Le miroir des âmes, Nicolas Feuz

Entre Murano et Neuchâtel, un thriller au suspense garanti

Que s’est il passé dans le canton de Neuchâtel ?
D’un côté, le procureur Jemson se réveille sur un lit d’hôpital. Partiellement amnésique à la suite du choc terrible reçu lors de l’explosion d’une bombe dans un café de la place des Halles. Sa greffière Flavie Keller reste à son chevet, ce qui l’interroge grandement sur leur niveau de relation. Avaient-ils des relations autres que professionnelles ? Et s’il n’arrive pas à s’en souvenir, pourra-t-il retrouver la mémoire à propos des affaires sur lesquelles il enquêtait ?

Au Perla Blu, un bar-hôtel louche, les prostituées doivent obéir sans discuter au patron et à son glaçant acolyte albanais. Alba Dervishaj est l’une d’entre elles. Mais depuis son arrivée elle ne fait que rembourser son passage, et n’a plus de passeport, alors comment pourrait elle sortir de ce guêpier ?

Enfin, un terrible meurtrier s’en prend à ses victimes de façon particulièrement violente. Il est dénommé Le vénitien par les enquêteurs. Qui sera capable de le démasquer et de l’arrêter ?

Ce que j’ai aimé ?

Les chapitres courts qui donnent le tempo, un rythme soutenu, les alternances entre les vues des différents protagonistes qui se croisent, se découvrent, se dévoilent. Une région et un métier de procureur qui sont bien connus de l’auteur qui est lui-même procureur du canton de Neuchâtel, et cela se sent. Même si parfois j’aurais souhaité que la personnalité, le passé, les interactions de certains personnages soient approfondis, c’est au final un thriller qui fait passer un bon moment.

Retrouvez également ma chronique du roman Horrora Borealis, du même auteur, paru au Livre de Poche.

Et pour aller plus loin, les chroniques de entre deux pages, fictionista.

Catalogue éditeur : Slatkine et Compagnie

Un attentat sans commanditaire, des meurtres sans mobile apparent, l’auteur est à son affaire, il est procureur du Canton de Neuchâtel. Dans ce polar essoufflant, il fait endosser à son personnage principal la robe d’un magistrat qui pourrait être son double si tout n’était précisément double et trouble dans ce Miroir des âmes : les flics, les filles, les politiques, les juges et jusqu’à ce mystérieux tueur en série que la police a surnommé Le Vénitien parce qu’il coule du verre de Murano dans la gorge de ses victimes. Le style est au couteau, l’efficacité radicale. Implacable et précis, comme un détonateur.

ISBN : 978-2-88944-100-6 / 262 pages / Prix : 18 euros

La soustraction des possibles, Joseph Incardona

Entre banquiers suisses et mafia corse, les aventures politico-érotico-financières de petits qui rêvent d’entrer dans la cour des grands

Genève, 1989. Aldo Bianchi, toujours célibataire à 38 ans, est un sémillant prof de tennis. Un peu gigolo sur les bords, il profite des avantages que lui offre Odile, sa maîtresse plus si jeune mais si bien pourvue grâce aux revenus très confortables de son mari. En mal d’activité et surtout de sources de revenus, Aldo accepte les missions bien rémunérées que lui confie le mari d’Odile, des aller-retour Lyon-Genève pour transporter discrètement quelques mallettes. Mais accéder au seuil de la cour des grands en faisant rapidement de substantielles économies donne des idées à Aldo qui voudrait en profiter pour faire fructifier la poule aux œufs d’or.

Dans leur entourage évoluent aussi, pour ne citer qu’eux…

Svetlana, une belle et jeune banquière arriviste et amoureuse ;
René, un mari éconduit qui retrouve un semblant de jeunesse au seuil de la retraite ;
Quelques mafieux corses qui ne savent pas s’arrêter de faire leurs affaires pour profiter d’une belle fin de vie sur l’île de beauté, l’ennui est mauvais conseiller ;
Quelques mafieux albanais ou russes pour faire bonne mesure, on n’est pas loin de la chute du régime soviétique, et dont les manières n’ont rien de celles d’enfants de cœur, où l’on apprend le triste parcours de ces prostituées que l’on retrouve déjà à cette époque dans les grandes capitales européennes ;
Quelques petits caïds de banlieue, déjà, qui tombent sur des pigeons à plumer mais s’attaquent aussi à plus malin et expérimenté qu’eux (une autre époque ?) ;
Quelques banquiers suisses qui se protègent et se cooptent, car finalement le pouvoir ça ne se partage pas, même au pays du paradis fiscal ;
Et des femmes amoureuses, de l’amour, du vrai et de celui qui se monnaye.

