Caroline Lunoir vit et travaille à Paris. Son dernier roman Première dame aborde sous l’angle d’un journal intime, la vie d’une « femme de », candidat aux présidentielles ou président, qu’importe. Elle décrypte la vie de ces femmes qui accompagnent souvent dans l’ombre, et qui ne sont pas toujours mises en lumière pour les bonnes raisons, ces hommes politiques qui sont au premier plan de la vie publique.
Avocate pénaliste, Caroline Lunoir est également l’auteur de deux autres romans, parus chez Actes Sud : La Faute de goût (2011 ; n°1194) et Au temps pour nous (2015, prix littéraire des Sables-d’Olonne – prix Simenon).
J’ai eu envie de lui poser quelques questions à propos de « Première dame » et du travail d’écriture. Un grand merci à Caroline d’avoir accepté de répondre à mes interrogations. A vous de découvrir ses réponses à mes interrogations.
À propos de « Première dame »
- Comment vous est venue l’idée d’écrire « Première dame » ? Est-ce l’actualité (car j’imagine que l’écriture a coïncidé plus ou moins avec les dernières campagnes des présidentielles ?) Ou était-ce une envie que vous portiez et qui s’est concrétisée récemment ?
Je ne m’étais jamais
particulièrement intéressée aux « Premières dames » avant de débuter
ce roman. Le sujet m’a saisie brutalement, alors que je travaillais à un autre
texte, pendant la dernière campagne présidentielle. J’ai été frappée par la
tension narrative créée par les révélations distillées par la presse qui nous a
tenu en haleine, des primaires au soir du second tour, en bouleversant les
cartes des partis, en déstabilisant les candidats, en confrontant leurs idées à
la vérité crue de leur quotidien.
Ainsi, un matin, au réveil, ma
radio diffusait un extrait de la confrontation qui a opposé lors d’une émission
de télévision François Fillon à Christine Angot. François Fillon dénonçait la
violence des journalistes et l’angoisse de sa femme qu’il ne se suicide. Il
évoquait son suicide et non celui de
son épouse, pourtant particulièrement visée dans les affaires révélées.
Beaucoup d’images enregistrées inconsciemment me sont alors revenues :
Cécilia Sarkozy photographiée le visage défait lors de son vote au premier tour
des élections qui ont porté son mari à la présidence ; Hillary Clinton
écoutant son époux nier, en conférence de presse, toute relation avec Monica
Lewinsky ; Valérie Trierweiler forcée de vivre publiquement la révélation
de la trahison de son compagnon.
- Combien
de temps avez-vous mis pour l’écrire ?
J’ai écrit ce texte très rapidement,
comparé à mes autres romans, comme une évidence et comme une urgence, de mars
2017 à novembre 2017, pour le terminer juste avant la naissance de mon aîné.
- Avez-vous un rituel lorsque vous écrivez, remplir des carnets, écrire à certaines heures ?
J’ai presque toujours sur moi un
carnet où je consigne mes idées pour un texte en cours, des bouts de phrases,
des considérations sur les personnages, le fil du récit. J’y jette aussi des
impressions, des pensées, le portrait de personnes que je croise, un détail de
paysage. Mes carnets sont décousus, usés, raturés mais ils sont un instant de
ma vie.
J’écris le week-end, une à trois heures, dès que je peux. Mon temps d’écriture est en général si court, comme volé à mon quotidien, qu’en général, je le prépare en pensée dans mes moments d’attente, ou dans le métro.
- J’ai aimé le fait que vous preniez un point de vue peu utilisé, celui de l’épouse de, et de la laisser s’exprimer. Etait-ce facile ? Comment avez-vous travaillé ce personnage ? En allant recueillir des témoignages, ou par des journaux, des reportages ?
Adopter le point de vue de
l’épouse m’a permis d’aborder la politique sous l’angle le plus intime de l’engagement.
