Né d’aucune femme, Franck Bouysse

Franck Bouysse nous plonge dans une atmosphère à la façon de Flaubert ou de Dickens. « Né d’aucune femme » est un roman choral, situé fin XIXe début XXe, dans une province qui pourrait être les Landes ou le sud-Ouest chers au cœur de l’auteur.

Gabriel, le curé du village, reçoit une étrange visite. Une inconnue l’informe qu’il va être appelé, par ceux du monastère où se réfugient les filles perdues, auprès d’une jeune morte. Dans les plis de la robe, il trouvera deux carnets, une vie, la vie de Rose…

Rapidement, avec Gabriel, le lecteur feuillette ces carnets et plonge directement dans l’horreur de la misère. Celle des filles qui naissent mais ne servent à rien, même si elles travaillent dur, bouche à nourrir, dot à payer, et elles partent servir dans la famille du mari quand on leur en trouve un…Mais ici, Onésime, le père, au plus profond de son désespoir car il n’arrive pas à subvenir correctement aux besoins de sa famille, a trouvé un moyen de se débarrasser de son ainée, la vendre au maitre de forge.

Elle part avec son père, ne le sait pas encore, mais sa vie d’avant est finie à jamais. Elle repart avec le maitre vers cette grande demeure inquiétante où règne la Vieille, mère et maitresse, mauvaise, hostile à cette jeune femme qu’elle dresse et veut assujettir à sa volonté. Là, Rose, devenue la petite, va vivre des moments de labeur et de douleur. Brimades, corrections, viol, rien ne sera épargné à celle qui désormais appartient au maitre corps et âme.

Le lecteur s’attache à ce personnage de jeune fille. L’auteur construit et fait évoluer autour d’elle les différents protagonistes, en particulier les acteurs de son malheur, avec une montée dans l’intrigue digne des grands romans noir. Pourtant, au plus douloureux de ce qu’elle va vivre, elle n’est cependant jamais totalement désespérée. Elle sait voir le beau. Flatter le col d’un cheval et vivre des instants de bonheur et de douceur à son contact, penser à un jeune homme dont le regard l’émeut sont autant d’instants qu’elle saura sublimer pour réussir à rester vivante dans sa tête.

L’auteur décrit ici le mal dans ce qu’il a de plus terrible, quand le plus fort montre à l’autre ses faiblesses, anéanti sa volonté, annihile sa personnalité. Et cependant, j’ai aimé le fait qu’il mette en scène une jeune femme qui sait verbaliser et écrire le désespoir. Rose réussit à s’extraire mentalement du malheur qu’est sa vie pour devenir une jeune femme solide, parfois même amoureuse, qui ressent des sentiments, des joies, dans cette maison où tout bonheur lui est pourtant refusé. Enfermée, alors qu’elle devrait devenir folle l’écriture va la sauver.

J’ai découvert Franck Bouysse avec ce roman et je ne compte pas en rester là. J’ai trouvé autant de beauté que de cruauté dans ce roman écrit avec une plume qui sait dire la complexité des sentiments et les mots qui émeuvent.

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Rencontre au salon Livre Paris

Catalogue éditeur : La Manufacture de livres

 » Mon père, on va bientôt vous demander de bénir le corps d’une femme à l’asile.
– Et alors, qu’y-a-t-il d’extraordinaire à cela ? Demandai-je.
– Sous sa robe, c’est là que je les ai cachés.
– De quoi parlez-vous ?
– Les cahiers… Ceux de Rose. »

Ainsi sortent de l’ombre les cahiers de Rose, ceux dans lesquels elle a raconté son histoire, cherchant à briser le secret dont on voulait couvrir son destin. Franck Bouysse, lauréat de plus de dix prix littéraires, nous offre avec Né d’aucune femme la plus vibrante de ses œuvres. Ce roman sensible et poignant confirme son immense talent à conter les failles et les grandeurs de l’âme humaine.

Franck Bouysse, né en 1965 à Brive-la-Gaillarde, a été enseignant en biologie et se lance dans l’écriture en 2004. Grossir le ciel en 2014, puis Plateau en 2016 rencontrent un large succès, remportent de nombreux prix littéraires et imposent Franck Bouysse sur la scène littéraire française. Il partage aujourd’hui sa vie entre Limoges et un hameau en Corrèze.

20,90 euros / 336 pages / Parution le 10/01/2019 / ISBN 978-2-35887-271-3

Toxique, Niko Tackian

Découvrir le commandant Tomar Khan, un nouvel enquêteur et avoir envie de suivre ses aventures, voilà qui est fait avec « Toxique » de Niko Tackian.

