JazzMan, Jop

Dans une New Story City qui pourrait être NewYork City, Tony Scrump le nouveau et jeune maire de la ville a tous les pouvoirs sur ses administrés, qu’il tient sous sa coupe grâce à des ondes diffusées par sa radio, One FM.

Il a même décidé de raser tout un quartier de la ville, et depuis il ne fait vraiment pas bon s’y aventurer. Pourtant, c’est là que se trouvaient les clubs de Jazz, l’animation et surtout la vie, la vraie, artistique en particulier. C’est là qu’arrive un peu par hasard Edward Renard par une soirée glaciale et sombre.

Dès lors, par un concours de circonstances, c’est aussi dans ces bas fonds en démolition que vont se retrouver sans vraiment l’avoir choisi Birdy Jones Carter, un saxophoniste totalement désabusé, Edward Renard, un drôle de barman qui ne sait plus vraiment d’où il vient et pourquoi il est là, et Billie, qui n’est autre que la fille de Birdy et de son ex, Lady Taylor, c’est un génie de l’électronique qui sait tout ou presque sur la propagation de ces fameuses ondes radio.
Ensemble, ils vont tenter de pirater One FM, la radio à la fréquence unique de Tony Scrump, fréquence hypnotique qui fait tout oublier aux habitants qui l’écoutent.

Et l’on retrouve pèle-mêle la nouvelle génération qui impulse la démolition des quartiers et l’expulsion de ses habitants sans aucun scrupule, et sans même les reloger, la présence de la mafia, celle des anciens musiciens de jazz des vieux quartiers, tous se côtoient pour rendre l’ensemble cohérent et attachant.

Une BD toute en noir, bleu et blanc, assez hypnotique d’ailleurs dans son graphisme et par l’impression qui s’en dégage, à l’atmosphère glacée de fin d’un monde, celui de ceux qui pensent par eux-même, vivent, jouent de la musique et aiment la vie. La couverture cartonnée et le papier sont superbes et font de cette BD un très bel objet.

Catalogue éditeur : Albin-Michel

Le maire Tony Scrump a hypnotisé sa ville.
Mais un trio insolite formé par un barman amnésique, un saxophoniste dépressif et une jeune prodige de l’électronique, compte bien réveiller la population.
Des décombres du Old Square aux sommets du High District. Jop signe un premier roman graphique syncopé et envoûtant.

Date de parution 02 mars 2022 / prix 23,90 €

Keith Haring, Le Street art ou la vie, Paolo Parisi

« Quand je serais grand je voudrais être un artiste en France, parce que j’aime bien dessiner »

Keith Haring est né le 4 mai 1958 à Reading, il décède du sida à l’âge de 31 ans le 16 février 1990, de cette terrible maladie alors trop méconnue et si longtemps injustement cataloguée et cantonnée au milieu homosexuel.

Il y a quelques années, la Tour Keith Haring, une grande fresque qu’il avait dessinée à l’hôpital Necker de Paris pour illuminer la vie des enfants malades a été rénovée. Je l’avais découverte à cette occasion. Mais bien sûr qui ne connaît pas ses personnages et surtout son « radiant baby » aussi célèbre que copié. Uniclo a d’ailleurs fait quelques belles reproductions de ses personnages colorés sur des vêtements destinés à tous les âges.

De la même génération que Jean Michel Basquiat, dans la mouvance d’Andy Warhol et des artistes des années 80, qui était réellement Keith Haring et d’où venait il ? Issu d’une famille de Pennsylvanie, frère aîné de trois sœurs, le jeune Keith a eu très tôt la frénésie de dessiner encore et encore, sur tous les supports, à tout moment.

L’ennui étant l’animation la plus répandue dans son village, on comprend vite que l’enfant, puis l’adolescent, a cherché dans l’art un échappatoire et un moyen de développer sa créativité naissante. Avec une seule idée en tête, devenir un artiste. C’est un adolescent qui se cherche et qui va trouver dans la religion, puis dans la drogue, mais surtout dans l’art qu’il explore sous toute ses formes et avec la plus grande diversité de matériaux, un moyen de s’épanouir. Arrivé à New-York en 1978, il développe sa créativité, et prend pleinement conscience de son homosexualité.

Le roman graphique de Paolo Parisi nous explique son parcours, ses rencontres, sa passion pour l’art quels que soient les supports sur lesquels il s’exprime. Métro, fresques géantes, graffitis, toiles, performances, tout est adapté à l’expression, au langage, au message qu’il veut faire passer. Et que celui-ci parle au plus grand nombre possible de spectateurs. Les années noires des nombreux décès du sida sont bien montrées, ce cataclysme qui frappe la jeunesse et les artistes des années 80. Les couleurs flashies à dominante rose, jaune et bleu restituent l’univers à la fois singulier et emblématique de l’œuvre de Keith Haring.

