Les méduses n’ont pas d’oreilles, Adèle Rosenfeld

Une incursion surréaliste dans le monde des malentendants, de l’importance de nos sens

Louise entend de moins en moins bien de l’oreille droite, sa seule oreille encore entendante. Et peu à peu, même cette audition-là va disparaître. Les différents examens, et surtout sa propre expérience le lui assurent, elle doit absolument programmer rapidement une opération avant de devenir complètement sourde. Mais l’implant cochléaire qu’on lui propose va transformer aussi sa façon d’entendre, enlever le naturel pour passer au métallique, au synthétique.

Pour celle qui vit entre deux mondes depuis l’enfance, le choix et la décision sont bien difficiles. Doit-elle rester dans ce brouillard opaque dans lequel elle évolue depuis si longtemps. Il faut croire que malgré les inconvénients elle s’en satisfait puisqu’au fond il la rassure, ou doit-elle sauter le pas. Bien sûr, elle a appris à lire sur les lèvres, elle doit se faire à l’idée que très bientôt il lui faudra aussi apprendre le langage des signes. Mais elle se complaît d’une certaine façon dans cet univers dont elle connaît les contours, souvent flous, parfois opaques, ces conversations tronquées, ces échanges faits de quiproquos et d’isolement, mais qui semble-t-il la rassure, car elle s’y reconnaît.

D’autant que dans ce brouillard auditif, Louise s’est fait des amis, les sons et les mots perdus se sont transformés en un soldat, un chien, une botaniste aux curieuses manières, qui viennent peupler son monde du silence.

C’est une étrange expérience que de découvrir les sons et les mots à travers tous ces silences, ces manques, ces interprétations. Ne pas comprendre les failles mais savoir qu’elles sont là, qu’elles ont une réalité que moi, bien entendante, je ne peux même pas imaginer. Comprendre la difficulté du handicap, le regard des autres, l’isolement, le rejet. Entendre aussi le doute, la peur, les questions que posent un changement radical et les conséquences d’une opération que l’on ne maîtrise pas. En ce sens, j’ai apprécié ce roman, même si je dois avouer que le coté surréaliste m’a un peu perdue.

Catalogue éditeur : Grasset

Quelques sons parviennent encore à l’oreille droite de Louise, mais plus rien à gauche. Celle qui s’est construite depuis son enfance sur un entre-deux – ni totalement entendante, ni totalement sourde – voit son audition baisser drastiquement lors de son dernier examen chez l’ORL. Face à cette perte inéluctable, son médecin lui propose un implant cochléaire. Un implant cornélien, car l’intervention est irréversible et lourde de conséquences pour l’ouïe de la jeune femme. Elle perdrait sa faible audition naturelle au profit d’une audition synthétique, et avec elle son rapport au monde si singulier, plein d’images et d’ombres poétiques.
Jusqu’à présent, Louise a toujours eu besoin des lèvres des autres pour entendre. C’est grâce à la lumière qu’elle peut comprendre les mots qu’elle enfile ensuite, tels des perles de son, pour reconstituer les conversations. Lire la suite

Parution : 12 Janvier 2022 / Pages : 240 / EAN : 9782246827061 prix 19.00€ / EAN numérique : 9782246827078 prix 13.99€

Avant le jour, Madeline Roth

Quand le voyage amoureux devient voyage intérieur

Elle a bientôt quarante ans, un amant plus jeune qu’elle, un enfant déjà adolescent. Divorcée alors que son fils Lucas n’était encore qu’un bébé de quelques mois, il a aujourd’hui treize ans. Elle a choisi de vivre seule, mais aujourd’hui elle attend Pierre. Pierre l’amant qui part toujours trop vite mais qui lui a promis ce long week-end en Italie. Partir à Turin tous les deux, comme un cadeau, une parenthèse.

Pourtant, il ne viendra pas, il reste auprès de sa femme qui vient de perdre son père. Alors, que faire, rester seule chez elle en sachant qu’il ne viendra pas ou partir sans lui pour rencontrer la ville qui devait abriter leur amour, pour s’y rencontrer elle-même.

Alors elle part, seule dans ce train, seule dans le lobby de l’hôtel, dans la chambre, les églises et les musées qu’ils auraient pu arpenter à deux, seule surtout avec ses interrogations, avec cette introspection utile et bienvenue. Qu’est-ce que l’amour, est-ce raisonnable d’attendre un homme que l’on n’aura jamais à soi, et pourquoi faut-il divorcer, pourquoi partir et se priver de son fils une semaine sur deux, le priver aussi de cet autre parent qui forcément va lui manquer.

Les questions arrivent au rythme de ses pas dans la ville qu’elle découvre, mais aussi au fil des souvenirs qui s’égrainent, quatre ans déjà avec Pierre, cet homme qu’elle aime même s’il ne sera jamais à elle.