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Paris, peu de temps après les vagues d’attentats de 2015. A la Crim’ du 36 quai des orfèvres, Tomar Khan n’est pas un flic ordinaire. Sa mère est une ancienne peshmerga. Cette combattante Kurde a fui la Turquie et les zones de guerre pour trouver une vie plus calme en France. C’était avant de connaitre la violence aveugle des hommes, cette violence sourde envers les femmes dans leur propre foyer. Violence à laquelle avait dû faire face Tomar, qui devait protéger à la fois sa mère et son petit frère. Mais le père est mort, la famille peut dormir tranquille, alors pourquoi Tomar est-il aussi inquiet

Une école maternelle dans la banlieue parisienne, la directrice vient d’être retrouvée assassinée dans son bureau. Un des professeurs,un certain Le Brun, était dans le bureau juste avant le drame. Le fait est établi, il n’est pas rentré chez lui… Voilà une enquête qui sera vite bouclée. Chacun va pouvoir regagner rapidement ses pénates.

Enfin, ça c’est sans compter sur le commandant qui repère tout de suite les violences pas tout à fait ordinaires… Cet homme à la fois fort et fragile, tourmenté par ses propres démons, a du flair pour les enquêtes. Alors pourquoi cette femme sans histoire, pourquoi cet homme sans antécédents, quel mystère cela cache-t-il ? Il va falloir interroger tous les témoins, passer au crible leurs témoignages, leurs personnalités… et trouver, caché par-là, la faille, le point faible, la femme toxique…

Ne pas en déflorer d’avantage, mais vous dire que cet auteur vous entraine dans les méandres de l’esprit de son commandant, et vous n’avez pas du tout envie d’en sortir ! C’est rythmé, plausible, différent, passionnant. Il y a les investigations autour du meurtre, mais surtout les réflexions sur le passé, la culpabilité, le destin, inéluctable, et la partie psychologique de l’enquête est passionnante.

Tomar est très  vite un intime que l’on a envie de suivre jusqu’au bout de ses nuits de questionnements et de souffrance intérieure. Les intrigues se mêlent et s’emmêlent pour le plus grand bonheur du lecteur pris au piège, qui tourne les pages les unes après les autres sans aucune envie de s’arrêter. Exactement le genre de polar que l’on a autant hâte de finir qu’envie de poser là pour le savourer lentement, en prenant son temps pour faire durer le plaisir.

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Catalogue éditeur : Le Livre de Poche

Janvier 2016. La directrice d’une école maternelle de la banlieue parisienne est retrouvée morte dans son bureau. Dans ce Paris meurtri par les attentats de l’hiver, le sujet des écoles est très sensible. La Crim dépêche donc Tomar Khan, un des meilleurs flics de la Crim, surnommé le Pitbull, connu pour être pointilleux sur les violences faites aux femmes. À première vue, l’affaire est simple. « Dans vingt-quatre heures elle est pliée », dit même l’un des premiers enquêteurs. Mais les nombreux démons qui hantent Tomar ont au moins un avantage : il a développé un instinct imparable pour déceler une histoire beaucoup plus compliquée qu’il n’y paraît.
 
Une personnalité toxique, une psychopathe comme vos pires cauchemars ne vous ont jamais permis d’en croiser.  Le Télégramme

320 pages / Parution : 03/01/2018 / EAN : 9782253092681 / Editeur d’origine : Calmann-Lévy

La mort selon Turner. Tim Willocks

Afrique du Sud, là où une vie ne vaut rien… cela aurait pu être La foi selon Turner ou La justice selon Turner… Ce sera La mort selon Turner. Le dernier roman de Tim Willocks est totalement addictif, j’y ai succombé.

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De jeunes afrikaners quittent la vile du cap en catastrophe, ils doivent dégager en vitesse d’un bouge dans lequel ils ont bu plus que de raison. Dirk, l’un d’entre eux, complétement ivre, démarre le Range Rover et sans même s’en rendre compte percute à mort une jeune SDF. Protégé par Hennies, le second mari de sa mère, Dirk et la bande fuient vers Cap-Nord, la ville minière où règne Margot Le Roux, la mère de Dirk. Margot et ses mines qui permettent à toute une région d’avoir du travail.

Lorsqu’elle est mise au courant des faits, Margot, en maitresse femme décide que son fils doit tout ignorer et ne doit surtout pas être mis en cause dans cette affaire. Son brillant avenir d’avocat en pâtirait définitivement. Car après tout, que vaut cette inconnue oubliée dans la rue, morte juste un peu plus tôt par la faute de son fils …

Mais c’est sans compter sur Turner le flic aux yeux verts. Winston Turner, cet inspecteur de la brigade criminelle est armé d’une volonté farouche, il est bien décidé à rendre justice à la pauvresse que tout le monde souhaite oublier le plus rapidement possible. Envoyé par son boss sur le territoire hostile de la famille Le Roux, Turner n’est pas près d’arriver à ses fins.