Catalogue éditeur : Hugo et Cie

Le premier roman graphique consacré au petit génie du street art

Paolo Parisi / 15/09/2022 / ISBN papier : 9782755699715 / 19,95 €

Le Doorman, Madeleine Assas

Une vie pour découvrir NewYork, la ville qui ne dort jamais

Ray est le Doorman du 10 Park avenue, à Manhattan. Ce juif d’Oran quitte l’Algérie dans les années 60. Il s’installe aux États-Unis après un bref passage dans le sud de la France puis à Paris. Après un emploi particulièrement pénible à décharger le poisson au marché, il rencontre Hannah Belamitz qui lui propose de devenir Doorman dans son immeuble. Il y passera quarante ans de sa vie vêtu de son bel uniforme à boutons dorés.

Quarante années debout à accueillir, aider, recevoir, chacun des habitants du 10 Park Avenue, à découvrir leurs habitudes, leurs familles, leurs visiteurs, leurs qualités et leurs petits défauts, comme leurs secrets les plus inavouables. Un microcosme qui reflète si bien la diversité de la ville.

Avec Salah le compagnon de balade, il parcourt les rues et les quartiers de la grosse pomme, du seuil des années 70 jusqu’à effondrement des tours du World Trade Center.

Cet homme souvent invisible pour les autres découvre la vie des quartiers, de Little Italy à Chinatown, du Lower East Side à TriBeCa, de Harlem à Staten Island, de Brooklyn jusqu’au Bronx, il arpente chaque recoin de la grande ville et nous la fait découvrir par son regard. Les commerces, les cafés et les restaurants, les bars et leurs habitués, rien ne lui échappe. Le lecteur marche dans les pas de Ray, déambule avec lui et voit l’évolution, les bouleversements, les transformations de ces rues qui font rêver le monde entier. Quarante an, presque une vie, c’est très long et pourtant cela passe si vite. Même si le rythme alerte et vif du jeune homme a laissé la place aux pas plus hésitants du sexagénaire, son regard est toujours aussi affûté et empathique envers ses congénères, d’un côté ceux qu’il rencontre lorsqu’il tombe le costume, d’un autre ceux qu’il côtoie lorsqu’il revêt son habit de Doorman.

Je suis allée la première fois à New-York en 1976, pour le bicentenaire des USA, la ville grouillait de monde. Pour la provinciale qui débarquait là-bas après avoir vu la veille le film Taxi driver, tout cela avait un côté irréel et festif. J’y suis retournée depuis à maintes reprises. J’ai retrouvé dans les mots de Ray mes impressions d’alors et celles plus récentes de mes dernières visites. Cette différence entre les quartiers, du plus chic au plus populaire, l’anachronisme entre le gigantisme et la beauté des buildings tous plus splendides les uns que les autres et le coté vieillot et archaïque du métro ou de certaines boutiques par exemple. Le réservoirs d’eau sur les toits des buildings, les écureuils dans les parcs,, les hommes d’affaires pressés de Wall Street, les touristes émerveillés de Time Square ou les joggeurs de Central Parc, tant de quartiers si différents qui font pourtant l’unité de cette ville, en particulier de Manhattan. Les populations d’origines très diverses qui se croisent mais ne se mêlent pas. Enfin, Ray a réveillé en moi le sentiment fort et l’émotion qui m’avaient saisie en entrant à Elis Island, dans les pas des migrants venus chercher leur rêve américain au fil des décennies. Quand un roman éveille autant de souvenirs et d’émotions, c’est sans doute qu’il a atteint son but.

Un roman de la sélection 2021 des 68 premières fois

Catalogue éditeur : Actes Sud

Le Doorman est le roman d’un homme secret vêtu d’un costume noir à boutons dorés. Un étranger devenu le portier d’un immeuble de Park Avenue puis, avec le temps, le complice discret de plusieurs dizaines de résidents qui comme lui sont un jour venus d’ailleurs. À New York depuis 1965, ce personnage poétique et solitaire est aussi un contemplatif qui arpente à travers ce livre et au fil de quatre décennies l’incomparable mégapole. Humble, la plupart du temps invisible, il est fidèle en amitié, prudent en amour et parfois mélancolique alors que la ville change autour de lui et que l’urbanisme érode les communautés de fraternité.

