Les ombres blanches, Dominique Fortier

Comment les écrits d’Emily Dickinson sont arrivés jusqu’à nous

Emily Dickinson ombre blanche cloîtrée volontaire entre les quatre murs de sa chambre pendant de très longues années a écrit des centaines de lettres et autant sinon plus de poèmes posés en quelques mots, quelques lignes, sur une multitude de petits bouts de papier de toute sorte.

A son décès le 15 mai 1886, à Amherst, dans le Massachusetts, elle a demandé que toute sa correspondance soit brûlée, ainsi que tous ses papiers. C’est ce qu’a accepté de faire Lavinia, sa sœur, pour les lettres, nombreuses, les journaux intimes, mais le geste s’est fort heureusement arrêté là.

Pourquoi et par quel heureux hasard a-t-elle décidé de ne pas obéir à cette sœur singulière à qui elle n’avait jamais rien refusé ? Impossible de le savoir, mais pour notre plus grand bonheur elle a fini par réunir tous ces bouts de papier, chaque phrase, chaque mot, chaque respiration, chaque soupir d’Emily pour qu’ils soient retranscrits dans des livres.

C’est cette aventure incroyable que nous conte Dominique Fortier dans ce roman.

Pourquoi je l’ai aimé ? D’abord parce qu’il n’est ni une autofiction, ni une captation par un auteur de l’actualité, de l’air du temps, des catastrophes quotidiennes ou des malheurs du monde dont nous entendons parler déjà chaque jour aux informations.

J‘ai aimé cette singularité, cette originalité et surtout rencontrer Emily Dickinson, sa sœur, son frère, mais aussi Mabel, la maîtresse de celui-ci, sa nièce Millicent, les femmes de son entourage qui ont su comprendre l’importance de son œuvre et la faire parvenir jusqu’à nous. Si les premières retranscriptions ont été peu respectueuses des écrits d’Emily, modifiés, corrigés, en particulier pour les majuscules ou les tirets placés en apparence au hasard, la sténographie première de la poétesse lui a été restituée par la suite, offrant ainsi aux lecteurs une œuvre magistrale et unique.

Un roman qui sort du lot en cette rentrée littéraire, à la fois intimiste, poétique, délicat et  intelligent. Il m’a appris beaucoup de choses, et donné envie de relire les vers d’Emily Dickinson. L’autrice a su nous faire entrer dans l’intimité d’une famille affligée par la perte d’un être unique, mais aussi dans la tête d’Emily, de son entourage, nous faire entendre les difficultés d’être une femme poétesse à cette époque et l’accueil parfois dubitatif qui a été fait à sa façon d’écrire.

Catalogue éditeur : éditions Grasset

Emily Dickinson aurait pu ne jamais être pour nous qu’un nom étranger. Celui d’une femme, américaine, moins connue pour son talent littéraire que pour avoir passé la majeure partie de sa vie confinée chez elle. Puisqu’elle s’était toujours farouchement refusée à voir ses écrits publiés, rares sont ceux qui savaient, de son vivant (1830-1886), qu’Emily était aussi une formidable poète. Peu avant son décès, elle demande à sa sœur Lavinia de brûler tous ses papiers personnels. Mais lorsque cette dernière découvre dans sa chambre des centaines de poèmes renversant de beauté, griffonnés sur des morceaux d’enveloppes ou d’emballages, elle est à la fois sidérée et incapable de lui obéir. Jusqu’où la volonté des morts peut-elle changer l’existence des vivants  ? Lire la suite…

Parution : 11 Janvier 2023 / Pages : 256 / EAN : 9782246832553 prix 20.90€ / EAN numérique: 9782246832560 prix 14.99€

Venise toute, Benoît Casas

Aller à Venise et rêver d’y revenir

Cette ville est magique, portée au dessus des flots par des milliers de pieux de bois et de pierre, elle défie les siècles et les marées et séduit tous ceux qui s’y aventurent.

