L’homme peuplé, Franck Bouysse

Deux hommes, une atmosphère étrange, inspiration créatrice ou secrets de famille ?

Ce roman dont le personnage principal est un auteur qui tente de se ressourcer dans un lieu isolé devient très vite addictif. L’histoire reste cantonnée comme dans une pièce de théâtre à quelques rares personnages et une unité de lieu un village rural et son hameau en hiver.

Harry cherche sa respiration, le souffle très particulier de l’écriture. Après le succès d’un premier roman, il est en apnée et s’est épuisé à chercher en vain un sujet à la hauteur de ses ambitions. De guerre lasse, il s’enfuit et achète une ferme à l’écart de tout, surtout de son quotidien. Ce lieu hors du temps devrait lui fournir le calme nécessaire pour retrouver l’inspiration, l’envie d’écrire et de créer. Il rencontre peu de monde dans ce village isolé. Sofia, une bien jolie jeune femme qui tient l’épicerie dans laquelle se retrouvent bien peu de clients si ce n’est ce consommateur charmant et assidu, son visiteur du matin. Un maire qui parait accueillant mais au comportement étrange et suspicieux. Et surtout un voisin qu’il ne voit jamais mais qu’il devine.

Caleb est le fils de la sorcière, celle qui guérit, une taiseuse solitaire, mère abusive et exigeante. Il a les mêmes pouvoirs de guérisseur que sa mère. Ils vivent en symbiose avec la nature et les animaux. Incompris du commun des mortels, tous deux vivent à l’écart du village. Lorsque sa mère décède, Caleb continue en solitaire à soigner les bêtes et à vivre au plus près de la nature. Jusqu’au jour où la belle Emma croise la route de ce garçon beau comme un dieu et tombe amoureuse. Mais Caleb se méfie des femmes, celles par qui le malheur arrive, qu’il faut éviter à tout prix. Selon les règles que sa mère s’est échinée à lui inculquer depuis sa plus tendre enfance.

Étrangement, Harry entend ce voisin discret et solitaire, mais n’arrive ni à le croiser ni à l’apercevoir. Dans le même temps, il noue une relation de plus en plus proche avec Sofia, qui ne parle jamais de sa vie privée mais l’intrigue au plus haut point. Puis avec ce chien solitaire qui vient à sa rencontre, d’abord craintif, puis fidèle et attentif.

Ce que j’ai aimé ?

La façon dont Franck Bouysse tisse un écheveau fait de relations, de solitudes, de sentiments, qu’il alterne de chapitre en chapitre et nous dévoile peu à peu. Et justement, peu à peu le lecteur comprend toute la subtilité des relations entre les différents personnages, entre les saisons contradictoires, les champs qui passent de la neige épaisse et silencieuse aux prairies verdoyantes peuplées de fantômes et de souvenirs, de violence et de mots d’amour, de rencontres manquées et de passions inassouvies.

La puissance du climat souvent extrême. La neige, le froid, et le silence des univers glacés qui cachent une nature que l’on devine seulement, sont omniprésents dans le monde de Harry et de Sofia. La beauté des prairies d’été et cette nature aussi colorée que luxuriante abritent la violence et le silence dans le monde de Caleb et Emma.

La poésie des mots pour dire la vie et la mort, la beauté et le silence.

L’écriture est belle, masculine, bien balancée et efficace. Certes il y a aussi de trop fréquentes métaphores, parfois assez ésotériques, qui n’apportent rien et pourraient paraître parfois un brin prétentieuses si l’on ne connaissait pas l’auteur. Pourtant, j’ai apprécié la façon dont Franck Bouysse est capable de rendre floue la ligne entre une certaine réalité et la fiction. Il a su une fois de plus me séduire avec cette belle écriture qui dit la beauté et l’amour, le silence le chagrin, la violence et le deuil, la vie dans ce coin à la frontière de deux mondes, de deux temporalités. Même si j’ai été troublée par le côté surnaturel de certains passages qui me paraissaient inutiles et pas forcément bienvenus. Comme si l’auteur avait hésité entre plusieurs style pour écrire ce roman et décidé d’y mettre un peu de tout. A la fin, on hésite entre la frustration d’en connaître l’issue, son coté fantastique déroutant et l’envie d’en savoir plus. Mais là réside aussi le charme de l’écrivain, nous donner à lire ce qu’il propose, ces deux temporalités dans lesquelles il nous a plongés tout au long du roman.

