Le colonel ne dort pas, Emilienne Malfato

Les morts et les bourreaux dorment ils ?

Dans une ville dont on ne connaîtra pas le nom, dans l’atmosphère liquéfiée d’un pays en guerre, des militaires sont les acteurs dociles et serviles de la Reconquête. Dans cette ville, ce bâtiment aux statues décapitées qui prend l’eau, les hommes obtempèrent aux ordres des états majors qui ne pensent qu’a faire bouger leurs pions sur la carte des vainqueurs. Ils agissent sur ordre, sans jamais se soucier des hommes qui meurent, de ceux qu’ils brisent, et agissent hors de toute conscience, sans aucune humanité.
Le général, le colonel et l’ordonnance sont de ces hommes en uniformes uniformément gris.

Mais désormais le colonel ne dort plus.

Car le colonel a trop de morts, d’actes de torture, d’hommes brisés sur la conscience pour que ses victimes le laissent dormir en paix. Chacun de ceux qu’il a brisé pour ce qu’on lui avait annoncé comme une noble cause viennent tour à tour hanter ses nuits à tout jamais.
Car soudain, le colonel a une conscience.

Les chapitres alternent entre ces trois hommes et leur conscience, ou manque de conscience sans doute, et les pensées du colonel. Ce colonel qui a une âme, une conscience du mal fait, de l’horreur vécue au quotidien, c’est aujourd’hui un homme qui ne souhaite qu’une chose, mourir sans doute et dormir enfin, apaiser sa mauvaise conscience et oublier les multiples morts sont il est coupable, lui dont les yeux sont enfin dessillés, qui voit enfin ce qu’il a fait en obéissant aux ordres, en voulant gagner ses guerres fort de son droit et de la justesse de ses actions. La reconquête avait un prix, celui de la vie des hommes.

Un roman que j’ai trouvé difficile à écouter, et à lire sans doute, particulièrement en ces mois où la guerre est devenue une réalité au quotidien dans un pays si proche de nous. Mais aussi en pensant à la réalité de ces mots dans le quotidien de tant d’hommes et de femmes dans l’histoire y compris récente. De fait, je l’ai écouté à dose homéopathique pour en absorber toute la force du texte. Il faut dire que les mots d’Émilienne Malfatto claquent et heurtent nos consciences endormies, donnant une autre réalité aux actes de guerre, de torture, de conquête au nom de qui et par qui. Car c’est aussi une réalité, les militaires sont avant tout des hommes, et obéir n’est pas sans risque pour les consciences le jour où elles s’éveillent enfin.

J’ai vraiment aimé la lecture par Feodor Atkine, sa puissance sonore, sa force, sa tonalité entrent en symbiose avec le texte d’une façon magistrale. Il se coule dans la tête de ce colonel insomniaque et presque repenti pour le faire vivre à travers les intonations et la puissance de sa voix.

Journaliste et photographe de zone de conflit devenue autrice de roman, Émilienne Malfatto a passé de nombreuses années en Irak et la réalité de ce qu’elle a vécu s’est imposée à elle pour devenir un jour texte, roman, en lien avec ces guerres qu’elle a connu là-bas. Comme un exutoire à la complexité du vécu, une catharsis à ce terrain journalistique qui marque et laisse des traces peut-être.
Merci Audiolib pour l’entretien avec l’autrice en fin de roman qui permet de mieux comprendre son processus de création.

Catalogue éditeur : éditions du Sous-Sol et Audiolib

Dans une grande ville d’un pays en guerre, un spécialiste de l’interrogatoire accomplit chaque jour son implacable office. La nuit, le colonel ne dort pas. Une armée de fantômes, ses victimes, a pris possession de ses songes. Dehors, il pleut sans cesse. La Ville et les hommes se confondent dans un paysage brouillé, un peu comme un rêve – ou un cauchemar. Des ombres se tutoient, trois hommes en perdition se répondent. Le colonel, tortionnaire torturé. L’ordonnance, en silence et en retrait. Et, dans un grand palais vide, un général qui devient fou.

