Rentrée Littéraire 2019, Zulma

Merci aux éditions Zulma et à toute l’équipe qui travaille avec Laure Leroy pour cette présentation de la rentrée littéraire 2019…

🌞📚La canicule n’avait pas fait reculer blogueurs et blogueuses qui étaient là pour écouter les auteurs parler de leurs romans à paraître fin août et pour échanger avec eux.

🌞📚Chaque auteur, ou presque car nous ne parlons pas encore chinois, a ensuite lu un extrait de son roman, y compris quelques lignes en islandais, puis en chinois, de quoi nous mettre vraiment l’eau à la bouche 📖

📙 Hubert Haddad a présenté « Un monstre et un chaos ». Dans le ghetto de Lodz, Alter, un gamin de 12 ans qui refuse d emporter l’étoile est ? face à Chaïm Rumkowski.
L’âme yiddish dans un chant de résistance hors du commun. En librairie le 22 août.

📗 Zhang Yeuran a présenté son premier roman traduit en français « Le clou » dont elle aurait préféré avoir pour titre « cocoon » comme dans la version originale.
Deux amis, un homme et un femme se retrouvent après des années de séparation. Tous deux se remémorent la vie de leurs aïeux pendant la révolution culturelle dans un roman très contemporain. En librairie le 22 août.

📘 Audur Ava Olafsdottir à présenté son dernier roman « Miss Islande ». En 1963, Une jeune femme rêve de devenir auteur., quand tout le monde lui conseille plutôt de se présenter au concours de Miss Islande… Il n’est pas facile de faire partie des minorités et de ne pas rentrer dans ces cases toutes faites auxquelles on voudrait vous voir correspondre, et ce qu’importe où et quand ! En librairie le 5 septembre.

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Merci à toute votre belle équipe pour ces moments partagés… Et pour la rencontre avec les blogueuses et blogueurs.

La fin de la solitude, Benedict Wells

Lire « La fin de la solitude » de Benedict Wells, c’est aller à la rencontre d’un auteur de talent qui donne immédiatement envie de découvrir tous ses romans !

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Découvrir ce jeune auteur trentenaire et réaliser qu’il a déjà publié cinq romans ! Être bluffée par la qualité et l’intelligence de l’écriture (merci au traducteur bien sûr !) et par la maturité des sentiments, des personnalités de ses personnages, par la finesse et la justesse de sa fiction qui n’a rien mais absolument rien de l’auto fiction pour une fois !

Jules est le plus jeune d’une fratrie de trois enfants, Marty est l’ainé, Liz leur sœur. Ils évoluent dans une famille heureuse et relativement aisée, père français, mère allemande, ils vivent à Berlin. Ce sont des parents droits, optimistes, bon parents qui donnent une belle éducation à leurs enfants… l’avenir des enfants est donc presque tracé, ils ont tout pour être heureux comme on dit.
Mais survient un terrible accident de voiture et la mort brutale des parents. C’est la vente de la maison, les années d’internat et la séparation de la fratrie dans cette école qui n’a rien à voir avec ce qu’avaient espéré les enfants quand la famille heureuse était réunie et imaginait l’avenir.

Jules était un enfant plutôt avenant, intelligent, prometteur. Il va devenir un enfant solitaire et méfiant. Par peur d’affronter cet univers austère et inhospitalier, il va se renfermer, se replier sur lui-même.

Liz, jeune fille encore enfant, proche de sa mère et de ses poupées, est perdue quand elle est lâchée seule dans ce monde austère et dur des adultes. Les garçons, les fêtes, la drogue, elle tentera tout, jusqu’à la fuite…

Marty quant à lui, avec son imperméable et ses cheveux.. au look grunge prendra également un tout autre chemin que celui dont il avait rêvé.

Nous les suivons tous les trois au fil des ans, séparations, études, travail, échecs, succès, fiançailles ou mariages, relation heureuses, retrouvailles, décès, une vie, des vies…

Le roman est porté par une structure intelligente et fine, car de cinq ans en cinq ans, nous allons suivre les protagonistes de cette histoire racontée par Jules. Cet espace-temps va permettre à l’auteur de planter des pistes qui donnent au lecteur les clés pour comprendre les différents  personnages, mais aussi pour combler les vides en fonction de son propre vécu !

Ce que j’ai aimé ?

La question posée implicitement sur que fait-on de sa vie, et que serait-elle si un des points de départ avait été différent. La mort des parents, que l’on soit jeune ou moins jeune, qu’est-ce que ça change, qu’est-ce que ça implique dans nos caractères, culpabilité, remords, absence, chagrin ?
Et pourquoi la solitude et le silence des frères et sœur, le manque de communication, leur façon personnelle d’affronter le deuil n’est pas toujours compris par les autres membres de la fratrie.
Amours et amitiés de l’enfance, jusqu’où nous mènent-elles, est-ce important ou pas dans une vie…
Enfin, comprendre l’importance des clés, des bases données dans la vie par une éducation qui permet à chacun de comprendre, d’affronter son avenir et d’enjamber les obstacles de sa vie avec les armes plantées dès le plus jeune âge en chacun de nous.

