Poser un autre regard sur le sida et l’homosexualité
Le narrateur traîne sa vie de soirées interlopes en petit trafic de drogue, qu’il consomme avidement au passage. C’est là qu’il rencontre le Bleu, un jeune homme qui l’attire immédiatement. Perdu dans les vapeurs de drogue, les relations ambiguës et sa vie de petit trafiquant, il a dû mal à savoir où il en est. Mais le jour où le bleu se fait la malle sans rien dire, il se rend compte qu’il lui manque et part le chercher jusqu’en Espagne.
Dès lors, les souvenirs, les envies, le passé familial et les réticences sont l’objet de bien des divagations, délires, craintes, fuite en avant. Car fort de l’empreinte laissée dans la famille par l’oncle André, il lui est impossible d’affirmer et d’accepter son homosexualité.
Cette fuite en avant pour rejeter sa nature la plus profonde devient alors sujet de ses pensées, ses délires, ses angoisses, ses attentes.
Un roman qui m’a très vite lassée par ses délires et descriptions des soirées, des rencontres. Par une construction que j’ai trouvé bancale, embrouillée, lourde et difficile à suivre. Et pourtant il a également une forme d’écriture assez maîtrisée. J’ai eu dans les premières pages et à plusieurs reprises une très forte envie de le poser définitivement. Pourtant, en continuant à tourner les pages, et surtout lors de l’arrivée en Espagne, je dois dire que l’auteur a su raccrocher mon attention. Bien m’en a pris car sinon je n’aurai pas saisi la complexité du poids de la famille et du passé sur la vie de ce garçon aussi paumé que compliqué à suivre.
Fuyant une vie nocturne inquiétante, un jeune homme qui refoule son homosexualité part pour la côte espagnole. À l’ombre de stations balnéaires décrépies, il noue et dénoue des relations violentes et éphémères, teintées de petits trafics et de mélancolie. Au fil de son road trip improvisé, l’évocation de deux figures tutélaires — un écrivain oublié et un aîné mort du sida — éclaire pourtant ce qui, loin avant sa naissance, a scellé son destin.
Parution : 25-08-2022 / 304 pages, 140 x 205 mm / ISBN : 9782072948619 / 20,00 €
Dire pour ne pas oublier, un beau roman de filiation et de transmission
Les années 80, si certains l’ont oublié depuis longtemps, sont restées dans les mémoires comme étant les années SIDA. Ce cancer gay comme on a pu si injustement le nommer a touché de nombreux jeunes, et en particulier de jeunes accros aux injections de drogues fortes.
Dans la famille d’Anthony Passeron, famille installée depuis longtemps dans un village des hauteurs de Nice, c’est l’aîné, Désiré, le fils aimé, celui dont les parents attendait tout, qui a un jour pris ces chemins de traverse qui l’ont mené droit vers une mort annoncée.
Pourtant, avant, il y a une l’enfance et l’adolescence au village. Les parents qui tiennent une boucherie prospère. Une famille installée à l’ascension sociale emblématique de ces années que l’on a appelées les trente glorieuses, dans cette après guerre où tout était à reconstruire et où les courageux pouvaient se faire un nom et une place dans la société. Deux fils, l’un quitte l’école très tôt pour aider et sans doute succéder au père, l’autre rêve d’ailleurs, loin de ce coin de province où certes le soleil brille et le ciel est bleu mais où la jeunesse s’ennuie.
Ce seront donc Amsterdam, sa jeunesse cosmopolite, ses paradis artificiels, sa musique qui fait danser, ses filles que l’on aime avec tant de simplicité. Et sa drogue qui coule à flot dans les veines, celle des seringues que l’on s’échange, des enfants qui s’endorment à même le sol, seringue plantée dans le bras.
Mais une fois revenu au pays, ramené docilement au bercail familial par son jeune frère, Désiré va développer cette maladie inconnue dont on parle peu et que seuls quelques rares médecins parisiens ou américains essaient de comprendre à l’aube de ces années 90.