Durée 2h37 / EAN 9791035410995 / Prix du format cd 17,90 € / Date de parution 10/08/2022

Acide Sulfurique, Amélie Nothomb

Quand la téléréalité dépasse la fiction, jusqu’où l’homme peut-il aller…

Quand j’ai découvert Un samedi soir entre amis cela m’a fait penser à ce roman d’Amélie Nothomb dont j’avais posté la chronique sur lecteurs.com et Babelio en 2014. J’ai eu envie d’en parler à nouveau ici.

Amélie Nothomb fait une fois de plus très fort. Dans ce roman qui se lit d’une traite tant il est court, mais qui laisse un sentiment de malaise tant il est intense, elle nous raconte l’histoire poussé à l’extrême d’une émission de téléréalité.

Mais pas n’importe laquelle bien-sûr. Là les participants sont tout simplement enlevés dans les villes, et conduits dans un camp de concentration. Surveillés par des kapos à qui tout est permis surtout la plus grande violence, et sous l’œil de caméras postées partout dans le camp et qui filment tout et tout le monde 24h sur 24. L’horreur absolue des camps de concentration de la dernière guerre, pour le plaisir des téléspectateurs d’aujourd’hui ?

Les prisonniers sont des hommes et des femmes totalement déshumanisés. Comme dans les camps nazis on leur a simplement tatoué un chiffre sur le bras pour annihiler, en effaçant leur nom, jusqu’à leur personne. Et après tout, ignorer le nom de celui ou celle qui est face à soi permet d’agir avec plus de violence et sans aucune compassion, enlève toute proximité et réalité « humaine » à la personne car « le prénom est la clé de la personne. »

Ils sont prisonniers, ils vont subir l’arbitraire des gardiens, la faim, la soif, l’épuisement provoqué par des tâches difficiles, répétitives et parfaitement inutiles. Ils sont soumis au bon vouloir des kapos qui décident chaque matin qui doit mourir. Car de ce camp nul ne s’échappe et la seule issue est la mort. Horrible, filmée elle aussi, pour le plus grand plaisir des téléspectateurs toujours plus nombreux à faire de l’audience.

Nous suivons trois personnages en particulier : la kapo Zedna, une jeune femme de 20 qui avant d’être embauchée pour ce rôle n’avait rien réussi dans sa vie ; Pannonique, étudiante en paléontologie, jeune femme de 20 ans , si belle et lumineuse qu’elle attire le regard de tous et en particulier celui des caméras et des réalisateurs de l’émission, mais qui n’est plus que CKZ114 dans le camps ; EPJ327, professeur d’histoire dans la vraie vie, est très attiré par CKZ114.

CKZ114 fait figure de résistante, car elle comprend immédiatement qu’il faut être différente et ne pas flancher devant les caméras (même si celles-ci sont vite oubliées). Elle ne pleure pas, ne se désespère pas, en tout cas pas face aux caméras, et va au contraire les utiliser pour essayer de faire bouger les téléspectateurs, les faire réagir et leur demander d’arrêter d’être complices d’une telle horreur.

Des téléspectateurs justement, par leur simple présence devant les écrans font que cette horreur existe. Ils sont passifs, mais du coup terriblement acteurs, et pourtant noyés dans la masse des « transparents », des anonymes. Ils n’ont pas l’impression d’avoir une énorme part de responsabilité dans la vie et la mort des prisonniers. La puissance de la masse anonyme, cela fait peur ! La presse joue également un rôle, et quel rôle ! Des interventions inutiles, des condamnations timides et peu efficaces qui ont un effet contraire à celui souhaité et font monter l’audimat.

Mais comme toujours, les vraies personnalités, les sentiments nobles et courageux, émergent de toute cette horreur, et l’humanité qui est en chacun s’exprime là où on ne l’attend plus.