Là, la corruption règne en maitre. La moitié de la région est aux ordres de Margot et de ses sbires, poussés par une haine viscérale de ceux qui leur résistent, ayant (et c’est un euphémisme) la gâchette facile, les situations vont être beaucoup plus compliquées que ne l’espérait Turner. Il va vite se rendre compte du peu de prix que l’on accorde aux vies humaines, à la sienne comme aux autres d’ailleurs. Représentant l’autorité ou pas, qu’importe. C’est un homme d’une force de caractère sans pareille, et je dois dire que l’auteur sait immédiatement nous le faire accepter et aimer tel qu’il est, dans le pire comme le meilleur.

Dans ce roman, il y a l’amour d’une mère, qui s’est construite contre les hommes, la loyauté à une famille, la corruption à tous les niveaux, quand on peut se laisser acheter pour une maison ou pour quelques lingots d’or, il y a un flic intègre qui porte au fond de lui de vielles blessures et une police corrompue et aveugle sans doute autant par facilité que par instinct de survie, il y a une étrange analyse de la justice des hommes, l’officielle et celle qui les arrange, qui permet de s’autoriser quelques petits accommodements qui parfois semblent raisonnables, il y a les silences et les non-dits qui peuvent détruire des existences, il y a la lutte entre noir et blancs en Afrique du Sud, et sans doute ailleurs dans le monde….

Alors, quel rythme, quelle hécatombe, quel suspense ! Des personnages attachants, révoltants, intrigants, que l’on veut comprendre, aider, aimer, qui nous révulsent et qui nous émeuvent. Je me suis laissée embarquer dans ce roman sans même reprendre mon souffle tant le rythme et l’intrigue sont addictifs. Il y a tout ce qu’il faut dans le décor pour nous dépayser et nous convaincre, vieilles mines de manganèse, fermes isolées, une seule grande rue dans le village, on se croirait en plein western, et par moment les scènes totalement apocalyptiques aux descriptions aussi violentes que détaillés se déroulent réellement sous nos yeux.. Enfin, je vous l’assure, vous n’appréhenderez plus jamais le désert ni un être humain de la même façon après avoir lu La mort selon TurnerUne réussite ce roman noir, très noir, qui nous emporte à un rythme effréné…

Voilà qui donne le là :

– Avez-vous la moindre idée de ce que la loi exigeait la première fois que j’ai prêté serment ? Nous étions comme la Gestapo. L’homosexualité était illégale. Les mariages interraciaux aussi. Un home comme vous et moi ne pouvait pas marcher dans la rue sans enfreindre la loi.
– Cette fille a été tuée. Elle a droit à la justice.
– Il n’y a pas de justice. Il n’y a que nous.

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On ne manquera pas de lire également l’avis de Nicole du blog Motspourmots

Catalogue éditeur : Sonatine

Benjamin LEGRAND (Traducteur)

Lors d’un week-end arrosé au Cap, un jeune et riche Afrikaner renverse en voiture une jeune Noire sans logis qui erre dans la rue. Ni lui ni ses amis ne préviennent les secours alors que la victime agonise. La mère du chauffeur, Margot Le Roux, femme puissante qui règne sur les mines du Northern Cape, décide de couvrir son fils. Pourquoi compromettre une carrière qui s’annonce brillante à cause d’une pauvresse ? Dans un pays où la corruption règne à tous les étages, tout le monde s’en fout. Tout le monde, sauf Turner, un flic noir des Homicides. Lorsqu’il arrive sur le territoire des Le Roux, une région aride et désertique, la confrontation va être terrible, entre cet homme déterminé à faire la justice, à tout prix, et cette femme décidée à protéger son fils, à tout prix.

Le fauve Willocks est à nouveau lâché ! Délaissant le roman historique, il nous donne ici un véritable opéra noir, aussi puissant qu’hypnotique. Lire la suite

Tim Willocks est né en 1957 en Angleterre. Grand maître d’arts martiaux, il est aussi chirurgien, psychiatre, producteur et écrivain. La Mort selon Turner est son quatrième roman chez Sonatine Éditions.

EAN : 9782355846724 / Nombre de pages : 384 / Format : 140 x 220 mm / Prix 22.00 € / Date de parution : 11/10/2018

Un royaume pour deux, Marin Ledun

Marin Ledun est un auteur largement reconnu par la critique et par ses lecteurs dans le domaine du roman noir. Ici, je le découvre avec « Un royaume pour deux » édité par Syros en littérature jeunesse.