Tout le talent de l’auteur est ici non pas de nous parler de sa famille comme s’il souhaitait réaliser une catharsis, mais bien de nous faire vivre au rythme de la vie et des aspirations déçues de la jeunesse des années 80. Et en alternance, dans les recherches, les hésitations, les échecs et les découvertes de la médecine des deux côtés de l’atlantique. Le parallèle est alors fait entre l’intime et le social. D’une part avec le cocon familial dans ce qu’il a de plus secret, même dans un village où tout se sait. Et d’autre part avec la vie des médecins et des chercheurs de l’époque, la complexité de leur travail, les refus, le poids et la charge affective de cette maladie dans une société intolérante et pas préparée, où la méconnaissance du virus, de la façon dont il se propage, a engendré bien des solitudes, des désespoirs et des incompréhensions dans les familles des malades, autour d’eux et jusque dans la société.
Ce livre est d’autant plus intéressant que les proches des malades de l’époque sont ceux qui peuvent encore dire, eux qui ont été les témoins de leurs souffrances et du rejet de la société, à un moment où la jeunesse oublie parfois un peu trop que la maladie, loin d’être éradiquée, touche encore beaucoup de monde alors que la médecine n’a toujours pas de solution pour la guérir.
Quarante ans après la mort de son oncle Désiré, Anthony Passeron décide d’interroger le passé familial. Évoquant l’ascension sociale de ses grands-parents devenus bouchers pendant les Trente Glorieuses, puis le fossé qui grandit entre eux et la génération de leurs enfants, il croise deux récits : celui de l’apparition du sida dans une famille de l’arrière-pays niçois – la sienne – et celui de la lutte contre la maladie dans les hôpitaux français et américains.
Dans ce roman de filiation, mêlant enquête sociologique et histoire intime, il évoque la solitude des familles à une époque où la méconnaissance du virus était totale, le déni écrasant, et la condition du malade celle d’un paria.
« Quand je serais grand je voudrais être un artiste en France, parce que j’aime bien dessiner »
Keith Haring est né le 4 mai 1958 à Reading, il décède du sida à l’âge de 31 ans le 16 février 1990, de cette terrible maladie alors trop méconnue et si longtemps injustement cataloguée et cantonnée au milieu homosexuel.
Il y a quelques années, la Tour Keith Haring, une grande fresque qu’il avait dessinée à l’hôpital Necker de Paris pour illuminer la vie des enfants malades a été rénovée. Je l’avais découverte à cette occasion. Mais bien sûr qui ne connaît pas ses personnages et surtout son « radiant baby » aussi célèbre que copié. Uniclo a d’ailleurs fait quelques belles reproductions de ses personnages colorés sur des vêtements destinés à tous les âges.
De la même génération que Jean Michel Basquiat, dans la mouvance d’Andy Warhol et des artistes des années 80, qui était réellement Keith Haring et d’où venait il ? Issu d’une famille de Pennsylvanie, frère aîné de trois sœurs, le jeune Keith a eu très tôt la frénésie de dessiner encore et encore, sur tous les supports, à tout moment.
L’ennui étant l’animation la plus répandue dans son village, on comprend vite que l’enfant, puis l’adolescent, a cherché dans l’art un échappatoire et un moyen de développer sa créativité naissante. Avec une seule idée en tête, devenir un artiste. C’est un adolescent qui se cherche et qui va trouver dans la religion, puis dans la drogue, mais surtout dans l’art qu’il explore sous toute ses formes et avec la plus grande diversité de matériaux, un moyen de s’épanouir. Arrivé à New-York en 1978, il développe sa créativité, et prend pleinement conscience de son homosexualité.