Ce que j’ai aimé ?

Les détails, sur la société, l’histoire, les personnages, comme les digressions sont érudits et intelligents. le lecteur ne se noie pas dans des circonvolutions alambiquées qui lui feraient perdre le fil mais au contraire retrouve une époque révolue et découvre un milieu pas si clair que ça. Si parfois l’intrigue semble un peu fouillis, beaucoup de monde évolue autour de ces quelques personnages principaux, l’intérêt est toujours habilement relancé et les événements se succèdent pour notre plus grand bonheur.

Un livre brillant et complexe sur l’amour, l’amour de l’argent, l’amour des autres, femmes ou hommes, l’amour de soi aussi, dans ce milieu de la finance où tout est autorisé pour arriver à ses fins.
Un roman noir détonnant, des personnages bien campés, des caractères affirmés et crédibles, une époque pas si lointaine que l’on aurait presque oubliée, celle de tous les possible et de toutes les trahisons.

Et un auteur qui intervient dans son roman pour parler à ses lecteurs, les apostropher avec ironie et à propos, cela surprend et interpelle habilement.

Cette version audio m’a tenue en haleine pendant quelques heures sans que je ne vois passer le temps. La voix du lecteur est bien adaptée aux différents personnages qu’il incarne avec justesse et parfois une pointe d’ironie. Même les accents et les protagonistes très caractéristiques ressortent avec justesse. J’y ai trouvé les intonations qui correspondent à cette critique acerbe et intelligente de la société que nous propose Joseph Incardona.

Roman lu dans le cadre de ma participation au Jury Audiolib 2021

Catalogue éditeur : Audiolib et Finitude

On est à la fin des années 80, la période bénie des winners. Le capitalisme et ses champions, les Golden Boys de la finance, ont gagné : le bloc de l’Est explose, les flux d’argent sont mondialisés. Tout devient marchandise, les corps, les femmes, les  privilèges, le bonheur même. Un monde nouveau s’invente, on parle d’algorithmes et d’OGM.
À Genève, Svetlana, une jeune financière prometteuse, rencontre Aldo, un prof de tennis vaguement gigolo. Ils s’aiment mais veulent plus. Plus d’argent, plus de pouvoir, plus de reconnaissance. Leur chance, ce pourrait être ces fortunes en transit. Il suffit d’être assez malin pour se servir. Mais en amour comme en matière d’argent, il y a toujours plus avide et plus féroce que soi.
De la Suisse au Mexique, en passant par la Corse, Joseph Incardona brosse une fresque ambitieuse, à la mécanique aussi subtile qu’implacable.
Pour le monde de la finance, l’amour n’a jamais été une valeur refuge.

Un livre audio lu par Damien Witecka

Parution : 16 Septembre 2020 / Durée : 12h07 / Prix public conseillé: 24.90 € / Format: Livre audio 2 CD MP3 / Poids (Mo): 508 / Poids CD 2 (Mo): 491/ EAN Physique: 9791035403621
Finitude : 2020 / 14,5 x 22 cm / 400 pages / ISBN 978-2-36339-122-3 / 23,50 euros

Les nuits d’été, Thomas Flahaut

Le roman mélancolique et humain d’une génération désenchantée

Thomas et Louise, des jumeaux âgés de 25 ans, et Mehdi sont des amis d’enfance, des amis du quartier, celui des Verrières, en Franche-Comté, pas loin de Montbéliard. Mais si le père avait trimé pour que Thomas s’en sorte et parte à la ville faire des études qui lui permettrait d’échapper à la vie des ouvriers, celui-ci s’est sans doute un peu fourvoyé. Ou bien avait-il des aspirations plus hautes que ses capacités, toujours est-il que fort de ses échecs aux études de médecine, c’est dans l’usine qu’il pose aujourd’hui son bardât pour avancer.

