Le chien rouge, Philippe Ségur

Quand la crise de la cinquantaine vous rattrape… avec Le chien rouge, Philippe Ségur propose une critique acerbe et sans concession de la société (de consommation) dans laquelle nous vivons.

Le chien rouge, c’est Peter Seurg, un homme qui a suivi les chemins qu’on a tracés pour lui, afin de  plaire à ses parents, à ce que la société attend de lui. Professeur d’université reconnu et apprécié, tant par ses pairs que par ses étudiants, écrivain, père de famille, quand son rêve aurait été d’être un artiste. Mais enfin, la vie d’artiste, ce n’est pas un avenir honorable, et puis, les artistes meurent tous jeunes, on le sait bien ! En tout cas c’est ce que sa mère lui répète depuis toujours.

Dans sa maison perdue dans les Pyrénées, avec cette jeune femme qui partage désormais sa vie, Peter essaie de se conformer à l’image que l’on attend de lui. Jusqu’au moment où cette société et ses règles lui pèsent tant qu’il décide de se libérer de tout, de s’affranchir de toutes les contraintes, sociales et politiques entre autre, de ces dictats que la société de consommation nous a imposé peu à peu, et auxquels nous nous laissons prendre. Meubles, objets, souvenirs, relations, tout est jeté, expulsé, brulé. Et Peter va désormais brûler sa vie par tous les bouts, tous les extrêmes, pour écrire et se réaliser enfin.

Mais se lâcher, se donner à fond dans la création, dans l’excès, tout abandonner pour écrire, boire, prendre drogues et psychotropes, est-ce la solution ? Est-ce réellement là que se trouve son idéal de vie ? Et s’il fallait fuir le monde dans lequel nous vivons pour se connaitre enfin, au risque de se perdre à jamais.

Nous suivons cet homme, d’abord décrit par son voisin, qui l’a regardé vivre de loin, puis par son manuscrit, nous découvrons son cheminement intérieur, sa libération, et son emprisonnement aussi, dans cette camisole chimique qu’il s’impose, puis qu’il subit, et dont enfin il se libère. Un roman étrange et assez envoutant dans ce qu’il nous place face à certaines de nos interrogations sur qu’avons-nous fait de nos vies, était-ce là réellement notre idéal, et si nous pouvions recommencer, etc…

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Catalogue éditeur : Buchet-Chastel

Poussé à bout par son métier et ses contemporains, Peter Seurg, qui ne comprend plus le monde dans lequel il vit, pète un câble et craque. Le corps médical, qu’il consulte avec réticence, lui prescrit un formidable cocktail d’antidépresseurs, de somnifères et d’anxiolytiques. En quelques semaines, la personnalité de notre héros se modifie : il rompt avec son amie Neith, rejette sa vie bourgeoise et part s’installer dans les bois,seul dans sa tour d’ivoire.

Après plusieurs mois de ce régime, Peter, miraculeusement dégrisé, se réveille et découvre que son amour pour Neith est toujours intact. Elle, par contre, ne veut plus entendre parler de leur vie commune. Revenu à lui dans un environnement personnel dévasté, Peter se trouve alors confronté à une série de questions décisives…

Critique sans concession de notre société, Le Chien rouge dresse le portrait psychologique d’un homme épris d’idéal et victime de sa propre révolte. Roman de la maturité, hommage à l’art et la littérature, constat politique accablant, ce nouvel opus de Philippe Ségur est l’un des plus forts et des plus beaux qu’il ait écrit.

Date de parution : 23/08/2018 / Format : 14 x 20,5 cm, 240 p. / Prix : 17,00 EUR € / ISBN 9782283031308

L’hiver du mécontentement, Thomas B.Reverdy

Des grèves, d’immenses désillusions mais de l’espoir malgré tout… alors qu’il évoque l’Angleterre et la colère de la fin des années 70, L’hiver du mécontentement, de Thomas B. Reverdy est un roman très actuel qui fait écho à l’actualité.

L’hiver du mécontentement est une double référence historique, d’abord, c’est la première phrase de la pièce de Shakespeare, Richard III Now is the winter of our discontent Voici venir l’hiver de notre mécontentement –  ensuite, c’est ainsi que le journal The Sun a qualifié l’hiver 78/79, lors des grandes grèves qui ont fait chavirer l’Angleterre et vu l’arrivée au pouvoir de Margareth Thatcher.

Quel lien alors avec le personnage campé par Candice, dans le dernier roman de Thomas B. Reverdy ? Candice est une jeune femme de vingt ans, elle vit à Londres. Cet hiver-là, elle est coursier à vélo, à une époque où ce métier est balbutiant, mais cela lui permet de gagner de quoi vivre, et le soir elle répète au théâtre Warehouse avec une troupe exclusivement féminine. La jeune Candice va jouer le rôle-titre de Richard III, mais elle va surtout essayer peu à peu de comprendre les ressorts humains du personnage qu’elle incarne, puis ce qu’il se passe autour d’elle.

Si Candice à peu d’argent pour vivre, elle a cependant eu le courage de quitter une famille dans laquelle les stéréotypes se répètent de génération en génération, sa sœur a une vie à l’image de celle de sa mère, un mari pas facile et violent, ou un mari pas facile et maté, une vie triste à pleurer mais dont il faut savoir se contenter. Cela, Candice n’en a pas voulu. Elle rencontre un jeune musicien qui aurait pu lui plaire, si seulement elle avait osé l’aborder sans doute. Mais lui comme elle sont un peu paumés face aux changements sociétaux qui semblent inéluctables.