La question est : qu’est-ce que ne serait pas différent ? Qu’est-ce qui serait invariable chez toi ? Qu’est-ce qui resterait identique dans n’importe quelle vie, quel que soit son déroulement ? Est-ce qu’il y a des choses en nous qui résistent à tout ?

Roman lu aussi dans le cadre de ma participation au jury des lecteurs du Livre de Poche 2019

Photos de la rencontre avec l’auteur à Paris en septembre.


Catalogue éditeur : Le livre de Poche, Slatkine et Cie

Traduit de l’allemand par Juliette Aubert.

« Je suis entré dans le jardin et j’ai fait un signe de tête à mon frère. J’ai pensé : une enfance difficile est comme un ennemi invisible. On ne sait jamais quand il se retournera contre vous. »
Liz, Marty et Jules sont inséparables. Jusqu’au jour où ils perdent leurs parents dans un tragique accident de voiture dans le sud de la France. Placés dans le même pensionnat, ils deviennent vite des étrangers les uns pour les autres, s’enfermant chacun dans une forme de solitude. Jules est le plus solitaire des trois lorsqu’il rencontre Alva, qui devient sa seule amie. Son obsession. Vingt ans plus tard, Jules se réveille d’un coma de quelques jours. À la lisière de l’inconscient, il se souvient.

Benedict Wells a su, sans cruauté ni sensiblerie, décrire la faiblesse humaine, l’échec ou le vieillissement. Nicolas Weill, Le Monde.
Ce roman n’a qu’une ambition : raconter des destins tourmentés par le deuil et l’espérance de la communion amoureuse. Gilles Heuré, Télérama.

Prix de littérature de l’Union européenne. Prix littéraire des lycéens de l’Euregio.
352 pages / Date de parution : 22/08/2018 / EAN : 9782253074243

Rencontre avec Emelie Schepp auteur de « Marquée à vie » de passage à Paris

« Marquée à vie », le roman d’Emelie Schepp est édité par Harper Colins France. Retour sur la rencontre avec l’auteur fin mars.

Emelie a répondu à quelques questions…

Comment vient-on à l’écriture ?
Emelie Schepp était chargée de projet marketing pub pendant 10 ans, à cette époque  elle a rédigé de nombreux articles qui lui ont donné envie d’écrire de vrais textes. Alors qu’elle se posait la question de savoir comment commencer, elle a pris des cours pour créer des scénarios.
Là, elle a appris à composer des dialogues, développer des personnages, constituer l’environnement pour mettre en relief une histoire. Très inspirée par le cours, elle a écrit deux scénarios de films, les a envoyés à des éditeurs, mais aucune réponse. Lorsqu’elle a entendu un grand producteur dire que c’est cher en Suède de financer des films, elle s’est dit que si c’est cher pour lui, pour quelqu’un de pas connu, n’en parlons pas !
Plutôt écrire un livre alors ! On peut y mettre le nombre de scènes qu’on veut et faire tout ce qu’on veut. Comme elle exerçait toujours son métier, il était nécessaire de trouver du temps pour écrire. Elle se levait chaque jour à 4h30 pour écrire, puis partait au travail. Ensuite elle a écrit le soir, au lieu de regarder ces séries qu’elle affectionne et qu’elle regarde avec son mari, et enfin, il vaut mieux éteindre la télé, les réseaux sociaux, le téléphone, pour avoir un peu plus de temps !

Et pour l’édition ?
Au bout de 6 mois, la voilà avec un premier jet et l’idée de chercher un éditeur. En général en Suède il faut au moins 3 mois pour une réponse, quant au bout de deux mois elle reçoit une enveloppe, c’est la fête !  Mais … en fait c’était un refus. Pensant que c’est beaucoup trop dur d’être publiée, de toujours être dans l’attente d’une réponse, elle opte pour l’auto-publication.  Une couverture souple, un bon manuscrit et c’est parti. En 6 mois, elle vend 40 000 exemplaires ! C’est un record en Suède en 2013.  Depuis le livre est édité dans 29 pays et a déjà été vendu à un million d’exemplaires. Elle est élue “Best Crime author of the year” !

Elle se dit très justement que vu le nombre d’auteurs qui ont abandonné car ils n’avaient pas été acceptés par les maisons d’éditions, il existe peut-être des pépites inconnues dans quelques tiroirs !
« La Suède et un pays magique mais les gens sont bizarres », elle n’avait pas forcément envie d’écrire sur son pays, mais plutôt un livre qui donne aussi une vision du monde. Enfin, il existe de nombreuses formes de crimes, sanglants, horribles, ou cachés,  psychologiques, il y a du public et de la place pour tous.

Sa relation avec le public, le milieu de l’édition, de la diffusion ?
Aujourd’hui pour un auteur il faut absolument être sur tous les réseaux sociaux, Instagram, twitter, Facebook, etc. Une présence multiple est indispensable pour avoir le contact avec les lecteurs, mais aussi avec les vendeurs, les sites web, les diffuseurs et les revendeurs, il faut les rencontrer, leur montrer le livre, la couverture, leur dire comment elle souhaite qu’il soit positionné dans les rayons. Et malgré les réseaux sociaux, les rencontres en face à face sont vitales ! En fait c’est comme dans son ancien métier de responsable marketing mais là vend son livre au lieu de yaourts. D’ailleurs elle a toujours un exemplaire de son roman avec elle.