Un court roman qui dit l’amour, l’attente, les questions que l’on se pose lorsque l’on voit filer les années et que l’on ne sait pas si l’on a fait les bons choix, les questions que l’on se pose aussi quand on comprend que l’on est exactement à la place où on souhaite être. Raconter et vivre l’amour interdit avec des mots simples et sincères, pour nous le faire comprendre et partager. Un premier roman lucide et vrai tout en finesse.

Lire également l’avis de The Fab’s blog

Un roman de la sélection 2021 des 68 premières fois

Catalogue éditeur : La fosse aux ours

La narratrice avait prévu un court voyage à Turin avec son jeune amant. Au dernier moment, celui-ci annule sa participation pour raison familiale. Elle se retrouve seule dans la capitale du Piémont. Le voyage amoureux se transforme en un voyage intérieur qui lui permet de faire le point sur sa vie.

Date de parution : 07/01/2021 / EAN : 9782357071643 / pages 64

Antonia : Journal 1965-1966, Gabriella Zalapì

Entre ombre et lumière, un voyage dans l’intimité d’une femme qui se dévoile et s’émancipe sous nos yeux

Dans les années 60, la femme est d’abord femme au foyer, épouse docile et mère accomplie. Dans ce rôle écrit d’avance, Antonia s’ennuie, Antonia s’étiole, mais elle en parle avec délicatesse et sagesse. Si son mari la cantonne exclusivement à ces rôles, la nurse lui vole sa fonction de mère en lui interdisant une approche trop intime avec son fils Arturo. Et un sentiment diffus se développe, comme si son propre fils lui était étranger, la poussant à s’interroger sur son rôle de mère.

Peu à peu, elle s’évade de ce quotidien. Un jour elle exhume du paquet qu’elle a reçu à la mort de sa grand-mère les lettres et albums photos de sa famille et de son passé. Elle va alors s’y pencher et à partir de là, tenter de se retrouver, de comprendre où elle en est.

Pendant deux ans, de 1965 à 1966, elle confie ses découvertes, mais aussi son mal-être à son journal intime. Elle y relate ses journées et ses trouvailles, ses sentiments et ses rêves. Celle qui sort des années de guerre qu’on connues ses parents n’est pas encore tout à fait la femme contestataire des années 68. C’est dans cet entre-deux qu’elle laisse entrevoir un embryon de révolte face à la morosité et à cette place qui lui est assignée dans une vie toute tracée qui l’assomme au plus haut point.

Entre ombre et lumière, sa vie s’écoule, lente et morose. Comme dans ces vieilles photos qu’elle exhume des albums de famille oubliés, elle s’expose, triste et fascinante, révolté et soumise. Et avec Antonia, le lecteur fait ce voyage dans le temps, dans l’intimité de la famille, dans le quotidien monotone de cette femme qui se dévoile et finalement s’émancipe sous nos yeux.

C’est joliment écrit et fort agréablement illustré de vieilles photos qui donnent vie à ce journal d’une femme émouvante et sincère.

Roman lu dans le cadre des 68 premières fois, session anniversaire 2020

Catalogue éditeur : éditions Zoé

Antonia est mariée sans amour à un bourgeois de Palerme, elle étouffe. À la mort de sa grand-mère, elle reçoit des boîtes de documents, lettres et photographies, traces d’un passé au cosmopolitisme vertigineux. Deux ans durant, elle reconstruit le puzzle familial, d’un côté un grand-père juif qui a dû quitter Vienne, de l’autre une dynastie anglaise en Sicile. Dans son journal, Antonia rend compte de son enquête, mais aussi de son quotidien, ses journées-lignes. En retraçant les liens qui l’unissent à sa famille et en remontant dans ses souvenirs d’enfance, Antonia trouvera la force nécessaire pour réagir.

Roman sans appel d’une émancipation féminine dans les années 1960, Antonia est rythmé de photographies qui amplifient la puissante capacité d’évocation du texte.

Anglaise, italienne et suisse, Gabriella Zalapi a vécu à Palerme Genève, New York, habite aujourd’hui Paris. Ses longs séjours à Cuba et en Inde ont également été déterminants pour donner corps à l’une de ses préoccupations essentielles : comment une identité se construit ? Artiste plasticienne formée à la Haute école d’art et de design à Genève, Gabriella Zalapì puise son matériau dans sa propre histoire familiale. Elle reprend photographies, archives, souvenirs pour les agencer dans un jeu troublant entre histoire et fiction. Cette réappropriation du passé, qui s’incarnait jusqu’ici dans des dessins et des peintures, Gabriella la transpose cette fois à l’écrit et livre son premier roman, Antonia, sensible et saisissant.