Domi_C_Lire_un_royaume_pour_deux_marin_ledun.jpgAlors qu’elle est en vacances comme chaque été chez sa grand-mère, dans cette région qu’elle connait bien, la jeune Lola voit arriver sa mère, et celle-ci accompagne un jeune garçon qui va passer quelques jours avec Lola et sa grand-mère.
Jusque-là, rien d’exceptionnel, si ce n’est que Aymen est une jeune syrien, que ses parents sont des émigrés sans papiers qui ont fui la Syrie et qu’ils sont hébergés provisoirement par les parents de Lola à Paris. Un garçon de son âge qui arrive de si loin en ayant traversé des contrées hostiles et surtout fui la guerre, cela impressionne forcément Lola, qui, plus jeune d’un an, ne veut surtout pas perdre la face.

Elle tente alors de l’amadouer, et peut-être surtout de l’impressionner, en lui faisant découvrir cette grande bâtisse en ruine  qui est un peu son domaine mais qui, parce qu’elle tombe réellement en ruine, est dangereuse. Il ne faut pas s’en approcher. Cette découverte doit rester leur secret.

Les deux enfants visitent les salles du royaume, puis une dispute éclate… Aymen s’enfuit, laissant Lola à ses colères et ses problèmes d’amour propre. De retour chez la grand-mère de Lola, il découvre que celle-ci n’est pas rentrée, et que la famille est inquiète.

Mais que peut penser, et surtout comprendre des réactions de la famille un jeune garçon qui a connu le pire, qui veut faire bien, mais à peur de causer du mal à ses parents, en fuite, migrants illégitimes dans une ville qui ne veut peut-être pas d’eux…

Tout le charme de ce roman repose à la fois sur la personnalité de Lola et Aymen, leur passé si différent, leurs conditions de vie, leurs façon d’entrevoir leur avenir, et la confiance, difficile à instaurer, mais si forte et importante au final. De timide et craintif, à solidaires et fraternelle, leur relation va évoluer et nous montrer toute la complexité des sentiments, des façons de voir et de comprendre, largement conditionnées par nos expériences, notre passé, notre cadre de référence.

Ce que j’aime dans ce roman ? La façon dont l’auteur, fidèle à ses habitudes, aborde des sujets de société actuels, tout en sachant les adapter au public de son livre. Chaque lecteur peut s’interroger sur le monde qui l’entoure, car les migrants sont un des éléments récurrents de nos journaux télévisés, et les informations transportées par nos médias touchent chacun d’entre nous chaque jour, enfants et ados compris.

Si vous aussi vous avez envie de découvrir les romans jeunesse de cet auteur qui nous a convaincu depuis longtemps de son talent, allez-y ! J’avoue, je suis séduite par l’écriture et par le fonds de cette intrigue. L’amitié, la découverte, la fidélité, la timidité de ces enfants, la relation qui se tisse entre eux, et finalement ce qui va en ressortir, tout cela est un vrai régal de lecture. Je ne peux que vous conseiller de le faire découvrir à vos ados !

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Catalogue éditeur : Syros

Le nouveau roman de Marin Ledun dans la collection Souris noire ! Un hymne à la nature et à l’enfance, qui met en scène un duo bien ancré dans notre époque.

En vacances chez sa grand-mère, Lola est la reine d’un royaume qu’elle réinvente chaque été. Cette nature sauvage écrasée de soleil, dont elle connaît le moindre bloc de pierre ou buisson d’aubépine, elle va devoir la partager cette année avec Aymen, un jeune garçon syrien dont la famille est réfugiée en France. Par amitié, mais aussi par bravade, Lola conduit Aymen jusqu’à la ruine maudite, une vieille bâtisse à propos de laquelle se raconte une histoire terrifiante…

Auteur(s)  :  Marin Ledun / Illustrateur(s)  :  Anne-Lise Nalin / Date de parution  :  09/03/2017 / ISBN : 9782748523379  / 63 pages / 5,99 euros

 

Baby spot. Isabel Alba

Baby Spot, d’Isabel Alba, traduit par Michelle Ortuno, un livre très court mais percutant qui bouscule nos certitudes.

Dans une banlieue tout à fait sordide de Madrid, en bordure d’un périphérique, frontière entre deux mondes, il y a ceux qui réussissent et les autres. Les jeunes trainent leurs guêtres dans les ruines d’un quartier jamais terminé par l’entreprise de construction, quand les appartements eux ont été vendus depuis longtemps. Témoins de la vie sordide des petits voyous et des trafics en tout genre, des violences sur les femmes, elles qui disent toujours non et se débattent même quand elles sont d’accord comme chacun le sait bien, des coups portés à la mère quand elle veut s’exprimer, du père qui traine au café, ivre, du matin au soir car il est au chômage. Les enfants trainent, et Lucas est un peu leur souffre-douleur, il les accompagne partout, mais il est bien plus sage, car lui, c’est sur, sa mère l’aime vraiment et s’en occupe comme elle peut.

