Les impatientes, Djaïli Amadou Amal

Patience, mes filles ! Munyal ! Telle est la seule valeur du mariage et de la vie

Un livre comme un cri, celui de trois femmes, trois filles, Ramla, Hindou, et Safira, qui se dévoilent tour à tour dans cette vie d’acceptation et de patience imposée aux femmes peules musulmanes, au nord du Cameroun. Mais comment ne pas penser que c’est le sort d’un grand nombre de femmes en pays musulman, où Dieu et les hommes sont tout puissants.

Une fille ne doit pas aller à l’école, nul besoin d’être éduquée pour être soumise à la volonté d’un père, puis d’un époux omnipotent et d’une belle famille. Dans ces familles aux pères polygames, les filles sont une monnaie d’échange qui permet de conforter leur pouvoir et leur place au sein de la tribu et dans la communauté. Elles sont mariées en fonction de tractations entre les hommes, qui à un plus âgé, qui à un cousin, doivent accepter les autres épouses qu’on leur impose, n’ont aucun droit si ce n’est d’être patiente, obéir, se soumettre et accepter.

Safira, la première épouse, devient une daada saaré  lors de l’arrivée de la deuxième épouse âgée d’à peine dix-sept ans, Ramla. La jalousie de celle qui fut pendant plus de vingt ans l’épouse unique, et les médisances qui accompagnent la nouvelle épouse, belle et jeune, vont rendre la vie bien difficile à l’une comme à l’autre. Pendant ce temps, Hindou, la sœur de Ramla, va subir les coups, la violence, les viols répétés (comme le dit l’auteur au Sahel, le viol est une habitude, voire une culture, surtout les soirs de noces) de son incapable, alcoolique et drogué de mari qui est aussi son cousin. Car dans ces familles aux multiples épouses, les enfants sont légions, et les filles sont données en mariage sans aucune considération de leurs desiderata. D’ailleurs, les femmes ne doivent même pas exprimer la moindre volonté, ni ensuite parler de leurs problèmes ou de leurs malheurs car cela pourrait porter préjudice à la fratrie, à leur mère, et se retourner contre la famille, seul le silence et la patience sont possibles.

Un seul mot d’ordre donc, la patience, celle d’endurer, d’écouter, de subir, de souffrir, d’enfanter, de se taire, de travailler, d’obéir. Un époux et un père ont tous les droits, une fille n’en a qu’un, accepter.

Tout au long du roman au style parfois déconcertant de simplicité, mais sans doute puise t-il là toute sa puissance, ce mot là est répété à l’envi, patience, Munyal.

Ce livre a fait surgir en moi les émotions ressenties à la lecture du roman Syngué Sabour, Pierre de patience de Atiq Rahimi, ce long monologue d’une femme musulmane qui vit en Afghanistan, encore un pays où la femme se doit d’être uniquement une épouse soumise qui accepte tout en silence. Je ressors de cette lecture encore plus révoltée contre ces hommes qui imposent, qui mutilent, qui exploitent les filles au prétexte qu’elles sont femmes, et en utilisant l’alibi facile de la religion et de la tradition. Mais aussi contre ces femmes soumises qui se taisent et permettent aux traditions de perdurer et de toucher à leur tour leurs filles.

Djaïli Amadou Amal, qui a subit a dix-sept ans un mariage forcé avec un homme plus âgé qu’elle, ose dénoncer la condition des femmes au Sahel, briser les tabous, élever la voix dans le silence des familles, des communautés. Cette figure de proue de la nouvelle littérature camerounaise écrit pour faire savoir et dénonce les mariages forcés, l’enfer de la polygamie, les discriminations faites aux femmes. C’est une voix qui compte pour aider les filles de son pays et de tant d’autres encore.

Munyal; les larmes de la patience est son troisième roman, il paraît en septembre 2017 et reçoit le 1er Prix Orange du Livre en Afrique en 2019. Cette version, publiée par Emmanuelle Collas, est également en lice pour le prix Goncourt 2020.

Catalogue éditeur : Emmanuelle Collas

Un roman poignant, qui lève le voile sur la condition des femmes au Sahel. Une des valeurs sûres de la littérature africaine.

Date de parution : 04/09/2020 / EAN : 9782490155255 / Prix 17€

Reste avec moi, Ayobami Adebayo

Ce roman inoubliable de Ayòbámi Adébáyò nous transporte dans le cœur d’une femme en mal d’enfants. Formidable surprise, « Reste avec moi » ne laisse absolument pas indifférent.

couverture du roman "Reste avec moi" Ayobami Adebayo photo Domi C Lire

Yejide a rencontré Akin à l’université. Pour cet homme, une seule certitude, c’est la femme de sa vie. Leur mariage est une évidence. Tout irait pour le mieux si seulement Yejide pouvait donner un héritier à ce fils ainé, comme le veut la tradition. Car au bout de quatre ans, aucune grossesse n’est venue récompenser le couple. La famille s’en mêle, et voilà Akin pourvu d’une seconde épouse, plus jeune, plus jolie.

