Les monstres, Maud Mayeras

Âmes sensibles s’abstenir, pour les autres, accrochez-vous, quelle claque !

Dans mon panthéon personnel des familles dysfonctionnelles, il y avait Turtle et son père dans My absolute darling, un père survivaliste qui élève sa fille pour qu’elle s’en sorte, dans une relation aussi ambiguë que destructrice.

Désormais il y aura aussi Eine et son père Aleph, une famille cachée dans son terrier, une mère apeurée qui obéit et tente de protéger ses deux enfants.

Ils vivent à l’écart du monde, seul le père va à la ville chercher des provisions pour ses monstres, ses enfants qu’il protège du regard et de la folie des humains. C’est lui qui les nourrit, ils restent à l’abri, sous terre. Mais un jour il a un problème et doit être emmené à l’hôpital. C’est ce même jour que toute la région s’affole car le barrage risque de céder et d’engloutir la vallée et tous ceux qui vivent en aval. Il faut évacuer toutes les habitations.

Eine et son frère sont des monstres, ils le savent, l’affirment, le revendiquent, leur père le leur a assuré, c’est la seule vérité qu’ils connaissent. Lorsque les secours tentent de les faire sortir du terrier, leur monde fermé s’écroule, leur abri devient piège, la confiance est détruite, ils doivent fuir, agir, se battre avant d’être dévorés par plus monstrueux qu’eux. Commence alors une lutte sans merci, à la vie à la mort pour échapper aux humains, ou aux monstres, c’est selon. Mais comment pourront-ils se confronter à l’extérieur après avoir vécu ainsi terrés, à l’abri, trompés, manipulés.

Étonnant roman, noir, très noir, un peu de survivalisme, un lien avec ces affaires sordides d’enfant enlevées, comme celle de Natasha Kampusch, de familles cachées. Inceste, viol, violence, mort, terreur, rien n’est épargné aux personnages que nous offre l’autrice. Intéressant aussi de se poser les bonnes questions, à travers l’éducation, la formation, la domination et les sentiments, comment et jusqu’à quel point peut-on assujettir l’autre.

Le chapitres, courts et dynamiques, alternent avec des extraits de contes, pas toujours bienvenus ou compréhensibles, ça casse le rythme, mais c’est peut-être fait exprès, pour rendre moins violente cette course pour échapper aux humains ?

Âmes sensibles prière de s’abstenir. Il faut être en forme pour attaquer ce livre et résister aux monstres, mais je vous assure qu’on ne peut plus le lâcher quand on commence, il faut juste trouver le bon moment !

Catalogue éditeur : Pocket

Ils vivent dans un « terrier ». Les enfants, la mère. Protégés de la lumière du jour qu’ils redoutent. Sales et affamés, ils survivent grâce à l’amour qu’ils partagent et grâce à Aleph, qui les ravitaille, les éduque et les prépare patiemment au jour où ils pourront sortir. Parce que, dehors, il y a des humains. Parce que eux sont des monstres. Et tant qu’ils ne seront pas assez forts pour les affronter, ils n’ont aucune chance.
Mais un jour Aleph ne revient pas, et les humains prédateurs cognent à leur porte. Alors, prêts ou pas, il va falloir faire face, et affronter cette terrifiante inconnue: la liberté.

Date de parution : 13/01/2022 / 8.30 € / EAN : 9782266320221

Une nuit après nous, Delphine Arbo Pariente

Parler pour faire éclore les souvenirs et atténuer les douleurs de l’enfance

Mona est une jeune femme bien dans sa peau et dans sa vie. Elle a un métier qui lui plaît, elle est architecte, un mari amoureux, Paul est prêt à tout pour elle, trois enfants, et une vie pleinement heureuse et réussie. Mais lorsqu’elle s’inscrit à un cours de tai-chi, elle rencontre Vincent et immédiatement la relation entre eux est une évidence, comme s’ils se connaissaient depuis toujours.

Cette rencontre que lui offre le hasard s’avère être non pas un éveil à l’amour ou un banal adultère, mais au contraire une confiance et une écoute qui lui permettent de s’éveiller à elle-même. Comme si Vincent lui permettait enfin d’ouvrir les vannes secrètes de l’enfance oubliée, des sentiments et du passé enfouis, la relation au père, l’indifférence de la mère, les douleurs jamais racontées, jamais exprimées, pas même verbalisées pour elle-même.

