Aulus, Zoé Cosson

Une incursion nostalgique dans les Pyrénées de la belle époque

Aulus-les-Bains est situé dans le massif des Pyrénées ariégeoises, plus exactement dans le Haut Couserans. L’Espagne se trouve à peine à cinq heures de marche. Si l’activité thermale est connue dans cette région depuis l’époque romaine, elle a pourtant été longtemps seulement un lieu d’exploitation des mines de plomb, au XVIe, au XVIIIe et jusqu’après la seconde guerre mondiale. Pourtant c’est bien au XIXe siècle que l’exploitation des eaux l’emporte sur celle des mines. À partir de 1822, 1845 les cures sont déjà surveillées médicalement. Et les buvettes, l’établissement thermal et les nombreux hôtels font désormais la renommée de la station.

C’est dans ce contexte de fin de règne que le père de la narratrice décide d’acheter un vieil hôtel qui a connu ses heures de gloires à la belle époque. Abandonné de tous, mais pas de ce père original qui tente aille que vaille de restaurer quelques pièces de cette vaste bâtisse qui tombe en décrépitude.

Au cours de ses vacances dans la région, la narratrice qui n’est autre que sa fille va observer non pas simplement la nature, mais bien la nature humaine et les quelques spécimens qui constituent la population permanente du village. Au cours de nombreuses marches dans les sentiers de randonnée du coin, ou aux abords des maisons du village, elle fait des rencontres, apprend à connaître l’autre, celui qui n’a jamais quitté son coin perdu de montagne et qui vit bienheureux là-haut, celui qui aime raconter la nature, les aventures, les anciens, la vie en apparence si simple mais pourtant si complexe pour ceux qui doivent faire avec. Ce sont des chemins, de cascades, des couleurs et des saisons, des feuilles qui bruissent aux arbres et des étendues de neige où rien ne bruisse. Ce sont des rencontres, des disputes, des souvenirs, des attentes ou des espoirs. C’est le père qui tente de faire revivre son hôtel délabré et vide, qui le peuple d’objets à défaut d’humains, qui partage, donne, échange avec les autres, chaque jours, par habitude, par soucis d’intégration, par plaisir finalement.

Si la vie y est souvent difficile, la chaleur des échanges, la beauté de la nature, donnent sa véritable dimension humaine au village et à l’aventure vécue par l’autrice. Le roman est court, l’écriture ciselée, sans un mot de trop, construit autour de quelques cartes postales anciennes, d’instantanés de vies, qui donnent corps et présence à tous ces absents qu’elle n’a pas oubliés. J’ai aimé ces portraits, ces traits de caractère, ces anecdotes qui font revivre avec humour, nostalgie et tendresse les années d’enfance. Mais aussi la façon dont la narratrice narre cette relation entre un père fantasque et malade et une adolescente pas toujours d’accord. Une jeune fille qui vit au plus près de ses émotions et fait preuve d’une capacité d’émerveillement face à l’autre, quel qu’il soit. C’est un roman atmosphère, de vivants, bien plus que de souvenirs enfuis. Alors qui sait si, en passant du côté des Pyrénées ariégeoises, vous n’aurez pas envie vous aussi de continuer votre route pour découvrir Aulus.

Un roman de la sélection 2022 des 68 premières fois

Catalogue éditeur : Gallimard

Aulus est une station thermale des Pyrénées construite à la Belle Époque, qui ne compte plus, aujourd’hui, qu’une centaine d’habitants. Depuis son enfance, la narratrice y vient chaque année. Elle réside dans l’hôtel désaffecté que son père a acheté un jour aux enchères, point de départ de ses randonnées.
Dans le village et sur les chemins, la narratrice écoute, regarde et recueille habitudes et histoires des Aulusiens : la météo, l’ours, la centrale plantée sur une rivière, les élections… Elle en fait un récit, celui d’un écosystème fragile, où hommes et nature cohabitent comme ils peuvent. Où une ancienne mine pollue dangereusement la montagne. Où tout menace de se défaire, malgré la force millénaire de la roche omniprésente. Un récit actuel, métaphore de notre époque, en perpétuelle rupture d’équilibre.

Parution : 07-10-2021 / 112 pages / ISBN : 9782072958397 / 12,90 €

Que faire en Béarn? Visiter le village de Morlanne et déjeuner au Lutrin Gourmand

Morlanne est un authentique village béarnais connu depuis le XIe siècle. Il constituait l’une des pièces essentielles du réseau de places fortes en frontière du Béarn, entre Orthez et Foix. le site est choisi par Gaston Fébus comme lieu de défense contre la Gascogne anglaise toute proche pendant la guerre de cent ans.