Toute une vie professionnelle, le Doorman passe ainsi quarante années protégées par son uniforme, à ouvrir des portes monumentales sur le monde extérieur et à observer, à écouter, avec empathie et intégrité ceux qui les franchissent comme autant de visages inoubliables. Jusqu’au jour où il repart pour une autre ville, matrice de son imaginaire.

Ce livre est le théâtre intemporel d’une cartographie intime confrontée à la mythologie d’un lieu. Il convoque l’imaginaire de tout voyageur, qu’il s’agisse du rêveur immobile ou de ces inconditionnels piétons de Manhattan, marcheurs d’hier et d’aujourd’hui aux accents d’ailleurs.

février, 2021 / 11.50 x 21.70 cm / 384 pages / ISBN : 978-2-330-14427-2 / Prix indicatif : 22.00€

Best Love Rosie, Nuala O’Faolain

Sous le ciel irlandais, portraits croisés sensibles et attachants de deux femmes à un tournant de leurs vies

Après avoir bourlingué de par le monde, Rosie revient à Dublin pour veiller sur sa tante Nin, la sœur de sa mère décédée quand elle était bébé et qui l’a élevée. Rosie a toujours été indépendante, a beaucoup voyagé sans trop se soucier du bien être de Nin ni de savoir si elle pouvait lui manquer. Nin n’a jamais quitté le village, aujourd’hui elle ne quitte même plus sa maison ou son lit sauf pour aller s’enivrer au pub.

Mais Rosie s’ennuie auprès de cette tante alcoolique et dépressive qui n’est pas une compagnie très plaisante.  Et la cinquantaine arrivant, elle s’interroge sur sa vie, elle n’a ni mari ni compagnon, pas d’enfants, et se retrouve seule avec ses souvenirs. Pour occuper intelligemment son temps libre, elle décide d’écrire un manuel pour les cinquantenaires, un de ces manuels qui aident à mieux vivre avec ses interrogations et ses névroses.
Pour le diffuser, elle fait appel à Mark, un vieil ami devenu vendeur de livres anciens aux USA. Mark si proche et si lointain, dont elle rêvait jeune sans jamais oser le lui avouer.
Elle va le rencontrer à New-York lors d’une foire aux livres rares. Elle part seule, mais Nin la rejoint là-bas. Et miracle, la ville ressuscite la vieille tante maussade et acariâtre, Nin revit, ou plutôt vit enfin. Et retrouve l’envie de se lever le matin et décide d’y rester quelques mois. Elle apprécie et trouve facile  à présent de se lever, d’aller travailler, de rencontrer des femmes comme elle. Être devenue utile, faire partie d’une équipe, lui redonne goût à la vie, inimaginable alors de rentrer en Irlande, Rosie devra repartir seule.

A son retour, Rosie découvre la maison de famille à l’abandon. Sous le charme, elle tente d’apprivoiser cette maison dépourvue de confort et rêve d’en faire son foyer.

Best Love Rosie est un roman émouvant et bouleversant. Tout d’abord parce que l’auteur nous fait pénétrer dans l’intimité de Rosie et Nin, dans cette relation mère fille qui n’ose pas se dévoiler, qui hésite, se cherche, faite de silences, de gestes esquissés, d’émotions cachées. Il y a ces sentiments jamais avoués qui les relient et les rapprochent, une relation mère fille sans l’être vraiment. Il y a au milieu de tous ces non-dits, une belle dose de tendresse et d’amour.
Mais aussi par ces deux femmes, l’une, la cinquantaine arrivant, cherche à se poser et fait le bilan du passé en se demandant comment elle va affronter l’avenir. L’autre, que d’aucuns croiraient à la fin de sa vie, retrouve une jeunesse, une énergie, un goût de vivre et d’oser qui l’étonnent elle-même, mais qui lui font savourer à leur juste valeur toutes les opportunités qui s’offrent désormais à elle.

J’ai aimé retrouver ces deux femmes, leurs interrogations, leur regard sur le passé et surtout leur façon de ré enchanter leur avenir, même si à priori la meilleure partie de leur vie est derrière elles. Et s’il y a parfois quelques longueurs, il y a pourtant énormément de sujets évoqués, la vieillesse bien sûr, la façon de s’y préparer ou pas, l’homosexualité, l’alcoolisme des femmes, la solitude, la pauvreté de l’Irlande qui pendant des années a entrainé l’émigration, en particulier vers le nouveau monde, et bien sûr, aux USA, le sort réservé aux clandestins, travail illégal, maladie et système de santé, entre autre.

Roman lu dans le cadre de ma participation au Jury du Prix des Lecteurs du Livre de Poche 2020

Si dans ce roman Mark, l’ami de Rosie, vend des livres rares, connaissez vous également L’homme qui aimait trop les livres ? Une enquête passionnante dans le milieu des livres rares et anciens par Allison Hoover Barlett.