Alors il faut revenir en arrière, remonter trois générations, celles de Juifs séfarades qui chassés d’Espagne à la fin du XVe siècle ont émigré en Tunisie. Puis le départ de Tunisie des grands parents dans les années 60 pour arriver à Marseille. Enfin, la rencontre de ses parents,. Il faut cela pour comprendre l’enfance, la pauvreté, la douleur et l’incompréhension de la différence. Pour comprendre, sans forcément les accepter à la fois le père tyrannique et la mère à la dérive. Pour se désoler de ce que doivent faire les enfants sans percevoir la portée, l’influence sur leur vie future, le pouvoir de destruction massive de certains actes pourtant consentis lorsqu’ils sont réalisés par amour filial, par désir de plaire, encore et toujours.

Au fil des jours, Mona raconte, et avec les mots s’exprime la filiation si difficile, la relation au père, complexe, dévastatrice, ce pouvoir et cette pression psychologiques exercés pendant des années et qui peuvent être parfois plus destructeurs que les violences physiques, et pourtant, les violences physiques elles aussi sont extrêmes. A peine esquissée, la relation incestueuse est pourtant présente, prégnante, l’horreur absolue pour la petite fille. Si l’enfant a longtemps essayé de contenter le père en exécutant toutes les basses tâches qu’il lui confiait, l’adulte a aujourd’hui envie de savoir qui elle est au plus profond d’elle-même, quelle est sa vraie nature, son vrai moi.

C’est un roman fort, Mona n’est pas tendre avec elle même, mais les violences qu’elle a subies enfant ont laissé tellement de traces que seuls ces mots là peuvent en effacer la noirceur. Et si aller au bout des douleurs enfouies de l’enfance lui permettait enfin de savourer la réalité du bonheur présent, ququi elle victoire, quel beau chemin vers la résilience et l’acceptation de soi. Un roman sans tabou, sans jugement, qui écoute et dit, et qui fait réfléchir au temps qu’il faut pour enfin s’autoriser le bonheur quand l’enfance a été aussi dévastatrice.

Catalogue éditeur : Gallimard

« J’ai cru que l’événement de ces dernières semaines, c’était ma rencontre avec Vincent, mais sur ce chemin qui me menait à lui, j’ai retrouvé la mémoire. Et en ouvrant la trappe où j’avais jeté mes souvenirs, la petite est revenue, elle attendait, l’oreille collée à la porte de mon existence. »

Cette histoire nous entraîne sur les traces d’une femme, Mona, qu’une passion amoureuse renvoie à un passé occulté. Un passé fait de violence, à l’ombre d’une mère à la dérive et d’un père tyrannique, qui l’initiait au vol à l’étalage comme au mensonge.
Le silence, l’oubli et l’urgence d’en sortir hantent ce roman à la langue ciselée comme un joyau, qui charrie la mémoire familiale sur trois générations. De la Tunisie des années 1960 au Paris d’aujourd’hui, Une nuit après nous évoque la perte et l’irrémédiable, mais aussi la puissance du désir et de l’écriture.

256 pages, 140 x 205 mm / ISBN : 9782072926525 / Parution : 26-08-2021 / 19,00 €

Blizzard, Marie Vingtras

Au cœur des éléments déchaînés, dénouer les secrets

Blizzard est un roman choral dans lequel les personnages prennent la parole tour à tour.

Dans ce coin perdu de l’Alaska, il fait un froid à ne pas mettre le nez dehors. Pourtant Bess et l’enfant sont sortis dans le blizzard ; une minute d’inattention et Bess a lâché la main de l’enfant de Benedict. Elle part droit devant elle pour tenter de le retrouver avant le retour de Benedict. Bess est une jeune femme un peu paumée qui a débarqué dans ce coin d’hiver avec Benedict, le père de Thomas, un jeune homme taiseux, bourru, mais cependant très attachant.