Bien sûr il y a là une satire des extrêmes de la téléréalité, mais se pose aussi la question de savoir comment on peut facilement retourner vers l’horreur avec tellement de laisser-faire, sans se sentir ni coupable ni acteur ! Comme une alerte, d’ailleurs mise en exergue du roman : « Vint le moment où la souffrance des autres ne leur suffit plus : il leur en fallu le spectacle ». Faisons tout pour ne jamais en arriver là !

Catalogue éditeur : Albin-Michel

« Vint le moment où la souffrance des autres ne leur suffit plus : il leur en fallut le spectacle. »

Édition brochée : 16.00 € / 24 Août 2005 / 130mm x 200mm / 198 pages / EAN13 : 9782226167224
EPub : 6.99 € / 14 Janvier 2009 / 198 pages / EAN13 : 9782226197535

Oxymort, Franck Bouysse

Oxymort de Franck Bouysse, un huis-clos oppressant et glaçant aux limites de la folie

Découvrir une autre facette de l’auteur de « Né d’aucune femme » ce roman qui nous avait tous tellement séduit l’an dernier..
Un homme est enchaîné sur un sol en terre battue, attaché dans le noir. Il ne comprend absolument pas ce qui a pu le mener jusque-là. Cet homme, c’est Louis Forell, professeur dans un lycée, une vie relativement banale, alors comment et pourquoi est-il arrivé là ?

Son geôlier lui fait jouer un jeu malsain afin de le lui faire deviner. Piégé dans cette cave obscure, il n’a pas d’autre solution s’il ne veut pas devenir fou, que de s’évader dans ses pensées, évoquer son travail, ses parents disparus, et surtout son amoureuse la belle Lilly avec qui la vie est si belle. Nous allons le suivre dans ce jeu mortel du chat et de la souris.


Le roman se lit vite, les chapitres courts alternent entre passé et présent, entre les souvenir de l’un puis de l’autre. Des vies défilent et rapidement le lecteur voit poindre toute la folie du geôlier, et de se demander alors jusqu’où l’amour peut mener un homme. Si le thème est abordé dans ce roman, c’est de façon plutôt singulière. Comme un oxymore auquel le titre fait référence peut être ? Je t’aime je te fais souffrir ?

L’écriture est rapide, rythmée, avec des phrases et des chapitres courts qui s’enchainent facilement. Si l’on n’y retrouve pas le style peaufiné et les belles phrases de Né d’aucune femme, c’est malgré tout un thriller qui se laisse lire et qui fait passer un bon moment.

Catalogue éditeur : J’ai Lu

Un homme s’éveille, enchaîné sur la terre battue d’une cave où règne un effroyable silence. Engourdissement, incompréhension. Qui ? Pourquoi ? La seule façon de repousser son désespoir, de lutter, est de remonter le temps, errer dans les corridors de sa mémoire et chercher à comprendre, en allant de piste en piste, pour tenir en laisse la folie. Guetter l’apparition d’une femme, au moment où les ombres s’étirent dans le crépuscule. Jouer la musique de sa survie.

Paru le 04/03/2020 / Prix : 7,20€ / 224 pages / 110 x 178 mm / EAN : 9782290219478

Le procès du cochon. Oscar Coop-Phane

Avec « Le procès du cochon » Oscar Coop-Phane revient des siècles en arrière pour dire la peur, et en fait une satyre actuelle de nos sociétés.