Voilà donc Mehdi et Thomas désormais collègues à l’usine, la seule qui embauche dans ce coin où la zone a gagné du terrain. Celle-là même où travaillaient déjà leurs pères, qu’ils avaient rêvé de fuir, mais qui inexorablement les ramène à leur condition. Job d’été ou études manquées, qu’importe puisque finalement les voilà qui triment comme le autres, sans aucun espoir de s’en sortir un jour. Il faut alors apprendre le maniement des machines, le bruits, les odeurs, la solidarité et l’entraide, les gestes de sécurité et le rythme intensif de la production.

Jusqu’au jour où… les actionnaires, les délocalisations, les patrons peu soucieux de leurs ouvriers, tout y passe et l’usine ferme pour se réinstaller plus loin, mais avec beaucoup moins de travailleurs. Et cette délocalisation se fera au grand désarrois de toutes ces familles qu’elle faisait vivre dans la vallée.

C’est dans cette usine que Louise est venue poursuivre sa thèse sur les ouvriers frontaliers. Elle se rapproche de Mehdi le solitaire, l’enfant resté au pays qui travaille dans les stations de ski l’hiver et à l’usine tous les étés, qui rentre à moto par l’autoroute transjurane pour passer la frontière entre la France et la Suisse. Lui seul dans ce trio sait déjà ce que veut dire la précarité, lui qui aide chaque jour son père, dans son camion rôtisserie sur les parkings de supermarchés.

Chacun à leur manière, ils incarnent une partie de cette jeunesse de plus en plus désespérée qui ne sait plus où est son avenir. Dans ce monde gouverné par l’argent, où les dirigeant suivent le bon vouloir des actionnaires, l’humain n’est plus au centre. C’est aussi un monde de silence que nous décrit l’auteur, entre frère et sœur, avec les parents, ceux de Thomas ou le père de Mehdi, silence de ouvriers jamais entendus par des patrons invisibles.

Fils d’ouvrier lui-même, Thomas Flahaut a travaillé dans une usine, dans le Jura bernois. Il avait d’ailleurs déjà évoqué ce thème du monde ouvrier et de ses problématiques dans son précédent roman. Il a le talent de le faire sans acrimonie, avec justesse et réalisme. Il nous propose une analyse sociale de la jeunesse d’aujourd’hui, à un moment charnière de la vie entre adolescence et âge adulte, avec ses rêves, ses désillusions et ses attentes, tout en donnant une vraie dimension romanesque à son histoire. Il y a là à la fois l’amitié, la mélancolie, la douceur mais parfois la violence des nuits d’été.

Roman lu dans le cadre du jury du Prix littéraire de la Vocation 2020
Un roman de la sélection 2021 des 68 premières fois


Catalogue éditeur : L’Olivier
Thomas, Mehdi et Louise se connaissent depuis l’enfance.
À cette époque, Les Verrières étaient un terrain de jeux inépuisable. Aujourd’hui, ils ont grandi, leur quartier s’est délabré et, le temps d’un été, l’usine devient le centre de leurs vies.
L’usine, où leurs pères ont trimé pendant tant d’années et où Thomas et Mehdi viennent d’être engagés.
L’usine, au centre de la thèse que Louise prépare sur les ouvriers frontaliers, entre France et Suisse.
Ces enfants des classes populaires aspiraient à une vie meilleure. Ils se retrouvent dans un monde aseptisé plus violent encore que celui de leurs parents. Là, il n’y a plus d’ouvriers, mais des opérateurs, et les machines brillent d’une étrange beauté.

Grande fresque sur la puissance et la fragilité de l’héritage social, Thomas Flahaut écrit le roman d’une génération, avec ses rêves, ses espoirs, ses désillusions.

Né en 1991 à Montbéliard (Doubs), Thomas Flahaut a étudié le théâtre à Strasbourg avant de s’installer en Suisse pour suivre un cursus en écriture à l’Institut littéraire suisse de Bienne. Diplômé en 2015, il vit aujourd’hui à Bienne. Il s’initie à l’écriture de scénario et a cofondé le collectif littéraire franco-suisse ­Hétérotrophes, avec des auteurs issus de la filière biennoise.