Depuis plusieurs années déjà, Yejide a tout tenté pour avoir ce bébé tant attendu, et rien ne lui a été épargné… pourtant ce rêve fou met du temps à se réaliser. Jusqu’au jour où… puis les enfants sont là, mais leur vie ne tient parfois qu’à un fil.

Sur fond de bouleversements politiques dans ce Nigéria des années 80, nous assistons avant tout à la lutte sans merci d’une femme pour sauver son couple, pour rester maitre de sa vie, de son foyer, en résistant de toute son âme à la famille, au poids des traditions, mais aussi à la lâcheté et au mensonge. Ayòbámi Adébáyò décrit avec une grande justesse la complexité des sentiments qui habitent tant Yejide que Akin, son époux. Il y a dans ces pages toute la dualité entre l’amour dans le couple et la fidélité aux règles qui régisse la famille africaine, le respect des ainés et de sa propre liberté, toute la difficulté qu’il peut y avoir à trouver la limite entre la confiance et la duplicité, le silence et la vérité.

Une écriture superbe de véracité, d’émotions et de sentiments forts, une belle lecture qui transporte ses lecteurs dans une autre dimension, et un roman que l’on n’a absolument pas envie de lâcher avant la dernière page. Je vous le conseille vivement !

Catalogue éditeur : éditions Le Duc.s Charleston

Avec pour toile de fond les bouleversements politiques du Nigeria des années 1980, le portrait inoubliable d’une femme qui fait le choix de la liberté… envers et contre tout.

Yejide et Akin vivent une merveilleuse histoire d’amour. De leur coup de foudre à l’université d’Ifé, jusqu’à leur mariage, tout s’est enchaîné. Pourtant, quatre ans plus tard, Yejide n’est toujours pas enceinte. Ils pourraient se contenter de leur amour si Akin, en tant que fils aîné, n’était tenu d’offrir un héritier à ses parents. Yejide consulte tous les spécialistes, médecins et sorciers, avale tous les médicaments et potions étranges… Jusqu’au jour où une jeune femme apparaît sur le pas de sa porte. La seconde épouse d’Akin. Celle qui lui offrira l’enfant tant désiré. Bouleversée, folle de jalousie, Yejide sait que la seule façon de sauver son mariage est d’avoir un enfant. Commence alors une longue et douloureuse quête de maternité qui exigera d’elle des sacrifices inimaginables.

Née à Lagos, Ayòbámi Adébáyò a étudié l’écriture aux côtés de Chimamanda Ngozi Adichie et Margaret Atwood. À tout juste 29 ans, elle est l’auteure d’une œuvre saluée par de nombreux prix littéraires et reconnue comme une écrivaine d’exception. Reste avec moi, son premier roman, a été traduit dans 18 pays et a été sélectionné pour quatre prix littéraires, dont le prestigieux Women’s Prize for Fiction.

Prix 22,50 € / Format 145 x 230 / 320 pages / janvier 2019 / EAN : 9782368123393



Commissaire Kouamé, un si joli jardin ; Marguerite Abouet, Donatien Mary

Compliqué ? Vous avez dit compliqué de mener l’enquête ? On embarque avec le commissaire Kouamé et cette BD primée au 19e prix du Polar SNCF.

A Abidjan, suite à la découverte d’un corps dans un hôtel de passe, le commissaire Marius Kouamé et son adjoint Arsène mènent l’enquête. La victime n’est autre que le magistrat Compliqué, ce qui va bien compliquer la tâche du commissaire. Voilà un excellent prétexte pour nous entrainer à la suite de quelques malfrats de seconde zone, dans les prisons ou dans les commissariats où les coups et la torture ne sont pas lettres mortes, et où l’on fait bon usage des radiateurs en fonte d’antan. C’est rythmé, féroce, et rempli de rebondissements de toutes sortes, le dessin est aussi vif et coloré que les habitudes et le langage des protagonistes, aussi haché parfois que les réflexions du commissaire, comme esquissé, mais toujours affirmé .

Alors bienvenue dans ce pays où il ne fait pas toujours bon être différent, où lorsque la sexualité est exacerbée c’est forcément en respectant les poncifs de la société traditionnelle, où l’on part à la découverte du quartier « mon mari ma laissée » et des résidences huppées des hauts dignitaires, à la poursuite du coupable et de son mobile.