Et Tom raconte, raconte dans une logorrhée sans fin, sans trop de points ni de virgules tant le récit presse et veut sortir, ce qu’il a vu ce jour d’août, le jour où Lucas est mort dans le chantier, le jour où le flic pourri a arrêté le caïd du quartier, Le Zurdo, le frère de Martin, celui que jusqu’alors Tom admirait tant. Le jour où tout a basculé, comme ça, pour rien, comme dans un film, parce qu’on ne sait pas « pourquoi » finalement tout bascule.

Et les mots sortent, en langage parlé, qui disent la vie au jour le jour, les pères sans emploi, les femmes abandonnées quand elles tombent enceintes, les violences faites aux femmes et le porno à la télé ou dans la chambre des parents à la cloison si fine qu’on entend tout. Qui disent aussi la tyrannie entre gamins, les petits caïds en prison, et l’innocence d’un gamin de 12 ans qui aime tant sa petit sœur Diana et sombre en même temps dans une cruauté et une violence indicibles. Quel roman étonnant, bouleversant, cru parfois, mêlant cruauté et enfance, de cette enfance qui sur le fil du rasoir ne sait pas encore de quel côté elle va tomber, le bon ou le mauvais ? Voilà un livre d’à peine 90 pages qui se lit d’une traite et qui vous laisse un peu pantois, sonné.

Traduit de l’espagnol par Michelle Ortuno

#rl2016


Catalogue éditeur : La Contre Allée

Baby spot Isabel Alba, Michelle Ortuno (traductrice)

« Avec les films c’ est plus facile, parce que quand les images t’ envahissent et que t’ arrives pas à les effacer, tu peux te consoler en te disant que, comme dans les cauchemars, tout est faux, que rien de ce que tu vois dans ta tête n’ est vrai et que bientôt tout va disparaître pour toujours. Mais ce qui est arrivé au Zurdo, et aussi à Lucas, je sais que c’est arrivé pour de vrai, voilà pourquoi ça ne sort jamais complètement de ma tête. C’est pour ça que je veux écrire, pour voir si j’arrive à faire sortir toute cette histoire et à la laisser pour toujours sur le papier. »

Tomás, un garçon de douze ans, vit dans une banlieue de Madrid. Un soir d’août, son ami Lucas est retrouvé pendu à une poutre, sur un chantier abandonné.
Tomás se met alors à écrire. Son récit prend l’apparence d’un roman noir.

« Je m’appelle Tomás, j’ai douze ans et je ne sais pas qui est mon père. Mais après tout, c’est banal dans la vie d’un gamin, et d’ailleurs je crois que ça n’intéresse personne, même pas moi, et puis j’en ai vraiment marre de toujours entendre la même histoire. » 

Collection La sentinelle / ISBN 9782917817520 / Format 13,5 x 19cm / Nombre de pages 96 / Date de parution 25/08/2016 / Prix 13, 00€

Promenez-vous dans les bois…Ruth Ware.

Il y avait le « Promenons-nous dans les bois » de Ruth Rendell, il y a aujourd’hui le « Promenez-vous dans les bois… pendant que vous êtes encore en vie» de Ruth Ware, et je vous le promet, là aussi, c’est frisson garanti !

Être invitée à un enterrement de vie de jeune fille, à priori, c’est plutôt banal, mais quand c’est celui de votre ex-meilleure amie que vous n’avez plus revue depuis dix ans, et qu’en plus vous n’êtes même pas invitée au mariage, voilà qui est bien plus singulier.

Leonora écrit des polars, elle vit donc en solitaire, car la création n’implique pas forcément une vie mondaine très active. Un jour, elle voit arriver dans sa boite mail cette invitation particulièrement incongrue vu le contexte, hésite un peu puis fini par accepter, poussée par Nina, une amie commune également invitée avec qui elle est restée en contact. A deux forcément c’est plus rassurant…

Les voilà donc embarquées pour le weekend dans une maison de verre, vaisseau étrange, froid et lumineux isolé au milieu d’une clairière, bloc de lumière posé au regard de tous au fond des bois sombres et terrifiants qui l’entourent. La soirée commence bizarrement, lorsque Nora rencontre Clare, celle-ci lui annonce que le futur marié n’est autre que James, l’ex de Nora, qu’elle n’a pas revu non plus depuis leur rupture, dix ans avant. Dans ce vaisseau, il y a Nina, Nora, Clare et Florence, sa meilleure « meilleure amie », celle qui organise et qui veut que tout soit parfait, il y a aussi Tom, un peu perdu et Mélanie. Difficile d’être gais, enthousiastes, positifs dans une telle ambiance, mais Florence y tient, la fête doit être belle ! les animations sont pour le moins insolites, initiation au tir dans un club, jeux des vérités portant sur le futur époux, les rancœurs remontent à la surface, les discordes sont palpables dans tous les mots et tous les gestes.