Paru en janvier 2019 / ISBN 978-2-88927-619-6 / 112 pages / 140×210 mm

Francis Rissin, Martin Mongin

C’est le roman le plus improbable et le plus ambitieux de cette rentrée littéraire. Si vous embarquez avec Francis Rissin, vous n’êtes pas sûr de comprendre où vous allez, mais vous ne pourrez plus le lâcher !

Dans ce roman, tout étonne, et d’abord sa structure. En onze parties construites de façon fort différentes, tantôt un cours magistral d’université, tantôt une enquête de police, un rapport administratif, les délires d’un fan absolu ou encore les écrits des apôtres, tout y passe dans cette dystopie totalement décalée. Y compris les mots et les délires du journal intime de Francis Rissin lui-même, excusez du peu. Mais en fait, qui est-il ? Qui le connait ? Qui a compris ses desseins ? C’est l’alerte générale dans tout le pays, qui est Francis Rissin ?

De son existence supposée à son existence avérée. Des affiches fleurissent sur tous les murs en France et le plus fin limier suit ses traces de village en village. Mais Francis Rissin sillonne le pays et nul ne peut le suivre, le devancer ou même l’arrêter. Capable de soulever les foules par son seul charisme, ce nouveau messie des temps modernes est aussi totalement incompris du pouvoir en place. Pourtant tous ceux qui l’ont connu l’apprécient, et tels des apôtres, ils écrivent les évangiles de Francis Rissin.

Car oui, en vérité, je vous le dis, dès sa jeunesse il savait qu’il lèverait une armée pour sauver la France… Tient, ça vous rappelle quelqu’un ?  

Stupeur, colère et inquiétude, voilà les sentiments qui dominent dans tout le pays… Comment peut-il être présent à différents endroits à la fois éloignés géographiquement et très proches dans le temps. Le mystère s’épaissit. Et si c’était Rissin versus Rissin ? Sont-ils nombreux ? Est-il un ? Est-il multiple ? En vérité, une fois encore, sachez-le, Francis est légion !

Je ne vous en dis pas plus, j’en ai d’ailleurs déjà trop dit, car parler de ce roman tellement différent de tout ce qu’on lit habituellement n’est pas aisé. Alors si vous aimez les paris impossibles, si quelques six cent pages ne vous rebutent pas pour tenter de percer à votre tour ce mystère, soyez curieux, immergez-vous, acceptez le challenge, et partez à la découverte de Francis Rissin. Puis venez me dire ce que vous en aurez pensé ! Attention, il me semble cependant que ce roman est avant tout à conseiller aux lecteurs passionnés, tant il est dense, déroutant et singulier.

Roman lu dans le cadre de ma participation aux 68 premières fois

Catalogue éditeur : Tusitala

De mystérieuses affiches bleues apparaissent dans les villes de France, seulement ornées d’un nom en capitales blanches : FRANCIS RISSIN. Qui est-il ? Comment ces affiches sont-elles arrivées là ? La presse s’interroge, la police enquête, la population s’emballe. Et si Francis Rissin s’apprêtait à prendre le pouvoir, et à devenir le Président qui sauvera la France ?

Pour son premier roman, Martin Mongin signe un livre vertigineux. Un roman composé de onze récits enlevés, onze voix qui lorgnent tour à tour vers le roman policier, le fantastique, le journal intime ou encore le thriller politique, au fil d’une enquête paranoïaque sur l’insaisissable Francis Rissin. Avec une maîtrise rare, Martin Mongin tisse sa toile comme un piège qui se referme sur le lecteur, au cœur de cette zone floue où réalité et fiction s’entremêlent.
Autant marqué par l’art de Lovecraft, de Borges ou de Bolaño que par la pensée de La Boétie ou d’Alain Badiou, Francis Rissin est un premier roman inventif et inattendu, au propos profondément politique.

Martin Mongin est né en 1979. Il est professeur de philosophie, et passionné de politique. Il a signé plusieurs articles et publié divers essais politiques sous des noms d’emprunt, notamment aux éditions Pontcerq.
En parallèle, il a toujours écrit de la fiction, imprimant ses ouvrages à quelques dizaines d’exemplaires pour ses proches. Francis Rissin est son premier roman, qu’il a envoyé par la poste à Tusitala à la fin de l’année 2018.

616 pages / 22 euros / ISBN : 979-10-92159-17-2 / Parution : 21 août 2019

Les miroirs de Suzanne, Sophie Lemp

La sincérité, la douceur, la passion amoureuse et le plaisir de découvrir « les miroirs de Suzanne »

De Sophie Lemp, j’avais particulièrement aimé Leur séparation qui traitait le thème du divorce sous un angle très peu usité, celui de l’enfant d’un couple séparé, et du mal qu’il va avoir à trouver sa place au sein des familles recomposées. Dans Les miroirs de Suzanne c’est une toute autre histoire, mais le travail que fait l’auteur sur la personnalité, l’enfance, la famille, est toujours présent.