Lui, c’est le monstre, il erre dans la campagne, sans abri et sans nourriture, jusqu’au jour où il passe devant une maison, là, un couffin est posé dans l’herbe avec un bébé joufflu à l’intérieur. Alors l’envie est trop forte de croquer les joues, la chair tendre de l’épaule, et de s’enfuir. Mais l’enfant décède, tout le monde bat la campagne à la recherche du coupable.. il est vite rattrapé, confondu, arrêté, emprisonné. Malgré son mutisme, le procès va avoir lieu…

Coupable, pas coupable, qui va le défendre, qui va l’accuser, qui est ce porc qui a osé, il faudra que le châtiment soit exemplaire, le bourreau va avoir du travail…

Voilà un étonnant roman écrit en quatre parties pour dire le crime, le procès, l’attente et le supplice, pour présenter tour à tour les différents personnages et les situations. Roman dans lequel le protagoniste principal, ce monstre assassin, n’est jamais clairement identifié, à chacun de trouver son coupable. Pourtant à l’époque à laquelle est supposée se dérouler cette intrigue, même les animaux ont été jugé, et condamnés de façon exemplaire, pour donner l’exemple, pour soulager les victimes, pour amuser la population sans doute.

C’est assez habilement écrit pour que l’on puisse se demander qui est le coupable et l’identifier à sa guise, enfin, si l’on ne lit pas la 4e de couverture. Étonnante caricature de la peine de mort, de son absurdité, de sa soi-disant exemplarité, des leçons que l’on veut donner aux foules abâtardies et à celle sur qui l’on règne. Simulacre de procès, de défense, de façon de recueillir des aveux, tout le ridicule, toute la complexité des affaires est aussi raillée dans ce texte lourd de sous-entendus.

💙💙💙💙

Catalogue éditeur : Grasset

Dans un village et un temps reculé, un monstre croque la joue et l’épaule  d’un bébé laissé quelques instants seul par sa mère, puis repart tranquillement vers la forêt. Il est bientôt rattrapé par une horde d’hommes décidés à le tuer, mais dans le monde des hommes, la justice, comme la mort, se rendent au tribunal. Même si le monstre en question est un cochon qui n’a ni conscience ni parole pour se défendre. Peut-on se faire entendre sans mots  ? Les gendarmes l’embarquent donc et le jettent en prison, avant son grand procès.
Dans un texte court et puissant, Oscar Coop-Phane nous raconte le procès d’un cochon, à l’image de ceux qu’on intentait aux animaux jusqu’à la fin du XVIII ème siècle, une pratique aussi étrange que méconnue de nos jours. Lire la suite…

D’une langue tranchante et pénétrante, Oscar Coop-Phane nous ramène des siècles en arrière pour fouiller les sentiments humains, la peur, la colère, la cruauté et la soif de vengeance, mais aussi l’empathie ou la peine. Un texte allégorique où chacun reconnaitra dans l’animal, le porc qu’il voudra.

Parution : 09/01/2019 / Pages : 128 / Format : 120 x 185 mm / Prix : 12.00 € / EAN : 9782246812371

De nos frères blessés. Joseph Andras

« Je vais mourir, murmure-t-il, mais l’Algérie sera indépendante »

Dans l’Algérie des années 50, le lecteur oscille du bonheur à la violence, de la beauté à la souffrance, « De nos frères blessés » de Joseph Andras est un hymne à la fraternité, à la liberté, à ceux qui luttent pour l’amour d’un pays et de leur terre.

Bluffée ! Par l’histoire ? Peut-être car je ne savais rien de la courte vie de Fernand Iveton, restant dans l’Histoire comme le seul européen guillotiné en 1957, pendant la guerre d’Algérie, pour avoir posé une bombe. Bombe qui n’a pas sauté, qui n’a tué personne et qui n’était avant tout pas destinée à tuer mais plutôt à faire exploser les consciences, à ouvrir les cœurs et l’intelligence de tous pour enfin entendre l’aspiration à la liberté de tout un peuple.
Bluffée par le ton ? Sans doute, car il est celui d’un écrivain aguerri et certainement pas celui que j’attendais d’un premier roman.
Par le rythme ? Oui, sans hésitation, par l’alternance de situations, de souvenirs, d’événements, ayant attrait aux différents personnages, n’ayant souvent rien à voir les uns avec les autres, et qui cependant s’enchainent de façon évidente et sans casser le rythme de la lecture.
Effarée , bien que consciente de cette réalité, par la dureté des politiques, de la justice, des hommes, tels qu’ils peuvent l’être dans un pays en guerre, en conflit, en lutte pour son unité, et qui certains d’être dans leur juste droit n’hésitent pas à condamner à mort pour l’exemple.
Attristée ? De savoir et de comprendre que la mort pour l’exemple ne sert à rien, quand les hommes se battent pour des causes qu’ils croient justes, quand les lâches dénoncent sans prendre la mesure de leur faiblesse et de leur lâcheté.

