Les nuits d’été, Thomas Flahaut

Le roman mélancolique et humain d’une génération désenchantée

Thomas et Louise, des jumeaux âgés de 25 ans, et Mehdi sont des amis d’enfance, des amis du quartier, celui des Verrières, en Franche-Comté, pas loin de Montbéliard. Mais si le père avait trimé pour que Thomas s’en sorte et parte à la ville faire des études qui lui permettrait d’échapper à la vie des ouvriers, celui-ci s’est sans doute un peu fourvoyé. Ou bien avait-il des aspirations plus hautes que ses capacités, toujours est-il que fort de ses échecs aux études de médecine, c’est dans l’usine qu’il pose aujourd’hui son bardât pour avancer.

Voilà donc Mehdi et Thomas désormais collègues à l’usine, la seule qui embauche dans ce coin où la zone a gagné du terrain. Celle-là même où travaillaient déjà leurs pères, qu’ils avaient rêvé de fuir, mais qui inexorablement les ramène à leur condition. Job d’été ou études manquées, qu’importe puisque finalement les voilà qui triment comme le autres, sans aucun espoir de s’en sortir un jour. Il faut alors apprendre le maniement des machines, le bruits, les odeurs, la solidarité et l’entraide, les gestes de sécurité et le rythme intensif de la production.

Jusqu’au jour où… les actionnaires, les délocalisations, les patrons peu soucieux de leurs ouvriers, tout y passe et l’usine ferme pour se réinstaller plus loin, mais avec beaucoup moins de travailleurs. Et cette délocalisation se fera au grand désarrois de toutes ces familles qu’elle faisait vivre dans la vallée.

C’est dans cette usine que Louise est venue poursuivre sa thèse sur les ouvriers frontaliers. Elle se rapproche de Mehdi le solitaire, l’enfant resté au pays qui travaille dans les stations de ski l’hiver et à l’usine tous les étés, qui rentre à moto par l’autoroute transjurane pour passer la frontière entre la France et la Suisse. Lui seul dans ce trio sait déjà ce que veut dire la précarité, lui qui aide chaque jour son père, dans son camion rôtisserie sur les parkings de supermarchés.

Chacun à leur manière, ils incarnent une partie de cette jeunesse de plus en plus désespérée qui ne sait plus où est son avenir. Dans ce monde gouverné par l’argent, où les dirigeant suivent le bon vouloir des actionnaires, l’humain n’est plus au centre. C’est aussi un monde de silence que nous décrit l’auteur, entre frère et sœur, avec les parents, ceux de Thomas ou le père de Mehdi, silence de ouvriers jamais entendus par des patrons invisibles.

Fils d’ouvrier lui-même, Thomas Flahaut a travaillé dans une usine, dans le Jura bernois. Il avait d’ailleurs déjà évoqué ce thème du monde ouvrier et de ses problématiques dans son précédent roman. Il a le talent de le faire sans acrimonie, avec justesse et réalisme. Il nous propose une analyse sociale de la jeunesse d’aujourd’hui, à un moment charnière de la vie entre adolescence et âge adulte, avec ses rêves, ses désillusions et ses attentes, tout en donnant une vraie dimension romanesque à son histoire. Il y a là à la fois l’amitié, la mélancolie, la douceur mais parfois la violence des nuits d’été.

Roman lu dans le cadre du jury du Prix littéraire de la Vocation 2020
Un roman de la sélection 2021 des 68 premières fois


Catalogue éditeur : L’Olivier
Thomas, Mehdi et Louise se connaissent depuis l’enfance.
À cette époque, Les Verrières étaient un terrain de jeux inépuisable. Aujourd’hui, ils ont grandi, leur quartier s’est délabré et, le temps d’un été, l’usine devient le centre de leurs vies.
L’usine, où leurs pères ont trimé pendant tant d’années et où Thomas et Mehdi viennent d’être engagés.
L’usine, au centre de la thèse que Louise prépare sur les ouvriers frontaliers, entre France et Suisse.
Ces enfants des classes populaires aspiraient à une vie meilleure. Ils se retrouvent dans un monde aseptisé plus violent encore que celui de leurs parents. Là, il n’y a plus d’ouvriers, mais des opérateurs, et les machines brillent d’une étrange beauté.

Grande fresque sur la puissance et la fragilité de l’héritage social, Thomas Flahaut écrit le roman d’une génération, avec ses rêves, ses espoirs, ses désillusions.