Le roman graphique de Paolo Parisi nous explique son parcours, ses rencontres, sa passion pour l’art quels que soient les supports sur lesquels il s’exprime. Métro, fresques géantes, graffitis, toiles, performances, tout est adapté à l’expression, au langage, au message qu’il veut faire passer. Et que celui-ci parle au plus grand nombre possible de spectateurs. Les années noires des nombreux décès du sida sont bien montrées, ce cataclysme qui frappe la jeunesse et les artistes des années 80. Les couleurs flashies à dominante rose, jaune et bleu restituent l’univers à la fois singulier et emblématique de l’œuvre de Keith Haring.
Quand l’intime rejoint l’universel, le magnifique hommage d’une fille à son père
Un livre pour dire l’amour d’une fille pour son père, pour dire la liberté et la difficulté d’être soi dans un monde qui ne vous comprend pas et ne vous accepte pas tel que vous êtes, pour dire la force d’un homme qui décide enfin de vivre la vie pour laquelle il est fait, envers et contre tous.
À la fin des années 60, Jacques le père de Constance quitte Nice et sa vie de couple avec Lucie. Il part vivre à Paris la vie pour laquelle il est fait depuis toujours, mais qu’il n’avait sans doute pas réussi à accepter avant. Le vent de liberté qui souffle en mai 68 a-t-il aidé, ou est-ce la rencontre avec Ivan qui lui montre où est sa vraie place ? Toujours est-il qu’il accepte enfin de se reconnaître homosexuel à une époque où c »était encore un crime ou une maladie qu’il fallait combattre.
La relation avec son ex femme, cette amoureuse meurtrie d’avoir été abandonnée, est d’abord compliquée, puis s’apaisera et deviendra plus sereine au fil du temps. Mais toujours le père saura s’occuper de sa fille, les week-ends, les vacances, l’éducation pas toujours facile à mesure que les enfants deviennent des ados. et la fillette, puis l’adolescente, trouve sa place au sein du couple qu’il compose avec Ivan.
Il est solaire ce père, à la fois artiste, amoureux, séducteur, passionné, professeur d’italien, amateur de théâtre et d’opéra, d’art, de belles choses, mort à cinquante quatre ans d’avoir eu le courage d’être enfin lui-même, de vivre, et de ce que certains appelaient alors le cancer des homosexuels.
Car après les années bonheur viendront les années 90, les années sida, terribles faucheuses de vies souvent regardées par les bien-pensants avec un dédain affligeant. Cette maladie sournoise est souvent tue par ceux que la contractent, surtout dans ces années-là. Elle est synonyme de différence, puisqu’elle touche en particulier le milieu des homosexuels. Elle est d’abord mal soignée, car méconnue de la médecine. Et si aujourd’hui on en meurt moins, elle est toujours présente et fait toujours des ravages.
L’auteur écrit pour dire ce père aimant, ce père présent, ses incompréhensions sans doute à certains moments, quand les ados préfèrent les vacances avec les copains à celles avec les parents. Mais aussi peut-être le regret de n’avoir pas vécu ces moments où ils auraient pu se retrouver et qui sont perdus à jamais.
C’est surtout un texte d’amour, d’empathie, de reconnaissance pour la vie donnée. C’est le livre des regrets, de l’absence, des silences que l’on aimerait combler, des mots que l’on voudrait dire, des regards que l’on ne peut plus poser sur l’autre, sur ce père qui forcément manque tant.
C’est beau comme l’amour d’une fille pour son père, d’un père pour sa fille, lumineux comme sait l’être la vie et sombre parfois comme le sont la maladie et la mort. On ressort de cette lecture bouleversé, ému, avec l’envie de les prendre tous les deux dans nos bras et de les remercier de vivre et d’aimer aussi fort, aussi bien, aussi vrai. Merci Constance Joly de nous avoir emmené avec autant de sensibilité, de justesse et de poésie Over the rainbow à la rencontre de Jacques, cet homme que j’ai presque l’impression d’avoir connu.