Ce qu’elle dit de « Marquée à vie »

DomiCLire_emelie_scheppIl y a toujours deux trames différentes dans chaque livre, une inspirée d’un fait réel (assassins d’enfants). L’auteur s’est longtemps posé des questions sur les enfants assassins, qui dès leur plus jeune âge sont formés pour tuer. Comment et pourquoi fait-on cela ? Dans le troisième tome, le thème qui l’intéresse c’est comment un infirmier peut travailler pendant des heures tout en étant capable de sauver des vies.

Et une autre avec son personnage principal, Jana. Là c’est son l’imagination qui prend le relais. Elle aime faire ces allers-retours entre le réel et son imagination. Son personnage -Jana- est complexe et double, elle est donc particulièrement intéressante. Dans le premier volume, elle veut savoir et comprendre qui elle est. Dans le deuxième, elle veut aller de l’avant.

Par contre, deux amis policiers ont lu et corrigé le livre pour le respect des protocoles. Enfin, elle adorerait que le livre soir adapté au cinéma.

Lire ma chronique de Marquée à vie.

Rencontre avec Hisham Matar « La terre qui les sépare »

Retour sur la rencontre en janvier, chez Gallimard, avec Hisham Matar auteur de « La terre qui les sépare ».

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Il y avait beaucoup de lecteurs attentifs pour rencontrer l’auteur de ce livre passionnant et bouleversant. Passionnant  par les situations qu’il évoque, bouleversant quand il parle de la disparition d’un père, intellectuel subversif aux yeux du dictateur, qui disparait dans les geôles de Kadhafi, et dont la famille ne saura jamais ce qu’il est devenu.
La terre qui les sépare  n’est pas un roman et pourtant il se lit comme un roman. On vit avec l’auteur, au rythme des terreurs, des recherches, des absences, du silence et de la peur. On est porté par une écriture fluide et évocatrice, et d’ailleurs il faut féliciter la traductrice qui a su rendre ce livre émouvant et vivant, sans doute autant que dans la langue d’origine.

Et le lecteur de découvrir aussi les prisons , celle d’Abou Salim en particulier, les exécutions, la peur,  l’absence, le doute, l’espoir, les lacunes de l’éducation, le silence des intellectuel pour ne pas être arrêtés, la toute-puissance d’une famille de despotes qui n’hésite pas à exécuter le moindre opposant où qu’il se trouve partout dans le monde, et la tourmente de la révolution, celle qui met à terre le pouvoir en place, mais qui peine tant à faire émerger un régime stable. La terre qui les sépare est un récit indispensable pour mieux comprendre le silence, la corruption, la terreur, la mort. Et mieux appréhender e temps qu’il faut pour renaître de ses cendres, quand on a vécu si longtemps sous une telle chape de plomb, celle de la dictature.

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Lors de la rencontre, à la question sur la genèse de ce livre, l’auteur nous explique que ce livre est né d’un article dans le NewYorker.
Il avait décidé d’écrire un livre personnel et calme, mais en même temps destiné au public, à une période tout sauf tranquille puisque c’était au moment du printemps Arabe. L’auteur est alors submergé par tout ce qu’il se passe autour de lui, il se pose cette question « comment est-il possible d’écrire ? ».

A cette époque, et après 33 ans, il lui est enfin possible de revenir en Lybie pendant un mois. Il décide alors de faire ce voyage dans les ruines du passé avec sa femme et sa mère, ce qui,  comme il dit avec beaucoup d’humour, est peut-être le plus mauvais choix pour la tranquillité ! Mais il a enfin la possibilité de se replonger, de se regrouper avec sa famille, de voir et d’envisager à la fois les paysages et les Hommes, la famille, mais surtout d’évoquer le sort de son père. Il est alors submergé par ce qui l’entoure et ne sait plus vraiment par où commencer. Pour combattre l’émotion, il rédige un journal quotidien. A retour, il arrête d’écrire pendant trois mois, même pas une seule lettre, et en vient même à se demander s’il est arrivé à la fin de son métier d’écrivain et de sa relation à l’écriture. Et un jour, alors qu’il allait voir un ami, il prend ce journal qu’il avait écrit pendant son séjour en Lybie et le lit comme s’il était écrit par un étranger. C’est le déclic, comme s’il avait fallu imaginer une distance, un espace, entre ses propres mots et lui-même pour retrouver l’enthousiasme d’écrire.

Pourquoi écrire sur ça justement ? Pas par intérêt pour sa propre famille, mais plutôt parce que ce qu’il a vécu pointe vers quelque chose d’essentiel dans la condition humaine. Alors il a écrit, un article, de 5000 mots, puis l’éditeur en a demandé plus, puis plus, et c’est devenu ce livre, qu’il a ressenti tout au fond de lui comme indispensable.