Tout au long de ses courses à vélo, l’auteur nous fait pénétrer dans le sillage de Candice dans Londres de cet hiver-là, celui où les poubelles s’entassent, où les transporteurs et même la Poste se mettent en grève, où même les coursiers ont parfois le courage de déverser quelques flyers sur leur passage, où le pays est bloqué dans l’attente d’un miracle. L’empire est sur le déclin, une nouveau monde va renaitre de ces cendres-là, c’est sûr !

Celui de la finance, celui des tensions du gouvernement, du pouvoir en place qui perd la face, du renouveau tant attendu, mais qui ne créera pas plus de justice pour autant. Ces années 78/79 ont vu de grandes grèves qui ont paralysé le pays, remis en cause un ordre plus ou moins établi, mais surtout vu arriver au pouvoir la Dame de fer, formée aux techniques balbutiantes du marketing et de la communication, celle qui a décidé qu’il n’y avait aucune alternative, si ce n’est le changement, et l’avènement d’un autre modèle de gouvernement appuyé par le capitalisme.

Chaque chapitre est introduit par un titre et le nom du groupe qui le chantait à l’époque, bravo à l’auteur, on imagine les heures de musique qu’il a fallu écouter pour s’imprégner des révoltes des musiciens de la fin des années 70 ! Et l’on y retrouve avec plaisir Pink Floyd, David Bowie, Marianne Faithfull, The Cure, The Clash ou The Sex Pistols pour ne citer qu’eux… car ils ont effectivement bercé mes années d’adolescence, et j’avoue que pour bon nombre d’autres noms, je ne les connaissais pas ! Sans parler des références à l’actualité de l’époque, tant en Grande Bretagne que dans le monde, donnant une dimension historique intéressante à son roman. Une fois de plus, j’ai apprécié l’écriture, fluide, rythmée, claire et concise comme je l’avais appréciée avec le roman précédent Il était une ville…dans lequel passait aussi une certaine Candice… Et cette capacité qu’à l’auteur à faire revivre une ville, Détroit comme Londres, dans les particularités afférentes à une époque précise, celle où tout bascule justement, celle où la crise engage les personnages mais également la ville dans un avenir où rien ne sera plus comme avant.

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L’hiver du mécontentement a reçu le Prix Interallié 2018.

Catalogue éditeur : Flammarion

L’Hiver du mécontentement, c’est ainsi que le journal le Sun qualifia l’hiver 1978-1979, où des grèves monstrueuses paralysèrent des mois durant la Grande-Bretagne. Voici venir l’hiver de notre mécontentement, ce sont aussi les premiers mots que prononce Richard III dans la pièce de Shakespeare. Ce… Lire la suite

Paru le 22/08/2018 / 224 pages / 136 x 211 mm / EAN : 9782081421127/ ISBN : 9782081421127

Le Nord du monde, Nathalie Yot

La fuite vers le Nord du monde d’une femme amoureuse qui sombre peu à peu dans la folie

Elle fuit, elle fuit l’homme chien, sans doute l’homme qu’elle aime trop car dans son amour il n’y a pas de demi-mesure, c’est du tout ou rien. Et cet amour l’étouffe, elle a besoin de respirer et part, à pied, en train, en stop, en ce qu’on veut, jusqu’au grand nord, au pays des jours sans nuit, à la limite du cercle polaire…

Sur cette route qui va de Paris à la Norvège, en passant par la Belgique et l’Allemagne, elle rencontre des femmes, puis des hommes, Pierre d’abord, avec qui l’amour n’a de nom que le sexe, avec les polonais ensuite, avec qui l’amour n’a de nom que l’abri qu’ils lui procurent, avec Isaac enfin, l’enfant qu’elle aime à la folie, et qu’elle entraine avec elle…

Dans cette fuite, il y a aussi le silence de ceux qui savent, mais savent-ils ou veulent-ils croire qu’ils se sont trompés ? Et puis il y a cette femme qui va au-delà de ses limites, au-delà des conventions, au-delà de la raison. Il y a cette femme qui a besoin d’aimer, qui fuit l’amour aussi comme une faute, comme une brûlure… et cette relation que tout repousse, la raison, la morale, la société – pourquoi avoir besoin d’écrire cela ? Quelle femme peut imaginer ces gestes, ces mots – un premier roman profondément dérangeant… même s’il explore les limites de la folie, la puissance des sentiments, la recherche de soi jusqu’à l’extrême, au risque de briser tous les tabous.

Alors pourquoi dérangeant me direz-vous, parce que l’amour pour les hommes, l’amour pour l’enfant, semblent toujours pour elle passer par la peau, les gestes, les caresses, jusqu’à l’indicible, jusqu’à la déraison, jusqu’à …  la folie d’aimer ?

Comment dire, en général, j’aime plus ou moins les titres proposés par les 68 premières fois, mais je suis surprise par la tournure de cette aventure vers Le nord du monde. Car si l’écriture m’a tout d’abord séduite, comme les thèmes abordés avec la fuite en avant et la folie de cette femme interpellée dans la relation fusionnelle à l’autre, pourtant au fil des pages les idées sous-jacentes sont devenues prépondérantes et terriblement dérangeantes.