Celle qui raconte cette histoire, c’est sa fille, Constance. Le père, c’est Jacques, jeune professeur d’italien passionné, qui aime l’opéra, la littérature et les antiquaires. Ce qu’il trouve en fuyant Nice en 1968 pour se mêler à l’effervescence parisienne, c’est la force d’être enfin lui-même, de se laisser aller à son désir pour les hommes. Il est parmi les premiers à mourir du sida au début des années 1990, elle est l’une des premières enfants à vivre en partie avec un couple d’hommes. Over the Rainbow est le roman d’un amour lointain mais toujours fiévreux, l’amour d’une fille grandie qui saisit de quel bois elle est faite : du bois de la liberté, celui d’être soi contre vents et marées.
Constance Joly travaille dans l’édition depuis une vingtaine d’années et vit en région parisienne. Le matin est un tigre, son premier roman (Flammarion, 2019), a été très bien accueilli par la critique et les libraires.
Paru le 06/01/2021 / 192 pages – 136 x 210 mm / ISBN : 9782081518650 / 17,00€
Si les objets pouvaient parler, quels secrets pourraient-ils nous conter ?
Alsk Di Speranza a écouté. Elle a entendu les mots que lui a dit une Porte d’appartement vieille de quatre-vingt-dix ans. Une porte qui un jour a été belle, brillante, pimpante, mais qui aujourd’hui arrive à la fin de sa vie. Pourtant, elle en a entendu des secrets, elle en a vécu des histoires. Aujourd’hui, nous voilà les témoins émus, attendris, bouleversés, amusés de ses souvenirs. Au fil des années, nombreux sont venus toquer à la porte, parler doucement, crier, appeler, pleurer, souffrir, rêver, espérer sans doute… Mais qu’a-t-elle donc à nous raconter ? Vous venez, on va l’écouter.
En 1943-1944, Lucie et Roger habitent dans cet appartement. Ils sont jeunes, ils s’aiment, mais n’arrivent pas à avoir ces enfants qu’ils auraient tant voulu aimer, choyer, élever, protéger. Alors ils vivent entourés d’amis. Pris dans la tourmente de la guerre, le jeune couple résiste comme il peut. En particulier en aidant des enfants à échapper à la déportation. Un jour, Lucie ramène chez elle la jeune Denise, une de ses élèves, car ses parents viennent d’être arrêtés. Se pose alors la difficile question de concilier leur rôle dans la résistance et le fait de sauver et cacher cette enfant chez eux. Surtout lorsque le doute s’installe et que la crainte d’avoir été trahis leur fait prendre des risques inconsidérés.
Dans les années 1980-1990, Patricia vit à l’abri derrière cette Porte. Elle a hérité cet appartement de son père, mais refuse de voir cet homme qu’elle déteste profondément. Elle déteste tous les hommes en général, et s’en sert pour assouvir vite fait quelques envies de sexe entre deux portes. N’importe où, pourvu que ce soit rapide et qu’elle ne les revoit plus jamais. Mais en ces années là, le sida fait des ravages, surtout auprès de ceux ou celles qui ne se protègent pas. Il faut avouer que sa façon de vivre à tout du suicide programmé. La vie de couple, le bonheur, ce n’est pas pour elle. Malgré les petits mots et les regards enamourés de son voisin du dessus, elle préfère sa solitude. Jusqu’au jour où Denise, devenue adulte, mère de deux enfants parties à l’étranger, vient toquer à la porte de l’appartement de son enfance, là où elle a trouvé la liberté et reçu tant d’amour dans ces années sombres. Denise est le catalyseur qui va bouleverser la vie de Patricia.