Chacun des protagonistes révèle une partie de leur histoire commune. Cole et Clifford, les hommes du village qui ont connu Benedict enfant ; Benedict qui n’a jamais compris pourquoi son frère Thomas a quitté sa maison sans espoir de retour ; Bess et ses blessures d’enfance, ses échecs, ses doutes et ses regrets ; Freeman dont on se demande bien comment il est arrivé dans ce trou paumé.

Dans le froid et la neige, au cours de cette traque où tous espérent retrouver l’enfant vivant, et celle qui l’a laissé partir, la tension monte, des secrets se dévoilent, des liens se nouent, laissant la place à l’imagination, aux souvenirs, aux regrets, aux questionnements. Et les pièces d’un puzzle bien plus sordide qu’il ne paraissait de prime abord se mettent en place, les liens se créent, des secrets sont révélés. Dans ce huis-clos sous un ciel immense, les hommes pris dans le blizzard se retrouvent face à leurs révélations, à leurs pensées, à leurs actes.

Ce que j’ai aimé ?

La façon de présenter les personnages, de les isoler dans cette immensité blanche et glacée, comme s’ils étaient seuls face à eux même. L’écriture et le rythme, les chapitre courts qui donnent la cadence, font monter la tension, et attendre un dénouement digne d’un roman noir américain (après tout, nous sommes en Alaska!). Face au drame qui se noue, la disparition d’un enfant, les caractères, les émotions, les sentiments se dévoilent pour le pire comme pour le meilleur. J’ai lu ce roman quasi d’une traite, et je pense que c’est exactement ce qu’il fallait pour suivre le tempo voulu par l’autrice. Ce premier roman est une réussite, de nombreux thèmes sont abordés et parfois seulement suggérés par petites touches, mais toujours de façon à être compris par le lecteur en priorité, lui qui a toutes les versions et donc toutes les clés, pour dénouer l’intrigue.

Un roman de la sélection 2022 des 68 premières fois

Catalogue éditeur : L’Olivier

Le blizzard fait rage en Alaska.

Au cœur de la tempête, un jeune garçon disparaît. Il n’aura fallu que quelques secondes, le temps de refaire ses lacets, pour que Bess lâche la main de l’enfant et le perde de vue. Elle se lance à sa recherche, suivie de près par les rares habitants de ce bout du monde. Une course effrénée contre la mort s’engage alors, où la destinée de chacun, face aux éléments, se dévoile.

Avec ce huis clos en pleine nature, Marie Vingtras, d’une écriture incisive, s’attache à l’intimité de ses personnages et, tout en finesse, révèle les tourments de leur âme.

Parution 26 août 2021 / 192 pages EAN : 9782823617054 17,00 €

Je suis l’abysse, Donato Carrisi

Un thriller efficace et haletant

Quel est le lien entre l’homme qui nettoyait, la fille à la mèche Violette et la chasseuse de mouches ? Qui est ce mystérieux Micky derrière la porte verte ?
Qui est cet enfant de cinq ans que sa mère entraîne dans la piscine de cet hôtel désaffecté ?
Qui est cet homme qui traque les femmes blondes jusque dans leurs maisons ?
Quel rapport entre ces femmes blondes qui disparaissent et cette jeune fille qui tente de mourir ?

Pour le savoir, il faut découvrir ce roman qui démarre sur les chapeaux de roues, à la fois sombre et dur, au suspense garanti. Certaines scènes sont à la limite du supportable, mais elles sont indispensables à la bonne compréhension des rôles de chacun des protagonistes. Les flash-back dans le passé de l’enfant en particulier permettent habilement au lecteur de commencer à échafauder sa propre théorie, mais il est bien difficile malgré tout de savoir jusqu’où l’auteur veut nous mener.

J’ai aimé le chassé croisé entre ces trois, quatre avec le mystérieux Micky, personnages aux parcours parallèles qui subtilement vont être amenés à se croiser. Peu à peu, leurs personnalités prennent forme, le passé de chacun se dévoile avec ses blessures, ses failles, ses rêves et ses désillusions.

Le mal, l’amour maternel, les origines, les troubles de la personnalité, la maltraitance, et de nombreux autres sujets y sont abordés sans que cela n’enlève quoi que ce soit à l’intensité, au rythme ou à l’intrigue.
Vous l’aurez compris, c’est ma première lecture de cet auteur et je suis totalement emballée.