Ce texte-là est-il différent du journal ? En fait, les deux premières lignes sont celles du journal, puis Hisham Matar s’est interrogé sur ce que devait être son livre, et celui-ci s’est imposé peu à peu, a pris son rythme, le journal n’était plus qu’un pense bête, qui fournissait un nom, un lieu, un détail.

Et l’auteur nous explique que même s’il a été élevé par de femmes, entouré de femmes puisque les hommes étaient en prison, l’amour que son père portait à la littérature est pour une grande part dans son éducation, dans son goût pour l’écriture. Car la littérature a cette capacité à faire que le lointain devienne intime, et lire, c’est être, devenir autre.

Alors, est-il difficile d’écrire sans le masque de la fiction ? Il aime rester discret sur sa vie privée, et pourtant il est resté le plus fidèle possible à son histoire familiale, mais c’est une histoire pleine de trous, et que fait-t-on de tous ces manques ? Il y a cependant des témoignages, des dates, la Lybie a souffert de façon extraordinaire du colonialisme italien, puis de la nature traumatisante de l’époque Kadhafi, dans le silence et l’horreur, il y avait un silence absolu sur tout, sur les exécutions publiques par exemple. En Lybie, il y avait un poids, une quantité de silence, sur le récit historique, les témoignages des faits, tout ce que vous écriviez était contesté, c’était très risqué. Quand on lui demande s’il a subit des pressions, l’auteur nous dit que non, pas maintenant, et d’ailleurs se demande-t-il, ont-ils seulement lu son récit?

Depuis et grâce à l’article du NewYorker, les gens ont envie de parler, car le fardeau est trop important à porter, il y a trop de fantômes. Peut-on être optimiste pour l’avenir ? Il faut d’abord comprendre ce qu’il s’est passé, et qui est le résultat de 40 ans à vivre sous la situation désastreuse qu’était la dictature. Et de cette malédiction qu’est ce flot infini de pétrole qui fait que d’autres pays deviennent des parasites de la Lybie, ce qui alourdi la situation. Mais l’enthousiasme et l’espoir est là chez les jeunes.

Pourtant, si ce livre traite énormément de la situation politique de la Lybie, le père et surtout l’absence du père est au centre, fil conducteur de ce récit. Car le père est avant tout le fil qui rattache à son propre passé, à soi-même, etc. Si Hisham Matar est très intéressé par tout ce qui le préoccupe et qui pose problème, il n’est pas forcément intéressé par la résolution du problème. Il est en quelques sorte d’avantage  passionné par le chemin qui mène à la résolution que par l’issue elle-même. Aussi lorsqu’il s’est demandé quelle serait la manière la plus authentique de rendre compte de son expérience il a pensé à écrire le livre qu’il aurait lui-même envie de lire, ensuite il a fait confiance au pouvoir de l’écriture car il sait que chacun va trouver ce qu’il cherche dans un livre.

Ma chronique du roman est à lire ici
Retrouvez également la chronique de Nicole, du blog Motspourmots et celle de Pierre, du blog Sans connivence

A la rencontre de …Michel Bussi

Rencontre avec Michel Bussi chez Babelio, pour évoquer ses deux romans «Maman a tort» et «N’oublier jamais»

Dominique Sudre Domi C Lire avec Michel Bussi 3
© DCL-DS2015

Comment construit-on un roman quand on s’appelle Michel Bussi ? Pour le construire Michel Bussi a d’abord besoin d’une idée, puis de savoir où la situer. Sauf pour « Ne lâche pas ma main » qui se passe à la Réunion, là-bas les idées se mettaient à leur place à mesure de la découverte des lieux, le volcan, la chambre d’hôtel, etc… Quand on lui demande pourquoi l’ile de la Réunion, il nous répond : pourquoi pas la Corse. Tiens  est-ce un indice pour le prochain roman ?

Pour « N’oublier jamais » au départ il imaginait une intrigue sur un bateau qui ferait des escales. Mais l’idée s’est avérée  trop compliquée à mettre en cohérence et comme il souhaitait aussi une falaise, un lieu s’est rapidement imposé (l’intrigue se passe en partie à Yport). Pour « Maman a tort », il souhaitait un aéroport, une grande ville, mais également une cachette, un braquage dans une grande bijouterie comme celles de la place Vendôme, d’où un instant l’idée de situer son roman en région parisienne, mais c’était trop flou, les lieux se sont alors imposés d’eux même (le Havre et sa région).

Michel Bussi chez Babelio 1

Il aime que ses romans débutent de façon spectaculaire et intrigante et qu’il y ait également une fin à la hauteur de ce début. Sans doute en réaction à certains polars qu’il n’a pas aimé, dans lesquels à la fin de l’intrigue on découvre que le héros se réveille et que l’histoire est rêvée ou inventée, c’est très frustrant.  Michel Bussi aime quand le début et la fin se rejoignent, quand il y a un vrai lien entre les deux, pour cela il a besoin de connaître quelle sera la fin de son livre au moment où il en commence la rédaction. Alors avant d’écrire, il rédige toute une trame, chapitre après chapitre, pour que ce soit fluide, que l’intrigue trouve un rythme, même si ça peut encore évoluer. Puis l’histoire s’éclaircit, les chapitres trop longs sont coupés, l’écriture est alors un véritable travail de montage, comme au cinéma. Il a besoin de dessiner un canevas  général pour ensuite pouvoir s’autoriser quelques chemins de traverse. Il n’y a plus vraiment de surprises pendant l’écriture, lorsqu’il invente l’intrigue les personnages ont une grande autonomie, mais après l’auteur est le marionnettiste qui tient les fils et il reste peu de marge de manœuvre.