L’auteur nous raconte ses errances vénitiennes par petites touches, de courtes strophes de 4 lignes la plupart du temps, tout y est.
La pierre, la couleur, l’eau, les canaux, les églises, les places, les bâtiments anciens au charme intemporel, les ponts, les palais, les musées, les îles, les gondoles, les hommes et les femmes, tous ceux qui vivent visitent découvrent Venise. Mais aussi odeurs, saveurs, parfums.

J’ai aimé cette balade pour le moins singulière ayant pour fil conducteur un abécédaire capricieux mais suffisant pour tout dire et donner envie de revenir poser les pieds, la main, le regard dans la ville aux mille canaux.

A lire et à relire, avant d’aller à Venise ou lorsqu’on en revient, car avouons le, Venise toute m’a férocement donné envie d’y revenir.
J’ai aimé le regard porté par l’auteur sur la ville, j’ai eu l’impression de découvrir les petits mots qu’il aurait glissé dans ses poches au détour d’un canal, d’un bâtiment, d’une île, pour ne pas oublier la beauté de ce qu’il voyait. Et j’ai aimé qu’il nous entraîne ainsi dans son intimité voyageuse.

Catalogue éditeur : arléa

Venise est un défi, un labyrinthe, un archipel, une énigme. Regarder une ville au travers d’un kaléidoscope : voilà, sous forme d’abécédaire, le jeu subtil et malicieux auquel se livre Benoît Casas.
Mille éclats, mille facettes, parcours, saisons, cou­leurs, pensées : on y rencontre Venise. Et tous ceux qui l’ont un jour aimée.

Collection : La rencontre / mai 2022 / 120 pages – 16 € / ISBN : 9782363083036

Les sacrifiés, Sylvie Le Bihan

L’Espagne, ses toreros, ses danseuses, ses poètes, magistral, captivant

En 1925, Juan Ortega, gitan de Séville, quitte son Andalousie natale à l’âge de quinze ans. Mis ce n’est pas pour suivre la tradition de cette famille d’éleveurs de Miura, ces célèbres taureaux de combat, famille dans laquelle on compte déjà de fameux toréadors. Car Juan aime cuisiner, et son père, lui-même poseur de banderilles, le destine aux cuisines du grand Ignacio Sánchez Meijías.

Le célèbre toréador possède une hacienda où vivent sa femme Lola et ses enfants. Là, dans un univers de femmes, Juan s’épanouit à réaliser chaque jour une cuisine inventive. Mais rapidement, Ignacio l’emmène avec lui à Madrid, dans l’appartement qu’il partage avec La Argentinita, Encarnación López Júlvez, sa danseuse, sa maîtresse, sa muse, et avec Carmen, la sœur de celle-ci.

À partir de là, sa vie prend un tout autre chemin. Tombé fou amoureux d’Encarnación au premier regard, il n’a d’yeux que pour la belle qu’il va suivre jusqu’au bout, fidèle à la promesse faite à tous ceux qui l’ont aimée autant que lui. Sans jamais voir ni comprendre que Carmen est quant à elle follement éprise de lui.

Ignacio abandonne l’habit de lumière et les risques liés au métier. Il faut dire que son beau-frère et parrain de corrida n’est autre que Joselito, le célèbre matador tué lui aussi dans l’arène. Ayant des velléités de devenir poète, il fréquente les intellectuels et les artistes de son temps. C’est ainsi que Juan rencontre le grand Federico Garcia Lorca, Salvador Dali, Pablo Picasso, et tant d’autres.

Mais si les discussions et les soirées madrilènes de la belle Encarnación et d’Ignacio sont tournées vers l’art et la vie intellectuelle, la situation politique les rattrape vite. En ces années 30, la guerre civile, entre les nationalistes de Franco et les républicains s’invite dans les foyers et transforme la société. Il faut alors fuir la capitale pour la province. Puis ce sera New-York, Mexico, la France.

