L’homme sans fil, Alissa Wenz

Un récit passionnant qui se lit comme un roman

Adrian Lamo, Bradley Manning, ces noms là vous disent-ils quelque chose ? Personnellement non, mais après avoir découvert L’homme sans fil, je ne peux plus les ignorer.

En 2010, un jeune soldat échange par internet pendant de longues nuits avec Adrian Lamo. Il lui parle de ses craintes, et de son envie de révéler des documents pourtant classés secret défense. Il se sent à l’abri derrière son écran mais pourtant, par esprit civique Adrian Lamo va le dénoncer.

Un procès et de nombreuses péripétie plus tard, on est en droit de se demander ce qu’est devenu Lamo ?

C’est un jeune homme solitaire, un as du web, un hacker fou, qui connait tout les systèmes, ne vit que pour son ordinateur, et peut pénétrer l’architecture web de n’importe quelle grande entreprise. Par pour lui ou pour en retirer un quelconque bénéfice, mais pour prévenir la firme qu’il a réussi à hacker de la faiblesse de son infrastructure.

Pourtant, cette façon de faire ne plaît pas. Adrian par ailleurs déjà bien malmené depuis sa délation, va subir procès et vexations à la chaine, jusqu’à vivre dans la rue comme un vagabond, puis se terrer dans un appartement et s’isoler du monde qui l’entoure.

C’est cet homme si singulier qu’Alissa Wenz a choisit de nous présenter, en lui redonnant cette part d’humanité qui l’anime, ce sens civique, ce besoin d’aider son prochain, non pas à la façon de monsieur tout le monde, mais à la hauteur de ses moyens, de son don, la manipulation et sa dextérité à connaître et pénétrer le web et internet comme personne.

Cet homme m’a fait penser à Alan Turing. Le déchiffreur d’Enigma a lui aussi subi un traitement inhumain, du fait de son homosexualité, et a fini par se suicider. Ces hommes et ces femmes qui sortent du rang, quelle qu’en soit la raison, ont du mal à être accepté pour ce qu’il sont, et y compris pour leur différence, et a être appréciés à leur juste valeur.

J’ai aimé l’humanité, l’objectivité, dont fait preuve l’autrice pour nous parler d’Adrian Lamo. L’écriture est fluide, le récit instructif se lit comme un roman. Pourtant, il ne faut jamais perdre de vue la réalité, la solitude, la souffrance, qui se cachent derrière les mots. Une enquête qui interpelle avec finesse sur notre appréhension du monde et notre façon d’accepter les différences.

Catalogue éditeur : Denoël

S’amarrer dans des villes inconnues, ne pas savoir où il va dormir, voilà ce qu’il aime. L’exaltation du nouveau. C’est exactement ce qu’il ressent quand il entre dans des réseaux informatiques. Oui, c’est la même chose, se dit-il, c’est un acte de foi. […]Les journaux l’appellent ainsi : le hacker sans abri.

En 2010, le jeune soldat Bradley Manning est accusé d’avoir divulgué des documents classés secret-défense, révélant d’importantes bavures de l’armée américaine. Il risque alors la prison à perpétuité. Qui se souvient aujourd’hui d’Adrian Lamo, l’homme qui l’a dénoncé ? Hacker hors pair, Adrian Lamo est une légende dans son domaine. Mais le génie adulé, l’insolent vagabond, s’isole progressivement. Happé par les univers parallèles dont il se fait l’architecte, Adrian Lamo s’extrait peu à peu de la vie. Il perd dangereusement le fil du réel, entraînant dans sa chute ceux qui l’admiraient.

272 pages, 140 x 205 mm / ISBN : 9782207164129 / Parution : 05-01-2022 / 18,00 €

Les choses que nous avons vues, Hannah Bervoets

Le quotidien des modérateurs de contenu internet, un roman à découvrir

Kailegh est une jeune femme de l’ombre, de celles qui visionnent à longueur de journée toutes les vidéos les plus malsaines qui sont postés sur ces réseaux sociaux qui ont envahi notre quotidien jusqu’à plus soif. Elle est modérateur de contenu, un métier qui n’est pas sans risque puisque c’est quasiment à la chaîne qu’il faut visionner les horreurs, morts, sexe, violence, rien ne lui est épargné, bien au contraire puisque là aussi il faut atteindre des objectifs.