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Catalogue éditeur : La Contre Allée

« Elle fuit. Elle fuit l’homme chien. Elle trotte comme un poulain pour qu’il ne la rattrape pas, aussi pour fabriquer la peinture des fresques du dedans. Elle voudrait la folie mais elle ne vient pas. Toucher le mur du fond, le Nord du Monde, se cramer dans la lumière, le jour, la nuit, effacer, crier et ne plus se reconnaître. Sur la route, il y a Monsieur Pierre, il y a la Flaish, il y a les habitants des parcs, il y a Andrée, il y a les Polonais, Elan, Vince et Piort, et aussi Rommetweit, les Allemands, les Denant. Il y a Isaac, neuf ans environ. Et il y a les limites. » Nathalie Yot, à propos de Le Nord du Monde

Nathalie Yot est née à Strasbourg et vit à Montpellier. Artiste pluridisciplinaire, passionnée des mots, de musique et d’art, architecte et chanteuse, performeuse et auteure, elle a un parcours hétéroclite à l’image de son écriture. Elle est diplômée de l’école d’architecture mais préfère se consacrer à la musique (auteure, compositeur, interprète signée chez Barclay) puis à l’écriture poétique. Ses collaborations avec des musiciens, danseurs ou encore plasticiens sont légions.

ISBN 9782376650010 / Format 13,5 x 19 cm / Nombre de pages 152 pages / Date de parution 20/08/2018 / Prix 16, 00€

Les Oiseaux morts de l’Amérique. Christian Garcin

« Les Oiseaux morts de l’Amérique » et le regard de Christian Garcin pour évoquer avec mélancolie le sort des héros de ces guerres que l’on voudrait tant oublier.

Christian Garcin fait vivre sous nos yeux Les oiseaux morts de l’Amérique à travers le regard de Hoyt Stapleton, Matthew McMulligan et Steven Myers, trois vétérans. Dans cet ailleurs qu’est l’Amérique des laissés pour compte, de nombreux vétérans du Vietnam – ces rats des tunnels qui allaient risquer leur vie pour combattre les Viêt-Cong – ou d’Irak, ont trouvé refuge dans les tunnels d’évacuation des eaux de la ville de Las Vegas. Ils subsistent en faisant l’aumône auprès de ceux qui vivent dans cette ville de jeu et d’opulence, survivants invisibles d’un monde qui n’est plus.

Mais qu’à fait l’Amérique de ses soldats ? Mis à l’écart et abandonnés par un gouvernement qui ne sait pas quoi faire de ces hommes qui se sont battus pour le pays, rejetés par tous depuis leur retour du front, car symboles de ces guerres dont plus personne ne voulait déjà dans les années 70. Ils survivent, mendient, oublient leur passé, n’ont plus de présent et certainement pas d’avenir.

C’est pourtant là que Hoyt Stapleton ce taiseux stoïque et bienveillant trouve dans les livres sauvés des poubelles du Blue Angel Motel (il y trouve même des poèmes de William Blake !) l’espoir qui manque à sa vie. Dans les livres et dans cette imagination qui le transporte ailleurs, dans une autre dimension temporelle, un futur à se construire ou un passé à retrouver, là où est cette mère qu’il trouve si belle dans sa robe bleue, aussi belle que l’ange qui veille sur le toit du Blue Angel Motel, mais aussi là où une vie meilleure semble l’attendre. Mais parfois, le passé vous rattrape d’une drôle de façon…

Dans cette Las Vegas de lumière qui dégorge d’opulence, la mélancolie et l’oubli nous submergent. Auprès de ces hommes au bord du monde, enfouis, cachés dans ces canalisations qui menacent de les engloutir aussi surement que cette vie parallèle à laquelle ils sont contraints. Et autant les guerres qu’ils ont faites semblent depuis totalement absurdes et meurtrières, autant leurs vies leur semblent à présent d’un vide et d’un dénuement abyssal. Mais faut-il remettre en question la finalité des guerres pour rendre indispensable leur combat, ou au contraire accepter l’absurdité des batailles ? Ces héros, comme des oiseaux morts, trainent avec eux les relents de ces guerres inutiles, ils ne sont ni héros, ni mendiants, juste des hommes oubliés de tous et leur évocation nous émeut…

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L’auteur nous avait déjà surpris avec son roman précédent, Les vies multiples de Jeremiah Reynolds paru chez Stock en 2016.

Catalogue éditeur : Actes Sud

Las Vegas. Loin du Strip et de ses averses de fric “ha­bitent” une poignée d’humains rejetés par les courants contraires aux marges de la société, jusque dans les tunnels de canalisation de la ville, aux abords du désert, les pieds dans les détritus de l’histoire, la tête dans les étoiles. Parmi eux, trois vétérans désassortis vivotent dans une relative bonne humeur, une soli­darité tacite, une certaine convivialité minimaliste. Ici, chacun a fait sa guerre (Viêtnam, Irak) et chacun l’a perdue. Trimballe sa dose de choc post-trauma­tique, sa propre couleur d’inadaptation à la vie “nor­male”.
Au cœur de ce trio, indéchiffrable et silencieux, Hoyt Stapleton voyage dans les livres et dans le temps, à la reconquête patiente et défiante d’une mémoire muette, d’un langage du souvenir.
À travers la détresse calme de ce vieil homme-enfant en cours d’évaporation arpentant les grands espaces de l’oubli, Christian Garcin signe un envoûtant roman américain qui fait cohabiter fantômes et réalisme, sourire et mélancolie, ligne claire et foisonnement. Et migrer Samuel Beckett chez Russell Banks.