Le château est érigé en 1373 par Gaston III comte de Foix-Béarn, ou Gaston Fébus.

Construit en briques et pierres par l’architecte Sicart de Lordat, c’est un bel exemple de construction fébusienne. Dans les années 70, Raymond Ritter (1894-1974, avocat, collectionneur, historien et pyrénéiste) et son épouse Hélène décident de le restaurer pour y vivre, puis le cèdent au département à leur décès. Ils possédaient une riche collection d’œuvres d’art, en partie visible aujourd’hui au château.

On notera en particulier une harpe estampillée et daté, un instrument unique dans l’histoire de la musique. Le château est inscrit au titre des monuments historiques depuis 1975.

Il faut ensuite arpenter les rues du village, en particulier celle qui mène à l’église Saint Laurent et à la maison Belluix, une demeure de la fin du XVe avec dans la cour une jolie boite à livres.

Tout au long de cette route, ou carrère du château, vous croiserez de nombreuses maisons béarnaises avec leurs toits à forte pente en tuile Picon, et leurs murs composés de galets du gave noyés dans du mortier.

Dans cette rue, je vous conseille d’admirer les jolies façades, mais prenez également le temps de rentrer dans la Casa Beroya (du Béarnais, jolie maison) un concept store dans lequel Indus’ et vintage, design et artisanal, chic et charme, les styles se mêlent à l’intérieur comme au jardin. Là vous serez accueillis par Anne Gastineau, qui gère cet espace avec beaucoup de goût et de passion.

Lors de notre dernière visite, nous sommes allés déjeuner au Lutrin gourmand, Un lieu à lire et à goûter, un charmant restaurant, salon de thé, librairie.

De la cuisine fait-maison savoureuse et gourmande, de la vaisselle ancienne comme je les aime, et une cour intérieure ombragée. Tout pour régaler les papilles et les yeux. Ajouter à cela un service absolument adorable et une ambiance chaleureuse, n’hésitez pas à pousser la porte.

Mais le plus étonnant et qui bien sûr m’a immédiatement séduite, c’est ce grand choix de livres d’occasion que l’on peut acheter. Et à l’étage le charmant coin bibliothèque dans lequel se tiennent, hors saison touristique, des rencontres littéraires avec une vingtaine de participants. J’espère pouvoir y revenir à l’occasion pour assister à l’une de ces rencontres.

Quoi : château de Morlanne, Le Lutrin Gourmand 13, Carrère du château, Casa Beroya 20, Carrère du château, 64370 Morlanne
Où : Morlanne, Pyrénées atlantiques

Derrière la gare, Ustrinkata, Arno Camenisch

Deux romans pour découvrir un univers singulier, nostalgique et pittoresque à souhait

Ustrinkata et Derrière la gare, traduits de l’allemand (Suisse) par Camille Luscher, édités par Quidam, ce formidable dénicheur de trouvailles.

Avec Derrière la gare, Arno Camenisch nous transporte des dizaines d’années en arrière dans le canton des grisons en Suisse. Ne cherchez pas, vous êtes immédiatement, tout comme je l’ai été, projeté dans un univers parallèle, plongé dans un de ces grands films classiques en noir et blanc où les jeunes héros découvrent la vie autour d’eux et la racontent avec autant de sincérité que de malice.
Le langage est celui d’un jeune garçon d’une dizaine d’années qui observe et raconte son village. Il mêle dans son récit le patois des langues romanches parlées dans le canton. Les maisons à la suite l’une de l’autre, dont on connait le moindre habitant, les habitues, les famille, le café L’Helvezia où tous se retrouvent pour un schnaps, les lappis qui font des petits et que l’on prend dans ses mains car ils sont si doux, mais qui en meurent, les saisons difficiles, surtout quand le soleil disparait pour plusieurs mois,  la vie et la mort, l’enterrement ou la naissance, il n’y a rien d’étonnant à participer à tout cela puisque c’est la vie. Une succession de scènes aussi drôles qu’émouvantes. Un éveil au monde empli de débrouillardise, de naïveté et de sentiments.

L’écriture est vraiment étonnante. Si la lecture est un peu ardue au départ, j’ai été rapidement séduite. J’ai aimé le charme particulier de ce monde débordant de vie, ces analyses si pertinentes, sans nuances mais chargées de vérité et d’humanité, et teintées d’une dose de mélancolie. Un roman à découvrir, à la fois drôle et attendrissant et qui gagne à être lu à voix haute pour mieux en savourer la langue.