Catalogue éditeur : Le Livre de Poche

Après avoir vécu et travaillé dans le monde entier, Rosie décide de rentrer à Dublin pour s’occuper de la vieille tante qui l’a élevée. La cohabitation avec Min, dépressive et alcoolique, n’a rien d’exaltant. L’idée vient à Rosie de s’occuper utilement en rédigeant un manuel pour les plus de cinquante ans. Un éditeur américain accepte de la publier… Tandis que la vieille dame, qui a rejoint sa nièce à New York, est galvanisée par sa découverte de l’Amérique et pour rien au monde ne voudrait renouer avec son ancienne vie, Rosie, elle, tombe amoureuse d’une maison de la côte irlandaise, et va, dans une osmose avec la nature enchanteresse et les animaux qu’elle adopte, s’y laisser pousser des racines.
La lucidité de Nuala O’Faolain, sa tendresse pour ses personnages, font merveille une fois de plus dans ce livre où l’on suit les tribulations de ces deux femmes que lie toute la complexité d’un amour maternel qui ne dit pas son nom.

528 pages / Date de parution : 26/02/2020 / EAN : 9782253934349 / Prix : 8,70€ / Éditeur d’origine : Sabine Wespieser

Une vie comme les autres, Hanya Yanagihara

Une fresque romanesque intense et dramatique sur l’amitié masculine, l’enfance, la résilience, dans le New-York d’aujourd’hui

Ils sont quatre, ils se sont rencontrés alors qu’ils étaient étudiants, et depuis lors sont devenus des amis, inséparables ou presque. Il y a Willem, JB, Malcolm, et Jude.

Ils vivent à New-York, mais dans une ville hors du temps, presque hors de leur époque, car on se concentre tout au long de ces 1122 pages et sur quelques dizaines d’année sur leurs vies, leurs familles, l’évolution de leurs carrières, de leurs amitiés qui parfois se transforment en amour ou en haine, presque sans mention du monde qui les entoure.

Dans ce quatuor magistralement dépeint par Hanya Yanagihara, un homme en particulier se distingue. Alors qu’il réussit sa vie, que tout est là pour son bonheur, il cache au fond de lui une souffrance, un passé, si dramatiquement douloureux que sa vie entière en est gâchée.

Jude est orphelin, nourrisson trouvé posé sur une poubelle par les pères d’un monastère. Là, il sera élevé dans la douleur, on va lui apprendre qu’il n’est rien, il va connaitre la souffrance extrême et les punitions à répétition, ancrant dangereusement en lui cette idée qu’il n’est rien. Il va vivre une enfance puis une adolescence difficile, que l’auteur distille peu à peu au fil des flashback. Puis, enfin libéré de ses bourreaux, il va laisser éclater son intelligence et ses capacités intellectuelles pendant ses années de fac, puis dans son travail. Mais sa vie est brisée, et malgré l’amour de ceux qui l’entourent, il ne se remettra jamais complétement des supplices de l’enfance. Pourtant, chacun de ces quatre amis va évoluer dans le monde, réussir, JB est un artiste reconnu, Malcolm, issu d’une famille aisée est un architecte de talent et Willem, un acteur adulé par son public. Enfin Jude, l’étudiant en droit talentueux, est quant à lui devenu un grand avocat, dans un cabinet de premier plan. Ils ont tous gagné le bonheur et le confort auxquels ils aspiraient plus jeunes. Et à l’âge adulte, sont rendus plus forts par cette amitié qui dure par-delà le temps et les épreuves. Mais cela peut-il suffire à rendre heureux, à rendre une confiance en soi perdue à jamais ?

Quel roman ! Qui parle d’amour et de fraternité, de confiance et de solidarité, d’amitié masculine et d’homosexualité, qui évoque surtout des sujets graves comme la pédophilie et la prostitution enfantine, et qui montre la difficulté de la résilience, lorsque le mal absolu vous a touché et que rien ne peut vous délirer de ce mal ancré en vous.

Il y a peu de moments lumineux dans ce livre, et pourtant, plus on lit, plus on s’attache à ces personnages, avec l’envie folle de les suivre jusqu’au bout.