Né en 1991 à Montbéliard (Doubs), Thomas Flahaut a étudié le théâtre à Strasbourg avant de s’installer en Suisse pour suivre un cursus en écriture à l’Institut littéraire suisse de Bienne. Diplômé en 2015, il vit aujourd’hui à Bienne. Il s’initie à l’écriture de scénario et a cofondé le collectif littéraire franco-suisse ­Hétérotrophes, avec des auteurs issus de la filière biennoise.

Paru : 27 août 2020 / 140 × 205 mm 224 pages EAN : 9782823616026 18,00 €

A la ligne, Joseph Ponthus

A la ligne, le premier roman captivant de Joseph Ponthus met en scène le quotidien de l’usine, expérience éprouvante qu’il transcende avec poésie et talent.

Ouvrir ce roman et comprendre qu’il n’ira pas, à la ligne, en tout cas pas de façon classique, avec des points et des virgules… Non, même pas à la ligne pour respirer, car le souffle indispensable pour lire ce roman est à puiser au plus profond de soi. Ce n’est pas un récit ordinaire, mais celui du travail à l’usine, à l’abattoir, difficile, sanglant, violent.

Passées les premières pages, où l’œil et l’esprit s’habituent à la forme atypique, le récit est comme scandé et le lecteur est happé…

J’écris comme je travaille
A la chaîne
A la ligne.

C’est un homme instruit, lettré, qui a quitté son travail en région parisienne pour suivre sa femme en Bretagne. Mais là, il y a trop peu d’emploi, aussi est-il prêt à accepter tout ce qu’on lui propose. Travailler à l’usine de poisson, plats cuisinés, cuisson de bulots à la chaine, tofu à égoutter, rien ne le rebute, même si tout cela lui parait bien difficile. Mais ça c’était avant de connaitre le travail qui l’attend, à l’abattoir. Car lorsque vous êtes intérimaire, pas possible de dire non, sinon le prochain poste disponible ne sera pas pour vous. Et des sous, il faut en gagner pour vivre. Alors on bosse, on se fatigue, on pleure même de douleur et d’épuisement la nuit en rentrant, quand il faut encore sortir le chien qui vous attend en vous faisant la fête, car la pénibilité des postes de l’usine, de l’abattoir, il ne les connait pas. Alors on attrape une vendredite aigüe, mais on s’y fait finalement… Et on essaie de gagner un peu de sommeil, un peu de repos, pour repartir dès lundi matin, ou à pas d’heure, c’est tout le charme du travail à l’usine ces horaires de fou, enfermé sans voir ni le jour, ni la nuit.

Chaque soir, le narrateur inventorie tout, les gestes, les phrases, les répétitions, les problèmes, la douleur, les petits bonheurs, les heures supplémentaires ou les heures gagnées tous ensemble pour finir plus vite, ou moins tard, c’est selon. Mais aussi toutes ces pensées qui l’assaillent, qui peuplent son esprit pendant que son corps fait les gestes mille fois répétés, automatisme salvateur qui permet à l’esprit de s’évader. Il nous fait sentir également cette solidarité et en même temps cette pénibilité que tous doivent subir ensemble. Le courage qu’il faut, le soir, quand il tombe d’épuisement pour continuer à coucher sur le papier les mots qui disent les maux, les gestes, les souffrances quotidiennes.

Étonnant témoignage, qui a la puissance de cet écrit si particulier qu’il vous oblige presque à le lire d’une traite jusqu’au bout. Hypnotique et puissant, rythmé, porté par la poésie qui s’en dégage, il est le témoignage d’une fatigue immense, dévorante. D’un malaise aussi, celui des ouvriers à la peine qui doivent accepter et subir pour continuer à vivre.

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Catalogue éditeur : La Table Ronde

À la ligne est le premier roman de Joseph Ponthus. C’est l’histoire d’un ouvrier intérimaire qui embauche dans les conserveries de poissons et les abattoirs bretons. Jour après jour, il inventorie avec une infinie précision les gestes du travail à la ligne, le bruit, la fatigue, les rêves confisqués dans la répétition de rituels épuisants, la souffrance du corps. Ce qui le sauve, c’est qu’il a eu une autre vie. Il connaît les auteurs latins, il a vibré avec Dumas, il sait les poèmes d’Apollinaire et les chansons de Trenet. C’est sa victoire provisoire contre tout ce qui fait mal, tout ce qui aliène. Et, en allant à la ligne, on trouvera dans les blancs du texte la femme aimée, le bonheur dominical, le chien Pok Pok, l’odeur de la mer.

