Le soldat désaccordé, Gilles Marchand

Un roman d’amour et de guerre

Merci mille fois Gilles Marchand de m’embarquer à chaque fois avec tes personnages singuliers, décalés, et tellement attachants. Merci pour ces oubliés de la grande Histoire qui font la beauté de tes histoires, celles que l’on aime tant découvrir et qui nous enchantent à chaque fois malgré les vies cassées et parfois difficiles que tu leur fait vivre. Le soldat désaccordé en est de nouveau la preuve, et comme à chaque nouveau roman il m’a été impossible de lâcher ce livre, avec une fois terminé un puissant sentiment de frustration d’avoir déjà terminé cette lecture émouvante et réjouissante à la fois.

Le narrateur a fait la guerre, la moche, enfin moche elles le sont toutes forcément. Mais la sienne devait durer le temps d’un été et de fait elle s’est embourbée pendant quatre ans dans les tranchées obscures et pouilleuses du Nord de la France. Retour plus vite que prévu avec une main en moins. Une chance là aussi, quand il regarde ces gueules cassées et tous ces soldats désespérés qui n’ont jamais retrouvé une vie normale, il se trouverait presque chanceux.

Nous sommes dans les années 20, il cherche pour sa mère éplorée un soldat qui a disparu. C’est devenu son activité à plein temps, rechercher les disparus, savoir où et quand ils sont tombés ou si finalement ils ne se seraient pas évaporés. Cela ferait tellement de bien à leurs proches de pouvoir mettre un nom dans la bonne colonne, celle des morts plutôt que celle des disparus, de savoir enfin. Et à la veuve qui pourra ainsi toucher sa pension, ou à la commune qui ajoutera un nom sur son monument aux morts. Mais aussi réhabiliter les fusillés pour l’exemple.

Alors il enquête, qu’est devenu Émile Joplain ?

De rencontre en investigation, le voilà sur la piste de Lucie, jeune alsacienne dont Émile se serait épris. Comment, une alsacienne, l’ennemie, l’allemande, et qui plus est une domestique ! Un amour prohibé et rejeté par sa mère. Il faut dire que Jeanne Joplain a des principes et dans ceux-là n’entre pas le bonheur de son fils. Pourtant dans les tranchées, sous les bombes et les coups de canons, malgré la pluie le froid les poux la faim, Émile écrit chaque jour à sa bien-aimée. Car l’amour est aussi ce qui permet à ces jeunes soldats de tenir le coup.

Il faut remonter l’histoire, mener l’enquête, sous les pluies obus, à Verdun, sur les champs de bataille, dans la boue des tranchées et suivre le fil des combats, des déplacements, des disparitions. Partir dans les hôpitaux à l’arrière, sur le front à Arras, à Vimy, rencontrer la Fille de la Lune, les amérindiens et leur langage codé, soutien des Canadiens venus renforcer les armées déjà bien malmenés par tant d’années de guerre. Mais aussi des morceaux de canassons, des moustaches, des corps sans tête, des bouches sans personne…

Et un jour, qui sait, écouter les paroles d’un accordéoniste aveugle…

Gilles marchand a les mots pour dire l’horreur, l’indicible, les souffrances et le silence de ceux qui sont revenus, les blessures, les ordres irresponsables qu’il faut exécuter au risque d’être fusillé, la folie qui guette ces hommes autant que la mort sous le feu ennemi. Et ces deux provinces, l’Alsace et la Lorraine restées allemandes depuis quarante ans et qu’il faut libérer. À tord ou à raison, étaient-ils français ou allemands, difficile de savoir. Pour dire la folie de la guerre qu’elle qu’elle soit. Il a aussi les mots pour dire l’amour, absolu, immortel, éternel, et rendre à la vie sa beauté.