Roman lu dans le cadre de ma participation au Jury du Prix des Lecteurs du Livre de Poche 2020

Catalogue éditeur : Le livre de Poche

Ils sont quatre amis de fac, et ils ont décidé de conquérir New-York : Willem, l’acteur à la beauté ravageuse ; JB, l’artiste peintre, aussi ambitieux et talentueux qu’il peut être cruel ; Malcolm, qui attend son heure dans un prestigieux cabinet d’architectes ; Jude, le plus mystérieux d’entre eux, celui qui, au fil des années, s’affirme comme le soleil noir de leur quatuor, celui autour duquel les relations s’approfondissent et se compliquent cependant que leurs vies professionnelles et sociales prennent de l’ampleur.
Épopée romanesque d’une incroyable intensité, chronique poignante de l’amitié masculine contemporaine, Une vie comme les autres interroge aussi nos dispositions à l’empathie et notre façon d’endurer la souffrance, la nôtre comme celle d’autrui.

1 128 pages / Date de parution : 30/10/2019 / EAN : 9782253100560
Éditeur d’origine : Buchet – Chastel

La femme révélée, Gaëlle Nohant

La femme révélée nous embarque entre Paris et Chicago, des années 50 à la fin des années 60

En 1950, à Paris, une jeune femme vient de débarquer avec pour seul viatique son appareil photo Rolleiflex. Une situation surprenante car jusqu’alors elle vivait confortablement à New-York avec son époux et son petit garçon. Elle n’a emporté que quelques bijoux, témoins de l’aisance de sa vie passée. Hébergée dans un clandé plutôt louche, elle se fait dévaliser.

Désormais fauchée, elle se retrouve à la merci de la patronne de cet hôtel de passe. Aidée de Rose, une prostituée au grand cœur, elle trouve refuge dans un foyer pour jeunes femmes et tente de vivre grâce à de petits boulots. Elle découvre aussi St-Germain-des-prés et les soirées Jazz. A la façon de Vivian Maier, elle prend plaisir à parcourir les rues de Paris toujours armée de son appareil photo pour y saisir des scènes de vie que son talent sait mettre en valeur. Elle a fui on ne sait qui ni quoi, et si le mystère est d’abord épais, les raisons de sa fuite deviennent de plus en plus évidentes à mesure que se dévoile son passé.

Dans ce roman construit en deux parties assez différentes l’auteur nous entraîne par son écriture à la fois réaliste et poétique et son talent de conteuse dans les pas de Violet-Eliza, personnage mystérieux et très attachant.

Avec Violet, le lecteur découvre le Paris des années 50 où tout est à reconstruire sur les ruines de la seconde guerre mondiale. Puis les années 60/70, avec la crise immobilière aux États-Unis, mais surtout les différences de traitement entre blancs et noirs, jusque dans les états du nord prétendument moins racistes. Car si les problèmes de racisme n’y sont pas aussi ouvertement déclarés que dans le sud, ils régissent les lois du marché et de la politique plus sûrement que s’ils étaient verbalisés. Ce sont les prémices de la fin de la ségrégation raciale, mais aussi les assassinats de Martin Luther King et Robert Kennedy, puis la révolte grandissante de la jeunesse contre la guerre du Vietnam pendant la présidence de Nixon.

Une fois de plus, Gaëlle Nohant a su me séduire et me convaincre avec son personnage. Cette femme émouvante, attachante et combative, qui lutte pour vivre libre et suivre ses convictions les plus intimes, au risque d’y perdre sa vie, et surtout de perdre ce qu’elle a de plus cher, son fils.

Gaëlle Nohant parle de liberté, de soif de vivre, et d’exil, mais aussi de ce bonheur qu’il peut y avoir à se réaliser pleinement en accord avec ses convictions les plus profondes.

Du même auteur, lire aussi l’émouvant roman Légende d’un dormeur éveillé qui évoque si bien le poète Robert Desnos.

Catalogue éditeur : Grasset

Paris, 1950. Eliza Donneley se cache sous un nom d’emprunt dans un hôtel miteux. Elle a abandonné brusquement une vie dorée à Chicago, un mari fortuné et un enfant chéri, emportant quelques affaires, son Rolleiflex et la photo de son petit garçon. Pourquoi la jeune femme s’est-elle enfuie au risque de tout perdre ?
Vite dépouillée de toutes ressources, désorientée, seule dans une ville inconnue, Eliza devenue Violet doit se réinventer. Au fil des rencontres, elle trouve un job de garde d’enfants et part à la découverte d’un Paris où la grisaille de l’après-guerre s’éclaire d’un désir de vie retrouvé, au son des clubs de jazz de Saint-Germain-des-Prés. A travers l’objectif de son appareil photo, Violet apprivoise la ville, saisit l’humanité des humbles et des invisibles.

Dans cette vie précaire et encombrée de secrets, elle se découvre des forces et une liberté nouvelle, tisse des amitiés profondes et se laisse traverser par le souffle d’une passion amoureuse.
Mais comment vivre traquée, déchirée par le manque de son fils et la douleur de l’exil ? Comment apaiser les terreurs qui l’ont poussée à fuir son pays et les siens ?  Et comment, surtout, se pardonner d’être partie ?

