm
Sulfureux « I love Dick » ? Ce roman écrit par Chris Kraus à la première personne est avant tout la revendication féministe d’une femme qui s’affirme dans un monde d’hommes.
D’abord publié en 1997, le roman a reçu un accueil mitigé, et pourtant il est aujourd’hui traduit dans plusieurs pays. Assez étonnant, troublant par sa construction, il peut rebuter un lecteur par toutes ces mentions d’auteurs anglo-saxons et parce qu’il est très ancré dans les années soixante-dix et quatre-vingt, qu’il faut avoir connues pour ne pas être parfois perdu. De plus, l’impression que Chris a fait tomber les barrières entre l’écriture et la vie privée, la réalité et la fiction, tout en écrivant malgré tout un roman, place parfois le lecteur en porte-à-faux. Et pourtant « I love Dick » parle essentiellement de la difficulté d’être une femme dans un monde d’hommes, celui des affaires, celui de l’art, du cinéma, de l’écriture, où les femmes sont souvent vues comme secondaires et peu intéressantes, insignifiantes, faibles, trouvant leur place uniquement par rapport aux hommes auprès de qui elles évoluent.
La première partie de roman se présente comme un journal. Chris Kraus et son mari, Silvère Lotringer, sont au restaurant avec Dick. Le temps est menaçant, aussi Dick leur propose de les héberger pour une nuit. Dès cette scène, le lecteur connait alors tout ce qu’il faut savoir sur les trois personnages, situation, âge, profession, et le fait qu’ils se connaissent finalement très peu. Au lendemain de cette soirée, Chris est persuadée que la nuit passé sous le même toit que Dick a été comme une rencontre intime et qu’il s’est passé une connexion entre eux, une sorte de « baise conceptuelle » et qu’elle est désormais amoureuse de Dick. Silvère, jaloux à sa façon, va pourtant rentrer dans le jeu de Chris, et tous deux vont lui écrire des centaines de lettres, produisant ainsi une étrange réalisation artistique à quatre mains. Que faire, les envoyer ? Les publier en un roman ? En parler à Dick ? Attendre sa réponse ? Pour Chris, c’est un peu comme si elle rédigeait un journal …. Et petit à petit cela devient une véritable introspection pour cette femme tentée par un changement de vie, elle se rend compte que si elle reste auprès de son mari, elle ne sera jamais que sa femme, son accompagnatrice, et n’aura pas de réalité en tant que Chris, aussi elle décide de le quitter.
La deuxième partie du roman nous fait d’abord suivre Chris dans sa traversée des États Unis seule en voiture. Elle tente de revoir Dick, le poursuit de ses assiduités, le harcèle. Mais toute cette partie est aussi un long plaidoyer pour toutes les femmes artistes si peu comprises, si peu appréciées tout au long des années, autrement que par rapport aux hommes qui les ont accompagnées. Et Chris défend la cause de ces femmes, leur talent, réel, méconnu, mal compris. Défend le fait d’être une femme, artiste, talentueuse, révolutionnaire, contestataire ou avant-gardiste, et surtout le droit à l’expression au même titre que les hommes.
Voici donc un roman très déroutant et qui loin d’être aussi sulfureux que le laissait présager son titre, et sa double signification en argot, nous entraine à la suite des délires et des pensées de Chris, aux limites de la fiction et de la réalité, et qui cherche à faire entendre les voix féminines si souvent oubliées et si peu soutenues par la société, en particulier dans les années 80, dans le monde de l’art et de la littérature.
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Quelques extraits :
« Nous étions deux électrons qui se tournaient autour dans une circuit fermé. Sans issue, huis clos. J’avais pensé à toi, rêvé de toi chaque jour depuis décembre. T’aimer m’avait permis d’accepter l’échec de mon film, de mon mariage et de mes ambitions. La route 126, l’autoroute de Damas. Comme saint Paul et Bouddha qui firent l’expérience d’une conversation grandiose à l’âge de 40 ans, j’étais re-née en Dick. Mais était-ce une bonne chose pour moi ? Voilà la façon dont j’ai compris les règles. Si l’on veut quelque chose très fort, on peut continuer à chercher à l’obtenir jusqu’à ce que l’autre dise Non. »
« Tout ceci était d‘une grande cruauté mais t’aimer était devenu un boulot à plein temps et je n’étais pas prête à me retrouver au chômage. »
« Qu’est-ce qui est selon vous la plus grande réussite de votre vie ? a demandé un adolescent du Thurman Youth Group à George Mosher, un trappeur, fermier, homme à tout faire et bucheron de 72 ans. « Être resté ici » a dit George. « A 3 kilomètres de l’endroit où je suis né ». Cher Dick, le sud des Adirondack permet de comprendre le Moyen Age. »
Chris Kraus, une jeune femme, raconte son amour à sens unique pour un critique d’art prénommé Dick. Entre obsession, désir féminin et quête à travers les Etats-Unis, elle s’éloigne de son mari Sylvère et comprend que tout n’était que prétexte à la méditation et à la réflexion sur la place des femmes dans le couple et dans le monde.