À la suite d’un cambriolage, Suzanne se rend compte que les carnets intimes qu’elle avait écrits adolescente ont disparu. Bien sûr, ils n’ont aucune valeur fiduciaire, mais une réelle importance à ses yeux car ils sont le recueil de ses sentiments d’adolescente, de ses atermoiements, de son amour passionné pour Antoine, un auteur, marié, de trente ans plus âgé qu’elle. Au fil des ans, cette relation sans avenir n’existait plus que dans ces pages-là.  

Alors Suzanne cherche à retrouver la femme amoureuse d’alors, ses sentiments, ses rencontres, son amour, et couche tout cela sur le papier, pour ne plus le perdre. Les mots qui n’étaient écrits que pour elle deviennent la matière d’un roman destiné à être lu par le plus grand nombre, des mots offerts à tous, au grand dam d’un mari compréhensif mais blessé .

Martin, un jeune homme déçu par une rupture amoureuse, découvre ces carnets dans une poubelle. Il décide presque par hasard de les lire. Il avait tout abandonné, y compris famille et amis, mais les sentiments qui se dégagent de ces pages-là vont peu à peu lui redonner goût à la vie, à dessiner ce qu’il découvre, à mettre en mouvement les sentiments que ces mots lui procurent, retrouvant peu à peu le goût et l’envie d’aller vers les autres… Grâce à cette lecture nous avons alors accès aux mots les plus secrets de Suzanne, ceux que l’on n’écrit que pour soi.

J’ai aimé cette intrigue en deux destins parallèles, cette même histoire d’amour et ses deux lectures parallèles, l’intime qui est dévoilée peu à peu par la lecture de Martin, et le travail d’écriture de Suzanne destiné à tous mais que nous ne connaîtrons finalement jamais. Martin et Suzanne doutent chacun à sa façon. Pourtant chacun va faire un chemin introspectif qui lui permettra de retrouver la lumière,  l’aider à sortir de son gouffre de douleur et de doute, pour accepter enfin ce qu’il est, à travers son passé et surtout son futur possible.

L’écriture de Sophie Lemp est toujours aussi ciselée et précise, pas de mots en trop, mais au contraire, juste ceux qu’il faut pour faire passer les sentiments et les émotions, tout en délicatesse. Sentiments décortiqués ici avec une grande justesse, mais aussi une certaine douceur, mettant en exergue les douleurs et les doutes des protagonistes pour mieux nous montrer leur cheminement intérieur. Enfin, chacun d’eux semble nous montrer que l’on peut avancer en faisant le deuil de certains éléments de son passé, ceux qui nous empêchent de vivre pleinement sans doute ? Le remède aux bleus de la vie par l’écriture, pour Suzanne, par la lecture, pour Martin, et pour nous, un baume au cœur de les avoir rencontrés sous la plume délicate de Sophie Lemp.

Ah, quand Suzanne nous prend par la main pour passer une nuit sans fin…

Souvenir de la soirée de lancement du roman à Paris

Catalogue éditeur : Allary Editions

Un roman sur la mémoire, l’adolescence et sur ce que deviennent nos premières amours.
Suzanne a quarante ans, une vie tranquille, un mari et deux enfants. Un matin, son appartement est cambriolé. Ses cahiers, journal de son adolescence, ont disparu. Des cahiers qui racontent Antoine, l’écrivain qui avait trois fois son âge, qui racontent cet amour incandescent, la douleur du passage à l’âge adulte.
Martin est livreur, il pédale pour épuiser ses pensées. Un soir, il trouve les cahiers au fond d’une poubelle et dévore ces mots qui le transpercent. Qui le ramèneront à la vie.

« Ne jamais oublier ce que j’ai vécu de fort dans ma vie. Mes émotions, mes peurs, mes joies, mes tristesses. Être sereine. Martin poursuit sa lecture. J’ai quinze ans. En ce moment, j’attends. Mais un jour, tout s’épanouira. Martin sent que quelque chose l’étreint, l’urgence de continuer à lire. »

200 pages / 17,90 € / En librairie le 07 mars 2019 / EAN : 9782370732668

A la rencontre de Caroline Lunoir

Caroline Lunoir vit et travaille à Paris. Son dernier roman Première dame aborde sous l’angle d’un journal intime, la vie d’une « femme de », candidat aux présidentielles ou président, qu’importe. Elle décrypte la vie de ces femmes qui accompagnent souvent dans l’ombre, et qui ne sont pas toujours mises en lumière pour les bonnes raisons, ces hommes politiques qui sont au premier plan de la vie publique.