Dans cette atmosphère terriblement tendue, et malgré les efforts de chacun pour faire contre mauvais fortune…Les rancunes, les secrets et les tensions exacerbées par le huis-clos éclatent, le piège se referme, mais difficile de savoir d’où vient la trahison, d’où part le coup de grâce que nul ne semble prêt à imaginer.

C’est bien écrit, bien construit, assez plausible malgré le coté parfois stressant et à la limite terrifiant de certaines situations. Je ne me suis pas ennuyée une seconde avec ce roman que j’ai dévoré quasiment d’une traitre. Une belle expérience que je vous conseille… Enfin, sauf si vous êtes invitées le weekend prochain à un enterrement de vie de jeune fille !!


Catalogue éditeur

Dans la nuit noire du Northumberland, derrière la façade de verre d’une maison isolée, l’enterrement de vie de jeune fille bat son plein. Ils sont cinq autour de la table basse, imbibés d’alcool. La séance de spiritisme va débuter.

Mais derrière les sourires convenus, Nora peine à cacher son malaise, tandis qu’une cascade de questions lui torture le cerveau. Que fait-elle là ? Pourquoi a-t-elle été invitée ? Et sur tout, pourquoi a-t-elle accepté de venir ? Voilà dix ans qu’elle n’a pas vu Clare, la reine de la fête, son ex-meilleure amie du lycée. Dix ans de non-dits, de rancune et de souffrance. Comment faire comme si de rien n’était ? suite

RUTH WARE est née en 1977 dans le Sussex. Diplômée de littérature anglaise à l’Université de Manchester, ancienne libraire, elle a enseigné à Paris. Promenez-vous dans les bois… pendant que vous êtes encore en vie est son premier thriller, déjà un phénomène aux États-Unis avec près de 50 000 exemplaires vendus en 1 mois. Elle termine aujourd’hui l’écriture de son deuxième roman.
Auteur : WARE RUTH / Editeur : Fleuve éditions / ISBN : 9782265099364
Sortie : févr. 2016 / Format : 142 x 211 cm / Pages : 379

Dandy. Richard Krawiec

Découvert dans le cadre du Prix du Meilleur Polar des Lecteurs de Points, Dandy est un roman noir sur les dérives d’une société qui oublie certains des siens sur le bas-côté de la route.

Richard Krawiec situe son roman, « Dandy » dans l’Amérique des laissés pour compte, celle où l’opulence, la richesse et l’espoir existent, mais manifestement pas pour tout le monde. L’autre face du rêve américain en somme. Le décor est planté, et les deux acteurs principaux sont désarmants de sincérité et sans doute de naïveté, mais ils voudraient tant s’en sortir malgré tout. Artie, est un quasi SDF qui traine dans les bars les soirs de grand froid, voleur à la tire à ses heures, il cherche des combines ou des cambriolages faciles pour subsister. Jolene ne sait plus comment faire pour nourrir Dandy, son bébé de deux ans, elle n’a jamais travaillé et vivote comme elle peut. Chacun pense que sa vie est plutôt ratée, mais ne sait pas comment faire pour que ça s’arrange.

De combines en espoirs inutiles, ils vont finir par se rencontrer et tenter de vivre ensemble. Et après tout si c’était la solution, ne pas être seul ou mal accompagné, mais trouver dans celui qui vous ressemble un espoir de vie meilleure, à partager les galères, se tenir chaud et se comprendre, se parler, se réchauffer avec quelques verres de whisky qui rendent parfois la vie meilleure. C’est ce qu’ils essayent de faire, mais après des enfances difficiles et des débuts dans la vie complétement ratés, ils sont totalement inadaptés face aux bases même d’une vie de famille : avoir un travail, élever un enfant, entretenir une maison. Jusqu’au jour où dans la boite à lettre arrive une proposition de vente en time-sharing, et avec ce courrier l’espoir suscité par les cadeaux donnés à chaque visiteur. Dans leur grande naïveté, Jolene et Artie vont rêver l’impossible. Mais tout ne va pas se passer comme ils rêvaient et les évènements vont s’enchainer pour le pire plus que pour le meilleur.

Écrit dans les années 80, « Dandy » aborde de nombreux thèmes toujours d’actualité : l’inceste, l’abandon par le père, la prostitution, le manque d’éducation, l’alcool comme seul soutient, la rue pour seul repère, l’assurance maladie qui ne prend pas en charge les soins des plus pauvres, enfin, le sort qui s’acharne parfois sur ceux qui démarrent aussi mal dans la vie. De magouilles en défaites, il y a bien peu d’espoir pour Artie et Jolene. C’est noir et sombre. Les scènes sont parfois très visuelles, décrites dans leur moindre détail, comme un film que l’on verrait se dérouler sous nos yeux. Le lecteur assiste impuissant à l’inexorable descente vers le néant.