Un roman traduit de l’italien par Anaïs Bouteille-Bokobza. Et lu par Benjamin Jungers, un acteur qui donne toute leur intensité aux différents personnages.

Catalogue éditeur : Audiolib, Calmann-Levy

L’homme qui nettoie rôde autour de nous.
Parmi nos déchets, il cherche des indices sur nos vies.
En particulier sur celles des femmes seules.
Une femme lui a fait beaucoup de mal enfant : sa mère.
La chasseuse de mouches, elle,
tente de sauver les femmes en péril.
Et elles sont nombreuses…
Surtout quand l’homme qui nettoie rôde autour d’elles.

EAN 9791035407513 / Prix du format physique 23,90€ / EAN numérique 9791035407377 Prix du format numérique 21,45€ / Date de parution 10/11/2021

Les vulnérables, Mémona Hintermann

Revenir aux origines pour comprendre le combat sans fin pour la liberté des femmes

Momine n’a jamais compris le désamour de sa mère Amélie de Kerveguen envers elle et ses autres enfants. Issue d’une famille très pauvre, elle passe son enfance entourée de sept frères et sœurs vivants, d’autres enfants n’ayant pas survécu à la pauvreté et à la violence. Mais elle n’a jamais connu ni les bras ni les caresses de sa mère. Pour comprendre d’où vient cette indifférence elle revient sur son île de La Réunion interroger la mémoire des anciens. Ce sera le seul moyen de savoir et d’arrêter ces cauchemars peuplés de serpents qui la terrorisent.

Oskar son époux apprend un lourd secret au décès de Sybille, sa propre mère. Il doit découvrir qui est cette mystérieuse sœur dont Sybille lui parle dans une lettre posthume. Il part de son côté à la recherche des souvenirs dans cette Silésie qui a subit de plein fouet les horreurs de la débâcle allemande.

Si la vie de couple pèse autant à Momine, si Oskar ne sait pas comment lui dire à quel point elle compte pour lui, ils espèrent que ce retour vers leur passé pourra les aider à se retrouver et à enfin connaître la sérénité.

Ce que j’ai aimé ?

Découvrir et suivre deux mondes, deux familles, deux temporalités pour panser les plaies du présent. Deux univers, pour faire entendre la douleur des femmes premières victimes de la guerre ou de la pauvreté à travers leur seul bien inaliénable, leur corps. Par le viol, les tortures, les violences de toutes sortes, elles ont été et restent les premières à souffrir de ce que leur infligent les hommes. Des souffrances parfois bien trop intimes, cachées, qu’il faut arriver à déceler pour mieux comprendre l’histoire de celles qui ont également eut un rôle dans la grande Histoire.

Largement inspiré de la vie de l’autrice et de son mari, ce roman qui parle des femmes de leur enfance se lit d’une traite tant il y a de force dans ses personnages. Un roman très dense, parfois trop peut-être, tant il nous assène de vérités qu’ il faut entendre et enregistrer en se disant que la lutte est sans fin pour l’égalité et la liberté des femmes et des petits filles.

Catalogue éditeur : Michel Lafon

Sur Terre, la vie d’Amélie fut une histoire de silence qui hurle.

Sa fille, Momine, ne peut plus vivre sans savoir pourquoi sa mère ne la serrait jamais dans ses bras, pourquoi à ses yeux ses enfants portent une salissure que seule la mort peut effacer. Elle retourne sur son île, La Réunion, fait parler les anciens. Sa seule issue pour en finir avec ses cauchemars, et peut-être renouer avec son mari, Oskar, de qui elle s’est éloignée.
Hasard de la vie ? Oskar se retrouve confronté lui aussi à un terrible secret, celui que sa mère lui révèle dans un journal intime légué à son décès. Il remonte le temps, plonge en pleine débâcle allemande quand, adolescente, elle fuit la Silésie sous la menace des troupes russes.
Le couple résistera-t-il à la vérité qui surgit : la lumière n’est rien sans l’obscurité, et inversement…

Mémona Hintermann, journaliste, reporter de guerre et présentatrice de journal télévisé, livre dans ce roman un récit intime, inspiré de son propre parcours. Avec force et poésie, elle interroge le legs des générations qui nous précèdent et la place des femmes dans la grande Histoire.