Catalogue éditeur : Aux Forges de Vulcain

Paris, années 20, un ancien combattant est chargé de retrouver un soldat disparu en 1917. Arpentant les champs de bataille, interrogeant témoins et soldats, il va découvrir, au milieu de mille histoires plus incroyables les unes que les autres, la folle histoire d’amour que le jeune homme a vécue au milieu de l’Enfer. Alors que l’enquête progresse, la France se rapproche d’une nouvelle guerre et notre héros se jette à corps perdu dans cette mission désespérée, devenue sa seule source d’espoir dans un monde qui s’effondre.

Prix 18.00 € / 208 pages / ISBN : 978-2-373-05648-8 / Date de parution : 19 Août 2022

Le garçon. Marcus Malte

« Le garçon », voilà un livre étrange et poétique qui cristallise l’intérêt du lecteur autour de ce garçon sans nom et sans paroles, pour une belle aventure romanesque de près de 540 pages.

domi_c_lire_le_garconLa vie du garçon, ou du moins ce que le lecteur en connaitra, se déroule de 1908 à 1938. Courte vie mais tellement remplie. En 1908, le garçon apparait seul dans des territoires isolés, sa mère vient de mourir, il quitte alors cet espace de vie qui était le leur pour partir explorer le monde. A cet âge-là, on l’imagine adolescent, il s’arrête dans un village qui va l’adopter partiellement car, ne communiquant pas, il intrigue et inquiète. Et on le sait, tout ce que l’on ne connait pas fait peur. Dans ce village, il découvre les autres, hommes, femme, enfants, et accepte tout, même de se laisser exploiter par ceux qui profitent de sa candeur, de sa naïveté, et de sa force, jusqu’au jour où il fuit vers d’autres contrées. Puis il rencontre Brabek l’ogre des Carpates, un personnage extravagant qui sous des abords repoussants et malgré une vie de lutteur de foire, est un véritable philosophe qui lui apprend beaucoup sur la vie. Enfin, il rencontre Emma et son père et découvre la douceur de vivre, la musique et surtout l’amour, absolu, charnel, fou. Jusqu’au jour où il embarque pour la guerre, la grande guerre, celle où « On lave son linge sale : dix-neuf millions de morts », l’horreur et le carnage des tranchées, celle dont personne ne revient intact.

Les descriptions, l’observation des autres, de la nature, des sentiments, non exprimés mais ressentis au plus profond par le garçon sont merveilleusement décrits par l’auteur qui a un grand talent de conteur et un regard à la fois humain et critique ponctué de quelques pointes d’humour. Descriptions magiques du garçon qui exprime par ses gestes ce qu’il ne peut pas dire avec des mots. Comme lors des premières scènes de lecture avec Emma où le garçon « s’imprègne des senteurs d’encre et de papier, et peut-être qui sait, du parfum même des mots », ceux qu’il entend, mais ne sait, ne veut, ne peut ni lire, ni dire. Questionnements de l’auteur sur l’amour, la guerre, mais également sur le choix d’une éducation, celle qui façonne les hommes et qui est une expression de leur liberté ou au contraire la cage dans laquelle on les enferme ?

Si parfois j’ai trouvé quelques longueurs, j’ai malgré tout été tout à fait captivée par ce parcours d’un personnage hors norme, qui toujours sans parole exprime tous les sentiments, amours, chagrin, désespoir, peur, courage, solitude et abandon, et nous plonge au plus profond de l’âme.

Citations :

« Eugénie Janicot n’aime guère son prochain mais elle aime Dieu, ce qui n’est pas incompatible semble-t-il et même plus répandu qu’on ne pourrait le penser. »

« De toute façon, dit-elle, nous ne pouvons pas continuer à ne pas le nommer. C’est nier son existence même – car ce qui n’a pas de nom existe-t-il réellement ? Et puis Félix lui sied à merveille. »

« -Sinon une existence avérée quelle différence entre Dieu et Guillaume II ? Lance Blumenfeld. Entre Dieu et Napoléon ? Entre Dieu et Attila ? Pour l’un comme pour les autres il y a toujours des milliers, des millions de victimes, et ceci dans le seul but de répandre leur gloire, d’assoir leur toute puissance et assurer leur hégémonie.