Derrière cette Porte aujourd’hui vit une famille avec deux enfants. Mais ils vivent un drame car leur fils est autiste Asperger. Denise, leur lointaine parente, arrive a créer un lien avec cet enfant. Regardons les vivre ensemble…
Vous l’aurez compris, à mesure que cette Porte s’ouvre, elle ouvre aussi des pages de notre histoire et aborde des thèmes indispensables et intemporels. La guerre et la résistance, la Shoah, les lâches et les Justes, mais aussi la spoliation des biens juifs et le traitement qui en a été fait après la guerre. Enfin, plus prés de nous, la liberté sexuelle, le sida, la maladie, la solitude et la mort. Avec la maladie se pose aussi la question de notre façon d’appréhender l’autisme, l’éducation des enfants, la famille.
L’écriture est ciselée, précise, le vocabulaire soigné, nécessitant parfois de se poser quelques questions. L’Histoire se déroule devant nos yeux, la Porte s’ouvre et se referme sur ces intrigues, ces secrets, ces chagrins et ces joies qu’elle a bien voulu nous conter, le temps d’un roman, le temps de plusieurs vies. Voilà un très beau roman qui accroche immédiatement avec ses personnages terriblement attachants. Et son fil rouge, cette Porte aussi discrète que bavarde, est un personnage à part entière. Croyez-moi, vous ne la regarderez plus de la même façon cette vieille porte que vous vouliez changer et moderniser. Car elle en a vécu des secrets, des drames, des bonheurs. Ah, si seulement nous savions l’écouter !
Un très beau premier roman, qui donne envie de suivre son auteur, n’est-ce pas Alsk Di Speranza, nous attendons impatiemment le prochain !
Je suis une porte. Ne cherchez pas à résoudre quelque mystère ou à découdre une figure de style, la narratrice de ce roman est bel et bien une porte ; car oui, je suis une porte d’appartement parisien, vieille de quatre-vingt-dix ans, sans trop vouloir l’ouvrir, ni l’intention de la fermer. Tout commença en 1943. En ce temps-là, j’étais une porte dans la fleur du bois ; jeune et brillante dans ce hall parmi les bruits sourds et la torpeur qui régnaient dehors. J’en ai fait de mémorables rencontres durant toutes ces décennies. Lucie, Roger, Denise, Patricia, Lucas, Caro. Ces prénoms ne vous disent rien, pour le moment. Et pourtant, tous ont vécu ici, dans cet appartement, et ont foulé leurs pas et leur vie dans ce hall, qu’ils appelaient Paris. On m’a toquée, caressée, tapée, encensée, car de bois noble je me dresse, droite et immobile. Alors, laissez-moi suspendre votre temps, pour vous offrir le seul voyage dont je sois capable : une plongée dans le mien.
Alsk Di Speranza est correctrice, autrice, haïkiste. Rien de plus, rien de moins.
Nombre de pages : 498 / Format : 14.8x21cm / Date de publication : 29/01/2020 / ISBN : 979-10-359-2810-0 / Prix : 20€
Une formidable saga intime et sociale dans l’Irlande du XXe siècle
Émotion, amitié, fou rire et pleurs, famille et deuils, tout y est, pour le meilleur et pour le pire d’une vie, dans cette fresque familiale qui nous entraine des années 1945 à 2015.
Irlande, 1945. Dans ce pays catholique et rigide à l’extrême, il ne fait pas bon sortir du cadre. La jeune Catherine Goggin l’apprend à ses dépens lorsque le curé de la paroisse la chasse de l’église, du village, de sa famille. Elle a seize ans, elle a fauté et son ventre s’est dangereusement arrondi.
Arrivée à Dublin, elle donne naissance à un fils immédiatement adopté par les Avery. C’est ce fils, le jeune Cyril Avery que nous allons suivre tout au long de ces décennies, de Dublin à Amsterdam, de New-York à Dublin.