Avocate pénaliste, Caroline Lunoir est également l’auteur de deux autres romans, parus chez Actes Sud : La Faute de goût (2011 ; n°1194) et Au temps pour nous (2015, prix littéraire des Sables-d’Olonne – prix Simenon).

J’ai eu envie de lui poser quelques questions à propos de « Première dame » et du travail d’écriture. Un grand merci à Caroline d’avoir accepté de répondre à mes interrogations. A vous de découvrir ses réponses à mes interrogations.

À propos de « Première dame »

  • Comment vous est venue l’idée d’écrire « Première dame » ? Est-ce l’actualité (car j’imagine que l’écriture a coïncidé plus ou moins avec les dernières campagnes des présidentielles ?)  Ou était-ce une envie que vous portiez et qui s’est concrétisée récemment ?

Je ne m’étais jamais particulièrement intéressée aux « Premières dames » avant de débuter ce roman. Le sujet m’a saisie brutalement, alors que je travaillais à un autre texte, pendant la dernière campagne présidentielle. J’ai été frappée par la tension narrative créée par les révélations distillées par la presse qui nous a tenu en haleine, des primaires au soir du second tour, en bouleversant les cartes des partis, en déstabilisant les candidats, en confrontant leurs idées à la vérité crue de leur quotidien.

Ainsi, un matin, au réveil, ma radio diffusait un extrait de la confrontation qui a opposé lors d’une émission de télévision François Fillon à Christine Angot. François Fillon dénonçait la violence des journalistes et l’angoisse de sa femme qu’il ne se suicide. Il évoquait son suicide et non celui de son épouse, pourtant particulièrement visée dans les affaires révélées. Beaucoup d’images enregistrées inconsciemment me sont alors revenues : Cécilia Sarkozy photographiée le visage défait lors de son vote au premier tour des élections qui ont porté son mari à la présidence ; Hillary Clinton écoutant son époux nier, en conférence de presse, toute relation avec Monica Lewinsky ; Valérie Trierweiler forcée de vivre publiquement la révélation de la trahison de son compagnon.

  • Combien de temps avez-vous mis pour l’écrire ?

J’ai écrit ce texte très rapidement, comparé à mes autres romans, comme une évidence et comme une urgence, de mars 2017 à novembre 2017, pour le terminer juste avant la naissance de mon aîné.

  • Avez-vous un rituel lorsque vous écrivez, remplir des carnets, écrire à certaines heures ?

J’ai presque toujours sur moi un carnet où je consigne mes idées pour un texte en cours, des bouts de phrases, des considérations sur les personnages, le fil du récit. J’y jette aussi des impressions, des pensées, le portrait de personnes que je croise, un détail de paysage. Mes carnets sont décousus, usés, raturés mais ils sont un instant de ma vie.

J’écris le week-end, une à trois heures, dès que je peux. Mon temps d’écriture est en général si court, comme volé à mon quotidien, qu’en général, je le prépare en pensée dans mes moments d’attente, ou dans le métro.

  • J’ai aimé le fait que vous preniez un point de vue peu utilisé, celui de l’épouse de, et de la laisser s’exprimer. Etait-ce facile ? Comment avez-vous travaillé ce personnage ? En allant recueillir des témoignages, ou par des journaux, des reportages ?

Adopter le point de vue de l’épouse m’a permis d’aborder la politique sous l’angle le plus intime de l’engagement. J’ai voulu analyser comment une famille se mettait au pas ou au service d’une ambition et vivait cette exposition publique « collatérale ». J’ai beaucoup cherché d’images d’archives, celles qui relèvent de l’iconographie des hommes de pouvoir quand ils mettent en scène leur vie privée : de Gaulle marchant sur la plage suivi de son chien, puis d’Yvonne, bien plus en retrait ; les Giscard d’Estaing en famille modèle, Nicolas et Cécilia Sarkozy sur une pirogue en Guyane…

  • En lisant première dame, mes premières impressions étaient parfois de noter qu’il y avait encore un fait divers dont nous avions entendu parler, pourquoi en utiliser autant dans ce roman ? Est-ce voulu ?

Il est vrai que j’ai été fascinée par le matériau littéraire offert par notre histoire politique de la cinquième république, si riche et à portée de mains !

Mais si les obstacles rencontrés par ma première dame évoquent des faits divers que nous connaissons, c’est aussi parce que je souhaitais fermement ancrer mon récit dans le réel et montrer que le destin que je décris n’est pas qu’un drame de pure fiction mais la rançon d’une exposition publique auxquels les candidats et leurs proches n’échappent pas.