-Pas Dieu, mon vieux, réplique le caporal. Il ne s’agit pas de Lui mais seulement de ceux qui se prétendent Ses représentants. Des usurpateurs. Ceux qui parlent en Son nom et ne font en réalité que détourner Sa parole. Tu confonds le général avec son estafette, Blum. »

 #rl2016


Catalogue éditeur : Zulma

Il n’a pas de nom. Il ne parle pas. Le garçon est un être quasi sauvage, né dans une contrée aride du sud de la France. Du monde, il ne connaît que sa mère et les alentours de leur cabane. Nous sommes en 1908 quand il se met en chemin – d’instinct. Lire la suite

14 x 21 cm / 544 pages / ISBN 978-2-84304-760-2 / 23,50 € / Paru le 18/08/16

Le grand amant, Dan Simmons

Le grand amant, un roman fantastique sur la grande guerre

Le Grand Amant de Dan SIMMONS

Dès les premières pages, je me suis laissée prendre par l’évocation froide et descriptive de l’horreur, vécue de l’intérieur par le narrateur, un jeune officier poète, James Edwin Rooke.

Comme tant d’autres, sa compagnie est au front où elle subit de terribles pertes. Dans l’enfer des tranchées, des milliers d’hommes vont trouver une mort absurde et inutile. Que ce soit dans un trou d’obus, sous les feux ennemi, percé d’un coup de baïonnette, ou lorsqu’ils montent à l’assaut pour se faire immédiatement massacrer par l’ennemi. Le narrateur décrit ces morts qui restent plusieurs jours entre deux zones de combat, dans l’eau croupie, dévorés par les rats qui s’engraissent de la chair des cadavres. Ces jeunes qui meurent également dans les lieux de replis, infirmeries de fortune dans lesquelles quelques blessés seulement vont s’en sortir.

Il est dans un état de désespérance intense, affrontant l’idée de sa propre mort. Dans ces instants de face à face avec ce grand inconnu, ce grand nulle part que personne ne connait, dont personne n’est revenu, il va avoir à plusieurs reprises l’étrange et merveilleuse vision d’une belle dame blanche, avec qui il communique, échange. Cette vision, comme une respiration, le soutiendra au plus profond de l’horreur.

C’est un court roman fantastique, et cependant un roman étonnant, poignant. Comme un témoignage bouleversant. Il interpelle et il choque par son réalisme, mais il est néanmoins porteur d’espoir. L’écriture est belle, malgré le contexte de l’enfer des tranchées parfois difficile.

Catalogue éditeur : éditions Actusf

Il est presque temps de parler de la Dame. J’ai hésité à le faire parce que, si quelqu’un trouvait mon journal et le lisait, il penserait que je suis fou. Je ne suis pas fou.

Juillet 1916, bataille de la Somme. James Edwin Rooke, jeune officier et poète, consigne les horreurs de la guerre dans son journal. Les camarades morts pour gagner quelques centimètres de terrain. Les conditions effroyables dans les tranchées. Les ordres absurdes…
Mais, blessé au fond d’un trou d’obus, il a également aperçu de la beauté sous les formes d’une femme superbe. Un parfum de violette, une robe diaphane, de longs cheveux blonds…
Qui est-elle ? Que fait-elle sur le champ de bataille ?
Serait-ce l’Ange de la Mort, venu le réclamer ?

Dan Simmons est l’une des figures majeures de la littérature américaine. Science-fiction (Hypérion/ Endymion), fantastique (L’Échiquier du mal, Nuit d’été), roman historique (Drood, Terreur) ou encore polar (la trilogie Joe Kurtz), pour ne citer que quelques-unes de ses oeuvres les plus emblématiques, il touche à tout avec une facilité déconcertante et toujours une grande réussite. Le Grand Amant, qui nous plonge dans l’enfer de la Première Guerre mondiale, a reçu le Grand Prix de l’imaginaire.

Couverture : Rodolfo REYES / Traduction : Monique LEBAILLY
Parution : octobre 2014 / Nombre de pages : 192 / ISBN : 978-2-917689-79-0