Heureusement, dans ce quotidien difficile, les jeunes savent se retrouver pour boire un verre, et parfois plus si affinité, comme ce sera le cas pour Kailegh avec la belle et intrigante Sigrid.

Nous la découvrons alors qu’elle explique à un avocat qui l’a contactée pour participer à une action collective, quel a été son quotidien dans la firme qui l’employait et contre laquelle certains de ses collègues portent plainte.

C’est un quotidien d’une telle noirceur, avec une telle charge mentale que l’on se demande comment ces jeunes vont pouvoir s’en sortir. Car bien sûr, n’imaginons pas que les robots sont capables de tout analyser. D’ailleurs nous sommes nous même parfois analyseurs de photos lorsque l’on nous demande si nous sommes des robots. Mais pour nous il s’agit tout simplement de feux tricolores ou de voitures, pas de tout ce qui détruit et fait mal.

Un roman étonnant par le sujet et la façon dont il est traité, qui nous fait nous poser des questions sur cet internet des écrans qui a depuis longtemps pris le pouvoir sur notre quotidien. J’ai apprécié de le découvrir en même temps que cette nouvelle maison d’éditions Le Bruit du Monde.

On ne manquera pas de lire également les chroniques de Nicole du blog motspourmots, et celle de lectures d’Antigone.

Catalogue éditeur : Le Bruit du Monde

Traduit du néerlandais par Noëlle Michel

Une plongée saisissante dans le quotidien des modérateurs de contenu, les nettoyeurs du web. Hanna Bervoets y analyse l’état de confusion entre réalité et virtuel dans lequel nous vivons.

EAN : 9782493206039 / Nombre de pages : 160 / 16.00 € / Date de parution : 03/03/2022

Mon inventaire 2016

Cette année a été riche de découvertes, de nouveaux auteurs, de rencontres avec les auteurs, les blogueurs, et avec tous ces lecteurs qui partagent ma passion dévorante pour la lecture.

Si je devais faire un bilan ? Que c’est difficile ! Dans ma liste à la Prévert il y aurait …

Des romans,
Nathacha Appanah & Tropique de la violence
Négar Djavadi & Désorientale
Gilles Marchand & Une bouche sans personne
Guy Boley & Fils du feu
Frédéric Couderc & Le jour se lève et ce n’est pas le tien

Des romans étrangers,
Isabel Alba & Baby spot
Elena Ferrante & Le nouveau nom

Des BD,
Christopher et Pellejero & The long and winding road

Quelques excellents romans policiers,
Caryl Ferey & Condor
Martin Michaud & Violence à l’origine
Olivier Norek & Surtentions

Un magnifique Carnet de Voyage & Voyage d’encre

Sans oublier le plaisir de découvrir ces poches qui sont déjà devenus des classiques,
Édita Morris & Les fleurs d’Hiroshima
Kamel Daoud & Meursault contre-enquête

Et tous ceux que j’oublie là, mais qui m’ont fait rêver, pleurer, vibrer, aimer, espérer, vivre !

Patrick Sénécal. Hell.com

« Toute entrée est définitive » Avec Hell.com de Patrick Sénécal, prendre la démesure de la puissance ?

Afficher l'image d'originePlonger dans l’univers des auteurs de thriller Québécois n’est pas sans risque ! Car la surprise est au fil des pages et de l’intrigue, la violence aussi d‘ailleurs, excessive et intense, immense comme ces régions d’Amérique du nord, démesurée peut-être par rapport à notre cadre de pensée, et tout ça vous arrive en plein face, sans prévenir ! Enfin si, avec hell.com vous êtes prévenu : toute entrée est définitive !