Paru : 27 août 2020 / 140 × 205 mm 224 pages EAN : 9782823616026 18,00 €

La Dame au petit chien arabe, Dana Grigorcea

Un court roman pour dire avec talent et poésie la difficulté d’aimer et de changer de milieu social

C’est l’histoire d’une belle femme qui promène son chien sur les bords du lac à Zurich et croise Gurkan, un beau jardinier. C’est aussi le début d’une histoire d’amour, de leur aventure. Mais comment fait-on pour aimer lorsque l’on est une ballerine mariée, connue, et que l’on croise le chemin d’un jeune jardinier kurde ?

Anna promène son chien et peut-être son ennui, ses envies, ses rêves. Le petit chien arabe d’Anna, qu’elle qualifie de croisement de balade car c’est un gentil bâtard trouvé en se promenant sur une plage en Algérie, est le point de départ de ses échanges avec Gurkan. Anna aime plaire, séduire, aime l’amour aussi. La rencontre fortuite est plaisante. Cet homme est si séduisant, si différent de ceux qu’elle côtoie généralement.

Il refait les jardins autour du lac, chaque jour elle vient à sa rencontre. Leur relation prend forme peu à peu. Ils se rapprochent, deviennent amants malgré leurs grandes différences. Différences de culture en particulier. Anna aime l’art sous toutes ses formes. C’est une ballerine qui a dansée sur les plus grandes scènes, les plus grands airs, voyagé dans les plus belles capitales, et qui aime tant recevoir dans sa maison avec son époux médecin. Gurkan arrive de Turquie, marié à sa cousine, ils vivent à L. avec leurs enfants.

Leur rencontre est déterminante mais la vie d’Anna lui permet-elle de poursuive l’aventure, malgré les sentiments, les envies, malgré le fait qu’elle pense à lui chaque jour… Car si leur histoire est passionnée, la vraie question est de savoir si elle pourrait aimer assez pour tout quitter, si la beauté, les moments de bonheur volés et l’amour suffisent pour souhaiter changer de vie.

J’ai aimé suivre le cheminement qui se fait dans la tête d’Anna. Elle analyse et s’étonne de ses propres sentiments. Elle, l’artiste séductrice, est la première étonnée de son attachement à Gurkan. Et si finalement sa vie n’était qu’un grand vide ? Si le bonheur était ailleurs ? Faut-il détruire la vie de l’autre pour être heureuse ? Alors chacun va cheminer vers l’autre, comme dans un pas de deux qu’ils ne font pas forcément en même temps ni dans le même sens.

J’ai aimé l’écriture poétique, sensuelle et si joliment descriptive de l‘auteur, surtout lorsqu’elle évoque la danse, la nature, les bords du lac. Tout est si bien retranscrit grâce à la traduction de Dominique Autrand.

La dame au petit chien arabe est un hommage à la nouvelle « La dame au petit chien  » d’Anton Tchekhov

Catalogue éditeur : Albin-Michel

Traducteur : Dominique Autrand

De nos jours, sur les bords du lac de Zurich, Anna, une danseuse mondaine et mariée, croise Gurkan, un jeune jardinier kurde. La conversation s’engage à propos du petit chien qui accompagne Anna et qu’elle a ramené d’Algérie. Les deux inconnus se plaisent, se revoient, deviennent amants, puis se quittent. Pour Anna, familière du jeu de la séduction, c’est une aventure comme tant d’autres qui s’achève, du moins le croit-elle. Car avec l’été s’installe une étrange sensation de vide sur laquelle il lui faudra bientôt mettre des mots : elle est amoureuse. Et rien n’est plus comme avant.
C’est cette métamorphose, où l’incertitude des sentiments défie la raison, que Dana Grigorcea explore avec une délicatesse extrême dans un récit tout en nuances. Hommage libre et fidèle à Tchekhov, La Dame au petit chien arabe évoque la question éternelle du désir, des conventions sociales et de la liberté intérieure.

Née à Bucarest en 1979, Dana Grigorcea est philologue et écrivain. Ses deux premiers romans, non traduits en français, ont été récompensés par de nombreux prix littéraires.