Domi C Lire Dominique Sudre, dédicace Michel bussi

S’il avoue s’inspirer parfois de personnes de son entourage, il ne décrit jamais vraiment quelqu’un qu’il connaît ou qui pourrait se reconnaitre. Par exemple il ne connait pas de champion handisport. Par contre dans « N’oublier jamais », le besoin du handicap est lié à l’histoire, car sinon la première scène ne serait pas réaliste. Il avait besoin d’un bouc émissaire qui ne soit pas une victime désignée. Là c’est plutôt quelqu’un dont le handicap est vu comme un atout. Son protagoniste, Jamal, travaille, a de l’humour, on s’y attache et en même temps on s’en méfie. Ses faiblesses sont balancées par ses forces. Et même si l’écriture du roman s’est faite au moment de l’affaire Pistorius, il n’y a aucun lien entre ces deux « affaires » qui se sont déroulées en parallèle. On constate les mêmes différences de sentiments à l’égard d’un héros qu’on aime ou qu’on n’aime plus dans la réalité comme dans le roman.

Dans ses romans, l’auteur utilise souvent des gens ordinaires qui ont une fin tragique et on ne retrouve pas de héros récurrent. S’il devait y avoir des personnages récurrents, ce serait des policiers ou des journalistes par exemple, et ça ne l’intéresse pas, il ne ressent pas l’envie de les utiliser de nouveau. Il aime avant tout se projeter dans une nouvelle histoire avec des idées nouvelles.

Dans « Maman a tort » l’auteur parle beaucoup de la mémoire d’un enfant de trois ans et demi. Les lecteurs lui demandent s’il a fait de nombreuses recherches avec d’écrire. Apparemment pas tant que ça.  Mais il est vrai que Michel Bussi évolue dans le milieu éducatif et peu échanger avec les professionnels psy, éducateurs ou instituteurs,  pour tester la crédibilité de ses idées. Par exemple sur l’importance du doudou, sur la figure maternelle ou paternelle stable autour de l’enfant, l’âge crédible ou pas pour les situations qu’il souhaitait lui faire vivre, en un mot, pour savoir si le personnage de Malone serait réaliste ou pas. De même la figure féminine est assez positive, alors que le masculin est négatif, contrairement aux romans précédents. Pour les besoins de l’histoire il fallait mettre en avant la mère (sous toutes ses formes, je ne vous en dit pas plus !). La maternité est donc structurée autour de trois femmes. Se pose la question de savoir s’il faut tout dire aux enfants, et à quel âge. Faut-il leur parler de ces mères qui vont loin par amour, de ces femmes capables de se sacrifier, parfois beaucoup plus qu’un homme, car l’enfant passe avant elles. Mais le poids du sacrifice des parents s’avère souvent plus un fardeau qu’un cadeau pour leur vie future.

Il y a de nombreuses références aux contes dans « Maman a tort ». L’auteur aime qu’on y trouve une touche de merveilleux, de fantastique.  Et cela plait à ses lecteurs car ce n’est ni noir ni réaliste,  très différent des polars classiques en somme. Et comme il nous le rappelle, lors de la parution du petit prince, il était écrit à peu près ceci : 99% pensent que ce n’est pas un livre pour enfants, 99% pensent que ce n’est pas un livre pour adulte, 100% pensent qu’il est pour eux. L’important est de penser que le livre est bien pour soi, non ?

Ce qu’il ressort de cette rencontre, c’est que Michel Bussi aime l’esprit du jeu lié à l’écriture, le côté ludique, le faire semblant par une action dont on sait qu’elle n’est pas « pour de vrai ». Ecrire est une activité sérieuse qui permet de nouer des  relations sociales, de jouer des rôles, d’apprendre et de progresser. C’est ludique, mais un auteur peut faire passer des choses plus profondes, plus sérieuses, comme dans Nymphéas noir (que je n’ai pas encore lu) un roman qu’il qualifie de léger mais ayant une forme de profondeur. Il aime aussi ce qui est tiré par les cheveux, mais qui au final, une fois que toutes les scènes se sont déroulées, va apparaitre comme beaucoup plus vraisemblable.

Quand on lui demande s’il aimerait réaliser des scénarios pour la télévision ou le cinéma à partir de ses romans, Michel Bussi explique que des projets sont en cours. Mais il est toujours délicat pour un auteur de voir ses œuvres pillées, transformées, modifiées pour rentrer dans le moule « télé » ou ciné, il préfère laisser faire des professionnels car il faut avoir du recul sur le roman, ce que ne peut pas faire son auteur.