Parution : 26/08/21 / Prix :18.95 € / ISBN : 9782749947167

Pourvu qu’il soit de bonne humeur, Loubna Serraj

Comment être libre quand l’idée même de liberté n’est pas envisageable ?

Maya, 15 ans, belle, jeune, mais pas libre. Depuis quelques mois déjà ses parents ont décidé qu’elle ne pouvait plus aller au collège. Une jeune femme n’a pas besoin de trop apprendre puisque son avenir est d’être marié, savoir être épouse et mère cela suffit bien. Pourtant chaque jour ou presque, de longues discussions avec Marwan, son frère, lui permettent de continuer à apprendre et à débattre sur l’actualité, la géopolitique mondiale, le monde qui l’entoure dans le Maroc des années 40. Jusqu’au jour maudit où on lui annonce qu’elle doit épouser Hicham.

Il est beau ce jeune homme qu’elle découvre le jour du mariage, et la jeune femme est prête à l’aimer et à se soumettre. Mais c’est sans compter sur la violence qui se déchaîne dès la nuit de noce. Violée à plusieurs reprises, frappée, Maya ne sait pas que sa vie vient de basculer dans l’horreur, le silence, la douleur. Celui qui n’a connu que la violence de son propre père répète le schéma à l’envie, pour le plus grand malheur de son épouse.

Si la famille, la mère, les sœurs, ont compris le martyr que vit Maya, aucune voix ne vient s’élever pour faire cesser la violence meurtrière. Seul son dossier médical à l’hôpital témoigne des multiples fractures, viols, souffrances, maltraitances qu’elle a dû subir en silence pendant autant d’années.

Pourtant Maya la soumise, Maya puits de douleur est une femme libre dans sa tête, indomptable et indomptée par celui qui rêvait de la soumettre. Les discussions avec son frère, sa participation à la révolte marocaine face à l’occupant, ses lectures, ses fleurs et ses rêves sont les témoins les plus évidents de cette liberté si chèrement acquise.

Dans le Maroc d’aujourd’hui, Lilya vit une relation heureuse avec son amoureux. Mais elle ne souhaite absolument pas s’engager à ses côtés, car jamais elle n’acceptera de se soumettre au bon vouloir d’un époux. Dans son corps, elle ressent des douleurs et entend des questionnements qui l’interpellent sur sa filiation, qui est elle et d’où vient-elle ? Et si l’âme de Maya, sa grand-mère, était venue la tourmenter pour demander réparation de ses souffrances. Et si Lilya ne s’autorisait tout simplement pas à vivre libre ? Pour le savoir, elle part à la recherche de cette aïeule, soulève le voile du silence et révèle peu à peu la vie de Maya et ses propres contradictions.

De nombreux sujets forts sont abordés dans ce roman. La violence faite aux femmes, que ce soit au Maroc ou ailleurs, le mariage forcé, l’éducation des filles qui n’est pas toujours une évidence. Mais aussi les transmissions transgénérationnelles. La psycho généalogie explique parfois les traumatismes dans des familles où les secrets traversent les générations sans être révélés à ceux chez qui les dégâts sont les plus importants.

Ce sujet difficile est traité d’une manière originale grâce à ces deux générations de femmes qui se retrouvent dans leur soif de liberté, de savoir, d’amour et de vie. Ce roman est le lauréat du Prix Orange du Livre en Afrique 2021, son sujet rejoint Les impatientes, cet autre roman aux multiples récompenses. Souhaitons lui un aussi beau parcours.

Catalogue éditeur : La Croisée des Chemins et Au Diable Vauvert

Deux époques.
Deux couples.
Deux voix. Non, plusieurs voix qui traversent le temps pour raconter une vie, deux vies, leurs vies.
À travers une histoire, tour à tour inscrite dans le passé et le présent, aussi parsemée de violence ordinaire que de passion rebelle, le murmure Pourvu qu’il soit de bonne humeur d’abord inaudible, se renforce, devient mantra et arrache sa propre bulle de liberté, inestimable hier comme aujourd’hui.
Comment être libre quand l’idée même de liberté n’est pas envisageable ?
Comment résister à une guerre de l’intime où les bruits des canons deviennent ceux de clés tournant dans la serrure d’une porte ou de pas se rapprochant doucement mais sûrement ?
Comment la peur peut s’insinuer dans les couloirs du temps pour faire passer un message ? Quel message ?
Maya. Lilya. Deux voix. Deux femmes. Deux époques.
Une intensité. Celle que provoque la liberté.