J’ai aimé follement cette fresque historique qui fait revivre des grands noms plus ou moins oubliés de l’Histoire d’Espagne. Poètes, artistes, peintres, toreros au panache, à l’amour et au respect du taureau souvent incompris des non aficionados, mais aussi communauté gitane, coutumes et croyances de ces communautés et de la province, sont ici évoqués avec maestria par Sylvie le Bihan. Personnages historiques devenus personnages de roman, si proches et terriblement actuels et humains pour notre plus grand bonheur de lecteur.

Portés par le souffle de l’Histoire, confrontés à une guerre fratricide et à l’exil, ses héros connaissent les affres de l’amour, de la trahison, les douleurs des départs, du deuil, de la mort. Héros malgré lui, Juan a tout de l’homme amoureux incompris, solitaire, confronté à la tragédie, soucieux de tenir les promesses faites à ceux qui l’ont protégé, il balance entre envie et résignation. De 1925 aux années 2000, c’est un bonheur de le suivre pour sentir souffler le vent de l’Histoire de ce pays que j’aime tant. L’écriture est fluide, précise, rythmée, accessible à tous, y compris si vous ne connaissez pas l’Espagne et son histoire récente. Une fresque magistrale, cette belle et triste histoire d’amour est une grande réussite de cette rentrée littéraire.

Catalogue éditeur : Denoël

À l’âge de quinze ans, alors que la famine sévit dans son Andalousie natale, Juan Ortega quitte sa famille pour devenir le cuisinier d’Ignacio, un célèbre torero. Dans son sillage, à Madrid, New York et Paris, Juan se laisse happer par l’effervescence des années folles. Il croise la route du poète solaire Federico García Lorca et se consume d’amour pour Encarnación, danseuse de flamenco, muse de toute une génération d’artistes et amante d’Ignacio. Mais déjà la guerre gronde et apporte son cortège de tragédies.
Hommage passionné à une Espagne légendaire, Les Sacrifiés est un roman d’apprentissage chatoyant qui dépeint la fabrique d’un héros et le prix de la gloire.

384 pages, 140 x 205 mm / ISBN : 9782207166277 / Parution : 24-08-2022 / 20,00 €

Aux amours, Loïc Demey

à bien y réfléchir, les rêveries ne vont pas à la ligne, d’une pensée dépend une autre pensée, une action laisse la place à la prochaine

De la même façon, les pensées du narrateur naviguent vers elle, ou elles, cette femme, cette autre, toutes ces femmes qu’il attend, qu’il espère, qu’il invente, se crée, s’imagine, découvre, comprend, écoute, aime, sent, touche, caresse, toutes celles qui sont, seront, ont été, celle qui enfin, peut-être, sans doute, le comprendra, l’aimera, l’espère à son tour, belle, insignifiante, quelconque, gracieuse, jolie, grande, petite, sublime, qu’importe pourvu que ce soit elle.

Quel étonnant roman, poème, livre, qui se lit sans point ni virgule, sans respiration ni ponctuation, qui se vit, se respire, s’essouffle, s’espère ou se désespère, qui dit, qui rêve, qui cherche, qui découvre, qui attend.

Espoir, espérance, point de suspension et d’interrogation…

Un roman de la sélection 2022 des 68 premières fois

Catalogue éditeur : Buchet-Chastel

.. demain vos paroles, votre visage et votre silhouette se seront effacés alors je vous inventerai encore, je vous chercherai encore, je vous attendrai ailleurs et nous nous retrouverons comme si jamais nous ne nous étions quittés, vous serez une autre déambulant dans une nouvelle histoire, la même mais au coeur d’une scène différente que je façonne, inlassablement, jusqu’à ce que vous consentiez à m’apparaître…

Un homme attend une femme qui ne vient pas. Il se lance à sa poursuite en empruntant le chemin des rêveries.

Date de parution : 11/03/2021 / Prix : 12,00 € / Format : 112p. / ISBN : 978-2-283-03461-3

Tous tes amis sont là, Alain Dulot

Paul Verlaine, les derniers jours d’un poète maudit

En titre, la célèbre phrase d’Eugénie Krantz aux obsèques de Paul Verlaine (né à Metz en Moselle le 30 mars 1844 et mort à Paris le 8 janvier 1896), ces six mots pour l’histoire, nous montre clairement le sujet du roman d’Alain Dulot. C’est une période très particulière que l’auteur a choisi de nous raconter à travers les obsèques, la vie et la mort d’un poète incontournable de la littérature française.