Voilà un très beau roman, qui même s’il relate un épisode peu glorieux de notre histoire commune, se lit malgré tout comme un roman de fiction (enfin, de fiction …. Bref, comme un roman). Un roman qui dépeint des personnages auxquels on s’attache ou qu’on déteste mais qui ne laissent pas indifférent. Qui nous fait vivre des scènes de torture réalistes et violentes, qui posent question elles aussi. Comme se le demandera Fernand lui-même dans sa geôle de la prison de Barberousse. Jusqu’à quand ont-ils tenu, eux, les autres ? Qui est le lâche, le traitre, le faible, le courageux, le bourreau ? Jusqu’où l’homme est-il capable d’aller dans l’acceptation de la douleur avant de perdre toute humanité ? Et quelle succession d’évènements, de rencontres, de certitudes, d’amitiés, vont faire de chacun de nous ce que nous sommes ?

J’ai vraiment aimé cette écriture, ce rythme, ces alternances d’époques, ces fulgurances de bonheur et de droiture dans une vie si courte, ces flashback dans la vie de Fernand qui nous font toucher l’intimité de cet homme qu’on a du coup tant de mal à juger (si tant est qu’on en ait seulement le droit ou l’envie !) et qu’on ne souhaite que comprendre et approuver au plus profond de soi.
Bref, à lire sans faute; un roman qui bien que situé dans le passé, raisonne d’une brulante et permanente actualité.

Liberté, liberté chérie … « Sur les marches de la mort J’écris ton nom »

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Catalogue éditeur : Acte Sud

Alger, 1956. Fernand Iveton a trente ans quand il pose une bombe dans son usine. Ouvrier indépendantiste, il a choisi un local à l’écart des ateliers pour cet acte symbolique : il s’agit de marquer les esprits, pas les corps. Il est arrêté avant que l’engin n’explose, n’a tué ni blessé personne, n’est coupable que d’une intention de sabotage, le voilà pourtant condamné à la peine capitale.
Si le roman relate l’interrogatoire, la détention, le procès d’Iveton, il évoque également l’enfance de Fernand dans son pays, l’Algérie, et s’attarde sur sa rencontre avec celle qu’il épousa. Car avant d’être le héros ou le terroriste que l’opinion publique verra en lui, Fernand fut simplement un homme, un idéaliste qui aima sa terre, sa femme, ses amis, la vie – et la liberté, qu’il espéra pour tous les frères humains.
Quand la Justice s’est montrée indigne, la littérature peut demander réparation. Lyrique et habité, Joseph Andras questionne les angles morts du récit national et signe un fulgurant exercice d’admiration.

Domaine français / Mai, 2016 / 144 pages / ISBN 978-2-330-06322-1 / prix indicatif : 17€

Patrick Sénécal. Hell.com

« Toute entrée est définitive » Avec Hell.com de Patrick Sénécal, prendre la démesure de la puissance ?

Afficher l'image d'originePlonger dans l’univers des auteurs de thriller Québécois n’est pas sans risque ! Car la surprise est au fil des pages et de l’intrigue, la violence aussi d‘ailleurs, excessive et intense, immense comme ces régions d’Amérique du nord, démesurée peut-être par rapport à notre cadre de pensée, et tout ça vous arrive en plein face, sans prévenir ! Enfin si, avec hell.com vous êtes prévenu : toute entrée est définitive !