Tient-il compte des critiques ? Oui, d’ailleurs, quand il écrit il décèle quelques forces et faiblesses dans ses romans et il les y retrouve souvent. Par exemple, « N’oublier jamais »  est un roman à twist, à rebondissement, aux personnages doubles, au détriment de la psychologie, et cela se retrouve dans les chroniques des lecteurs. Il aime aussi les citations qui sont nombreuses dans Babelio. Souvent un auteur a quelques phrases « chouchou » qu’il aime particulièrement dans un roman, et ce sont celles qu’il retrouve en général sur le site.

Comme il avoue mettre un an et demi en moyenne pour écrire un roman, il n’y a plus qu’attendre le prochain ! Normandie, Corse ? Qui sait.

Merci à Babelio, Presses de la Cité et Pocket pour avoir permis cette rencontre.

Ingrid Astier aime « les armes à feu et les ponts de la Seine, Cioran et le chocolat »

Qui est Ingrid Astier ?  Je ne peux pas vous le dire, je sais simplement qu’Ingrid est un authentique écrivain qui vous plonge dans un univers bien à elle. Normalienne, originaire de Bourgogne, Ingrid aime « les armes à feu et les ponts de la Seine, Cioran et le chocolat ».

Ses romans n’ont rien du polar traditionnel, ils vous emportent et ont l’écriture et la puissance d’un grand roman. Il y a des gentils et des méchants, des policiers et des bandits, mais il y a bien plus que ça. Les policiers et les bandits, Ingrid les connaît, elle a navigué avec la brigade fluviale et fréquenté les bandes d’Aubervilliers, a plongé dans la Seine comme elle plonge ses écrits dans la réalité, pour mieux les vivre et nous les faire vivre à notre tour. Son écriture a une telle véracité, une telle crédibilité qu’on vibre avec ses personnages, au rythme de leurs aventures, frissonnant du danger, humant l’air et les parfums avec eux.

Ingrid est une femme lumineuse et tellement attachante qu’on se demande d’où viennent les noirceurs de ses intrigues, de la vie sans doute, de la nuit, de sa connaissance parfaite des milieux, ceux des policiers ou des marginaux qu’elle a côtoyés sans peur pour peaufiner le moindre détail de ses romans.

Alors que paraît son dernier roman, Même pas peur, aux éditions Syros, rencontre avec Ingrid Astier le 14 avril Au café littéraire avec lecteurs.com

INGRID4Les questions sont posées par Karine Papillaud

Trois ans pour écrire un roman, c’est un peu long pour les lecteurs qui ont hâte de vous lire ?

Au xive siècle, il fallut sept ans pour livrer La Tenture de l’Apocalypse — une tapisserie. Alors je me dis que, finalement trois ou quatre ans, c’est raisonnable pour écrire un roman (rires). J’ai besoin de temps pour définir mon terrain et m’immerger dans les univers liés à mon histoire. Deux années au moins, à travers les différents services de police, avec un parfumeur, un pêcheur, un SDF, un balisticien, une trapéziste… car il faut beaucoup de temps pour appréhender chaque univers.  Mon travail est tout sauf une recherche documentaire. Pour écrire, je vais quitter le quotidien et m’embarquer dans l’imaginaire. Écrire repose profondément, pour moi, sur la rencontre humaine. Je pars de cette intensité comme de cette émotion : la rencontre.

Au départ d’un nouveau roman, la question que je me pose est : avec qui ai-je envie de vivre ? Avec un flic, un voyou, une trapéziste, un pêcheur d’anguilles ? Car il faudra passer trois ans dans cet univers… Écrire donne cette possibilité de vivre dans un monde qui distend les frontières. C’est une chance de s’assouplir, de briser le cercle dans lequel nous grandissons puis évoluons.  Ce ne sont pas mes propres valeurs que je vais observer, mais le monde où mon roman va me mener. Car il me mène par le bout du nez. C’est lui qui décide. Je compare alors l’écriture aux traversées des grands explorateurs : chaque roman est l’occasion d’un départ, au sens fort, et la découverte d’un nouveau monde. Par nouveau, il ne s’agit pas d’un monde original, mais singulier.

INGRID 6Dans vos romans, les notions de réel et d’imaginaire sont importantes.

On vit chaque jour dans un monde romanesque et c’est aussi ce qui fait son charme. Mais il faut savoir le concentrer. L’écrivain n’est pas loin du travesti. Quand je commence un livre, quand j’écris la première ligne, d’une certaine façon, c’est comme si je déchirais ma carte d’identité : je deviens autre, j’habite cette conscience autre. Une passation d’imaginaire est à l’œuvre. Cette passation permet de vivre intensément, de sortir de sa vie, de ne pas être borné à soi. C’est confortable mais risqué, aussi : quelle personnalité vais-je habiter ?

En quoi le réalisme va-t-il nourrir l’imaginaire ?

Le roman et une chance de pouvoir pousser des portes et de pénétrer des mondes qui ne sont pas les vôtres. Jouissance de l’évasion. Dans Angle mort, je me suis demandée, par exemple, où Diego, mon braqueur, allait habiter. J’ai beaucoup sillonné la banlieue, de nuit, avec mon vélo. Jusqu’à Aubervilliers, le royaume des garages et des bars, pour comprendre, apprendre, savoir. Je n’ai pas envie plaquer des éléments dans un livre. Tout milieu se respecte. L’imaginaire, c’est du sérieux. De loin, être à vélo, de nuit, à Aubervilliers dans certains quartiers, peut paraître insensé. Et sans l’aimantation du roman et sa quête précise, ce le serait.