Celui qui a découvert le jeune Rimbaud, qui a largement préféré son verre d’absinthe à toute vie rangée, qui a tout demandé à sa mère, la seule qui le suivra jusqu’au bout de ses folies sans jamais l’abandonner. Il est d’ailleurs très souvent dur, et même violent avec cette mère avec qui il entretient une relation difficile jusqu’à sa mort.

Verlaine est l’homme d’un mariage raté. Il épouse en 1870 Mathilde Mauté, de cette union naîtra Georges, un fils qu’il connaît peu.

Lorsqu’il rencontre Arthur Rimbaud en septembre 1871, il aime d’amour à la fois la jeunesse, la poésie et l’homme qui se dévoilent à lui. La relation amoureuse causera la fin de son mariage, une relation scandaleuse et violente. Ils partiront en Belgique, mais d’un coup de revolver, Verlaine blesse Arthur Rimbaud, son époux infernal au poignet. Il sera jugé puis condamné à passer deux années en prison. Dans la solitude de sa cellule, il écrit des poèmes et va renouer avec la religion catholique qu’il avait largement mis de côté.

Après leur séparation, il rencontre le jeune Lucien Letinois, et voit en lui le fils qu’il n’a pas su élever, l’ami de cœur sans doute aussi. Ils seront d’abord enseignants en Angleterre, puis agriculteurs dans la ferme achetée avec l’argent de sa mère. Mais l’affaire périclite bientôt et ils rentrent à Paris. Lucien décède, Verlaine lui consacre de nombreux poèmes.

Malgré tout son talent, malgré les amis poètes, les subsides versées par l’état ou par ceux qui le soutiennent encore, le génial prince des poètes qui est aussi un homme alcoolique et violent décède d’une pneumonie aux côtés d’Eugénie Krantz le 8 janvier 1896, à 51 ans. Il est inhumé au cimetière des Batignolles. Je dois avouer que l’auteur m’a donné envie d’aller voir sa tombe.

Ce que j’ai aimé ?

Difficile de parler du poète, de son œuvre et en même temps de sa vie. J’ai aimé le parti pris d’Alain Duflot et cette façon iconoclaste qu’il a de faire revivre le poète au seuil de sa mort, de dire la vérité sur les amours, les écarts, la violence, l’alcoolisme, la relation à la mère et aux femmes en général. C’est à la fois respectueux du talent de l’artiste, et factuel et sincère quand il évoque les écarts, mais aussi les amis qui l’ont toujours accompagné, soutenu, aidé, tout au long de cette vie pour le moins dissolue. Le lecteur découvre à travers ces lignes quelque moments emblématiques de la vie de Paul Verlaine. Et de constater que les grandes funérailles nationales des artiste qui marquent les français ne sont pas uniquement des manifestations récentes, pour preuve, celle-ci ou celle de Victor Hugo. On se souviendra à cette occasion du crayon posé sur le cercueil de Jean d’Ormesson par le président et de la phrase qui accompagne le geste.

Catalogue éditeur : La Table Ronde

Le 8 janvier 1896, au 39 de la rue Descartes, Paul Verlaine s’éteint, à l’âge de cinquante et un ans. Le 10 janvier au matin, la foule est dense dans le quartier Mouffetard : proches et curieux, rosettes de la Légion d’honneur et guenilles trouées, vieilles barbes et jeunes moustaches, gens de peu et hauts de forme s’écartent pour laisser passer le corbillard. Alain Dulot se joint au cortège pour suivre la dépouille jusqu’au cimetière des Batignolles en s’adressant au prince des poètes. Il évoque sa mère Élisa, ses amis, la société littéraire qui l’entoure, ses amours tumultueuses – avec Mathilde Mauté, Arthur Rimbaud, Philomène Boudin et Eugénie Krantz – teintées de sa faiblesse pour l’absinthe. Et sa passion sans faille pour la poésie, des tavernes à l’hospice, de la prison aux cabarets, jusque sur son lit de mort.