Littérature étrangère / Traduit de l’anglais (États-Unis) par Alice Zeniter / Parution : 24/08/2016 / Prix : 20 €
Entre réalité et fiction « Comme neige » de Colombe Boncenne est un jeu de piste littéraire qui nous entraine dans le monde de l’édition et de la création.
Constantin Caillaud, lecteur-comptable de son état, part en weekend avec Suzanne, son épouse depuis vingt ans. Là, après quelques péripéties, ils arrivent à Crux-la-Ville, et là, chez le libraire local, dans un bac de livres en solde, il tombe sur le roman « Neige noire » écrit par son auteur préféré, Emilien Petit. Roman dont il ne connaissait pas l’existence, lui qui est pourtant incollable sur l’œuvre d’Emilien Petit. Cette trouvaille est prétexte à reprendre contact avec Hélène, sa maitresse perdue de vue depuis longtemps, elle-même fan de cet auteur. Mais le livre de Constantin disparait, impossible d’y mettre la main dessus, qu’importe, il va le chercher autrement, ailleurs.
Impossible, le livre n’existe pas ! Il n’est ni connu ni reconnu par l’éditeur, par l’auteur, ou par les amis ou critiques de l’entourage de l’auteur. Véracité de la création littéraire, fiction de l’amateur fou, ce livre n’a aucune réalité, il n’existe pas. Constantin part alors dans un jeu de piste surréaliste à travers l’ensemble de l’œuvre de l’auteur, cherchant dans tous ses romans, ses personnages, ses écrits, les traces qui mèneront à « neige noire ». Il n’y en a pas !
Mais alors, qu’en est-il de « Neige noire » ? Réalité ? Rêve ? Livre unique ? Mystification d’un lecteur qui se rêve auteur ? En tout cas il est prétexte à évoquer le monde de l’édition que l’auteur connait bien. Et l’on y trouve des lecteurs fous, qui connaissent mieux l’œuvre d’un auteur que l’auteur lui-même et que les dits spécialités. Est-ce une quête ? D’un livre ? De soi-même ? De l’objet même de la littérature ? C’est certainement le récit décalé d’une rencontre entre un lecteur et son écrivain préféré.
Alors, que dire. Sans les 68 premières fois je ne serais jamais allée vers ce livre, et qui sait si je n’aurai pas abandonné… ah, non ça pas possible, je n’abandonne jamais un livre en cours de lecture. J’ai eu un peu de mal à rentrer dans le récit, décalé en quelque sorte, puisqu’il ne faut pas y chercher une trame amoureuse, sur le couple, sur le lecteur, mais bien plutôt sur le livre et le monde du livre. Je me suis donc embarquée dans cette quête d’un livre dans toute l’œuvre d’un auteur, où des personnages et des situations se répondent à dessein tout au long de sa création littéraire, des paysages, des rencontres annoncent d’autres livres. Je me suis même imaginée cherchant un livre inconnu à travers l’œuvre d’un Zola…
« Je vis la pile d’ouvrages sur mon bureau, tous les romans d’Émilien Petit réunis là. Je m’adressai à l’auteur, l’appelant par son prénom, comme si c’était un vieil ami : ’Émilien, cher Émilien, Neige noire, qu’en as-tu fait ?’. »
À la maison de la presse de Crux-la-Ville, Constantin Caillaud découvre par hasard Neige noire, un roman d’Émilien Petit dont il croit pourtant avoir tout lu. Excellente trouvaille, elle va lui donner l’occasion rêvée de recontacter Hélène, sa maîtresse évanescente qui lui a fait aimer cet auteur. Mais au moment de la revoir pour lui confier le livre-sésame, il ne parvient plus à le retrouver. Il cherche alors sur Internet : aucune trace. S’adresse à l’éditeur : le titre n’a jamais figuré au catalogue. Qu’à cela ne tienne, Constantin écrit à Émilien Petit et à ses amis écrivains : tous nient l’existence de Neige noire.
Un jeu malicieux entre fiction et réalité qui peut donner le vertige.
Roman / Qui Vive / Date de parution : 01/01/2016 / Format : 14 x 18 cm, 120 p., 11.00 € / ISBN 978-2-283-02939-8