Dans Ustrinkata, la dimension est celle du café du village, L’Helvezia. Comme dans une tragédie grecque, une unité de lieu et de temps, une dernière soirée avant la fermeture. Mais aucune tragédie ne s’annonce, sauf peut-être la reprise du café par des investisseurs.

Cet hiver-là, le temps est vraiment bizarre, pas de neige, trop de pluie, il n’y a plus de saison.  Tour à tour les villageois entrent à L’Helvezia trempés et bien décidés à se réchauffer. Ça tombe bien, elle n’attend que ça la Tante, avec ses Mary Long qu’elle allume l’une après l’autre. Et ce soir, personne ne boira d’eau, c’est dit.

Alors ça parle, ça raconte, ça fume, beaucoup, et ça boit plus encore pendant toute la soirée ; les gens rentrent et ressortent, s’invectivent, se remémorent les souvenirs anciens, les anecdotes de leur jeunesse commune, mais aussi les disparus, les mariages. Chaque foyer a une histoire et tous semblent la connaitre, comme on connait bien les voisins avec qui on a passé tant d’années dans ce petit village perdu dans ce creux de montagne. Les cigarettes sont fumées les unes derrière les autres, les verres de bière, d’alcool, de vin descendus sans même avoir le temps de respirer. Ça délie les langues et fait venir la buée dans les yeux, tant d’alcool et tant de souvenirs.

Catalogue éditeur : Quidam

Derrière la gare : La vie d’un village cerné par les montagnes. Un enfant espiègle observe les adultes et, sans détour, dit le réel avec insouciance. Vif et concret, touchant et drôle, profond : Arno Camenisch donne à entendre la musique singulière de sa langue qui raconte la disparition d’un monde. Une Helvétie hors norme que le temps va engloutir. C’est Zazie dans les Grisons et c’est pas triste !

100 pages 12 € / févr. 2020 / 140 x 210mm / ISNB : 978-2-37491-128-1

Ustrinkata : C’est le dernier soir à L’Helvezia, le bistrot du village racheté par des investisseurs. Tous les habitués sont là: la Tante, hôtesse de tout son monde, la Silvia, l’Otto, le Luis, l’Alexi, et les autres aussi, encore vivants ou déjà morts. L’alcool coule à flots et ça fume à tout-va. On est en janvier et il ne neige pas. Il pleut comme vache qui pisse. C’est quoi cette bizarrerie climatique ? Le déluge ?
On cause de ça, de tout, sans discontinuer. Ressurgissent alors les histoires enfouies de ce village qui pourrait bien être le centre du monde. La fin est proche, mais tant qu’il y a quelqu’un pour raconter, on reprend un verre.
Ce Prix suisse de littérature 2012 s’avale cul sec !

106 pages 13 € / février 2020 / 140 x 210mm / ISNB : 978-2-37491-133-5

Arno Camenisch est né en 1978 à Tavanasa, dans les Grisons. Il écrit de la poésie, de la prose et pour la scène, principalement en allemand, parfois dans sa langue maternelle, le romanche (sursilvan). Il vit à Bienne. Il est l’auteur de Sez Ner (2009),  Derrière la gare (Hinter dem Bahnhof, 2010), parus initialement aux éditions d’En bas, et de Ustrinkata (2012, Quidam 2020), soit le «cycle grison». L’œuvre d’Arno Camenisch est reprise dans son ensemble par Quidam éditeur. 

La police des fleurs, des arbres et des forêts, Romain Puértolas

Avec un titre long comme ça, il  faut du souffle pour tenir ses lecteurs en haleine jusqu’à la dernière page. C’est le pari de Romain Puértolas dans son dernier roman «La police des fleurs, des arbres et des forêts »

En 1961, alors que la canicule a frappé partout en France comme dans le petit village de P où tout le monde se connait, un corps vient d’être retrouvé, démembré et égorgé, dans les cuves de l’usine à confitures. Il n’en faut pas plus pour que monsieur le maire, par ailleurs propriétaire de la dite usine flambant neuf, appelle la police à la rescousse. Car au village, tout le monde appréciait Joël, il faisait partie du paysage, lui qui était né le jour de la libération du pays.