La lecture par Philippe Allard est vibrante, posée, à l’image de ces deux hommes, l’un si beau et si sauvage dans son isolement choisi, l’autre si perdu et si solitaire dans sa recherche d’inspiration, leur rencontre est un beau moment de poésie au plus proche de la nature. Et la voix de la mère, scandée, forte, obsédante, à l’image de cette personnalité qui se dessine de page en page bien au delà de la mort, reste en mémoire longtemps.

Catalogue éditeur : Audiolib, Albin-Michel

Lu par Philippe Allard

Harry, romancier à la recherche d’un nouveau souffle, achète sur un coup de tête une ferme à l’écart d’un village perdu. C’est l’hiver. La neige et le silence recouvrent tout. Les conditions semblent idéales pour se remettre au travail. Mais Harry se sent vite épié, en proie à un malaise grandissant devant les événements étranges qui se produisent.
Serait-ce lié à son énigmatique voisin, Caleb, guérisseur et sourcier ? Quel secret cachent les habitants du village ? Quelle blessure porte la discrète Sofia qui tient l’épicerie ? Quel terrible poids fait peser la mère de Caleb sur son fils ? Entre sourcier et sorcier, il n’y a qu’une infime différence.

Parution : 14/09/2022 / Durée : 7h22 / EAN 9791035411527 Prix du format cd 23,90 € / EAN numérique 9791035411398 Prix du format numérique 21,45 € / Date de parution 14/09/2022

Oxymort, Franck Bouysse

Oxymort de Franck Bouysse, un huis-clos oppressant et glaçant aux limites de la folie

Découvrir une autre facette de l’auteur de « Né d’aucune femme » ce roman qui nous avait tous tellement séduit l’an dernier..
Un homme est enchaîné sur un sol en terre battue, attaché dans le noir. Il ne comprend absolument pas ce qui a pu le mener jusque-là. Cet homme, c’est Louis Forell, professeur dans un lycée, une vie relativement banale, alors comment et pourquoi est-il arrivé là ?

Son geôlier lui fait jouer un jeu malsain afin de le lui faire deviner. Piégé dans cette cave obscure, il n’a pas d’autre solution s’il ne veut pas devenir fou, que de s’évader dans ses pensées, évoquer son travail, ses parents disparus, et surtout son amoureuse la belle Lilly avec qui la vie est si belle. Nous allons le suivre dans ce jeu mortel du chat et de la souris.


Le roman se lit vite, les chapitres courts alternent entre passé et présent, entre les souvenir de l’un puis de l’autre. Des vies défilent et rapidement le lecteur voit poindre toute la folie du geôlier, et de se demander alors jusqu’où l’amour peut mener un homme. Si le thème est abordé dans ce roman, c’est de façon plutôt singulière. Comme un oxymore auquel le titre fait référence peut être ? Je t’aime je te fais souffrir ?

L’écriture est rapide, rythmée, avec des phrases et des chapitres courts qui s’enchainent facilement. Si l’on n’y retrouve pas le style peaufiné et les belles phrases de Né d’aucune femme, c’est malgré tout un thriller qui se laisse lire et qui fait passer un bon moment.

Catalogue éditeur : J’ai Lu

Un homme s’éveille, enchaîné sur la terre battue d’une cave où règne un effroyable silence. Engourdissement, incompréhension. Qui ? Pourquoi ? La seule façon de repousser son désespoir, de lutter, est de remonter le temps, errer dans les corridors de sa mémoire et chercher à comprendre, en allant de piste en piste, pour tenir en laisse la folie. Guetter l’apparition d’une femme, au moment où les ombres s’étirent dans le crépuscule. Jouer la musique de sa survie.

Paru le 04/03/2020 / Prix : 7,20€ / 224 pages / 110 x 178 mm / EAN : 9782290219478

Né d’aucune femme, Franck Bouysse

Franck Bouysse nous plonge dans une atmosphère à la façon de Flaubert ou de Dickens. « Né d’aucune femme » est un roman choral, situé fin XIXe début XXe, dans une province qui pourrait être les Landes ou le sud-Ouest chers au cœur de l’auteur.