Janvier, 2018 / 11,5 x 21,7 / 224 pages / ISBN 978-2-330-09246-7 / prix indicatif : 19, 00

Oublier mon père. Manu Causse

Un texte bouleversant sur la recherche d’identité, comment se construire lorsque l’on évolue en milieu hostile, aimer sans être aimé

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Le roman de Manu Causse s’ouvre sur une première scène qui présente une relation idyllique entre un père et son fils, au moment où le père prépare assidûment la prochaine course de ski de fonds qu’il compte aller disputer en Suède. Par crainte de briser l’instant magique, malgré le froid et sa maladresse, le petit Alexandre va accepter les chutes, les habits mouillés et le froid cuisant pour cet instant de communion avec son père. Il ne résiste cependant pas l’envie trop forte de prendre une photo de son père avec l’appareil qu’il convoite depuis si longtemps.

En toile de fond de cette histoire, il y a la mère, omniprésente, qui râle, dispute, rouspète, gronde après ce mari qu’elle honni, après ce fils qui ne comprend rien et ne fait surtout rien correctement, qui lui fait honte, qu’elle gifle à l’envie, pour qu’il apprenne. Alex, l’enfant qui se révèle rapidement être coupable de vivre, de tomber, de pleurer, d’exister.

Puis c’est le départ du père pour la course tant espérée, l’accident de voiture, et ce père qui ne reviendra plus. Pourtant, il faut qu’Alex vive avec ce manque, si bien matérialisé par cette photo prise ce jour-là, celle d’un père dans la neige, hors-cadre, à qui il manque la tête.

De ce jour, Alex va vivre une relation étroite et ambiguë avec cette mère étrangement peu aimante et surtout rancunière envers son époux mort au loin. Le fils devra se construire avec ce vide affectif, sans modèle paternel, et même contre ce modèle tant décrié par sa mère. Maladif, chétif, il sera incapable de s’épanouir dans sa vie d’adolescent, d’aimer, de vivre, dans sa vie d’homme, malgré ses rêves et son métier de photographe en souvenir de son père.

Jusqu’au jour où…

L’auteur a su nous embarquer dans le malaise de cet enfant, dans cette relation malsaine omniprésente entre la mère et son fils, cette relation entre époux ou plutôt avec le souvenir d’un époux mal-aimé, cette relation inexistante mais pourtant indispensable à l’équilibre du petit Alex devenu homme d’un père et son fils. Se sentant coupable de vivre quand son père n’est plus, le petit Alex accepte les mots qui blessent, les gifles assénées par la mère, la souffrance au quotidien, comme une évidence, une normalité acceptable. Cette mère toxique et malade que pourtant le jeune Alexandre accepte telle qu’elle est, reportant la faute sur son propre caractère, sur sa faiblesse, sa maladresse.

Je l’énerve et elle me frappe, c’est ma faute.

Construit en alternance entre le présent et l’enfance, avec des mots simples et des images saisissantes de réalisme, ce roman est tout simplement bouleversant. Il émane de ces mots une forme d’inhumanité au quotidien dont on imagine la véracité. On y décèle une souffrance profonde de l’enfance, causée par le mensonge, la solitude, la culpabilité, l’incompréhension. Il aborde de nombreux thèmes très actuels, d’une part le thème de l’homosexualité, et d’autre part, omniprésent, celui de l’enfance maltraitée, de la construction si malaisée des enfants qui grandissent auprès de parents toxiques et mal aimants.

j’ai retrouvé parfois au fil des pages des ambiances à la Jean-Paul Dubois, en particulier avec son roman Hommes entre eux lorsqu’il évoque ces rencontres entre hommes, dans les étendues glacées du grand nord…

Catalogue éditeur : Éditions Denoël

– Pas la peine de chialotter, je ne t’ai pas fait mal, m’assure ma mère chaque fois qu’elle me gifle.
Sud de la France, années 90. Alexandre grandit auprès d’une mère autoritaire et irascible. Elle veut à tout prix qu’il oublie l’image de son père disparu prématurément. Bon garçon, il s’exécute.
Devenu photographe, Alexandre se révèle un adulte maladroit, séducteur malgré lui, secoué par des crises de migraine et la révolution numérique. À quarante ans, il échoue dans un petit village de Suède pour y classer des images d’archives. Il lui faudra un séjour en chambre noire et une voix bienveillante pour se révéler à lui-même et commencer enfin à vivre.

Oublier mon père parle de la construction de l’identité masculine, des mensonges qui nous hantent et de la nécessité de s’affranchir du passé.

304 pages, 140 x 205 mm / ISBN : 9782207141311 / Parution : 23-08-2018

Helena. Jeremy Fel

Quand Jeremy Fel nous plonge avec Helena dans un univers noir qui parle de filiation et de détresse, un roman où la normalité bascule dans la violence et tient ses lecteurs en haleine.

Helena, mais qui est Helena ? Tourner les pages avec avidité – et un soupçon d’inquiétude – pour plonger dans l’univers noir, très noir de Tommy, Norma et Hayley, puis chercher à comprendre, savoir qui est cette Helena que l’on attend, que l’on espère dans cette ambiance particulièrement sombre et pesante.

Au Kansas, hors du temps, dans une région qui semble à l’écart du monde, là où les hommes peuvent se noyer ou mourir à la chasse, là où les abattoirs fermés depuis longtemps abritent SDF et jeunes en mal de repères, là où tous les repères de la normalité éclatent en morceaux, l’auteur a réuni ses protagonistes pour une rencontre totalement improbable.