Le jeune Cyril grandit dans une famille aisée, peu aimante, mais qui lui offre confort et éducation, un bagage correct pour assurer son avenir. Maud, sa mère adoptive, est écrivain, pour la beauté du geste on pourrait dire, puisque de son vivant elle ne supporte pas d’être célèbre, c’est tellement ordinaire. Cyril ne sera jamais un vrai Avery, ses parents le lui répètent à l’envi tout au long de ses années de jeunesse et même après. C’est un beau gamin puis un jeune homme séduisant.
Dans cette Irlande catholique et rétrograde, s’il ne fait pas bon être fille-mère, il est encore plus dangereux d’être homosexuel, car même un père est quasiment en droit de tuer son fils sans que la justice n’y trouve à redire. Et Cyril est terriblement attiré par Julian, ce garçon qu’il admire en secret depuis l’enfance. Il mettra quelques années à s’avouer qu’il préfère les garçons, et à comprendre que ce n’est ni une maladie, ni une perversité.
Si l’amour dure sept ans, les chapitres de ce roman également, qui rythment ainsi la vie tantôt heureuse, tantôt plus difficile de Cyril, de 1945 à 2015. Cyril traverse les années de jeunesse dans cette Irlande rétrograde et catholique bienpensante, puis la vie et les aspirations enfin assumées à Amsterdam, enfin les terribles années SIDA dans le New-York des années 80.
J’ai aimé suivre ce parcours totalement atypique. J’ai aimé ce jeune homme aussi fragile et ambivalent que fort et décidé, qui tente de vivre sa vie dans un pays, une famille, un environnement pas toujours idéal. L’auteur nous propose une belle fresque historique, mais aussi une analyse factuelle et parfois cruelle de la société de cette fin du XXe siècle. Avec une religion qui dicte sa loi dans une société qui n’accepte pas les différences, et cette façon de renier ceux que l’on a aimés, comme elle le fait pour Julian et sa fin de vie. Le roman est à la fois fort, émouvant, et parfois désopilant, on se surprend à rire aux éclats face à certains dialogues ou situations, même quand la situation est tout à fait tragique. En cela, il m’a effectivement fait penser au fatalisme et au cynisme face à la vie, mais aussi à certains scènes d’anthologie du roman Le monde selon Garp (si vous avez lu, souvenez-vous de la scène du levier de vitesse dans la vieille guimbarde).
Si le roman vous semble trop épais, n’ayez aucune crainte, la lecture est fluide, on a toujours envie d’aller plus avant, et même un certain regret en fermant le livre, une fois arrivé à la dernière page.
Cyril n’est pas « un vrai Avery » et il ne le sera jamais – du moins, c’est ce que lui répètent ses parents, Maude et Charles. Mais s’il n’est pas un vrai Avery, qui est-il ? Né d’une fille-mère bannie de la communauté rurale irlandaise où elle a grandi, devenu fils adoptif des Avery, un couple dublinois aisé et excentrique, Cyril se forge une identité au gré d’improbables rencontres et apprend à lutter contre les préjugés d’une société irlandaise où la différence et la liberté de choix sont loin d’être acquises.
Un premier roman qui parle d’amour fou, d’émigration et de secrets de
famille, Le fou de Hind, une belle réussite qui ne laisse pas indifférent.
Lydia découvre la lettre et les photos que lui a laissées Moshin, son père qui vient de décéder. Ces différents éléments soulèvent une étrange question : Qui est Hind ? Qui est cette jeune fille que l’on trouve aux côtés de Moshin ? Quelle est cette vie dont elle n’a jamais entendu parler ?
Après le choc et la surprise, vient le temps de remonter les années, depuis l’arrivée de son père en France et son installation au château une maison quasi abandonnée à Créteil. Avec d’autres familles, émigrées comme lui, ils transforment cette maison en espace de vie communautaire avant l’heure. Bien que souvent diplômés dans leurs pays, ces maghrébins doivent trouver des emplois qui leur permettent pourtant difficilement de faire vivre leurs familles.