Paru le 13/01/2022 / 176 pages – 140 x 205 mm / ISBN : 9791037109989 / 16,00€

Mahmoud ou la montée des eaux, Antoine Wauters

La beauté d’un long poème pour dire l’absence et la douleur sur les bords du lac el-Assad

Aujourd’hui Mahmoud le poète flotte entre deux eaux, entre deux mondes, entre la réalité sinistre et violente de la Syrie de Bachar El Assad, et le monde sous-marin de son enfance, dans le village englouti par le barrage de Tabqa construit en 1973 au bord de l’Euphrate par Hafez El Assad.

Sur sa barque bleue qu’il emprunte sans relâche, il plonge inlassablement dans les eaux noires armé de sa seule lampe, pour retrouver tout ce qui s’est perdu dans les profondeurs, la maison de ses parents, le café Farah, l’école des années heureuses. Leila, son premier amour, puis la rencontre avec Sarah, l’écriture des poèmes et leur amour commun de la poésie et des mots, leur vie de couple puis de parents comblés avec deux garçons, Salim et Brahim et une fille Nazafé, le départ et la disparition de ces derniers, les années de prison, la guerre, la solitude et l’oubli.

A ces souvenirs viennent parfois s’intercaler ceux de Sarah, l’épouse tant aimée, celle qui a disparu sous les coups de l’armée de Bachar. L’ancien étudiant londonien devenu le dirigeant de la Syrie au décès de son père, et qui s’est installé dans un pouvoir coercitif et violent.

Le long poème de Mahmoud est aussi un plaidoyer pour une Syrie heureuse loin de Daesh et des armées du pouvoir en place, prétexte à rappeler au lecteur l’histoire souvent oubliée du pays depuis les années 70.

Un roman qui se lit d’une traite et nous plonge dans les eaux noires du lac el-Assad. Porteur d’espoir malgré la grande mélancolie et les souvenirs douloureux que l’on ressent au plus intime, un poème écrit avec une grande tendresse, comme pour marquer la nostalgie et la pudeur qu’il y a à se remémorer les moments heureux disparus à jamais. Le pouvoir des mots pour faire entendre le mal, la douleur, la violence subie, pour croire en l’homme malgré tout.

Catalogue éditeur : Verdier

Syrie. Un vieil homme rame à bord d’une barque, seul au milieu d’une immense étendue d’eau. En dessous de lui, sa maison d’enfance, engloutie par le lac el-Assad, né de la construction du barrage de Tabqa, en 1973.
Fermant les yeux sur la guerre qui gronde, muni d’un masque et d’un tuba, il plonge – et c’est sa vie entière qu’il revoit, ses enfants au temps où ils n’étaient pas encore partis se battre, Sarah, sa femme folle amoureuse de poésie, la prison, son premier amour, sa soif de liberté. 

Cet ouvrage a reçu le prix Wepler – Fondation La Poste, le prix Marguerite-Duras, le prix des lecteurs de la Librairie Nouvelle à Voiron et le prix de la Librairie Nouvelle d’Orléans.

144 pages / 15,20 € / Epub : 10,99 € / 978-2-37856-112-3 / août 2021

La dixième muse, Alexandra Koszelyk

Au seuil de deux univers parallèles, entrer dans la vie de Guillaume Apollinaire

S’égarer dans les allées du Père-Lachaise, quel parisien ou même touriste ne l’a pas déjà fait ? Comme tous les cimetières de la capitale il recèle des trésors pour les esprits féconds. Tous les artistes qui reposent là pour l’éternité peuvent nourrir notre imaginaire.