Daniel Saul est un homme d’affaire prospère, un gagnant, un winner quoi ! Tout lui réussit ou presque. Coté succès, l’entreprise Saul est une entreprise florissante. Daniel a des dollars plein les poches, au propre comme au figuré, une maitresse conciliante et peu envahissante, prête à tester de nouvelles aventures à l’Eden club, lieu privilégié et échangiste de la ville. Côté échecs, il y a sa relation très compliquée avec son ex-femme et le rapport quasi inexistant qu’il a avec ses parents. Il élève seul son fils, Simon jeune homme de 17 ans perturbé et en recherche, qui a une relation très difficile, voire violente et dominatrice avec les autres, et avec son père en particulier.

Daniel Saul est puissant, il a le pouvoir, l’argent, la réussite dans les affaires, les femmes et tout le sexe qu’il veut, mais il s’ennuie ! Bon, il y a deux façons de dépenser quand on a tout, aider l’autre, fondation, mécénat, tout est possible, ou s’aider soi ! Aller au bout de soi-même, de ses fantasmes, de ses délires les plus fous par exemple. Pour Daniel, jusqu’à présent, tout était possible mais restait hypothétique. Jusqu’au jour où il rencontre Charron, un ancien élève de son école qu’il avait complétement occulté de ses souvenirs, mais qui s’installe dans sa vie, pour le meilleur, mais plus surement pour le pire. Car si Daniel est prêt à tout, alors Charron est le messager du diable. Il va lui ouvrir les portes de l’enfer, celui de la tentation, de la démesure, où tout est permis, tout est possible, sans risque, sans punition, dans la plus grande discrétion. Alors Daniel s’abonne à Hell.com, ce site ultra secret et ultra cher, réservé à l’élite suprême, et il bascule, dans le sexe, à l’excès et sous toutes ses formes, très vite dans la violence. La violence exorbitante, gratuite, qui le défoule, lui fait passer sa rage et ses frustrations, mais qui devient omniprésente, envahissante, contraignante.

Occasion pour l’auteur de nous concocter quelques scènes d’une violence insupportable, parfois un peu gratuite il me semble, scènes pas forcément accessibles à tous les lecteurs. Petit à petit, Daniel perd pied avec sa vie, échappe à la réalité, jusqu’au moment où il se rend compte qu’il perd tout, et avant tout son fils, et comprend enfin à quel point il se fourvoie. Mais attention, il a été prévenu, personne ne peut faire marche arrière une fois qu’on a adhéré à Hell.com. Comment sortir de là, se sauver d’un aussi mauvais pas, sauver son fils – et accessoirement sauver son entreprise – mais quand on a tout perdu, les relations humaines ne sont-elles pas les plus importantes ?

Patrick Sénécal utilise tous les stratagèmes, tous les double sens. Il y a d’abord Daniel Saul, saul = âme, lui qui va risquer de perdre la sienne par ses délires de puissance. Puis Charron, l’ami maléfique, qui ouvre les portes de Hell.com, et justement Charon est bien celui qui fait passer sur sa barque les ombres des défunts vers les portes de l’enfer. Il y a Simon, l’apôtre aimé et incompris, celui qui accompagne Marie jusqu’au bout, jusqu’à la mort et la rédemption, et enfin Marie, image même de la vierge, ici un peu malmenée certes, mais malgré tout celle que le mal ne peut toucher, qui aime et qui comprend et qui donne pour aider Daniel.