Mais Lydia veut comprendre jusqu’à quand son père est resté là, avec qui il vivait à l’époque, et pourquoi il en est parti. De fil en aiguille, ses recherches vont l’entrainer dans le sillage de Mohammed, Ali, Luna, Marqus et Sakina, tous des anciens du Château. Chacun à son tour va parler, peu, se souvenir, beaucoup, et grâce à ces points de vue successifs, permettre au lecteur de remonter le temps, de comprendre l’amour fou entre un père et sa fille, cette jeune fille secrète et lumineuse, mais surtout explorer tant la beauté que la complexité des relations entre les différents protagonistes.
Ce premier roman est une belle surprise, qui révèle un style totalement maitrisé, à la fois clair et mystérieux, vivant et émouvant. Il y a beaucoup de poésie dans les mots et les personnages, mais aussi beaucoup d’émotion et de mélancolie à l’évocation du passé. L’écriture déjà très mûre dépeint des relations humaines, des sentiments forts, l’amour et l’amitié, la culpabilité et l’oubli, et des personnages étonnants de profondeur. L’intrigue familiale absolument romanesque est portée par un socle historique et social qui ancre ce roman dans une réalité oubliée. J’ai apprécié cette analyse fine des difficultés de l’immigration, placée dans les années 60, 70, au moment de l’arrivée de nombreux ouvriers algériens, en particulier dans les usines automobiles de la région parisienne, et de ces banlieues dans lesquelles le logement est encore plus qu’approximatif. Cela m’a permis de revisiter ces grands ensembles de région parisienne des années 70, élucubrations de quelques architectes novateurs, comme les choux de Créteil ou les arènes de Picasso.
Un premier roman qui s’empare avec brio de la question de
l’immigration et de l’intégration en France.
« La maison avait fait le tour du monde.
C’était le navire de Sindbad. Elle avait roulé jusqu’à la rive et elle avait
dormi jusqu’à ce que nous, les Arabes, qui n’avions rien, décidions de la
retaper. Nous, les champions de la récup et des chansons d’amour, de la colle
industrielle et du voyage au long cours, nous avions traversé la mer pour
échouer ici, aux accents d’une poésie imparfaite mais vivante, quotidienne, qui
donnait à l’exil de nos pères une saveur moins amère. »
Mohsin, un immigré algérien, vient de décéder. Il laisse
derrière lui une lettre dans laquelle il s’accuse de la mort d’un être
innocent, ainsi qu’une série de vieilles photos où il apparaît
avec une enfant brune, omniprésente, Hind.
Sa fille, Lydia, interroge alors ceux qui ont autrefois
connu son père, à Créteil, à la fin des années 1970… Lire la suite
EAN : 9782714479716 / Date de
parution : 16/08/2018
Vous n’avez pas vu l’exposition David Hockney au centre Pompidou ? Moi non plus, aussi la frustration était grande de ne pas avoir eu la possibilité de mieux le connaître. Mais depuis j’ai lu Vie de David Hockney de Catherine Cusset, et j’ai eu l’impression d’avoir rencontré l’artiste.
Lorsque j’ai ouvert le roman de Catherine Cusset, j’ai plongé tête la première, et je suis partie passer une nuit dans la vie de David Hockney ! Si, si, car les mots sont tellement vivants, passionnants, l’écriture tellement prenante, que j’ai vraiment eu l’impression de passer quelques heures à ses côtés, un véritable bonheur, impossible de lâcher ce livre.