Loubna Serraj est éditrice et chroniqueuse radio à Casablanca (Maroc). Elle tient également un blog littéraire social et politique sur des sujets d’actualité. Pourvu qu’il soit de bonne humeur, paru au Maroc aux éditions la Croisée des chemins, est son premier roman.

La Croisée des Chemins ISBN 9789920769563 / Parution 2020 / pages 324

Au Diable Vauvert : Parution : 2021-03-18 / pages : 352 / EAN-ISBN : 9791030704105

Les orageuses, Marcia Burnier

Comment se reconstruire après les violences et malgré le silence de la justice ?

Elles sont jeunes, fragiles, solitaires, mais au fond ce sont des femmes fortes et déterminées. Elles se sont reconnues, car elles ont été victimes de harcèlement ou de viol. Pourtant aucune n’a osé déposer plainte. A quoi bon si c’est pour ne pas être écoutée, pour être moquée, soupçonnée, dénigrée. Cela, elles ne l’auraient pas supporté, pas après ce qu’elles ont subi. Mais c’est l’orage qui gronde dans leurs têtes et dans leurs corps. Car comment se remet-on d’une agression. Que peut-on faire si l’on est tiraillée entre honte et culpabilité, dégoût et colère, quand on ne sait même plus si l’on a envie de se terrer ou de répondre par la violence.

Un jour ces orageuses décident de se venger et de donner ensemble la réponse qu’elles attendaient d’une société qui s’avère aussi muette que transparente face aux violences faites aux femmes. Oh, leur violence n’est pas celle des hommes qui les ont blessées car elles ont intégré l’idée qu’il y a des limites à ne pas franchir. Le gang de filles décide de frapper ceux qui les ont blessées au plus profond d’elles-mêmes en exerçant cette vengeance qui permettra enfin de parvenir à une forme de résilience.

Est-ce seulement réalisable dans une société qui n’attend des femmes qu’une forme de soumission et d’effacement, qui leur demande de ne faire ni vague ni révolution, de rester avec leurs peurs et leurs angoisses, en espérant qu’à la longue tout rentrera dans l’ordre.

Les orageuses est un court roman aux personnages pas forcément crédibles, mais qui a l’avantage de démontrer la force de celles qui parce qu’elles sont soudées et ensemble, cherchent et trouvent une réponse. Mais si cette forme de vengeance est salvatrice, l’impossibilité de la voir appliquer aux autres victimes rend encore plus désespérant le manque de réaction de notre justice face aux violences faites aux femmes, sans parler du silence assourdissant face aux féminicides. Malgré certaines imperfections, ce premier roman résistant et vindicatif éveille nos consciences sur les dégâts qu’entraîne l’absence de réponse de la justice pour les victimes.

On ne manquera pas de lire sur le sujet Femmes en colère de Mathieu Ménégaux et De mon plein gré de Mathilde Forget.

Un roman de la sélection 2021 des 68 premières fois

Catalogue éditeur : éditions Cambourakis

« Depuis qu’elle avait revu Mia, l’histoire de vengeance, non, de “rendre justice”, lui trottait dans la tête. On dit pas vengeance, lui avait dit Mia, c’est pas la même chose, là on se répare, on se rend justice parce que personne d’autre n’est disposé à le faire. Lucie n’avait pas été très convaincue par le choix de mot, mais ça ne changeait pas grand-chose. En écoutant ces récits dans son bureau, son cœur s’emballe, elle aurait envie de crier, de diffuser à toute heure dans le pays un message qui dirait On vous retrouvera. Chacun d’entre vous. On sonnera à vos portes, on viendra à votre travail, chez vos parents, même des années après, même lorsque vous nous aurez oubliées, on sera là et on vous détruira. »

Un premier roman qui dépeint un gang de filles décidant un jour de reprendre comme elles peuvent le contrôle de leur vie.