Pour en revenir aux explorateurs, c’est alors le modèle de l’alpiniste qui me porte. Toute petite, avec mon frère, la montagne nous fascinait, même si elle est loin de la Bourgogne où j’ai grandi. Nous passions des jours entiers à lire des livres d’alpinistes comme Glace, neige et roc de Gaston Rébuffat. Le Guide Michelin… et les livres d’alpinistes ! Nous rêvions sur ces zones qui aimantent l’imaginaire. Grimper et avoir les orteils gelés, tout cela pour redescendre, n’est-ce pas également fou, un supplice en soi, si l’on ne considère que les faits bruts ? On ne peut donc envisager ces élans qu’en termes de quête et de dépassement.

INGRID 5Durant les trois années de terrain, que vais-je chercher ? Cette vectorisation du roman est essentielle. Je pars pour m’imprégner de l’altérité : une façon différente de se vêtir, de parler, d’agir, de ressentir. Écrire est un métier d’écoute, il faut basculer dans d’autres mondes, pour viser le naturel. La fiction est à ce prix.

Dans Quai des enfers, tout comme dans Angle mort, c’est tant l’esprit d’une époque que le Paris des anecdotes que je vais chercher, non le Paris touristique. Par exemple, pour le Petit éloge de la nuit (Folio Gallimard) j’ai observé, une nuit, l’État-major du 36 quai des Orfèvres pour voir si minuit était réellement l’heure du crime. J’aime tester une expression, la mettre à l’épreuve du réel. Mais je suis aussi allée discuter avec les SDF du Pont-Louis-Philippe, à Paris. Aujourd’hui, leur squat a été muré, ce qui donne encore plus d’importance à la littérature. Car le roman, en définitive, est terre de mémoire. Une stèle comme un sanctuaire, un écho qui prête sa voix à ceux qui murmurent, tout bas. J’apprécie aussi beaucoup les pêcheurs, ce sont de vrais viviers, comme le garde-pêche de Paris, qui m’a inspirée pour Quai des enfers. J’adore l’anecdote, que je reprends dans ce roman, où il m’explique comment trouver des alliances dans la Seine, ou comment il signe les anguilles…

INGRID3BDans « Même pas peur », vous abordez tous les thèmes, l’amour, les jeunes, leurs codes… Quel rapport avez-vous à la littérature, car vous écrivez de tous les genres, polar, cuisine, saveurs, roman, jeunesse ? En fait, vous paraissez totalement libre, les codes, vous les prenez tous, ou pas ?

Au départ, pour Même pas peur, Natalie Beunat, la Directrice de collection de Syros, m’a proposé un roman policier pour ou enfants ou adolescents. Au final, j’ai écrit un roman noir, à ma façon, et qui peut toucher un adolescent comme un adulte qui rêve de retrouver ses seize ans. Un roman noir mais aussi un roman d’aventures et d’amour, un roman d’éducation sentimentale. C’est noir, car à l’adolescence, l’amour peut pousser à tout, y compris à l’extrême — folie, suicide, fugues, émiettement de l’identité… Même pas peur n’est pas un roman policier au sens strict de l’enquête procédurale, mais il est noir car le sentiment amoureux est certainement celui qui nous met le plus en péril. Et c’est une enquête sur soi-même.

À l’île d’Yeu, les adolescents sautent dans l’eau depuis les rochers. De trois mètres, six mètres, douze mètres… Toujours plus haut, pour épater, se dépasser, séduire l’autre. Mais paradoxalement, au moment d’exprimer leurs sentiments, il n’y a plus personne. Même pas peur part de ce grand écart. Et si l’on mettait la même audace dans la découverte de soi et de sa sensibilité ? Si l’on se lançait vers l’autre comme l’on plonge, parfois même à corps perdu ?

Quand j’ai débuté Même pas peur, j’avais un modèle en tête, Le Blé en herbe de Colette. C’est un livre que j’ai lu grâce à ma mère, quand j’étais adolescente. Ma mère laissait toujours traîner des livres pour que j’aie l’impression de les croiser par hasard. Elle savait que c’était plus efficace que de me dire de les lire, et j’admire aujourd’hui sa finesse. Dans Le blé en herbe,  il y avait un rapport abyssal aux sentiments. Je m’étais toujours dit que j’aimerais écrire une histoire simple autour de l’océan, d’adolescents, et des sentiments. Une sorte de Blé en herbe contemporain.

Pour écrire une nouvelle, , j’avais eu besoin de nourrir un personnage de plongeur. Un jour, sur une avancée rocheuse de l’île d’Yeu, arrive un jeune plongeur. Avec sa monopalme et ses cheveux blonds bouclés, c’était le premier homme-sirène que je croisais… J’ai mené mon enquête pour remonter à lui et sa famille. Sa mère était ramendeuse — son métier me faisait penser au travail de l’écrivain, réparer, reprendre les mailles d’un grand filet (le réel et ses béances chez le romancier)… Le plongeur, lui, m’a décrit les plongées océaniques. C’est lui qui, des années plus tard, a inspiré le personnage de Raphi dans Même pas peur. Il incarne la transition réussie entre le monde des adolescents et celui des adultes.