J’avais particulièrement aimé la série Aya de Yopougon, je retrouve ici l’humour un peu féroce qui caractérise cet auteur. Il faut avouer que Marguerite Abouet n’a pas son pareil pour nous conter son pays la Côte d’ivoire en mettant en exergue les travers de la société africaine et le poids des traditions. Cette BD vient de remporter le prix du polar SNCF.

Catalogue éditeur : Gallimard

Par : Marguerite Abouet, Donatien Mary / Couleurs de Frédéric Boniaud

Abidjan. Un homme a été mystérieusement assassiné dans un minable hôtel de passe. Personne n’a rien vu… et l’enquête doit rester discrète sous peine de défrayer la chronique, car la victime n’est autre que Traoré Compliqué, le célèbre magistrat ! Le grand commissaire Marius Kouamé est immédiatement mis sur l’affaire. Accompagné d’Arsène, son fidèle adjoint, il traque les suspects en tout genre, qui n’ont qu’à bien se tenir, car les tortures infligées par les deux flics sont aussi incongrues qu’efficaces !
Un polar loufoque et déjanté, relevé par la verve ivoirienne de l’auteure de « Aya de Yopougon ».
Date de parution : 09 / 11 / 2017 / 104 pages / 20 € / 210 x 280 mm / ISBN : 9782075076920

La saison de l’ombre. Léonora Miano.

Il y a quelques mois, j’ai eu le plaisir d’assister à une lecture par Léonora Miano de ses prochains livres (parus depuis) au musée Dapper, occasion pour moi de découvrir cette auteure et d’acheter « la saison de l’ombre » que je viens de terminer.

Me voilà donc plongée dans la saison de l’ombre, celle où les femmes dont « les fils n’ont pas été retrouvés » sont mises à l’écart dans une case loin du village. Car devant l’incompréhension des hommes il faut bien des coupables et bien évidement celles-ci sont toutes désignées. Mais c’est sans compter sur la force de certaines d’entre-elles, ces femmes qui veulent comprendre, découvrir, savoir où sont passés les douze hommes qui n’ont pas été retrouvés à la suite du grand incendie qui a ravagé une partie du village.

Léonora Miano nous embarque au loin, dans les croyances et l’ignorance, dans les habitudes et les coutumes, dans le mysticisme animiste, aux côtés des hommes médecine ou des chefs de tribus. Elle situe son histoire dans l’époque et les lieux de la traite subsaharienne et de l’esclavage, vus pour une fois non pas au travers de nos regards d’européens, mais bien de l’intérieur par les peuples africains qui les ont vécus au plus intime, en étant soit les complices des étrangers aux pieds de poule, soit leurs victimes. Mais tous sont toujours finalement victimes de la cupidité, de l’inhumanité, de l’ombre qui apparait en cette saison et qui s’est avérée si sombre pour tant d’hommes et de femmes. Et chacun peut ici s’identifier à tout ou partie de ces vies, de ces émotions, de ces aventures humaines terribles qui font que la vie de chaque individu constitue au final l’histoire profonde d’un pays ou d’un continent.

C’est un très beau livre très bien écrit, mais qui est un peu ardu à suivre. Je me suis longuement perdue dans ce texte, en particulier du fait de ces prénoms aux consonances tellement similaires, les hommes sont Mukano, Mutango, ou Mukimbo, les femmes Eyabe, Ebeise, Ekesi, j’ai donc relu plusieurs fois quelques paragraphes pour comprendre et c’est dommage car cela nuit à la fluidité de l’histoire et au rythme de la lecture. Je me suis interrompue souvent mais j’ai finalement terminé le roman et apprécié l’écriture et le rythme de l’intrigue et surtout la force de ces femmes qui doivent lutter pour affirmer leurs droits, leur place dans leurs tribus, et leur liberté d’exister.

💙💙💙💙

Catalogue éditeur : Pocket

Au cœur de la brousse subsaharienne, un grand incendie a ravagé les cases du clan Mulongo. Depuis lors, douze hommes manquent à l’appel – les fils aînés pour la plupart. Pendant que les mères cherchent en songe les réponses à leur chagrin, le Conseil interroge les ancêtres, scrute les mystères de l’ombre : que signifie cette disparition ? Pour le salut de la communauté, le chef Mukano et quelques autres décident de partir à leur recherche en territoire bwele, leurs voisins. Peu d’entre eux atteindront l’océan – par ou les « hommes aux pieds de poules » emportent leurs enfants…

« La voix de Léonora Miano, l’une des plus fortes de sa génération, devrait résonner de Paris à Douala – et voyager bien au-delà. » Catherine Simon –Le Monde

Cet ouvrage a reçu le Prix Femina et le Grand prix du roman métis
Date de parution 5 Février 2015 / Nombre de pages 256 p.Format 108 x 177 mm / EAN 9782266248778