Né en 1937 en Grande Bretagne, le jeune David connait une enfance heureuse, choyée, dans une famille aisée du Yorkshire. Ses parents comprennent sa passion et lui permettent de faire des études dans une école d’art. David est prêt à innover, à casser les codes, bousculer les habitudes, autrement dit, il veut créer et faire ce que lui plait ! Bien lui en prend car très tôt, la vente d’une de ses œuvres va lui permettre de quitter l’Angleterre pour les États Unis. Puis de s’installer en Californie. Là, David Hockney va trouver l’inspiration, la lumière et les couleurs qui feront ce style inimitable emblématique de sa personnalité artistique. Là il va également trouver, puis perdre, l’amour, mais aussi une forme de liberté. Car en Californie à cette époque là, contrairement au vieux continent, si vous êtes homosexuel, vous n’avez pas besoin de vous cacher, vous pouvez vivre votre passion au grand jour. Le bonheur en somme… mais il va vivre tout cela à une époque difficile, celle du sida, qui verra disparaitre les amis intimes ou simplement proches, la perte de ses êtres chers sera une épreuve à surmonter pour continuer à vivre. Sa volonté, son sens artistique unique, et son goût de la vie vont l’aider à toujours inventer. Artiste novateur, de ses années de jeunesse à celles d’un déclin inéluctable, il va essayer de nouvelles techniques car c’est un homme qui avance et qui ose.
Alors j’avoue, j’ai passé une nuit avec David, avec cet artiste, cet homme si créatif, qui ose, qui dépasse les convenances, qui m’a passionnée lorsque j’ai découvert ce que l’auteur a fait transparaitre de sa vie, ses sentiments, ses amours, ses interrogations… J’ai vraiment eu l’impression de vivre à ses côtés pendant quelques heures et de parcourir sa vie. Et puis, bien évidemment, j’ai ensuite voulu retrouver toutes ces œuvres dont j’ai découvert la genèse et que j’avais l’impression de déjà bien connaître.
Ce roman est magnifique ! Bien sûr, Catherine Cusset nous parle d’un artiste connu, vivant, et que nous ne rencontrerons sans doute jamais de notre vie. Mais je vous l’assure, les lignes dansent les pages se tournent, et vous avez l’impression de voir David Hockney chez lui, ou chez ses amis, de le voir peindre ces toiles si bien décrites que vous n’avez même pas besoin de chercher pour savoir laquelle est dans telle ou telle scène. Vous les voyez, vous voyez l’eau, la piscine, les amants et les amours de l’artiste, les bonheurs et les chagrins, l’ombre et la lumière, la vie et la mort autour de lui. Vous êtes à ses côtés et c’est superbe de vérité. Catherine Cusset a un grand talent de conteuse, un talent pour poser un regard particulier sur cet artiste et rendre vivants, humains et présents les personnages de Vie de David Hockney. Elle réussi à faire de cette vie un roman, une belle histoire que l’on n’a pas envie de lâcher, bien au delà d’une banale biographie.
💙💙💙💙💙
Merci Catherine Cusset pour la belle dédicace, digne du maître !
Retrouvez Catherine Cusset sur son blog : Catherine Cusset
Lire aussi l’avis de Céline du blog Arthémiss
«Peut-être n’éprouverait-il plus jamais de passion comme celle qu’il avait sentie pour Peter, peut-être n’y aurait-il plus d’union parfaite, mais il restait la perfection de l’amitié, la beauté des cyprès sur les collines et la joie que donnait le travail. Et s’il oubliait Peter, s’il réussissait à vivre sans lui, ce dernier ne reviendrait-il pas? Personne n’était attiré par la tristesse et la mélancolie. Mais par la gaieté, la force, le bonheur, oui.»
Né en 1937 dans une petite ville du nord de l’Angleterre, David Hockney a dû se battre pour devenir un artiste. Il a vécu entre Londres et Los Angeles, traversé les années sida et secoué le monde de l’art avec une vitalité et une liberté que n’ont entamées ni les chagrins amoureux, ni la maladie, ni les conflits, ni le deuil. Sous la plume incisive de Catherine Cusset, ce livre à mi-chemin du roman et de la biographie dresse un portrait intime, émouvant, habité, du peintre anglais vivant le plus connu.
192 pages, 140 x 205 mm / Parution : 11-01-2018 / Achevé d’imprimer : 01-12-2017 / ISBN : 9782072753329