Tommy, au lourd secret d’enfance et à l’esprit qui disjoncte, rêve de monstres ; Norma veuve soulagée mais culpabilisée, est éblouie par la beauté de sa petite Cindy ; Graham, le grand frère si raisonnable est amoureux et rêve d’évasion et de liberté ; Healey, jeune femme de 17 ans orpheline de mère, est insouciante et trop spontanée pour réfléchir et ne pas se flanquer dans les plus mauvaises situations. Tous campent des caractères tellement normaux, tellement classiques même et pourtant, tous sont à un moment ou un autre sur le fil du rasoir, au risque de franchir la frontière entre normalité et folie…

Helena est un roman émouvant et bouleversant, sanglant et angoissant ! Oui, tout à la fois, mais en fait, une fois dépassées les premières impressions, on n’a qu’une seule envie, aller au bout de ce lourd pavé !

L’auteur aborde dans ce roman noir de nombreux thèmes difficiles. On y trouvera la pédophilie et le viol, avec le silence des victimes comme des témoins, la dépression qui ronge des vies et l’abandon, et surtout, prépondérant, l’amour maternel, qui n’est pas toujours une évidence, mais qui peut aussi être porté à son paroxysme avec cette louve qui protège ses petits, parfois un peu trop tard, parfois à cause d’une culpabilité qui la ronge, enfin, l’ambivalence des personnalités, où le bien et le mal cohabitent et luttent pour savoir lequel des deux va prendre le lead sur la vie, les actions de chacun… Le tout avec des personnages poussés à l’extrême, qui malgré tous leurs défauts, et c’est un doux euphémisme, sont pourtant difficile à détester.

Il me semble enfin que Jeremy Fel approfondit la complexité des relations intrafamiliales, et le fait qu’elles sont normales ou au contraire à quel point elles peuvent être parfois totalement ambiguës, ici entre parents et enfants, frère et sœurs ou entre sœurs.

Avec Helena, Jeremy Fel nous offre un grand classique digne du thriller américain, son écriture est d’ailleurs totalement cinématographique. C’est à la fois lourd, sombre et addictif au possible, une réussite !

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Catalogue éditeur : Rivages

Kansas, un été plus chaud qu’à l’ordinaire.
Une décapotable rouge fonce sur l’Interstate. Du sang coule dans un abattoir désaffecté. Une présence terrifiante sort de l’ombre. Des adolescents veulent changer de vie. Des hurlements s’échappent d’une cave. Des rêves de gloire naissent, d’autres se brisent.
La jeune Hayley se prépare pour un tournoi de golf en hommage à sa mère trop tôt disparue.
Norma, seule avec ses trois enfants dans une maison perdue au milieu des champs, essaie tant bien que mal de maintenir l’équilibre familial.
Quant à Tommy, dix-sept ans, il ne parvient à atténuer sa propre souffrance qu’en l’infligeant à d’autres…
Tous trois se retrouvent piégés, chacun à sa manière, dans un engrenage infernal d’où ils tenteront par tous les moyens de s’extirper. Quitte à risquer le pire.
Et il y a Helena… 

ISBN : 978-2-7436-4467-3 / EAN : 9782743644673 / Parution : août, 2018 / 800 pages / Format : 14.0 x 20.5 / Prix : 23,00€

Au loin. Hernan Diaz

Quand la ruée vers l’ouest prend des chemins de traverse pour trappeur solitaire, un roman aussi bouleversant qu’étonnant

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Alors qu’il débarque en Californie, seul et sans connaitre la langue, le jeune Håkan ne s’imagine pas qu’il va mettre tant d’années à rechercher son frère. Pourtant, l’Amérique que lui avait vantée ce dernier, alors qu’ils étaient encore dans leur famille en Suède s’avère bien plus périlleuse et dangereuse que prévu.

Acculé par la pauvreté, les parents avaient décidé que leurs deux fils partiraient ensemble pour trouver le bonheur sur la côte est des États-Unis… c’est en Californie que débarque le jeune Håkan, immédiatement repéré par une femme étrange qui l’entraine dans ses filets vénéneux. Quand il réussit à fuir, c’est d’Ouest en Est qu’il décide de marcher, pour rejoindre New-York, son rêve.

Traverser l’Amérique à pied dans les années de la ruée vers l’or n’est pas chose aisée. Sans travail, sans argent, sans pouvoir échanger quoi que ce soit, bientôt le jeune homme va s’isoler du reste des hommes. Même s’il accepte temporairement de travailler, puis de traverser avec un convoi de pionniers, la compagnie ne lui convient pas et il recherche rapidement la solitude. Un jour, comme dans tout western qui se respecte, le convoi est attaqué sauvagement par des indiens -ou pas- seul survivant, Håkan doit fuir pour garder la vie sauve, puis fuir car il sera injustement accusé …

Alors que tout un panthéon d’aventuriers tous plus pittoresques les uns que les autres vont croiser sa route, Håkan n’a qu’un seul but, retrouver ce frère Linus qu’il a perdu au départ de son pays. Mais la route est longue, la vie est faite de rencontres, de combats, d’apprentissages et de découvertes, de blessures et de victoires. Il va passer de longs mois, des années sans doute, loin des hommes et près de cette nature protectrice et parfois destructrice. Pourtant pendant ce temps, sa légende va grandir, car c’est un homme hors du commun. Étrange et de grande taille, il est si différent qu’il interroge et fait peur.

Peu à peu, il trace son sillon à travers ces vastes plaines qui ont forgé l’Amérique d’aujourd’hui. Celle des aventuriers, des chercheurs d’or, des paysans et des pionniers solitaires, de ces hommes forts ou faibles, mais qui vont de l’avant, qui essayent, gagnent, tombent et se relèvent, qui poursuivent la route vers le point qu’ils se sont fixés.