J’ai voulu analyser comment une famille se mettait au pas ou au service d’une
ambition et vivait cette exposition publique « collatérale ». J’ai beaucoup
cherché d’images d’archives, celles qui relèvent de l’iconographie des hommes
de pouvoir quand ils mettent en scène leur vie privée : de Gaulle marchant
sur la plage suivi de son chien, puis d’Yvonne, bien plus en retrait ; les
Giscard d’Estaing en famille modèle, Nicolas et Cécilia Sarkozy sur une pirogue
en Guyane…
- En lisant
première dame, mes premières impressions étaient parfois de noter qu’il y avait
encore un fait divers dont nous avions entendu parler, pourquoi en utiliser
autant dans ce roman ? Est-ce voulu ?
Il est vrai que j’ai été fascinée
par le matériau littéraire offert par notre histoire politique de la cinquième
république, si riche et à portée de mains !
Mais si les obstacles rencontrés
par ma première dame évoquent des faits divers que nous connaissons, c’est
aussi parce que je souhaitais fermement ancrer mon récit dans le réel et
montrer que le destin que je décris n’est pas qu’un drame de pure fiction mais
la rançon d’une exposition publique auxquels les candidats et leurs proches
n’échappent pas.
- Car
j’avoue que peu à peu l’impression dominante a été plutôt, oui, finalement,
c’est tellement énorme de les voir là mis bout à bout qu’ils nous montrent que
cette réalité est bien plus énorme que toute fiction. Est-ce une des raisons
qui vous a poussé à les écrire ainsi ?
Oui, c’est exactement ça et je
vous remercie de votre question.
À mon sens, le cumul des
scandales financiers et intimes que doit affronter la première dame ne relève
pas d’un exercice de caricature.
En effet, si l’on prend en
exemple les premières dames de la cinquième république, presque toutes ont à la
fois dû faire face à des rumeurs ou des révélations d’un adultère d’époux souvent
réputés « coureurs », voire d’une double vie, et à la fois affronter
de graves scandales financiers, de l’affaire Markovic, à celle des diamants, de
l’affaire Urba à celle des emplois fictifs de la mairie de Paris, de l’affaire
Bygmalion à l’affaire Benalla…
Le plus exceptionnel dans mon
récit pourrait être l’enchaînement particulièrement serré des révélations qui
accablent Marie pendant le temps d’une seule campagne. Mais là encore, ce
caractère exceptionnel est démenti par la brutalité et la soudaineté de la
chute de Dominique Strauss Khan ou de François Fillon lors des dernières
campagnes présidentielles.
- Première
dame, c’est aussi me semble-t-il un moyen de nous montrer la mascarade que
peuvent être parfois les campagnes électorales, où le bien commun passe souvent
après l’intérêt de chacun. Cela vous paraissait-il important de le
souligner ?
Se mettre dans la peau d’un
candidat et d’une équipe de campagne pour imaginer la stratégie de
communication qu’ils élaboreraient en réponse aux obstacles que je leur
opposais ou aux faux pas que je leur faisais commettre, s’est avéré un exercice
passionnant et très instructif.
La forme du journal permet en
outre un hiatus particulièrement intéressant. Il m’a obligée à chercher à
confronter le lecteur tant à l’image que Marie veut donner d’elle-même (ou se
donner à elle-même) en écrivant, qu’à ce qu’elle révèle d’elle-même sans le
maîtriser.
- La
situation de cette femme est bien souvent peu enviable, on a l’impression
qu’elle se sacrifie en permanence pour un mari qui ne pense qu’à lui.
Qu’aviez-vous envie de montrer en écrivant « Première dame » ?
Au-delà d’une Première Dame, la
femme qui s’exprime dans son journal et qui, peu à peu, apprend à se regarder
dans le miroir que la presse lui tend, est d’abord une femme mûre, dont les
enfants ont grandi, qui se retourne sur des années de mariage et s’interroge
sur ses choix, ce qu’il reste de celle qu’elle voulait être et qu’elle pourrait
être.
- Pensez-vous
que cela pourrait s’appliquer dans d’autres situations, dans la vie de couple
en général ?