Roman lu dans le cadre de ma participation au Prix du meilleur polar des lecteurs de Points 2015

Catalogue éditeur : Points

Artie, voleur à la tire, sans toit ni loi, est un invisible, un laissé-pour-compte dont la vie tourne à vide. Un jour, il croise le chemin de Jolene, mère d’un petit Dandy de deux ans, bientôt aveugle et qui ne tient pas sur ses jambes. Pour son fils, elle s’efforce de gagner sa vie dignement, tout en le nourrissant de beurre de cacahuètes. Ensemble, Artie et Jolene vont s’unir et tenter de s’en sortir.

Né en 1952 à Brockton, Massachusetts, Richard Krawiec se fait connaître en 1986 avec Dandy (Time Sharing en anglais), salué par la critique. Il se consacre depuis à la poesie, au théâtre, et donne des cours d’écriture dans des centres d’accueil de SDF, des prisons ou des cités défavorisées.

« Une énergie vitale magistrale, une combativité hors du commun. Un couple quasi mythique… » Mediapart

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Charles Recoursé
Préface de Larry Fondation

Prix : 6,7€ / 240 pages / Paru le 17/09/2015 / EAN : 9782757843369

Thèse sur un homicide, Diego Paszkowski

Dans Thèse sur un homicide, Diego Paszkowskt se pose cette question primordiale : la justice est-elle réellement aveugle ? 

Thèse sur un homicide de Diego Paszkowski

Paul Besançon, brillant étudiant en droit, suit pendant un été le stage du célèbre professeur Roberto Bermudez à l’université de Buenos Aires, stage qui se déroule pendant huit cours les vendredi soir. A priori, tout pourrait être clair et simple, un étudiant brillant qui vient se perfectionner en droit pénal, un professeur renommé et pourtant un brin alcoolique depuis que sa femme l‘a quitté, une intrigue ordinaire.

Mais non, tout d’abord, nous apprenons que les parents de Paul l’ont envoyé en Argentine car ils ne savent plus comment gérer ce fils particulièrement étrange et avec qui ils ne ressentent aucune affinité, bien au contraire. Paul voue une admiration malsaine à une actrice connue, Juliette Lewis, et celle-ci devient rapidement le fil rouge de l’intrigue. Ensuite, Roberto professeur connu et reconnu, a une personnalité bien tranchée et est très exigeant. Alors bien évidement le lecteur s’attend à voir s’affronter ces deux personnalités tout au long de ces chapitres qui se succèdent en dévoilant en alternance le point de vue de chacun. Et c’est bien ce qui arrive, mais quel ennui parfois je dois avouer. Le roman est composé de phrases qui tiennent d’une logorrhée interminable, sur des adresses, des cafés, du thé Earl Grey, des nombres de pas ou de marches pour atteindre un objectif, nombre de pas sans cesse comptés, qui sont là pour accentuer le côté délirant du personnage principal mais qui n’apportent rien aux chapitres.

Rapidement cependant, une intrigue se dessine, Paul a décidé de prouver à ce grand professeur et à ce juriste d’exception que la justice est aveugle. Pour cela, Paul fait preuve d’un cynisme, d’un mépris de la vie, de l’individu, pour simplement réaliser son ambition d’être unique et différent, d’arriver à accomplir ce que d’autres n’ont pas réussi. Idée de départ intéressante mais parfois lassante.

Par contre j’aime beaucoup le dénouement qui, s’il n’est pas plus juste que la justice elle-même, satisfait notre soif de voir punir un coupable. Au jeu du tel est pris qui croyait prendre, la manipulation, la finesse, la vengeance, la solidarité, l’intelligence, finissent par avoir raison du machiavélique Paul Besançon. Je n’ai pas eu de coup de foudre pour ce roman, dommage car j’aimais assez l’idée de découvrir un autre pays, d’autres auteurs de polars. Mais comme je connais très mal ceux d’Amérique latine, la découverte est malgré tout intéressante.

Roman lu dans le cadre de ma participation au jury du Prix du Meilleur Polar des lecteurs de Points 2015

Catalogue éditeur : Points

Traduit de l’espagnol (Argentine) par Delphine Valentin.
Diego Paszkowski, né à Buenos Aires en 1966, dirige des ateliers d’écriture à l’université. Thèse sur homicide s’est venu décerner le prix du meilleur roman de l’année par le grand quotidien argentin La Nación. Il a été adapté au cinéma.