Marcia Burnier est une autrice franco-suisse. Elle a co-créé le zine littéraire féministe It’s Been Lovely but I have to Scream Now et a publié différents textes dans les revues Retard Magazine, Terrain vague et Art/iculation. Née à Genève, elle a grandi dans les montagnes de Haute-Savoie. Elle a notamment suivi des études de photographie et cinéma à Lyon 2. Les Orageuses est son premier roman, et le premier de la collection Sorcières.

illustration de couverture : Marianne Acqua
144 pages / 130 x 210 mm / parution : 2 septembre 2020 / 15€ / ISBN 9782366245189

Taqawan, Eric Plamondon

Prise de vue à focale multiple sur la politique du Québec envers ses peuples autochtones

Du côté de la Gaspésie, en ce 11 juin 1981, les policiers ont investi la réserve de Restigouche. Ils s’en prennent violemment aux indiens Micmac qui tentent de se rebeller alors qu’une loi veut leur imposer des quotas de pêche. Il faut rappeler que les indiens Mig’maq sont les Premières Nations du Québec, cette région du Canada où ils vivent désormais cantonnés dans les réserves. Alors qu’ils comptent uniquement sur leur environnement pour survivre, cette nouvelle loi totalement inique veut leur faire abandonner la pêche au saumon qu’ils pratiquent depuis toujours.

Océane disparaît ce jour-là. La jeune indienne vient de subir un viol, mais craint de revenir dans sa tribu. Elle est découverte quelques jours après par Yves, un agent de conservation de la faune. Yves vient de donner sa démission, écœuré par la politique menée par le gouvernement et par la violence gratuite exercée par les policiers ce 11 juin. Il va se faire aider par l’institutrice française en poste dans le coin pour s’occuper d’Océane, même si cela s’avère très risqué lorsqu’il découvre le profil des agresseurs.

Tout au long de cette intrigue noire mais relativement classique, viennent s’intercaler de nombreux autres récits. La vie et la mort du saumon, son parcours migratoire et ses différents noms. L’histoire indienne avec la vie et les origines des Micmac, les discriminations subies pendant des années pour leur faire perdre leur singularité, leurs rites et leurs légendes. Puis la politique du Canada des années 80, avec ce mémorable référendum pour l’indépendance du Québec.

Ce que j’ai aimé ?

Taqawan est un livre passionnant qui avec des airs de ne pas y toucher englobe tant de sujets. Écologie, économie, politique, social, et légendes se mêlent avec une grande justesse non dénuée de profondeur. Le tout donne au lecteur une vue panoramique de l’histoire et de la complexité des effets de la politique du Canada envers ses peuples autochtones. Un livre plaidoyer pour la cause amérindienne qui se lit (ou s’écoute!) d’une traite et se savoure pour ce qu’il est, éclectique, politique, et novateur dans sa construction. A se demander d’ailleurs quel est le texte qui draine l’autre, l’intrigue ou tout le reste ?

J’ai apprécié ces chapitres courts et si différents de l’un à l’autre mais qui bizarrement ne perdent pas le lecteur. François-Eric Gendron donne tout le sérieux nécessaire au roman, à son sujet et à l’intrigue. Et ce, même si sa voix n’est pas toujours convaincante quand elle prend des intonations québécoises qui ne me semblent jamais aussi réussies que lorsque j’écoute mes cousins canadiens.

Pour aller plus loin : Premières Nations est le terme utilisé pour désigner les peuples autochtones du Canada autres que les Métis et les Inuits. Les membres des Premières Nations sont les premiers occupants des territoires qui constituent aujourd’hui le Canada et ce sont les premiers Autochtones à être entrés en contact soutenu avec les Européens. (L’encyclopédie canadienne)

Roman lu dans le cadre de ma participation au Jury Audiolib 2021

Catalogue éditeur : Quidam et Audiolib

Un livre audio lu par François-Éric Gendron

« Ici, on a tous du sang indien et quand ce n’est pas dans les veines, c’est sur les mains. »
Le 11 juin 1981, trois cents policiers de la sûreté du Québec débarquent sur la réserve de Restigouche pour s’emparer des filets des Indiens mig’maq. Émeutes, répression et crise d’ampleur : le pays découvre son angle mort.
Une adolescente en révolte disparaît, un agent de la faune démissionne, un vieil Indien sort du bois et une jeune enseignante française découvre l’immensité d’un territoire et toutes ses contradictions. Comme le saumon devenu taqawan remonte la rivière vers son origine, il faut aller à la source…
Histoire de luttes et de pêche, d’amour tout autant que de meurtres et de rêves brisés, Taqawan se nourrit de légendes comme de réalités, du passé et du présent, celui notamment d’un peuple millénaire bafoué dans ses droits.