Prix : 15.00 € / Paru le 21 Août 2019 / 160 pages / EAN13 : 782226441010

Derrière la gare, Ustrinkata, Arno Camenisch

Deux romans pour découvrir un univers singulier, nostalgique et pittoresque à souhait

Ustrinkata et Derrière la gare, traduits de l’allemand (Suisse) par Camille Luscher, édités par Quidam, ce formidable dénicheur de trouvailles.

Avec Derrière la gare, Arno Camenisch nous transporte des dizaines d’années en arrière dans le canton des grisons en Suisse. Ne cherchez pas, vous êtes immédiatement, tout comme je l’ai été, projeté dans un univers parallèle, plongé dans un de ces grands films classiques en noir et blanc où les jeunes héros découvrent la vie autour d’eux et la racontent avec autant de sincérité que de malice.
Le langage est celui d’un jeune garçon d’une dizaine d’années qui observe et raconte son village. Il mêle dans son récit le patois des langues romanches parlées dans le canton. Les maisons à la suite l’une de l’autre, dont on connait le moindre habitant, les habitues, les famille, le café L’Helvezia où tous se retrouvent pour un schnaps, les lappis qui font des petits et que l’on prend dans ses mains car ils sont si doux, mais qui en meurent, les saisons difficiles, surtout quand le soleil disparait pour plusieurs mois,  la vie et la mort, l’enterrement ou la naissance, il n’y a rien d’étonnant à participer à tout cela puisque c’est la vie. Une succession de scènes aussi drôles qu’émouvantes. Un éveil au monde empli de débrouillardise, de naïveté et de sentiments.

L’écriture est vraiment étonnante. Si la lecture est un peu ardue au départ, j’ai été rapidement séduite. J’ai aimé le charme particulier de ce monde débordant de vie, ces analyses si pertinentes, sans nuances mais chargées de vérité et d’humanité, et teintées d’une dose de mélancolie. Un roman à découvrir, à la fois drôle et attendrissant et qui gagne à être lu à voix haute pour mieux en savourer la langue.


Dans Ustrinkata, la dimension est celle du café du village, L’Helvezia. Comme dans une tragédie grecque, une unité de lieu et de temps, une dernière soirée avant la fermeture. Mais aucune tragédie ne s’annonce, sauf peut-être la reprise du café par des investisseurs.

Cet hiver-là, le temps est vraiment bizarre, pas de neige, trop de pluie, il n’y a plus de saison.  Tour à tour les villageois entrent à L’Helvezia trempés et bien décidés à se réchauffer. Ça tombe bien, elle n’attend que ça la Tante, avec ses Mary Long qu’elle allume l’une après l’autre. Et ce soir, personne ne boira d’eau, c’est dit.

Alors ça parle, ça raconte, ça fume, beaucoup, et ça boit plus encore pendant toute la soirée ; les gens rentrent et ressortent, s’invectivent, se remémorent les souvenirs anciens, les anecdotes de leur jeunesse commune, mais aussi les disparus, les mariages. Chaque foyer a une histoire et tous semblent la connaitre, comme on connait bien les voisins avec qui on a passé tant d’années dans ce petit village perdu dans ce creux de montagne. Les cigarettes sont fumées les unes derrière les autres, les verres de bière, d’alcool, de vin descendus sans même avoir le temps de respirer. Ça délie les langues et fait venir la buée dans les yeux, tant d’alcool et tant de souvenirs.

Catalogue éditeur : Quidam

Derrière la gare : La vie d’un village cerné par les montagnes. Un enfant espiègle observe les adultes et, sans détour, dit le réel avec insouciance. Vif et concret, touchant et drôle, profond : Arno Camenisch donne à entendre la musique singulière de sa langue qui raconte la disparition d’un monde. Une Helvétie hors norme que le temps va engloutir. C’est Zazie dans les Grisons et c’est pas triste !