Daniel Saul est un homme d’affaire prospère, un gagnant, un winner quoi ! Tout lui réussit ou presque. Coté succès, l’entreprise Saul est une entreprise florissante. Daniel a des dollars plein les poches, au propre comme au figuré, une maitresse conciliante et peu envahissante, prête à tester de nouvelles aventures à l’Eden club, lieu privilégié et échangiste de la ville. Côté échecs, il y a sa relation très compliquée avec son ex-femme et le rapport quasi inexistant qu’il a avec ses parents. Il élève seul son fils, Simon jeune homme de 17 ans perturbé et en recherche, qui a une relation très difficile, voire violente et dominatrice avec les autres, et avec son père en particulier.

Daniel Saul est puissant, il a le pouvoir, l’argent, la réussite dans les affaires, les femmes et tout le sexe qu’il veut, mais il s’ennuie ! Bon, il y a deux façons de dépenser quand on a tout, aider l’autre, fondation, mécénat, tout est possible, ou s’aider soi ! Aller au bout de soi-même, de ses fantasmes, de ses délires les plus fous par exemple. Pour Daniel, jusqu’à présent, tout était possible mais restait hypothétique. Jusqu’au jour où il rencontre Charron, un ancien élève de son école qu’il avait complétement occulté de ses souvenirs, mais qui s’installe dans sa vie, pour le meilleur, mais plus surement pour le pire. Car si Daniel est prêt à tout, alors Charron est le messager du diable. Il va lui ouvrir les portes de l’enfer, celui de la tentation, de la démesure, où tout est permis, tout est possible, sans risque, sans punition, dans la plus grande discrétion. Alors Daniel s’abonne à Hell.com, ce site ultra secret et ultra cher, réservé à l’élite suprême, et il bascule, dans le sexe, à l’excès et sous toutes ses formes, très vite dans la violence. La violence exorbitante, gratuite, qui le défoule, lui fait passer sa rage et ses frustrations, mais qui devient omniprésente, envahissante, contraignante.

Occasion pour l’auteur de nous concocter quelques scènes d’une violence insupportable, parfois un peu gratuite il me semble, scènes pas forcément accessibles à tous les lecteurs. Petit à petit, Daniel perd pied avec sa vie, échappe à la réalité, jusqu’au moment où il se rend compte qu’il perd tout, et avant tout son fils, et comprend enfin à quel point il se fourvoie. Mais attention, il a été prévenu, personne ne peut faire marche arrière une fois qu’on a adhéré à Hell.com. Comment sortir de là, se sauver d’un aussi mauvais pas, sauver son fils – et accessoirement sauver son entreprise – mais quand on a tout perdu, les relations humaines ne sont-elles pas les plus importantes ?

Patrick Sénécal utilise tous les stratagèmes, tous les double sens. Il y a d’abord Daniel Saul, saul = âme, lui qui va risquer de perdre la sienne par ses délires de puissance. Puis Charron, l’ami maléfique, qui ouvre les portes de Hell.com, et justement Charon est bien celui qui fait passer sur sa barque les ombres des défunts vers les portes de l’enfer. Il y a Simon, l’apôtre aimé et incompris, celui qui accompagne Marie jusqu’au bout, jusqu’à la mort et la rédemption, et enfin Marie, image même de la vierge, ici un peu malmenée certes, mais malgré tout celle que le mal ne peut toucher, qui aime et qui comprend et qui donne pour aider Daniel.

Ensuite, les scènes sont construites avec une escalade dans la puissance, dans la violence, pour les rendre plausibles et acceptables par ses lecteurs. Les univers sont bien décrits, réalistes, froids, inhumains ou grandioses, mais avant tout assimilables, précis, pour que l’horreur paraisse encore plus absolue sans doute. Alors que dire, c’est un livre déroutant par toute la violence qu’il dégage, mais au final, l’auteur interroge sur le véritable état de l’Homme, sur le choix que chacun a d’orienter sa vie, vers le bien ou le mal, et ce qu’il reste maitre d’en faire. Un conseil, à ne pas mettre entre toutes les mains !

Redécouvrir Le vide et l’entretien avec Patrick Sénécal pour la sortie de Hell.com


Catalogue éditeur : à paraitre le 9 juin chez Fleuve noir