Gabriel, le curé du village, reçoit une étrange visite. Une inconnue l’informe qu’il va être appelé, par ceux du monastère où se réfugient les filles perdues, auprès d’une jeune morte. Dans les plis de la robe, il trouvera deux carnets, une vie, la vie de Rose…

Rapidement, avec Gabriel, le lecteur feuillette ces carnets et plonge directement dans l’horreur de la misère. Celle des filles qui naissent mais ne servent à rien, même si elles travaillent dur, bouche à nourrir, dot à payer, et elles partent servir dans la famille du mari quand on leur en trouve un…Mais ici, Onésime, le père, au plus profond de son désespoir car il n’arrive pas à subvenir correctement aux besoins de sa famille, a trouvé un moyen de se débarrasser de son ainée, la vendre au maitre de forge.

Elle part avec son père, ne le sait pas encore, mais sa vie d’avant est finie à jamais. Elle repart avec le maitre vers cette grande demeure inquiétante où règne la Vieille, mère et maitresse, mauvaise, hostile à cette jeune femme qu’elle dresse et veut assujettir à sa volonté. Là, Rose, devenue la petite, va vivre des moments de labeur et de douleur. Brimades, corrections, viol, rien ne sera épargné à celle qui désormais appartient au maitre corps et âme.

Le lecteur s’attache à ce personnage de jeune fille. L’auteur construit et fait évoluer autour d’elle les différents protagonistes, en particulier les acteurs de son malheur, avec une montée dans l’intrigue digne des grands romans noir. Pourtant, au plus douloureux de ce qu’elle va vivre, elle n’est cependant jamais totalement désespérée. Elle sait voir le beau. Flatter le col d’un cheval et vivre des instants de bonheur et de douceur à son contact, penser à un jeune homme dont le regard l’émeut sont autant d’instants qu’elle saura sublimer pour réussir à rester vivante dans sa tête.

L’auteur décrit ici le mal dans ce qu’il a de plus terrible, quand le plus fort montre à l’autre ses faiblesses, anéanti sa volonté, annihile sa personnalité. Et cependant, j’ai aimé le fait qu’il mette en scène une jeune femme qui sait verbaliser et écrire le désespoir. Rose réussit à s’extraire mentalement du malheur qu’est sa vie pour devenir une jeune femme solide, parfois même amoureuse, qui ressent des sentiments, des joies, dans cette maison où tout bonheur lui est pourtant refusé. Enfermée, alors qu’elle devrait devenir folle l’écriture va la sauver.

J’ai découvert Franck Bouysse avec ce roman et je ne compte pas en rester là. J’ai trouvé autant de beauté que de cruauté dans ce roman écrit avec une plume qui sait dire la complexité des sentiments et les mots qui émeuvent.

💙💙💙💙

Rencontre au salon Livre Paris

Catalogue éditeur : La Manufacture de livres

 » Mon père, on va bientôt vous demander de bénir le corps d’une femme à l’asile.
– Et alors, qu’y-a-t-il d’extraordinaire à cela ? Demandai-je.
– Sous sa robe, c’est là que je les ai cachés.
– De quoi parlez-vous ?
– Les cahiers… Ceux de Rose. »

Ainsi sortent de l’ombre les cahiers de Rose, ceux dans lesquels elle a raconté son histoire, cherchant à briser le secret dont on voulait couvrir son destin. Franck Bouysse, lauréat de plus de dix prix littéraires, nous offre avec Né d’aucune femme la plus vibrante de ses œuvres. Ce roman sensible et poignant confirme son immense talent à conter les failles et les grandeurs de l’âme humaine.

Franck Bouysse, né en 1965 à Brive-la-Gaillarde, a été enseignant en biologie et se lance dans l’écriture en 2004. Grossir le ciel en 2014, puis Plateau en 2016 rencontrent un large succès, remportent de nombreux prix littéraires et imposent Franck Bouysse sur la scène littéraire française. Il partage aujourd’hui sa vie entre Limoges et un hameau en Corrèze.

20,90 euros / 336 pages / Parution le 10/01/2019 / ISBN 978-2-35887-271-3