100 pages 12 € / févr. 2020 / 140 x 210mm / ISNB : 978-2-37491-128-1

Ustrinkata : C’est le dernier soir à L’Helvezia, le bistrot du village racheté par des investisseurs. Tous les habitués sont là: la Tante, hôtesse de tout son monde, la Silvia, l’Otto, le Luis, l’Alexi, et les autres aussi, encore vivants ou déjà morts. L’alcool coule à flots et ça fume à tout-va. On est en janvier et il ne neige pas. Il pleut comme vache qui pisse. C’est quoi cette bizarrerie climatique ? Le déluge ?
On cause de ça, de tout, sans discontinuer. Ressurgissent alors les histoires enfouies de ce village qui pourrait bien être le centre du monde. La fin est proche, mais tant qu’il y a quelqu’un pour raconter, on reprend un verre.
Ce Prix suisse de littérature 2012 s’avale cul sec !

106 pages 13 € / février 2020 / 140 x 210mm / ISNB : 978-2-37491-133-5

Arno Camenisch est né en 1978 à Tavanasa, dans les Grisons. Il écrit de la poésie, de la prose et pour la scène, principalement en allemand, parfois dans sa langue maternelle, le romanche (sursilvan). Il vit à Bienne. Il est l’auteur de Sez Ner (2009),  Derrière la gare (Hinter dem Bahnhof, 2010), parus initialement aux éditions d’En bas, et de Ustrinkata (2012, Quidam 2020), soit le «cycle grison». L’œuvre d’Arno Camenisch est reprise dans son ensemble par Quidam éditeur. 

L’aimant, Lucas Harari

L’aimant, un voyage étrange et fantastique dans les thermes de Vals

Lorsqu’il arrive à Vals, en Suisse, Pierre, se plonge dans l’atmosphère étrange des thermes. Cet ancien étudiant en architecture est depuis toujours passionné par le travail du célèbre architecte suisse Peter Zumthor. Devenu aujourd’hui garçon de café, il a souhaité se rendre sur place pour mieux comprendre le travail du génial architecte.

Dans ce village des Grisons posé à flanc de montagne, dans un décor qui surplombe rivière et gorges, l’eau de la source jailli pour alimenter les thermes, au creux d’une roche quartzite très caractéristique. Ce quartz sombre que l’on retrouve ici dans les vignettes représentant les thermes, avec leur aspect aussi minéral que féérique, comme un temple secret dédié à la nature, à la roche, à l’eau. Le tout en impressions de gris, noir, bleu foncé qui donnent un air magique et surréaliste au décor.

Si le cadre est de prime abord inspirant et ressourçant, il devient rapidement fantastique et inquiétant. La lumière naturelle change selon l’heure du jour, et dans cette ambiance surnaturelle tout à fait unique, Pierre va tenter d’en percer le secret, dessinant inlassablement sur ses carnets les murs et le dédale des thermes.

Dans ce cadre magique, où les pierres ont des propriétés mystiques en harmonie avec la montagne si proche, les portes s’ouvrent et se referment, les lumières se réfléchissent dans l’eau et les vapeurs. Le lecteur imagine même les eaux en bouillonnement, celles qui enveloppent de buée les visiteurs des thermes, et cachent le secret de la montagne, à la fois si proche et si mystérieuse.
Alors le charme opère, malgré les couleurs tranchées, sombres, malgré cette ligne claire poussée à l’extrême il me semble. On se laisse porter dans les pas de Pierre, immergés dans cet environnement minéral et hostile, pour tenter de percer le secret des pierres, ce secret que nul ne peut avouer de peur de passer pour un fou.

A noter, le très beau travail d’illustration de Lucas Harari, sur un papier de qualité et dans un beau format, aux couleurs tranchées dans des tonalités de rouge, bleu et noir, parfois aussi sombres que la pierre. Par contre si j’ai apprécié le graphisme de cette BD pour le moins singulière (et j’avoue je ne l’ai pas lâchée avant la fin) je n’ai pas forcément saisi la portée du message, ou même le message (s’il y en a un) qu’a voulu donner l’auteur… sans doute suis-je passée à côté ? Malgré tout, un très beau graphisme et un sujet intéressant qui m’ont donné envie d’en savoir plus sur ce site, le bâtiment et sur la réalité qui se cachait derrière cette fascination du héros pour l’architecte Peter Zumthor.

Les thermes de Vals, un bâtiment au design contemporain construit entre 1993 et 1996 par l’architecte Peter Zumthor a été le premier de Suisse à avoir été classé monument historique peu de temps après son ouverture.