Florent y vient un jour de pluie seconder son ami Philippe et surtout fuir la mélancolie qui l’habite. Il tombe par hasard sur la tombe de Guillaume Apollinaire de Kostrowitzky. Le poète qui a combattu pendant la première guerre mondiale est décédé le 9 novembre 1918 de la grippe espagnole. Rien de bien glorieux aux yeux de sa mère, une femme extravagante qui n’a pas vraiment su élever ses garçons, mais il laisse un grand vide et une véritable tristesse pour ses amis, en particulier pour Pablo Picasso.

A peine rentrée chez lui, Florent se penche avec avidité sur les poèmes, textes, calligraphies du poète qu’il avait un peu oublié depuis ses années de scolarité. Et peu à peu, cela devenient une obsession, il veut le suivre, le comprendre, le connaître. Une empathie, une curiosité, une boulimie l’habitent. Il veut savoir où il est allé, qui il a côtoyé, qui il a aimé, comment il a vécu. Comment peut-il revenir à la vie, à sa Louise, à son travail, à un monde bien plus terre à terre.

Florent vit désormais dans les pas d’Apollinaire. Il rencontre et aime ce et ceux qu’il aimait, au risque de s’y perdre. Un dédoublement de vie qui lui fait rencontrer les nombreuses muses et femmes de la vie du poète. De Marie Laurencin à Lou, de Annie Playden à Madeleine Pagès, elles ont compté, elles ont aimé et quitté cet amoureux enfin assagit par son trop bref mariage avec la flamboyante Ruby. Wilhelm Kostrowitzky devenu Apo le prophète, le poète, si proche de la nature, des arbres, du vent, ne fait qu’un avec les saisons, sera porté toute sa vie par l’amour et la passion. Protégé par dame nature comme il aimait le clamer, il échappe à la mort dans les tranchées mais pas au virus espagnol qui a décimé une grande partie de la population de l’époque. Au grès des rêveries de Florent on rencontre entre autre Cendras, Pablo Picasso, et les amis qui l’ont accompagné jusqu’au bout lorsque la grippe l’a emporté.

J’ai aimé ce roman qui nous entraîne dans les pas d’Apollinaire et dans les rêves et la folie de Florent. C’est le roman de deux époques qui se rencontrent, pour lequel il faut se laisser aller et consentir à passer par des hallucinations et des rêves éveillés. Si vous l’acceptez, alors c’est gagné, la rencontre et la magie opèrent. Enfin, en écoutant les mots de Gaïa la dixième muse, un élément hautement symbolique de cette mère nature qui nous porte, nous élève, nous nourrit, comment ne pas avoir envie de prendre soin de la terre que l’on maltraite pourtant chaque jour depuis si longtemps.

À la fois ode à la poésie, manifeste écologique et envolée vers des mondes parallèles, Alexandra Koszelyk démontre ici son talent à se renouveler et nous étonner avec cet univers totalement différent de à crier dans les ruines. C’est magique, onirique et poétique. L’amour est omniprésent, un amour compliqué qui fait parfois autant de bien que de mal.

Pour aller plus loin : Si vous souhaitez partir à la rencontre de Guillaume Apollinaire, ne manquez pas de découvrir le roman APO, et Le Paris d’Apollinaire tous deux écrits par Franck Balandier, un auteur que j’appréciais particulièrement, et qui vient de nous quitter.

Catalogue éditeur : Aux forges de Vulcain

Au cimetière du Père-Lachaise, des racines ont engorgé les canalisations. Alors qu’il assiste aux travaux, Florent s’égare dans les allées silencieuses et découvre la tombe de Guillaume Apollinaire. En guise de souvenir, le jeune homme rapporte chez lui un mystérieux morceau de bois. Naît alors dans son cœur une passion dévorante pour le poète de la modernité. Entre rêveries, égarements et hallucinations vont défiler les muses du poète et les souvenirs d’une divinité oubliée : Florent doit-il accepter sa folie, ou croire en l’inconcevable ? Dans cet hommage à la poésie et à la nature, Alexandra Koszelyk nous entraîne dans une fable écologique, un conte gothique, une histoire d’amours. Et nous pose cette question : que reste-il de magique dans notre monde ?