C’est brillant, parfois magique. Le Nouvel Observateur
Thèse sur un homicide est la mise en place très précise et très explicite d’une bombe narrative à retardement. Le Matricule des Anges

 Prix : 6,4€ // 192 pages / Paru le 19/03/2015 / EAN : 9782757846414

Les Secrets de Bent Road, Lori Roy

Dans le secret de Bent Road, une intrigue familiale sur fond de roman noir, suspense et frissons garantis

9782757838877

Années soixante, les émeutes raciales et les coups de fils anonymes inquiètent Arthur Scott, Détroit est devenu une ville dangereuse, il décide de retourner au Kansas avec sa famille. Pourtant, il a quitté sa ville natale vingt-cinq ans plutôt, et Célia, sa femme, sent bien qu’il s’est passé quelques chose de grave.

L’installation à Bent Road ne se fait pas sans difficulté. Seul Arthur semble y trouver ses marques. Le changement de vie est important pour Célia et les enfants, Elaine, Daniel et Evie. Malgré les efforts de Célia l’environnement est austère, le village et la famille peu accueillants. Sa cuisine ne sera jamais à la hauteur de celle de Reesa, sa belle-mère, elle a du mal à comprendre le comportement étrange de Ruth et Ray, sa belle-sœur et son beau-frère. Les enfants eux-mêmes sont mis à l’écart à l’école et Daniel a beaucoup de mal à passer du stade de petit garçon a adolescent dans ce milieu hostile qu’il découvre. Seule Elaine est heureuse de sa rencontre avec Jonathon.

Lorsqu’une enfant des environs disparait, les soupçons se portent aussitôt sur Ray, l’ancien fiancé d’Eve que d’aucun savent violent et qui au fil des années s’est transformé pour n’être plus aujourd’hui qu’un alcoolique violent qui terrorise sa femme. Eve, la sœur d’Arthur, a disparu 25 ans plus tôt. Les causes de son décès sont mystérieuses et les soupçons du shérif se portent toujours sur Ray.

Tout au long des pages, la mort d’Eve plane comme un secret lourd à porter et jalousement gardé, un de ces secrets de famille qui ont des prolongements sur plusieurs générations. Evie porte un prénom tellement semblable et la chambre d’Eve est si tentante, ses robes tellement jolies, que la petite fille s’identifie presque à cette tante qu’elle ne connait pas encore.

C’est un livre passionnant et pourtant il s’y passe peu de choses. Mais il y a tellement de force dans ces scènes de vie. L’auteur fait passer une multitude de sentiments contradictoires, évoque le passé, interroge sur les relations humaines, pose la questions de la responsabilité, de la suspicion entre les protagonistes, des remords et du poids des regrets qui laissent leur empreinte sur la vie. Elle parle aussi des contraintes de la religion et des convenances, qui font par exemple qu’une femme battue devrait rester avec son mari, simplement parce qu’ils sont mariés ! Elle rappelle le poids des mensonges et des silences dans ces familles qui ne peuvent pas accepter les différences, les faux pas, et où le poids de la religion, de la morale, est tellement fort qu’il va bouleverser des vies entières.

C’est un roman d’ambiance familiale et pas historique ou politique sur fond de racisme comme j’ai pu l’imaginer au départ. C’est une chronique de la vie, avec ses erreurs et ses regrets, c’est aussi beaucoup plus qu’un thriller. Le côté psychologique, la résilience et le pardon, les secrets et les responsabilités, le refus de voir et dire la vérité sont des éléments importants qui emportent le lecteur au-delà d’une intrigue qui se dévoile doucement. J’ai beaucoup aimé ce livre malgré son atmosphère parfois pesante, et il me semble que c’est aussi ce qui fait sa réussite.

Roman lu dans le cadre de ma participation au jury du Prix du Meilleur Polar des lecteurs de Points 2015

Catalogue éditeur : Points

Detroit lui semble tellement loin déjà… En venant s’installer au Kansas, dans la ferme familiale que son mari a quitté vingt ans plus tôt, Celia savait que leur vie ne serait plus la même. Mais elle ne pouvait imaginer le poids que le passé ferait peser sur elle et leurs enfants. Elle ne pouvait imaginer qu’à Bent Road même le silence aurait le goût âcre des éternels regrets.

«Les portes de l’enfer sont larges, lance le père Flannery. Bien plus larges que celles du paradis.»

Lori Roy est née et a grandi au Kansas. Les Secrets de Bent Road est son premier roman. Il a été couronné par le prestigieux Edgar Award en 2012.

« Lori Roy réussit un sombre prodige : transformer l’immense plat pays du Midwest en un enfer étriqué et étouffant. » Le Figaro Magazine

Prix 7,6€ / 384 pages / Paru le 08/01/2015 / EAN : 9782757838877