Catalogue éditeur : Sarbacane

Pierre, jeune étudiant parisien en architecture, entreprend un voyage en Suisse afin de visiter les thermes de Vals.
Ce magnifique bâtiment, conçu par le célèbre architecte suisse Peter Zumthor, au cœur de la montagne, le fascine et l’obsède. Cette mystérieuse attraction va se révéler de plus en plus forte à mesure que Pierre se rapproche du bâtiment…

Peter Zumthor, né à Bâle en 1943, est un architecte suisse, lauréat du prix Pritzker 2009. Les bains thermaux de Vals, construits entre 1993 et 1996, l’ont rendu célèbre et restent aujourd’hui l’une de ses principales réalisations.

Lucas Harari (Scénariste, Dessinateur) est né à Paris en 1990, où il vit toujours. Après un passage éclair en architecture, il entreprend des études aux arts décoratifs de Paris dans la section image imprimée, dont il sort diplômé́ en 2015. Sensibilisé aux techniques traditionnelles de l’imprimé, il commence par publier quelques petits fanzines dans son coin avant de travailler comme auteur de bande dessinée et illustrateur pour l’édition et la presse. L’Aimant est sa première bande dessinée publiée.

Paru le 23 août 2017 / 152 pages / 25 × 31,7 cm / EAN: 9782848659862 / Prix : 28€

Summer. Monica Sabolo

Lire Summer et retrouver l’écriture magnétique et poétique de Monica Sabolo.

Où est-elle, la belle, la brillante, la solaire Summer qui a disparu un jour d’été lors d’un piquenique au bord du lac Léman ? Nul ne le sait, personne n’a retrouvé cette sublime Summer âgée alors de dix-neuf ans. Elle était admirée par tous, y compris par son frère. Vingt-cinq ans après, toujours submergé par la culpabilité et la douleur, Benjamin s’interroge encore…

Depuis cette disparition, Benjamin, qui n’avait que 13 ans à l’époque, cherche à comprendre. Mais de façon bien étrange puisqu’il est étonnamment statique, comme si sa propre vie s’était arrêtée ce jour-là… Il ne pose aucune question auprès de ses parents, de la police, ne fait aucune recherche réelle, mais vit des nuits de cauchemar peuplées de visions de Summer au fond du lac Léman, submergé d’angoisses qu’il essaie vainement de résoudre auprès d’un psy… Impossible de se réaliser, de connaître une vie normale, tant qu’il ne saura pas.

Le lecteur tente de le suivre dans ses errances, mais avouons-le on se lasse un peu de ces lenteurs, de cette immobilité affective. Car dans cette famille qui a tout pour connaitre le bonheur absolu, facile – le confort financier, la beauté, le luxe – un grand vide affectif se dévoile au fil des pages. Un manque de communication et des non-dits, des secrets enfouis au plus profond, attisent les angoisses du jeune homme.

Pourtant, une intrigue semble poindre, qui aurait pu en faire un excellent thriller ou roman noir, l’écriture est souvent poétique, les descriptions ont des airs d’opéra dans ces paysages brumeux de bord du lac. Elles donnent à cette histoire un attrait magnétique qui fait que l’on continue, que l’on ne referme pas ce roman avant d’aller jusqu’au bout, pour savoir.

Du même auteur, j’avais lu Crans Montana, avec cette même impression d’être ferrée par l’écriture, mais jamais par l’intrigue qui me laisse avec une sensation de manque…

Roman lu dans le cadre de ma participation au jury des lecteurs du Livre de Poche 2019

Catalogue éditeur : Le Livre de Poche

Lors d’un pique-nique au bord du lac Léman, Summer Wassner, dix-neuf ans, disparaît. Elle laisse une dernière image : celle d’une jeune fille blonde courant dans les fougères, short en jean, longues jambes nues. Disparue dans le vent, dans les arbres, dans l’eau. Ou ailleurs ?
Vingt-cinq ans ont passé. Son frère cadet Benjamin est submergé par le souvenir. Summer surgit dans ses rêves, spectrale et gracieuse, et réveille les secrets d’une famille figée dans le silence et les apparences. Comment vit-on avec les fantômes ?