Voilà un roman très étonnant, quand on s’attend plus ou moins à un récit classique d‘émigration vers l’ouest, nous voilà transportés dans une autre dimension, pris dans les mots, le passé d’un solitaire taiseux et étranger à ceux qui l’approchent. Un roman surprenant mais envoûtant, qui nous entraine à travers cette épopée d’un homme seul, de déserts en étendues glacées, à l’image même de cette Amérique gigantesque et terrifiante par sa diversité et son immensité.

Catalogue éditeur : Delcourt littérature

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Christine Barbaste.
Prix du roman Page/America 2018.

Jeune paysan suédois, Håkan débarque en Californie, seul et sans le sou. Il n’a qu’un but : retrouver son frère Linus à New York. Il va alors entreprendre la traversée du pays à pied, remontant à contre-courant le flux continu des pionniers qui se ruent vers l’Ouest. Les caravanes se succèdent et les embuches aussi. Trop souvent, la nature et les hommes essaieront de le tuer. Håkan croise ainsi la route de personnages truculents et souvent hostiles : une tenancière de saloon, un naturaliste original, des fanatiques religieux, des arnaqueurs, des criminels, des Indiens, des hommes de loi…
Et, tandis que s’écrivent à distance les mythes fondateurs de l’Amérique, il devient un héros malgré lui. Peu à peu, sa légende grandit. Håkan n’a plus d’autre choix que de se réfugier loin des hommes, au cœur du désert, pour ne plus être étranger à lui-même et aux autres.

Auteur d’un essai sur Borges, Hernan Diaz est aujourd’hui directeur adjoint de l’Institut hispanique de la Columbia University. Finaliste du Prix Pulitzer et du Pen/Faulkner Award, Au loin est son premier roman.

Parution le 5 septembre 2018 / 334 pages / 21.50€

 

Et j’abattrai l’arrogance des tyrans. Marie-Fleur Albecker

Et j’abattrai l’arrogance des tyrans, de Marie-Fleur Albecker, une histoire de gens ordinaires, du besoin vital de justice, de liberté, d’égalité entre Hommes… Car on est encore loin de l’égalité hommes-femmes.

DOMI_C_Lire_et_j_abattrai_l_arrogance_des_tyransAux Forges de Vulcain est décidément une maison d’éditions qui nous surprend avec ses auteurs et ses découvertes. Voici un premier roman qui n’a rien du roman historique classique, pourtant nous voilà embarqués par le ton et la narration de Marie-Fleur Albecker.

1381 en Angleterre, la grande peste et la guerre de cent ans ruinent le pays, les paysans vont devoir payer un nouvel impôt. Alors la rage éclate, car écrasés de taxes et d’impôts divers ils arrivent tout juste à survivre. La révolte éclate, serfs, paysans, par milliers de pauvres ères quittent leurs régions de l’Essex et du Kent armés de haches et de gourdins à l’assaut de Londres et de la garde du Roi Richard – le deuxième du nom, un roi à peine âgé de quatorze ans – pour demander l’annulation de la loi scélérate.

Dans cette foule, il y a aussi des hommes plus instruits qui mènent les troupes, mais également Johanna Ferrour. Une jeune femme d’à peine trente ans, mariée à un homme plus âgé, avec qui elle vit une relation qui, si elle n’est pas d’amour et de folie douce, est pour le moins harmonieuse. Mais Johanna décide de se battre aux côtés des gueux avec son époux William, pour demander justice et réparation pour ces inégalités, pour ces affronts endurés par des générations de paysans dociles et exploités. Elle part cheveux aux vents quand toute femme qui se respecte porte un foulard sur la tête, reste au foyer et ne demande ni ne prend surtout pas la parole… La suite on s’en doute sera épique et combative…

Ce que j’ai aimé dans ce roman si atypique ? Sans doute ce qui m’a au départ le plus déroutée, ce langage si moderne qu’on oublie forcément qu’il s’agit de la narration d’un fait historique. L’auteur nous entraine dans le présent, dans ses références, son langage, son argot aussi et ses situations. Sa façon de faire parler ses personnages, en donnant à leur action une brulante actualité, langage de banlieue, de voyous, de justiciers ou de paysans du Moyen Age, chacun d’eux ne cherche qu’à obtenir justice avec un grand J. Justice qui ne leur est bien évidement pas rendue, car l’inégalité est criante face aux nobles, aux propriétaires, au Roi bien sûr, à qui l’on n’ose pas s’adresser puisqu’il est Roi de droit divin. Mais après tout ce n’est qu’un homme, et ici un tout jeune homme, à peine un adolescent.

Et puis il y a Johanna, qui veut conquérir sa place parmi les hommes, ceux qui la dédaignent ou voudraient bien l’utiliser, car à quoi servent les femmes dans un combat si ce n’est au repos du guerrier, elles sont filles de petite vertu ou pute, mais certainement pas femme honnête et soldat. Combat absolument actuel et permanent pour assoir la place des femmes, qui du moyen âge à aujourd’hui doivent lutter pour exister, avoir le droit à la parole, à l’égalité.