Oui, Marie est pour moi plus
universelle qu’une femme de politique. Cette femme, verrouillée tant par ses
choix et ses peurs que les conventions, même si elle a un destin singulier
parce que public, peut ressembler à beaucoup d’autres dans ses désillusions et
ses contradictions. Première Dame est ainsi aussi le récit d’un moment
charnière où une femme, peu importe sa condition bourgeoise et son éducation
traditionnelle, est acculée à réfléchir au bilan de sa vie amoureuse,
professionnelle, et de mère pour choisir quelle voie prendre.
- Pensez-vous
que les femmes ont la place qui leur revient dans nos sociétés ? J’ai eu l’impression en vous
lisant que le chemin est encore long pour accéder à l’égalité de
reconnaissance !
Il est significatif qu’il
n’existe aucune expression masculine équivalente à « Première Dame »
et que nous n’ayons aucun véritable exemple de « conjoint
homme » d’une femme politique de premier rang. Ainsi, nous ne
connaissons pas ou peu le compagnon de Ségolène Royal, Martine Aubry, Michèle
Alliot Marie, Christine Lagarde ou Nathalie Kosciusko-Morizet.
La dévolution exclusivement
masculine du pouvoir sous l’Ancien Régime n’a d’ailleurs certainement pas
contribué à imposer en France l’image de femmes fortes à la différence des
anglo-saxons qui ont connu des reines, ou des femmes chefs de l’exécutif.
Mais en dehors de ces constats
pragmatiques, je pense que le défi tient aussi à faire sauter les verrous que
les femmes s’imposent parfois à elles-mêmes.
Le portrait de Marie, qui
n’incarne en rien une héroïne féministe et conquérante que nous pourrions
donner en exemple à nos enfants, relève de cette intention : décrire ce
qui peut museler une femme, et provoquer la réaction du lecteur pour qu’il éprouve
de l’empathie, de la révolte voire de l’agacement mais pense « je ne veux
pas être la place de Marie » ou « je ne serai jamais sa place ».
Et vous ?
- Qui
êtes-vous Caroline Lunoir ? D’abord un auteur ou une juriste ?
Je crois que si je savais sereinement qui j’étais je
n’aurais pas tant besoin d’écrire !
Caroline Lunoir est ma part de rêve, de fiction et de
littérature. Dans la vie, sous mon vrai nom, je suis résolument une juriste.
- Vous avez
déjà écrit trois romans, mais vous exercez également le métier d’avocate,
est-ce facile de tout concilier ?
Je ne vois pas de contradiction entre mon métier et
l’écriture. Au contraire, j’ai l’impression que les deux demandent d’essayer de
comprendre, de réfléchir à un destin ou au sens d’un actes et de porter une
voix.
La
conciliation n’est pas difficile : écrire est un bonheur, une échappatoire,
une chance d’agripper le temps qui passe.
- Avez-vous
déjà imaginé, ou commencé, votre prochain roman ? Et si oui, nous en
direz-vous quelques mots ?
À la fin d’un texte et après la parution d’un roman,
j’observe souvent une pause dans l’écriture. Puis l’envie me reprend d’un coup,
comme une pensée obsédante.
Je pense tenir le sujet de mon prochain roman. J’ai acheté
un nouveau carnet et commencé à le noircir. C’est un signe !
Quel lecteur êtes-vous ?
- Enfin, si
vous deviez nous conseiller la lecture d’un roman, ce serait lequel, ou
lesquels ?
Dans cette rentrée de janvier, j’ai été happée par les feuillets d’usine de Joseph Ponthus dans « À la ligne », aux éditions de La Table Ronde.
Le roman que j’offre le plus souvent, ces dernières années, est la trilogie du « Tour du Malheur » de Joseph Kessel. J’aime ses récits amples, son sens du rythme, son affection pour ses personnages, son style exemplaire.
Merci !
Un grand merci à vous, Caroline, pour vos réponses et votre disponibilité !
Vous pouvez également retrouver ma chronique de A la ligne ici.