  • Car j’avoue que peu à peu l’impression dominante a été plutôt, oui, finalement, c’est tellement énorme de les voir là mis bout à bout qu’ils nous montrent que cette réalité est bien plus énorme que toute fiction. Est-ce une des raisons qui vous a poussé à les écrire ainsi ?

Oui, c’est exactement ça et je vous remercie de votre question.

À mon sens, le cumul des scandales financiers et intimes que doit affronter la première dame ne relève pas d’un exercice de caricature.

En effet, si l’on prend en exemple les premières dames de la cinquième république, presque toutes ont à la fois dû faire face à des rumeurs ou des révélations d’un adultère d’époux souvent réputés « coureurs », voire d’une double vie, et à la fois affronter de graves scandales financiers, de l’affaire Markovic, à celle des diamants, de l’affaire Urba à celle des emplois fictifs de la mairie de Paris, de l’affaire Bygmalion à l’affaire Benalla…

Le plus exceptionnel dans mon récit pourrait être l’enchaînement particulièrement serré des révélations qui accablent Marie pendant le temps d’une seule campagne. Mais là encore, ce caractère exceptionnel est démenti par la brutalité et la soudaineté de la chute de Dominique Strauss Khan ou de François Fillon lors des dernières campagnes présidentielles.

  • Première dame, c’est aussi me semble-t-il un moyen de nous montrer la mascarade que peuvent être parfois les campagnes électorales, où le bien commun passe souvent après l’intérêt de chacun. Cela vous paraissait-il important de le souligner ?

Se mettre dans la peau d’un candidat et d’une équipe de campagne pour imaginer la stratégie de communication qu’ils élaboreraient en réponse aux obstacles que je leur opposais ou aux faux pas que je leur faisais commettre, s’est avéré un exercice passionnant et très instructif.

La forme du journal permet en outre un hiatus particulièrement intéressant. Il m’a obligée à chercher à confronter le lecteur tant à l’image que Marie veut donner d’elle-même (ou se donner à elle-même) en écrivant, qu’à ce qu’elle révèle d’elle-même sans le maîtriser.

  • La situation de cette femme est bien souvent peu enviable, on a l’impression qu’elle se sacrifie en permanence pour un mari qui ne pense qu’à lui. Qu’aviez-vous envie de montrer en écrivant « Première dame » ?

Au-delà d’une Première Dame, la femme qui s’exprime dans son journal et qui, peu à peu, apprend à se regarder dans le miroir que la presse lui tend, est d’abord une femme mûre, dont les enfants ont grandi, qui se retourne sur des années de mariage et s’interroge sur ses choix, ce qu’il reste de celle qu’elle voulait être et qu’elle pourrait être.

  • Pensez-vous que cela pourrait s’appliquer dans d’autres situations, dans la vie de couple en général ?

Oui, Marie est pour moi plus universelle qu’une femme de politique. Cette femme, verrouillée tant par ses choix et ses peurs que les conventions, même si elle a un destin singulier parce que public, peut ressembler à beaucoup d’autres dans ses désillusions et ses contradictions. Première Dame est ainsi aussi le récit d’un moment charnière où une femme, peu importe sa condition bourgeoise et son éducation traditionnelle, est acculée à réfléchir au bilan de sa vie amoureuse, professionnelle, et de mère pour choisir quelle voie prendre.

  • Pensez-vous que les femmes ont la place qui leur revient dans nos  sociétés ? J’ai eu l’impression en vous lisant que le chemin est encore long pour accéder à l’égalité de reconnaissance !

Il est significatif qu’il n’existe aucune expression masculine équivalente à « Première Dame » et que nous n’ayons aucun véritable exemple de « conjoint homme » d’une femme politique de premier rang. Ainsi, nous ne connaissons pas ou peu le compagnon de Ségolène Royal, Martine Aubry, Michèle Alliot Marie, Christine Lagarde ou Nathalie Kosciusko-Morizet.

La dévolution exclusivement masculine du pouvoir sous l’Ancien Régime n’a d’ailleurs certainement pas contribué à imposer en France l’image de femmes fortes à la différence des anglo-saxons qui ont connu des reines, ou des femmes chefs de l’exécutif.

Mais en dehors de ces constats pragmatiques, je pense que le défi tient aussi à faire sauter les verrous que les femmes s’imposent parfois à elles-mêmes.

Le portrait de Marie, qui n’incarne en rien une héroïne féministe et conquérante que nous pourrions donner en exemple à nos enfants, relève de cette intention : décrire ce qui peut museler une femme, et provoquer la réaction du lecteur pour qu’il éprouve de l’empathie, de la révolte voire de l’agacement mais pense « je ne veux pas être la place de Marie » ou « je ne serai jamais sa place ».

Et vous ?

  • Qui êtes-vous Caroline Lunoir ? D’abord un auteur ou une juriste ?