Vingt ans plus tard, au printemps 1968, Violet peut enfin revenir à Chicago. Elle retrouve une ville chauffée à blanc par le mouvement des droits civiques, l’opposition à la guerre du Vietnam et l’assassinat de Martin Luther King. Partie à la recherche de son fils, elle est entraînée au plus près des émeutes qui font rage au cœur de la cité. Une fois encore, Violet prend tous les risques et suit avec détermination son destin, quels que soient les sacrifices.
Au fil du chemin, elle aura gagné sa liberté, le droit de vivre en artiste et en accord avec ses convictions. Et, peut-être, la possibilité d’apaiser les blessures du passé. Aucun lecteur ne pourra oublier Violet-Eliza, héroïne en route vers la modernité, vibrant à chaque page d’une troublante intensité, habitée par la grâce d’une écriture ample et sensible.

Format : 141 x 206 mm / Pages : 384 / EAN : 9782246819318  / Prix : 22.00 / Parution : 2 Janvier 2020

Le bonheur n’a pas de rides, Anne-Gaëlle Huon

Lire « Le bonheur n’a pas de rides » de Anne-Gaëlle Huon, un véritable hymne à la vie qui donne envie de manger les petits Lu en commençant par les coins !

Mais qui est Paulette, une vielle dame revêche et bougonne, ou une gentille octogénaire qui attend la fin de sa vie ? Elle est très désagréable avec sa belle-fille, surtout depuis qu’elle vit chez son fils. Elle rêve d’une maison de retraite grand luxe dans le sud de la France. Mais c’est dans un petit village francilien, dans une auberge improbable choisie par sa belle-fille qu’elle est lâchement déposée au début des vacances. Un peu comme on abandonnerait son chien !

Paulette a décidé d’être désagréable. Avec son caractère bien trempé et son côté acariâtre, elle s’y entend pour embêter son monde. D’abord le propriétaire de l’auberge, qui ne sait plus comment la gérer, puis les autres pensionnaires. Elle ne leur trouve que des défauts et refuse de s’intégrer. Pire, elle fait tout pour les provoquer.

Pourtant, sa perspicacité, son bon cœur, et le caractère attachant de ses compagnons d’infortune dans cette auberge improvisée maison de retraite auront raison de son mauvais caractère. En cherchant bien sous les carapaces de chacun – et en fouinant un peu dans les affaires des autres il faut l’avouer – l’aventure est au bout du couloir, l’amour et l’amitié aussi.

Plein de bons sentiments, pétillant d’humour et non dépourvu de réalisme parfois, voilà un roman qui se lit avec bonheur, sans se poser de question. Léger mais pas simpliste, rempli de bons sentiments pas toujours évidents, c’est le roman idéal sur la plage ou pour les longues soirées d’été.

Roman lu dans le cadre de ma participation au jury des lecteurs du Livre de Poche 2019

Catalogue éditeur : Le Livre de Poche

Le plan de Paulette, quatre-vingt-cinq ans, semblait parfait : jouer à la vieille bique qui perd la tête et se faire payer par son fils la maison de retraite de ses rêves dans le sud de la France. Manque de chance, elle échoue dans une auberge de campagne, au milieu de nulle part.
La nouvelle pensionnaire n’a qu’une idée en tête : quitter ce trou, le plus vite possible ! Mais c’est compter sans sa nature curieuse et la fascination que les autres résidants, et surtout leurs secrets, ne tardent pas à exercer sur elle. Que contiennent en effet les mystérieuses lettres trouvées dans la chambre de monsieur Georges ? Et qui est l’auteur de l’étrange carnet trouvé dans la bibliothèque ?
Une chose est certaine : Paulette est loin d’imaginer que ces rencontres vont changer sa vie et peut-être, enfin, lui donner un sens.

Prix : 7,90€ / Pages : 352 : Date de parution : 03/04/2019 / EAN : 9782253906803

Editeur d’origine : City Edition

Que faire à New York ?

Visiter l’exposition Georgia O’keeffe, au New York Botanical Garden…

Domi_C_Lire_NYBG_Georgia_Okeeffe…et admirer les tableaux peints par l’artiste lors de son séjour à Hawaï, les plantes, les paysages qui l’ont inspirée, puis les retrouver tout au long du parcours au NYBG.
J’avais découvert quelques oeuvres de Georgia O’Keeffe lors de l’exposition The age of Anxiety, qui présentait des peintres américains au musée de l’Orangerie à Paris, et j’avais apprécié ses représentations de fleurs. Je l’ai donc retrouvée avec plaisir lors de cette visite.