Alexandra Koszelyk est née en 1976. Elle enseigne, en collège, le français, le latin et le grec ancien.
280 pages / Format : 14 x 20,5 cm / ISBN : 9782373051001 / Date de parution : 15 Janvier 2021 / 20.00 €

Azur noir, Alain Blottière

D’une époque à l’autre, revivre la passion de Verlaine pour Arthur Rimbaud à travers le regard de Léo

En cet été caniculaire Léo, dix-sept ans, a décidé de passer ses vacances au 14 de la rue Nicolet à Paris, dans le nouvel appartement où il vient d’aménager avec sa mère. Celle-ci est partie en Finlande sans lui.

Resté seul, il a de plus en plus de crises pendant lesquelles il perd la vue par intermittence, pour des durées plus ou moins longues. Pourtant il « voit » vivre près de lui Verlaine et Rimbaud, les poètes qui se sont rencontrés dans cet appartement de Montmartre 150 ans plus tôt. Adolescent fragile au regard aussi clair qu’Arthur Rimbaud, Léo nous fait revivre par ses visions les heures intenses de la rencontre des deux poètes.

L’Absinthe coule à flot dans les cafés où les poètes déclament leurs vers et se retrouvent. Rimbaud y fait la connaissance des écrivains et poètes de son époque, mais il faut bien reconnaître que les seuls noms parvenus jusqu’à nous sont bien ceux de Verlaine et Rimbaud, que Léo voit évoluer dans le Paris de 1871. A chaque coin de rue autant que dans sa chambre, Léo vit avec eux les moments forts de leur rencontre, de leur amour, de leur passion pour la poésie et de leur créativité inégalement reconnue.

Paul Verlaine, le plus âgé, est déjà marié. Il comprend immédiatement que ce jeune poète d’à peine dix-sept ans qui arrive tout juste de Charleville est pétri de talent. Malgré leur écart d’âge et leur différence sociale, la fusion des deux hommes est aussi immédiate que leur difficulté à vivre ensemble. Mais cette vie hors de toutes convenances ne plait pas à tous, en particulier à Mathilde, la femme de Verlaine et à sa belle-famille.

Alain Blottière sait se couler dans la vie de Léo, adolescent fragile d’aujourd’hui aussi bien que dans celles des poètes maudits. La fragilité de l’adolescence, cette période de la vie si compliquée est ici très bien appréhendée à travers le mal de vivre d’Arthur et de Léo, chacun à son époque. L’alternance entre la réalité de cet été caniculaire hors du temps, et ces rencontres aussi réelles que fantasmées avec les hommes du passé se fait de façon tout à fait fluide, comme une évidence qui à aucun moment ne perd le lecteur. Le parallèle est parfait entre Léo et Arthur, la similitude de leur mal être, l’attrait pour la poésie et l’amour de l’écriture, chacun faisant fi des conventions avec une facilité déconcertante.

Vous aimez Paris en été, la poésie de Verlaine et la folie d’Arthur Rimbaud ? Lisez donc Azur noir, ce roman sensible et poétique est pour vous.

Catalogue éditeur : Gallimard

«Il vit Rimbaud retirer sa veste et la tenir à l’épaule, prendre la rue de Strasbourg puis s’engager dans le boulevard de Magenta vers le nord. Cette fois, il lui semblait certainement que Paris déjà lui appartenait et qu’il n’allait plus jamais en repartir. Verlaine avait été empêché, devait-il penser, et l’attendait chez lui. Il lui avait donné son adresse, rue Nicolet, à Montmartre, tout près de la gare.»
Léo vient d’emménager avec sa mère à Montmartre, à l’endroit même où Verlaine et Rimbaud se sont rencontrés et aimés cent cinquante ans plus tôt. Durant un été caniculaire de «fin du monde», alors qu’il croit devenir aveugle, le garçon voit renaître le Paris des deux poètes et en fait son ultime refuge.