Ensuite, les scènes sont construites avec une escalade dans la puissance, dans la violence, pour les rendre plausibles et acceptables par ses lecteurs. Les univers sont bien décrits, réalistes, froids, inhumains ou grandioses, mais avant tout assimilables, précis, pour que l’horreur paraisse encore plus absolue sans doute. Alors que dire, c’est un livre déroutant par toute la violence qu’il dégage, mais au final, l’auteur interroge sur le véritable état de l’Homme, sur le choix que chacun a d’orienter sa vie, vers le bien ou le mal, et ce qu’il reste maitre d’en faire. Un conseil, à ne pas mettre entre toutes les mains !

Redécouvrir Le vide et l’entretien avec Patrick Sénécal pour la sortie de Hell.com


Catalogue éditeur : à paraitre le 9 juin chez Fleuve noir

 

Mangez-le si vous voulez, Jean Teulé

Découvrir Mangez-le si vous voulez, de Jean Teulé, un roman au sujet sérieux traité avec humour et de façon totalement décalée

Dans «mangez-le si vous voulez, l’auteur relate de sa plume inégalable un épisode de l’histoire que l’on souhaiterait ne jamais avoir existé. J’avoue que sa lecture est une bien étrange expérience. Ce roman a été mis en scène en 2014 mais je n’avais pas pu aller au théâtre voir son adaptation très contemporaine.

Nous sommes en août 1870 dans le village de Hautefaye, en Périgord. La France est en guerre contre la Prusse, les enfants du pays meurent au combat pendant que les jeunes privilégiés restent au pays. Alain de Monéys n’est pas de ceux-là, il part dans quelques jours se battre contre les prussiens. C’est jour de marché au village voisin et Alain veut régler quelques affaires avant son départ.

En cette journée d’été, la chaleur est écrasante, on sent confusément que tout peut arriver. Une phrase mal comprise, sortie du contexte, fait d’Alain le bouc émissaire d’une meute de villageois soudain déshumanisés. La violence, l’horreur, les coups vont s’enchaîner jusqu’à la torture, jusqu’à la mort du jeune de Monèys. Malgré tous leurs efforts, les amis du jeune homme, conscients du drame qui se déroule, sont impuissants à stopper son calvaire.

L’auteur déroule étape par étape ce moment où tout le village bascule dans l’horreur absolue, capable du pire, comme entrainé dans un élan par la foule, quand plus aucun raisonnement individuel n’est concevable. En quelques heures tout un village se déchaine, se change en bourreau, la haine se cristallise, les hommes perdent leur humanité et se transforment en bêtes sanguinaires. Ils sont unis en une meute qui ne sait plus ni penser ni comprendre, qui n’entend plus la raison, et qui s’enfonce au plus profond de la folie meurtrière. Puis vient le silence, chacun retrouve ses esprits, l’indicible apparait alors dans toute son horreur. Sur cet aspect-là, ce livre m’a d’ailleurs fait penser à celui de Philippe Claudel, le rapport de Brodeck.

Le procès punira quelques coupables, enfin, pas tous, « sinon il faudrait arrêter… six cent personnes. C’est un crime…pas ordinaire ». Le village portera longtemps les stigmates de cet épisode bien peu glorieux de son histoire. Même si l’issue en est connue, c’est un très court roman qui vous installe dans un état très inconfortable, à la limite de l’écœurement et du malaise, mais qu’on ne peut pas lâcher.

Catalogue éditeur : Pocket

Le mardi 16 août 1870, Alain de Monéys, jeune Périgourdin intelligent et aimable, sort du domicile de ses parents pour se rendre à la foire de Hautefaye, le village voisin.
Il arrive à destination à quatorze heures.
Deux heures plus tard, la foule devenue folle l’aura lynché, torturé, brûlé vif et même mangé.
Pourquoi une telle horreur est-elle possible ? Comment une foule paisible peut-elle être saisie en quelques minutes par une frénésie aussi barbare ?
Ce calvaire raconté étape par étape constitue l’une des anecdotes les plus honteuses de l’histoire du XIXe siècle en France

Parution : 2 Septembre 2010 / Nombre de pages 128 p / EAN : 9782266198462 / Éditions Julliard