Je crois que si je savais sereinement qui j’étais je n’aurais pas tant besoin d’écrire !

Caroline Lunoir est ma part de rêve, de fiction et de littérature. Dans la vie, sous mon vrai nom, je suis résolument une juriste.

  • Vous avez déjà écrit trois romans, mais vous exercez également le métier d’avocate, est-ce facile de tout concilier ?

Je ne vois pas de contradiction entre mon métier et l’écriture. Au contraire, j’ai l’impression que les deux demandent d’essayer de comprendre, de réfléchir à un destin ou au sens d’un actes et de porter une voix.

La conciliation n’est pas difficile : écrire est un bonheur, une échappatoire, une chance d’agripper le temps qui passe.

  • Avez-vous déjà imaginé, ou commencé, votre prochain roman ? Et si oui, nous en direz-vous quelques mots ?

À la fin d’un texte et après la parution d’un roman, j’observe souvent une pause dans l’écriture. Puis l’envie me reprend d’un coup, comme une pensée obsédante.

Je pense tenir le sujet de mon prochain roman. J’ai acheté un nouveau carnet et commencé à le noircir. C’est un signe !

Quel lecteur êtes-vous ?

  • Enfin, si vous deviez nous conseiller la lecture d’un roman, ce serait lequel, ou lesquels ?

Dans cette rentrée de janvier, j’ai été happée par les feuillets d’usine de Joseph Ponthus dans « À la ligne », aux éditions de La Table Ronde.

Le roman que j’offre le plus souvent, ces dernières années, est la trilogie du « Tour du Malheur » de Joseph Kessel. J’aime ses récits amples, son sens du rythme, son affection pour ses personnages, son style exemplaire.

Merci !

Un grand merci à vous, Caroline, pour vos réponses et votre disponibilité !

Vous pouvez également retrouver ma chronique de A la ligne ici.

Première dame, Caroline Lunoir

Et si la réalité dépassait la fiction ? Comme le dit Caroline Lunoir, quand un candidat part en campagne, sa « Première dame »  l’accompagne, pour le pire et pour le meilleur…

Lorsque Marc annonce à Marie qu’il se présente aux prochaines présidentielles, toute la famille décide de faire corps pour lui apporter un soutien sans faille. Pendant sept cent vingt-six jours, la présence de chacun sera indispensable et cette campagne s’annonce féroce. Il faudra affronter les primaires du parti, les candidats adverses, la mise en coupe réglée par journalistes et médias, le chemin est long, il faut se tenir prêt.

Dans cette famille catholique bienpensante, l’éducation est primordiale, Marie et Marc ont élevé leurs enfants dans le respect de chaque individu, mais aussi de la vérité et de la justice. C’est en tout cas ce que croyait Marie. Car les révélations vont s’accumuler et faire s’effondrer ses illusions d’une famille idéale telle qu’elle pensait l’avoir construite avec Marc. Rapidement, elle ressent le besoin de verbaliser ses interrogations et ses sentiments les plus intimes. Elle décide de tenir un journal à rebours, soit J – 726 jusqu’aux élections, pour y retrouver plus tard cette femme qui aura traversé cette période difficile.

Mais la campagne se révèle cruelle pour tous, y compris pour l’épouse qui n’avait rien demandé et qui découvre les incartades, les trahisons, les mensonges de Marc. Et les enfants, malgré l’amour qu’ils vouent à leur père, se sentent floués, trahis, perdus. Alors Marie, femme trompée et déçue va coucher sur le papier toutes ses émotions, ses blessures et ses craintes les plus intimes, ses attentes et ses espoirs. Et le lecteur peut aisément imaginer qu’elle incarne tout ce que d’autres premières dames ont vécu cela avant elle, leurs déchirures, leurs blessures, leurs humiliations, leurs déroutes.

Si de prime abord le thème semble léger, et même parfois dérange lorsque l’on réalise que l’auteur reprend des faits vus ou lus dans les journaux… Il interpelle vraiment car il fédère adroitement toutes ces premières dames passées ou à venir. Caroline Lunoir nous décrit de l’intérieur et avec un certain réalisme les jalousies, les trahisons, les noirceurs que ces « femmes de » doivent endurer. Et tout ça pour le bonheur de qui ? De quoi ? D’une nation qui ne leur en sera jamais reconnaissante, et qui de plus en plus les observe et les critique par le tout petit bout de la lorgnette.