Par la magie d’une écriture tour à tour distanciée, coléreuse, drôle, fraternelle, la vie ouvrière devient une odyssée où Ulysse combat des carcasses de bœufs et des tonnes de bulots comme autant de cyclopes.

Parution : 03-01-2019 / 272 pages, 140 x 205 mm / Achevé d’imprimer : 01-10-2018 / ISBN : 9782710389668 /  Prix : 18,00 €

Le paradoxe d’Anderson. Pascal Manoukian

Dans cette France de la fracture sociale qui s’invite à grand bruit dans la rentrée littéraire, Pascal Manoukian fait réfléchir ses lecteurs autrement, avec beaucoup d’humanité.

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Aline et Christophe, un couple, une vie de famille bien rangée. Une fille qui prépare son bac avec l’espoir de continuer des études supérieures, un travail à l’usine textile et un mari qui a également un travail régulier, des parents dont on s’occupe, qui ont trimé toute leur vie et qui le mérite bien, et les copines, dans cette petite ville de l’Oise dans laquelle on a passé toute sa vie…

Un jour, une rumeur de déménagement et peut-être même de fermeture de leur usine se répand chez les ouvrières. Où, quand ? Puis un matin, les machines ont disparu, l’emploi afférant également. Les espoirs d’un futur serein se volatilisent en un clin d’œil, la situation est en équilibre instable. Avec la perte d’emploi, les crédits, les traites et les impôts à payer, les études des enfants, tout devient aléatoire.

Du jour au lendemain c’est la désescalade, tout s’effondre autour d’Aline et Christophe. C’est la fin de la sécurité et du confort, mais le couple décide de ne rien dire aux enfants, ni aux parents, ils ne méritent pas de se faire du soucis, on les aime, on les protège, et après tout on va bien y arriver. Puis, comme souvent dans ces cas-là, une catastrophe ne venant jamais seule, c’est à l’usine du mari que la grève est votée, plus d’heures sup pour rattraper le salaire perdu, même plus de travail pour survivre, être un couple normal intégré dans cette normalité qui disparait du jour au lendemain, sans qu’on y prenne garde, sans prévenir, sans précaution aucune…

Il y a bien sûr du conte social dans ce dernier roman de Pascal Manoukian, mais aussi du Karl Marx, de la pensée communiste et surtout humaniste. L’auteur y évoque avec  justesse la vie des ouvriers dans ces villes du nord de l’Oise. L’avalanche de délocalisations, quand les machines disparaissent en une nuit pour aller alimenter des usines à la main d’œuvre low cost qui font le bonheur des actionnaires, montrant une France à deux vitesses, qui part dans deux directions opposées, le bien des ouvriers d’un côté, le gain des actionnaires de l’autre… Dans ces villes sinistrées où le chômage touche une grande partie de ces populations qui n’avaient qu’un seul patron, l’usine locale, comme pour les Goodyear par exemple. Puis ce sont les grèves, les séquestrations de patrons, les dettes qui s’accumulent, la misère, les maisons vendues au plus offrant … et les enfants qui étudient, mais pourquoi si aucun espoir de vie meilleure ne vient éclaircir leur horizon ? Car tel semble bien être le paradoxe d’Anderson

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Du même auteur, on ne manquera pas de lire Les échoués, et l’avis de Nicole du blog Motspourmots.

Catalogue éditeur : Seuil

Plus rien n’est acquis. Plus rien ne protège. Pas même les diplômes.

À 17 ans, Léa ne s’en doute pas encore. À 42 ans, ses parents vont le découvrir. La famille habite dans le nord de l’Oise, où la crise malmène le monde ouvrier. Aline, la mère, travaille dans une fabrique de textile, Christophe, le père, dans une manufacture de bouteilles. Cette année-là, en septembre, coup de tonnerre, les deux usines qui les emploient délocalisent. Ironie du sort, leur fille se prépare à passer le bac, section « économique et social ». Pour protéger Léa et son petit frère, Aline et Christophe vont redoubler d’imagination et faire semblant de vivre comme avant, tout en révisant avec Léa ce qui a fait la grandeur du monde ouvrier et ce qui aujourd’hui le détruit. Comme le paradoxe d’Anderson, par exemple. « C’est quoi, le paradoxe d’Anderson ? » demande Aline. Léa hésite. « Quelque chose qui ne va pas te plaire », prévient-elle. Léon, dit Staline, le grand-père communiste, les avait pourtant alertés : « Les usines ne poussent qu’une fois et n’engraissent que ceux qui les possèdent.»