Artiste peintre pionnière du modernisme américain, Georgia O’Keeffe (1887–1986) a été fortement inspirée par les paysages qui l’entouraient, des paysages du nouveau Mexique aux gratte-ciel de New York. Les fleurs, la nature, sont des thèmes qu’elle a également abordé et aimé tout au long de sa carrière d’artiste.

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L’exposition dans la galerie d’Art du NYBG offre une rétrospective (un peu trop courte à mon goût !) des œuvres peintes lors de son séjour de neuf semaines en 1939. Elle était missionnée par la Hawaiian Pineapple Company et devait en rapporter des œuvres pour une de leur campagne de promotion. on retrouve d’ailleurs le tableau Ananas dans leurs publicités de l’époque.

Elle y a peint des toiles représentant les fleurs, les paysages, et même les hameçons des pécheurs, une nature inspirante ! Et pourtant, là-bas aussi, ces œuvres font énormément penser à la photographie, aux prises en gros plan, cadrages décalés, modernes, qui sortent des poncifs habituels, et toujours, sous-jacente, une connotation sexuelle dans la représentation de certaines fleurs, certains plans, comme une image de marque de l’artiste.

 

Si les toiles de Georgia O’Keeffe  sont peu nombreuses, seulement 17 peintures qui par ailleurs n’avaient jamais été exposées ensemble depuis 1940, l’intérêt de la visite tient aussi au fait que le jardin botanique adapte l’ensemble de son espace et propose dans ses serres une documentation fournie ainsi qu’une partie de la flore et des fruits des iles Hawaï.

 

Retrouvez ici le site du New York Botanical Garden, l’exposition se tient jusqu’au 28 octobre.

La face cachée de Ruth Malone. Emma Flint

Le polar dont vous ne sortirez pas indemne

La face cachée de Ruth Malone vous fait poser des questions longtemps après.

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Ruth Malone est une jeune femme qui prend soin elle aussi de son aspect extérieur, toujours apprêtée, maquillée, faisant bonne figure et bien habillée. Mais à cette époque la femme se devait d’être d’abord mère et épouse avant d’être elle-même. Alors coquette et parfois séductrice, cette image passe mal. Ruth vit séparé de son mari Franck et ne craint pas d’attirer le regard des hommes, ou même de les attirer dans son lit, pourquoi pas. Elle vit en femme libre et exacerbe les jalousies.

Un matin, alors qu’elle les avait bordés la veille dans leur lit et qu’elle pensait qu’ils étaient sagement endormis dans leur chambre, elle constate la disparition de ses deux enfants, Cindy et Frankie Jr. Puis on retrouve le corps de Cindy. Et lorsqu’elle verra sa fille, Ruth toujours impeccable, montrera à tous un visage parfaitement maquillé mais point de larmes. Il n’en faut pas plus pour déchaîner bavardages, dénonciations et suspicion des policiers, puisque bien évidement, dans la plupart des cas, c’est un proche qui est coupable, Ruth devient alors la coupable idéale.

Un jeune journaliste s’intéresse à l’affaire. Il est en mal de premier article important à signer pour le journal dans lequel il débute. Ainsi, il va enquêter, produire quelques papiers conforme aux attentes de  sa rédaction, puis peu à peu s’intéresser au personnage qu’est vraiment Ruth, tentant de comprendre qui se cache derrière cette façade, ce visage apprêté et maquillé qui dissimule sans doute des failles et des blessures profondes, cherchant la vérité derrière les apparences.

La charge psychologique importante qui apparaît derrière le drame, le mal que peuvent faire jalousies, incompréhension, ragots et quand dira-t-on est immense. Tout comme l’obstination de la police, qui lorsqu’elle est aveuglée par des évidences ne cherche pas à creuser toutes les pistes qui s’ouvrent à elle, et ce malgré l’importance des pièces de son enquête qui comporte des révélations et des témoignages parfois laissés de côté.

Comment imaginer, accepter, comprendre. Car Emma Flint s’est librement inspirée d’un fait divers réel, l’histoire d’Alice Crimmins, une jeune femme américaine accusée dans les années 60 d’avoir assassiné ses propres enfants ! Ce roman est intéressant à plusieurs titres, d’abord par son intrigue, à découvrir d’urgence pour les amateurs du genre ! Mais aussi par l’image qu’il nous donne de ce que devait être la place de la femme dans les années 60, la force des préjugés, des apparences, comportements et a priori, voilà qui est terriblement instructif et parfois même inquiétant… Car ne l’oublions pas, rien, jamais n’est acquis.