Il est féroce et brillant ce roman. Caroline Lunoir, avocate pénaliste, auteur de deux autres romans parus également chez Actes Sud, s’inspire ici de la réalité pour créer une fiction politique plus vraie que vraie en ancrant ses personnages dans cette réalité tangible. Réalité dont chaque lecteur a entendu parler lors de campagnes présidentielles ou d’actualités souvent bien sordides, oubliant le bien commun au profit de quelques gros titres racoleurs. Si de prime abord tout cela peut sembler déroutant, rapidement le lecteur s’y laisse prendre. Alors on tourne les pages de ce journal intime bien écrit, vivant, rythmé, émouvant parfois, et en comprenant et décortiquant les arcanes du pouvoir, on ressent même de l’empathie envers ces femmes de

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On pourra lire également les chroniques de Virginie du blog Les chroniques littéraire de Virginie, le blog Quatre sans Quatre, ou l’avis de Nicole du blog Mots pour mots.

Catalogue éditeur : Actes Sud

Un beau dimanche d’avril, c’est dans l’euphorie et la fierté qu’est accueillie l’annonce de Paul : il sera candidat aux primaires de son parti en vue de l’élection présidentielle. Épouse dévouée, mère exemplaire, Marie inaugure pour l’occasion un journal, avide de tenir la chronique des deux  années à venir qui s’annoncent pleines de suspense, de promesses et d’accomplissements. Leurs quatre enfants, jeunes adultes, se réjouissent du sens que ce projet paternel donne à une vie d’engagement et le soutiennent avec chaleur. Personne ne semble mesurer les conséquences d’une telle mise en lumière, ni ne pressent le souffle des scandales qui s’apprêtent à ébranler la cellule conjugale et le cocon familial… lire la suite…

Janvier, 2019 / 11,5 x 21,7 / 192 pages / ISBN 978-2-330-11783-2 / prix indicatif : 18, 00€

La sonate oubliée. Christiana Moreau

Premier roman sensible et musical, « La sonate oubliée » de Christiana Moreau nous entraine dans les pas de Vivaldi, de la Belgique d’aujourd’hui à la Venise du XVIIIe.

DomiCLire_la_sonate_oubliee.jpegA Seraing, en Belgique, la vie est monotone et difficile depuis que les grandes aciéries ont fermé. Lionella a 17 ans, cette jeune fille d’origine italienne se distingue du reste des adolescents de cette ville un peu sordide. Elle ne vit que pour la musique et son rêve de participer au grand concours international de violoncelle.  Mais elle doit trouver le morceau de musique qui la rendra différente et la fera remarquer. Par le plus grand des hasards, son ami Kevin déniche une partition dans une brocante. S’il n’est pas musicien, il est cependant sous le charme de Lionella et lui offre le coffret qu’il a découvert, quelques partitions, un carnet…

Lionella déchiffre le carnet, puis la musique et décide, aidée par son professeur de musique, de la jouer au concours. Avec Ada, elle part également à la rencontre de Vivaldi, le « prêtre roux » qui enseignait au 18e siècle la musique aux jeunes orphelines de l’Ospedale della Pietà, à Venise. Elles devaient passer presque toute leur vie dans cette Ospedale, n’ayant aucun espoir de se marier. Dans leur quotidien confiné entre ces murs, la musique, même jouée derrière des grilles, était un merveilleux échappatoire.

L’auteur nous emmène dans la vie de ces deux jeunes filles, nous fait connaitre cette Ospedale où les enfants abandonnés, pauvres, orphelins ou bâtards de grands seigneurs, étaient pris en charge par une société qui attendait en retour fidélité et travail. Les chapitres alternent entre Lionella et Ada, entre le présent et le passé et nous plongent avec bonheur dans la mélodie et la vie de Vivaldi. L’intrigue est intéressante, bien que les deux histoires d’amour soient d’une part à peine esquissée dans le présent et d’autre part trop clairement désespérée dans le passé pour être tout à fait crédibles… S’il lui manque un petit supplément d’âme, voilà un livre qui vous fera passer un bon moment même s’il laisse parfois une impression de pas assez.

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Catalogue éditeur : Préludes

À 17 ans, Lionella, d’origine italienne, ne vit que pour le violoncelle, ce qui la distingue des autres adolescents de Seraing, la ville où elle habite en Belgique. Elle peine toutefois à trouver le morceau qui la démarquerait au prochain grand concours Arpèges. Jusqu’au jour où son meilleur ami lui apporte un coffret en métal, déniché dans une brocante. Lionella y découvre un journal intime, une médaille coupée et… une partition pour violoncelle qui ressemble étrangement à une sonate de Vivaldi. Elle plonge alors dans le destin d’Ada, jeune orpheline du XVIIIe siècle, pensionnaire de l’Ospedale della Pietà, à Venise, dans lequel « le prêtre roux », Antonio Vivaldi, enseignait la musique à des âmes dévouées.

Parution : 04/01/2017 / Format : 130 x 200 mm / Nombre de pages : 256 / EAN : 9782253107811