Cette lecture, enfin non, cette écriture, m’a par ailleurs fait penser à un style d’écriture que j’avais découvert avec le roman de Sylvain Pathieu, dans la sélection du Prix Orange du Livre 2016, Et que celui qui a soif, vienne. Je pense que c’était ma première expérience d’intrusion, dans un texte qui relate un fait historique, de pensées et questionnements qui appartiennent au vécu et au quotidien de l’auteur, contemporains de l’écriture et non de la narration. Mais c’est réalisé de façon beaucoup plus prépondérante ici, et je n’ai pas toujours réussi à m’y faire. J’avoue avec été parfois  perdue dans les digressions, nombreuses. Pourtant, si le ton est actuel, humoristique parfois et moderne avant tout, la situation est parfaitement maitrisée par l’auteur. Marie-Fleur Albecker s’appuie sur des connaissances précises et étayées pour nous conter un épisode sanglant de l’Histoire d’Angleterre mais qui, hélas pour eux, n’aura bien évidement pas réussi aux révoltés, puisque aucun servage n’a été aboli à cette époque …

Enfin, l’analyse de la révolte, de son amplitude, puis de son déclin m’a fait penser aux révolutions des dernières décennies : comment des foules peuvent s’emballer, se révolter, partir au combat, puis comment tout cela va s’éteindre sans aucun résultat, ou si peu établi que tout se délite rapidement. Intéressante analyse mais qui est il me semble un peu  noyée sous ces digressions contemporaines.

Dans tous les cas, voici donc une étonnante et assez unique expérience de lecture ! A conseiller en particulier à vous que le roman historique rebute mais qui aimez être surpris par l’écriture.

💙💙💙


Catalogue éditeur : Aux Forges de Vulcain

En 1381, la grande peste et la Guerre de Cent ans ont ruiné le royaume d’Angleterre. Quand le roi décide d’augmenter les impôts, les paysans se rebellent. Parmi les héros de cette première révolte occidentale : John Wyclif, précurseur du protestantisme, Wat Tyler, grand chef de guerre, John Ball, prêtre vagabond qui prône l’égalité des hommes en s’inspirant de la Bible. Mais on trouve aussi des femmes, dont Joanna, une Jeanne d’Arc athée, qui n’a pas sa langue dans la poche et rejoint cette aventure en se disant que, puisque l’on parle d’égalité, il serait bon de parler d’égalité homme-femme…

Date de parution : 24/08/2018 / EAN : 9782373050424 / Nombre de page : 250

Le paradoxe d’Anderson. Pascal Manoukian

Dans cette France de la fracture sociale qui s’invite à grand bruit dans la rentrée littéraire, Pascal Manoukian fait réfléchir ses lecteurs autrement, avec beaucoup d’humanité.

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Aline et Christophe, un couple, une vie de famille bien rangée. Une fille qui prépare son bac avec l’espoir de continuer des études supérieures, un travail à l’usine textile et un mari qui a également un travail régulier, des parents dont on s’occupe, qui ont trimé toute leur vie et qui le mérite bien, et les copines, dans cette petite ville de l’Oise dans laquelle on a passé toute sa vie…

Un jour, une rumeur de déménagement et peut-être même de fermeture de leur usine se répand chez les ouvrières. Où, quand ? Puis un matin, les machines ont disparu, l’emploi afférant également. Les espoirs d’un futur serein se volatilisent en un clin d’œil, la situation est en équilibre instable. Avec la perte d’emploi, les crédits, les traites et les impôts à payer, les études des enfants, tout devient aléatoire.

Du jour au lendemain c’est la désescalade, tout s’effondre autour d’Aline et Christophe. C’est la fin de la sécurité et du confort, mais le couple décide de ne rien dire aux enfants, ni aux parents, ils ne méritent pas de se faire du soucis, on les aime, on les protège, et après tout on va bien y arriver. Puis, comme souvent dans ces cas-là, une catastrophe ne venant jamais seule, c’est à l’usine du mari que la grève est votée, plus d’heures sup pour rattraper le salaire perdu, même plus de travail pour survivre, être un couple normal intégré dans cette normalité qui disparait du jour au lendemain, sans qu’on y prenne garde, sans prévenir, sans précaution aucune…

Il y a bien sûr du conte social dans ce dernier roman de Pascal Manoukian, mais aussi du Karl Marx, de la pensée communiste et surtout humaniste. L’auteur y évoque avec  justesse la vie des ouvriers dans ces villes du nord de l’Oise. L’avalanche de délocalisations, quand les machines disparaissent en une nuit pour aller alimenter des usines à la main d’œuvre low cost qui font le bonheur des actionnaires, montrant une France à deux vitesses, qui part dans deux directions opposées, le bien des ouvriers d’un côté, le gain des actionnaires de l’autre… Dans ces villes sinistrées où le chômage touche une grande partie de ces populations qui n’avaient qu’un seul patron, l’usine locale, comme pour les Goodyear par exemple. Puis ce sont les grèves, les séquestrations de patrons, les dettes qui s’accumulent, la misère, les maisons vendues au plus offrant … et les enfants qui étudient, mais pourquoi si aucun espoir de vie meilleure ne vient éclaircir leur horizon ? Car tel semble bien être le paradoxe d’Anderson

💙💙💙💙

Du même auteur, on ne manquera pas de lire Les échoués, et l’avis de Nicole du blog Motspourmots.

Catalogue éditeur : Seuil

Plus rien n’est acquis. Plus rien ne protège. Pas même les diplômes.