Ingrid, vous avez donc les pieds sur terre et le nez dans le vent ?

Oui, c’est exactement cela. Rêver avec les pieds sur terre. Je tiens aux nuages comme aux racines.

Dans vos romans, la musique est omniprésente, il y a même des listes de titres à la fin.

Quand j’écris, il me faut un climat musical. Comme au cinéma, par le thème musical, on sait d’emblée quel personnage va arriver. Dans Angle mort, je voulais situer une scène d’amour dans la salle des machines du remorqueur-pousseur de la Fluviale, dans le ventre de la baleine en quelque sorte. Pour nourrir cette scène, j’ai demandé à passer une nuit, seule, dans la salle des machines. Pour enregistrer les sons du remorqueur, mais pas seulement, également l’eau qui claque contre les ducs d’Albe, et m’imprégner du lieu comme des odeurs d’huile. Au moment d’écrire la scène, je me suis repassée les enregistrements, pour basculer immédiatement dans cet univers. Ainsi, je pouvais être dans la tête des personnages, sans médiation.

Vous semblez avoir un tel attachement à vos personnages, que ressentez-vous à la fin d’un livre ?

La fin du livre, c’est un deuil atroce ! Pour Angle mort, en tout cas. Il fallut quitter un monde, une tension, une concentration de plusieurs années. Quand j’écris, je dis toujours que je pars en imaginaire : je quitte le monde, le  quotidien, je me coupe d’un pan familier. Mes amis sont habitués… Les personnages sont une famille, ce ne sont pas des êtres de papier. Pour rester dans leur logique, je ne puis me permettre de les quitter. J’ai fini Angle mort à bout de nerfs, à passer les dernières nuits sans dormir, pour coller à Diego, mon personnage, et épouser son rythme à lui…

Un livre, c’est aussi un tombeau. De lieux, de gens, disparus à jamais. Comme les cimenteries près du Pont-National, à Paris, dans Quai des enfers. Elles perdent du terrain. Le paysage urbain quitte cette mixité industrielle que j’appréciais. Il se normalise. Dans Quai des enfers, encore, j’évoque ce SDF qui habitait sous le Pont-Louis-Philippe, dans un royaume souterrain à la débrouille. James, celui qui m’a inspirée, n’est plus. J’ai assisté à son enterrement, et son royaume a été muré. Avec le roman, cet homme garde une voix, une trace, une histoire. Je pense aussi à un cordage de la Brigade fluviale, passé au goudron de Norvège. Il n’en existe plus à la Fluviale, la corderie a également disparu, comme la menuiserie. Mais l’odeur, à travers Angle mort, reste.

Quelle est la place du lecteur dans votre univers ?

J’aime la nature, profondément, mais la contempler est solitaire. Avec le lecteur, règne le partage. Le roman casse, magiquement, le cercle de la solitude. Cette ouverture est sacrée. Et pourtant, l’écriture, c’est terriblement personnel, bien plus qu’une mise à nu. À travers ses romans, un écrivain dévoile tout un univers intérieur. Je comprends très bien qu’un lecteur ne rencontre pas toujours un livre. Cette rencontre tient du hasard, de l’intime. Relire, des années après, un livre, c’est pourtant lui rendre justice. Par exemple, je me demande ce que des adolescents peuvent bien percevoir du Misanthrope de Molière. Pourtant, le Misanthrope, c’est gigantesque ! C’est tout de même une question fondamentale, aujourd’hui, de savoir si l’on peut et doit tout dire, non ? Le naturel ou l’artifice ? La spontanéité ou la sociabilité ? Laissons le temps aux livres…

Vous avez écrit le Petit éloge de la nuit : j’ai l’impression que vous avez une fascination pour la nuit.

INGRID6Quand nous étions jeunes, en Bourgogne, je me souviens de mon frère qui fabriquait un télescope dans la cave. Il avait même élaboré un appareil de Foucault. Pour moi, c’était comme un rêve. Au fond de la cave, mon frère fabriquait du rêve ! Il s’isolait comme un animal en hibernation pour dialoguer, ensuite, avec les étoiles. Ce souvenir m’a profondément marquée. Il allait du noir au scintillement stellaire. Mon frère avait passé un temps infini à polariser le verre de son miroir dans la nuit de la cave, pour faire parler une autre nuit. Celle de l’infini. La nuit, c’est la clef de mon univers. Tout y est.

Vous avez dit que vous mettiez trois ou quatre ans pour écrire un roman, mais alors, à quand le prochain ?

Le prochain roman sortira en janvier 2016, dans la Série Noire. Mais après, vous savez ce que Pierre Michon dit de l’inspiration : « Le roi vient quand il veut ».

Souvenirs de la sortie d’Angle Mort, janvier 2013, une belle soirée avec Ingrid Astier 

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