160 pages, 140 x 205 mm  / ISBN : 9782072879333 / Parution : 09-01-2020

Voix sans issue, Marlène Tissot

Des Voix bouleversantes et poétiques pour dire la souffrance et l’amour, un roman fort en émotion

Mary entend des voix qui lui parlent sans cesse, pas seulement celle de son doudou quand elle était petite, mais de nombreuses autres qui lui disent ce qui est bien ou mal. Il faut dire que Mary, on le comprend vite, a appris le silence lorsque son père venait lui dire bonne nuit, soir après soir, sa main sur sa bouche pour qu’elle se taise pendant qu’il cherchait tout au fond d’elle. Pendant que sa mère restait assise devant la télé pour ne rien voir, ne rien entendre. Mary a fui ce couple toxique. Aujourd’hui, coiffeuse dans une petite ville, fragile encore, elle essaie de se reconstruire. Mary la lumineuse, légère et tourbillonnante, entre folie et résignation, entre envie de vivre et désespoir, joyeuse parfois, aussi sereine qu’inquiète à d’autres moments.

Franck est grand, athlétique, ni beau ni laid, gardien de nuit au cimetière. Il est un peu désespéré de voir que personne, pas même la caissière, ne lui sourit jamais. Franck heureux lorsque le vieux Joseph lui allume le chauffage dans le réduit où il va passer la nuit. Heureux qu’on ait pour lui des attentions, lui qui n’a jamais connu l’amour d’une mère ni celui d’un père. Car de père il n’en a pas, en tout cas sa mère ne lui en a rien dit. Et de sa mère, si douce et aimable en dehors du foyer, combien de coups a-t-il reçu, combien de mots, de violence, combien de douleurs impossibles à oublier et qui vous détruisent à jamais.

Jusqu’au soir où, sans savoir comment, Mary téléphone à Franck pour qu’il l’aide… Une rencontre entre deux écorchés de la vie pour un nouveau départ ?

Un roman pour dire la douleur et la violence, pour dire le silence des mères, leur fuite devant les responsabilités, leur violence aussi. Pour dire la souffrance face à un père pédophile incestueux ; pour dire la fuite, la reconstruction maladroite, le courage d’affronter sa vie en quittant les siens, seul face à ces voix qui vous hantent, face à ses souvenirs, à sa détresse, mais armé de courage pour avancer, craintif, maladroit, méfiant, plein d’espoir pourtant.

Le roman sensible et délicat alterne les points de vue des deux personnages, leur désespérance, leurs interrogations, leur courage pour affronter ces tourments intérieurs qui les détruisent depuis tant d’années. Terriblement émouvant, fort, au langage direct et très poétique, presque solaire, grâce au sourire de Mary, à l’espoir qui se dessine, à leur volonté d’avancer et de sortir de cette nuit profonde.

Catalogue éditeur : Au Diable Vauvert

“Je n’ai jamais su dire non. Si j’avais été une planche posée sur la mer et qu’on m’avait interdit de flotter, je me serais transformée en caillou pour être capable de couler. Je me suis peut-être noyée au fond de moi.”

Marlène Tissot vit à Valence. Elle a publié poésie, textes cours et nouvelles radiophoniques et a été primée par France Culture en 2019. Voix sans issue est son deuxième roman.

Format : 130 X 198 / Date de parution : 2020-03-19 / Nombres de pages : 272 / EAN-ISBN : 979-10-307-0347-4 / Existe en format numérique

Élévation, Charles Baudelaire

Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par-delà le soleil, par-delà les éthers,
Par-delà les confins des sphères étoilées,

Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l’onde,
Tu sillonnes gaiement l’immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides ;
Va te purifier dans l’air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l’existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d’une aile vigoureuse
S’élancer vers les champs lumineux et sereins ;

Celui dont les pensers, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
– Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes !

Les Fleurs du mal

Elévation est le troisième poème de la section « Spleen et Idéal » dans Les Fleurs du Mal de Charles Baudelaire

Après L’Albatros, qui évoque la chute du poète, Élévation est le poème inverse, celui qui permet de se libérer par la poésie et le rêve.
Idéal en période de confinement…