À 17 ans, Léa ne s’en doute pas encore. À 42 ans, ses parents vont le découvrir. La famille habite dans le nord de l’Oise, où la crise malmène le monde ouvrier. Aline, la mère, travaille dans une fabrique de textile, Christophe, le père, dans une manufacture de bouteilles. Cette année-là, en septembre, coup de tonnerre, les deux usines qui les emploient délocalisent. Ironie du sort, leur fille se prépare à passer le bac, section « économique et social ». Pour protéger Léa et son petit frère, Aline et Christophe vont redoubler d’imagination et faire semblant de vivre comme avant, tout en révisant avec Léa ce qui a fait la grandeur du monde ouvrier et ce qui aujourd’hui le détruit. Comme le paradoxe d’Anderson, par exemple. « C’est quoi, le paradoxe d’Anderson ? » demande Aline. Léa hésite. « Quelque chose qui ne va pas te plaire », prévient-elle. Léon, dit Staline, le grand-père communiste, les avait pourtant alertés : « Les usines ne poussent qu’une fois et n’engraissent que ceux qui les possèdent.»

Photographe, journaliste, réalisateur, Pascal Manoukian a couvert un grand nombre de conflits. Ancien directeur de l’agence Capa, il se consacre à l’écriture. Il a notamment publié, aux éditions Don Quichotte, Le Diable au creux de la main (2013), Les Échoués (2015) et Ce que tient ta main droite t’appartient (2017).

Date de parution 16/08/2018 : 19.00 € TTC /304 pages : EAN 9782021402438

Ne m’appelle pas Capitaine, Lyonel Trouillot

Quand deux mondes que tout oppose se rencontrent

Lyonel Troulliot nous fait découvrir une nouvelle facette de cet Haïti intime qu’il connaît si bien.

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Aude est élève journaliste. Le prochain devoir de ce futur grand reporter ? Enquêter sur des faits, des lieux, des dates, de préférence dans un milieu qu’elle ne connaît pas. Elle choisit Morne Dédé à Port-au-Prince, ce quartier connu pour avoir abrité les opposants au régime des Duvalier, quartier en tous points à l’opposé de celui où elle vit. Car Aude est une jeune fille issue de la grande bourgeoisie de Port au Prince. Née du bon côté, elle possède une voiture, des robes fabuleuses, jouit pleinement du confort moderne de la luxueuse maison familiale, dans cette société Haïtienne qui vit à l’abri dans des résidences sécurisées.

Elle choisit d’aller dans ce quartier pauvre dont elle ne sait rien où elle va rencontrer Capitaine, un survivant des années de dictature. Lui le résistant, le maître en arts martiaux qui rêvait de créer une maison comme un lieu d’apprentissage où chacun pourrait tisser des liens pour faire vivre ce quartier déshérité, ne vit plus désormais que dans le regret et le rêve de ses amours perdues.

Peu à peu, de rencontre en monologue, de discussion en échange, Aude se révèle à elle-même. Ces visites à Capitaine agissent sur elle comme un révélateur. Car tout coup elle n’appartient plus à une famille mais elle pense enfin en son nom. Elle a des idées, des opinions et c’est nouveau pour elle. Elle qui vit depuis toujours dans une certaine opulence et d’un seul côté de la barrière se réveille aux autres. A ces autres à qui elle s’adresse d’abord maladroitement, car pour une fois ils ne sont pas là pour la servir mais au contraire ils sont ses égaux et c’est nouveau pour elle.

Lyonel Trouillot nous offre ici une étonnante vision humaine et solidaire d’Haïti, l’île aux multiples visages. Toute la beauté de ce roman tient dans cet échange, dans ces deux voix qui se craignent, se repoussent, puis se mêlent et se rejoignent. Celle d’Aude et celle de Capitaine, chacun méfiant, chacun si loin de l’autre, puis d’une certaine façon de plus en plus proche. Le lecteur assiste à l’éveil d’une conscience, non pas tant du mal vers le bien mais plutôt de la richesse qui isole vers la conscience qui rapproche et qui révèle. C’est la rencontre de deux personnes que tout oppose, qui n’ont rien en commun mais qui vont se découvrir, s’éveiller l’un à l’autre, par ce chemin improbable qu’ils vont faire l’un vers l’autre, alors que rien ne pouvait le laisser présager !

A propos d’Haïti, vous pouvez retrouver également mes chroniques des romans de Louis-Philippe Dalembert, Avant que les ombres s’effacent, ou de Yanick Lahens, Douces déroutes.

Catalogue éditeur : Actes Sud

Quand Aude, aspirante journaliste, décide de frapper à la porte de Capitaine pour enquêter sur le Morne Dédé, elle n’est rien d’autre aux yeux du vieil homme qu’une jeune bourgeoise qui n’a connu que “des souffrances de contes de fées”, l’héritière d’une longue tradition de familles opulentes ayant bâti leur fortune sur le dos des pauvres gens.
Mais à ce vieillard acariâtre figé dans son fauteuil, la jeune fille offre également l’occasion de déchirer le silence, provoquant d’abord sa colère, puis parvenant peu à peu à ressusciter le grand maître d’arts martiaux qu’il a autrefois été, du temps où il se battait pour faire vivre son club, un lieu d’apprentissage, du temps où une mystérieuse élève l’avait ensorcelé et enjoint à servir “la cause”, une femme dont il était tombé fou amoureux avant de la haïr.
Parce qu’elle apprend à poser un regard critique sur le milieu protégé dont elle est issue, qu’elle sait, dès lors, voir plus loin que le bout de son portail sécurisé, Aude commence à faire sa place dans cet ailleurs. En la personne du vieil homme et de quelques jeunes “échoués”, elle identifie un autre monde, une nouvelle humanité et, avec elle, le chemin pour faire de la vie une cause commune.

Août, 2018 / 11,5 x 21,7 / 160 pages / ISBN 978-2-330-10875-5 / prix indicatif : 17, 50€