Le jeune et fringuant inspecteur de police diligenté sur place constate avec surprise que le corps a déjà été autopsié et enterré. L’enquête ne fait que commencer et déjà les contrariétés apparaissent. A l’heure où n’existent ni internet ni mobiles, la situation se complique avec la panne généralisée du téléphone fixe. Voilà donc notre inspecteur obligé de faire ses comptes rendus par lettre, et d’attendre la réponse de madame le procureur. Fort heureusement, cet inspecteur aussi astucieux que moderne à la bonne idée d’enregistrer toutes ses enquêtes, car quoi de mieux pour ne rien oublier, pouvoir réécouter et peut-être résoudre l’intrigue.

Et l’auteur nous balade, nous simples lecteurs, dans les méandres des esprits campagnards parfois revanchards, un peu malhonnêtes, pas toujours fidèles. De rencontre en déclaration, il questionne, soupèse les réponses, détecte les faux-semblants, et tente de dénouer ce sordide meurtre.

L’intelligence de l’auteur ? Nous transporter dans un passé récent, mais sans les moyens de communications d’aujourd’hui, tout en donnant du rythme à son enquête par le biais de ces interrogatoires enregistrés, par ces échanges épistolaires d’un nouveau genre. L’éloge de la lenteur en quelque sorte… bien que… allez, lisez, et délectez-vous jusqu’au bout de cette intrigue sérieuse, mais pas trop, non dénuée d’humour et d’un soupçon de légèreté.

Catalogue éditeur : Albin-Michel

Une fleur que tout le monde recherche pourrait être la clef du mystère qui s’est emparé du petit village de P. durant la canicule de l’été 1961.
Insolite et surprenante, cette enquête littéraire jubilatoire de Romain Puertolas déjoue tous les codes.

19.00 € / 2 Octobre 2019 / 140mm x 205mm / 352 pages / EAN13 : 9782226442994

Une place à prendre, J.K. Rowling

Que penser du premier roman pour adultes de l’auteur de Harry Potter

Dans « Une place à prendre », J.K. Rowling nous dépeint la vie et les travers d’un petit village de la douce campagne anglaise, enfin douce, pas tant que ça quand même.

Point de départ de l’intrigue, la mort subite de Mr Fairbrother. J’aime assez le jeu de mot que j’imagine avec son nom : un « frère sympa », ou un « homme sympa avec ses frères » ici avec ses pairs, celui qui crée le lien en somme, celui qui accepte et aime les autres, celui que tous apprécient. Mais voilà, après son décès, toutes les noirceurs se révèlent, tous les conflits sourdent, toutes les vengeances sont prêtes à être réalisées.

Dans cet univers bien sombre, les relations parents enfants, mari et femme, patient malade, élèves professeurs, élèves entre eux, amant indécis et maitresse enthousiaste, toutes ces relations qui font la vie d’un village vont s’exacerber, se dévoiler dans toute leur noirceur et leur violence. La misère de certains quartiers, la suffisance de certains habitants bien mieux lotis que d’autres, le plaisir de sa réussite, l’envie de la monter, d’écraser les autres, mais aussi l’incompréhension face à la vie des quartiers difficiles, cette vie qu’on ne peut pas imaginer, mais que l’auteur semble avoir bien connue et qu’elle décrit avec réalisme, même si parfois on l’espère exagérée, tout est là au fil des pages. Les personnages ne sont pas tous attachants, j’ai pourtant eu un élan pour Krystal, mais comment pourrait-elle s’en sortir dans cette ville qui ne peut rien pour elle, dans une famille si tragiquement sordide, malgré tous ses efforts pour s’élever, y arriver, pour sauver ce qui peut l’être.

C’est bien écrit, avec des détails comme sait en écrire J.K. Rowling, des personnages aux caractères et aux personnalités bien tranchés ou au contraire aussi fades que leur vie, et tout cela au final donne un roman qui se laisse lire.

L’auteur nous a mal habitués avec la série des Harry Potter. J’imagine que j’attendais un roman fabuleux, j’ai lu un bon roman. Intéressant au départ, quelques longueurs aux deux tiers, il reprend tout son intérêt vers la fin, peut-être un peu trop long. Qu’importe, j’avais envie de le lire et c’est chose faite.

Catalogue éditeur : Grasset

Bienvenue à Pagford, petite bourgade en apparence idyllique. Un notable meurt. Sa place est à prendre…

Comédie de mœurs, tragédie teintée d’humour noir, satire féroce de nos hypocrisies sociales et intimes, ce premier roman pour adultes révèle sous un jour inattendu un écrivain prodige.

Parution : 28/09/2012 Pages : 682 / EAN : 9782246802631 / Prix : 24.00€