Catalogue éditeur : Fleuve éditions

Traduit par : Hélène AMALRIC

En 1965; Une vague de chaleur déferle sur le Queens, banlieue ouvrière de New York, et plonge ses habitants dans un état léthargique. Un matin ordinaire, Ruth Malone, mère célibataire aux allures de star hollywoodienne, constate la disparation de ses deux enfants.
Peu après, le corps de la petite Cindy est retrouvé abandonné sur un chantier, son doudou encore à la main. Lorsque, quelques jours plus tard, la dépouille de son fils, Frankie Jr, est découverte dans des conditions similaires, des voix accusatrices s’élèvent contre Ruth. Lire la suite…

Date de parution 19 Octobre 2017 / Fleuve noir  / 432 pages / Format : BROCHE / 9782265116429

Je m’appelle Lucy Barton. Elizabeth Strout

Découvrir Elizabeth Strout avec « Je m’appelle Lucy Barton » est une jolie surprise. L’auteur, prix Pulitzer en 2009 pour un précédent roman, nous plonge dans l’intimité et la psychologie de ses personnages. Sentiments et frustrations, amour et désamours deviennent le fil rouge de la relation entre une mère et sa fille.

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Lucy Barton, écrivain, mariée, deux enfants, a plutôt bien réussi sa vie.  Elle se souvient de cette époque, quelques années auparavant, où elle a été hospitalisée pendant de longues semaines à New-York, dans cette chambre d’hôpital d’où elle pouvait voir scintiller le Chrysler Building.

Suite à une banale opération, un complication inattendue la contraint à rester de longs jours alitée. Ses filles sont encore petites, son mari doit gérer le quotidien, aussi, cherchant à pallier à sa solitude, il fait venir la mère de Lucy.

Cette mère avec qui elle n’avait pas parlé depuis des années, va la veiller nuit et jour assise sur une chaise au pied de son lit. Et elle parle cette mère, même si elle ne répond pas aux questions de Lucy. Elle meuble les heures avec des souvenirs, des anecdotes, et cette relation pour le moins étrange avec une mère pourtant absente va se transformer en moments d’amour non-dits, de silences à l’ombre d’une vie, d’une enfance difficile mais pour lesquels Lucy ne semble pas avoir de ressentiment.

Au milieu de cette logorrhée sans fin, Lucy va égrener elle aussi les souvenirs de son enfance à Amgash, dans l’Illinois. Car l’enfance de Lucy, on le comprend vite, a été très difficile. Une famille pauvre, qui habite dans un garage, n’ayant pas les moyens de se procurer l’essentiel, encore moins le superflu. Le père, terrible, absent, les abus que l’on devine. Cette différence sociale, la promiscuité, la  pauvreté extrême, qui ne permet pas d’inviter des camarades d’école, de pouvoir échanger sur toutes ces choses que l’on partage enfants ou adolescent et qu’elle ignore.

Elle attend un mot de sa mère, une expression de ses sentiments, un élan qu’elle n’aura jamais. Et pourtant, l’amour est là, entre une mère et sa fille qui se comprennent sans se parler, qui s’aiment sans se le dire, qui ont besoin l’une de l’autre sans jamais vouloir être ensemble.

Lucy pense à ces moments qui lui ont permis d’évoluer, de lui faire comprendre  que le passé nous construit, que l’enfance, la famille, sont les bases de ce que l’on devient. Roman étrange, qui dégage une forme d’optimisme dans sa grande tristesse apparente. Si la solitude et la pauvreté sont extrêmes, elles n’y sont pas vécues comme des freins à mener une vie normale et heureuse. Et où transparait l’amour, d’une mère, d’une fille, jamais dits, mais tellement évidents, malgré les silences.

💙💙💙

Catalogue éditeur : Fayard

Hospitalisée à la suite d’une opération, Lucy Barton reçoit la visite impromptue de sa mère, avec laquelle elle avait perdu tout contact. Tandis que celle-ci se perd en commérages, convoquant  les fantômes du passé, Lucy se trouve plongée dans les souvenirs de son enfance dans une petite ville de l’Illinois – la pauvreté extrême, honteuse,  la rudesse  de son père,  et  finalement son départ pour New York, qui l’a définitivement isolée des siens. Peu à peu, Lucy est amenée à évoquer son propre mariage, ses filles, et ses débuts de romancière dans le New York des années 1980. Une vie entière se déploie à travers le récit lucide et pétri d’humanité de Lucy, tout en éclairant la relation entre une mère et sa fille, faite d’incompréhension, d’incommunicabilité, mais aussi d’une entente muette et profonde.

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre Brévignon