288 pages / Date de parution :  02/01/2019 / EAN : 9782253074168 / Editeur d’origine : JC Lattès

Une saison en enfance. Joseph Incardona

Chronique d’une enfance compliquée. Avec « Une saison en enfance », Joseph Incardona raconte l’enfant devenu l’homme qu’il est aujourd’hui, dans un roman aussi émouvant que percutant.

Domi_C_Lire_une_saison_en_enfance_joseph_incardona_permis_cOn le sait, les enfants sont souvent très durs avec leurs semblables, dans la cour de récréation, dans les rues, aucun faux pas n’est permis tant les coups donnés peuvent être rudes. C’est le difficile apprentissage de l’enfance, cette période qui nous porte à grandir et devenir celui ou celle que l’on sera plus tard.
Il est bien difficile d’être le rital, d’être si différent  né dans une famille atypique, avec un père sicilien en sursit  puisque tributaire d’un permis de séjour temporaire, et une mère originaire de suisse. Entre les conflits du couple, leurs problèmes d’argent et leurs habitudes de ritals émigrés, la vie n’est décidément pas facile.

A la fin des années 70, après de multiples déménagements,  quand André Pastrella arrive à Genève, il a tout juste 12 ans. C’est l’âge des cours d’école, des copains, des amitiés rares, des découvertes, de l’éveil aux émois des corps et du cœur, mais c’est aussi l’âge des coups de pieds, des insultes, des bagarres, de s’affirmer face et contre les autres, ceux qui vous méprisent, ceux que l’on admire, ceux qui vous en imposent à coups de poings mais pas par leur charisme, même s’ils sont les bêtes noires tant de l’école que du quartier.
L’enfance, c’est aussi pour le jeune André les vacances en Sicile, avec la famille réunie, les trajets en voiture, les descentes au village avec le grand-père Armando, la solitude et la liberté d’aller où on veut, de manger à pas d’heure, les troubles de l’enfance et des jolies filles qui émeuvent…

Je vivais ici l’expérience d’un temps qui m‘était propre.
Je n’étais qu’un enfant, mais j’étais libre. 

Cette saison en enfance, c’est donc l’âge des amitiés, rares mais intenses avec Akizumi le japonais ou avec Étienne le québécois, c’est l’âge des amours naissantes, des passions d’enfant, des vengeances aussi. Et lorsque le drame arrive, puissant, dévastateur, il est temps sans doute de mettre fin à l’enfance pour passer à l’âge d’homme.
Je ne connaissais pas Joseph Incardona avant ce roman que j’ai lu avec autant de plaisir que de compassion et d’empathie pour l’enfant qui grandit, qui s’affirme, solitaire, oublié, puissant. J’ai aimé tant la nostalgie et la douceur que la violence de cette jeunesse qui se cherche. Mais aussi la maitrise de l’écriture et l’art de faire passer aux lecteurs tous les sentiments ambigus et les bouleversements parfois tragiques de l’enfance. Une belle découverte.

💙💙💙💙


Catalogue éditeur : Pocket

André Pastrella, petit Rital de 13 ans, atterrit dans une banlieue de Genève à la fin des années 1970. Une nouvelle école, une maîtresse pas des plus tendres et des copains de classe se révélant de vraies peaux de vache. Une initiation au métier de vivre, celle des coups à…

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L’auteur  : Joseph Incardona est né en 1969, de père sicilien et de mère suisse. Écrivain, scénariste et réalisateur, il est l’auteur d’une quinzaine de livres. Personnalité atypique et auteur prolifique, ses références sont issues à la fois de cette culture de l’immigration ainsi que du roman noir et de la littérature nord-américaine du XXe siècle. Malgré la gravité des thèmes qu’il a pour habitude de traiter avec un style très noir et rythmé, on trouve aussi dans ses œuvres un ton décalé souvent associé à une forme de pudeur. Il remporte en 2011 le Grand prix du roman noir français avec Lonely Betty et en 2015 le Grand prix de littérature policière du meilleur roman en français pour Derrière les panneaux il y a des hommes, tous deux parus aux Éditions Finitude. (source Pocket)

EAN : 9782266278256 / Nombre de pages : 256 / Format : 108 x 177 mm