Photographe, journaliste, réalisateur, Pascal Manoukian a couvert un grand nombre de conflits. Ancien directeur de l’agence Capa, il se consacre à l’écriture. Il a notamment publié, aux éditions Don Quichotte, Le Diable au creux de la main (2013), Les Échoués (2015) et Ce que tient ta main droite t’appartient (2017).

Date de parution 16/08/2018 : 19.00 € TTC /304 pages : EAN 9782021402438

Quand Dieu boxait en amateur, Guy Boley

Le roman d’amour d’un fils pour son père forgeron, boxeur, artiste et comédien amateur

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J’avais découvert Guy Boley avec son premier roman Fils du feu, et particulièrement apprécié le style de cet auteur, unique et singulier, pour évoquer un homme, son père. J’avais aimé la puissance évocatrice de son écriture.

Avec Quand Dieu boxait en amateur, Guy Boley part à nouveau à la rencontre de son père. Mais d’un père séducteur, un père qui s’est construit dans une misère relative. René est orphelin, élevé par une mère peu éduquée et qui a peur des livres, il devient forgeron puisqu’il faut bien vivre, et boxeur, car ça fait du bien de se sortir la tête des livres ! Devenu père de famille il sera également un temps comédien amateur.

La famille vit quelque part au bord du Doubs, du côté de Besançon. L’ami Pierrot, l’ami d’enfance, appelé par Dieu, est entré dans les ordres. Revenu au pays il devient l’Abbé de ce Dieu en qui ne croit pas René, mais dont il va lui parler toute sa vie. A tel point que pendant des années René va tenir le rôle de Jésus à la fête paroissiale … Jusqu’au drame, déjà évoqué dans le premier roman, dense et destructeur, la mort d’un enfant, d’un petit, repris par un Dieu inhumain…

On entre avec ce roman comme dans un autre temps, pourtant les années 50 ne sont pas si loin. Mais ici c’est le monde de la forge et de la cure, du théâtre amateur et de Luis Mariano, le monde des ouvriers et des Abbés, des femmes qui viennent voir ce bel athlète qui incarne Jésus, toutes sans doute secrètement amoureuses du beau René. C’est nostalgique à souhait d’une époque révolue, parfois triste et souvent belle, celle de l’enfance insouciante, celle plus difficile de la famille désunie à la suite de la perte d’un enfant, une fois de trop et de la famille anéantie par un Dieu qui n’est ni bonté ni amour.
Ce sont les souvenirs d’un fils pour cet homme taiseux qui n’avoue jamais son amour, puis d’un homme affaibli, alcoolique, solitaire et abandonné y compris par ce fils qui pourtant le glorifie aujourd’hui par ses mots et son amour révélé.

C’est assurément un beau roman, même si je n’ai pas retrouvé l’enthousiasme que j’avais ressenti à la lecture de Fils du feu. Lors des rencontres de Manosque, Guy Boley expliquait qu’il souhaite écrire une trilogie. Espérons qu’il saura innover, se renouveler, et nous intéresser, le pari est lancé…

C’est un artiste mon père, il est né comme ça et il n’y est pour rien :
sensible, créateur, naïf, orgueilleux, entêté, innocent, fragile et responsable.

Quelques photos des rencontres avec l’auteur aux Correspondances de Manosque

Catalogue éditeur : Grasset

Dans une France rurale aujourd’hui oubliée, deux gamins passionnés par les lettres nouent, dans le secret des livres, une amitié solide. Le premier, orphelin de père, travaille comme forgeron depuis ses quatorze ans et vit avec une mère que la littérature effraie et qui, pour cette raison, le met tôt à la boxe. Il sera champion. Le second se tourne vers des écritures plus saintes et devient abbé de la paroisse. Mais jamais les deux anciens gamins ne se quittent. Aussi, lorsque l’abbé propose à son ami d’enfance d’interpréter le rôle de Jésus dans son adaptation de La Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ, celui-ci accepte pour sacrer, sur le ring du théâtre, leur fraternité.
Ce boxeur atypique et forgeron flamboyant était le père du narrateur. Après sa mort, ce dernier décide de prendre la plume pour lui rendre sa couronne de gloire, tressée de lettres et de phrases splendides, en lui écrivant le grand roman qu’il mérite. Un uppercut littéraire.

Parution : 29/08/2018 / Pages : 180 / Format : 135 x 207 mm / Prix : 17.00 € / EAN : 9782246818168