Né au Québec en 1969, Éric Plamondon a étudié le journalisme à l’université Laval et la littérature à l’UQÀM (Université du Québec à Montréal). Il vit dans la région de Bordeaux depuis 1996 où il a longtemps travaillé dans la communication. Il a publié au Quartanier (Canada) le recueil de nouvelles Donnacona et la trilogie 1984 : Hongrie-Hollywood Express, Mayonnaise et Pomme S, publiée aussi en France aux éditions Phébus. 
Taqawan (Quidam 2018) reçu les éloges tant de la presse que des libraires et obtenu le prix France-Québec 2018 et le prix des chroniqueurs Toulouse Polars du Sud.

Retrouvez ici le blog d’Eric Plamondon

Quidam janv. 2018 /140 x 210mm / ISBN : 978-2-37491-078-9 / 208 pages 20€
Audiolib Date de parution : 14 Octobre 2020 / Durée : 4h08 / Prix public conseillé: 21.90 € / Format: Livre audio 1 CD MP3 Poids (Mo): 569 / EAN Physique: 9791035401245

Joueuse, Benoît Philippon

Et si la vie n’était qu’une partie de Poker, alors, partie gagnante, ou pas ?

Zack est joueur professionnel depuis l’enfance, il faut dire que son père ne lui a rien appris d’autre. Avec Baloo, son ami de toujours, ils écument les concours, les tripots, et se satisfont de ce qu’ils gagnent. Baloo qui malgré ses tentatives de suicides à répétition sait bien, lui qui a tout perdu, que dans la vie il en faut peu pour être heureux. Mais le jour où il croisent la route de Maxine, leur vie pourrait bien changer de cap.

Joueuse, elle l’est, et douée avec ça. Maxine fait le tour des circuits de jeu de poker clandestins, des bars de seconde zone, rien ne l’arrête et sa technique à fait ses preuves. Le jour où elle découvre le beau Zack, elle décide de l’utiliser pour enfin réaliser son rêve. Un pari à quelques centaines de milliers d’euros, mais un pari risqué, affronter un joueur redoutable qui ne s’en laisse pas compter et qui en a anéanti plus d’un.

Car le pari de Maxine vient de loin, du plus profond de l’adolescence, et il lui faudra beaucoup de courage pour s’y préparer et y arriver. Une fois que Baloo, le matraqueur de violeur de femmes, est convaincu, il lui reste à décider Zack. Les voilà embarqués dans une course semée d’embûches. D’autant que Maxine prend aussi sous son aile Jean, son petit voisin surdoué, qui s’avère un peu encombrant pour mener à bien son projet. Qu’importe, elle n’écoute que son cœur pour le protéger des violences de sa mère.

Sous des airs légers et avec de jolies pointes d’humour, l’auteur aborde ici des sujets graves tel que pédophilie, viol, violences faites aux femmes, et nous permet aussi de pénétrer dans le milieu des joueurs de poker, qui s’il semble parfois bon enfant est bien souvent régit par les mafias lorsqu’il touche aux salles de jeu clandestin.

Les dialogues, les caractères des principaux protagonistes et leurs aventures procurent un vrai plaisir de lecture. L’ensemble est aussi très cinématographique, on s’y croirait. J’ai eu parfois l’impression d’entrer avec Maxine, Zack et Baloo dans ces salles crasseuses et enfumées, dans le manoir majestueux, ou dans les ruelles sombres. Le rythme soutenu fait de Joueuse un polar tout à fait divertissant.

Roman lu dans le cadre de ma participation au jury Prix des lecteurs Le Livre de Poche 2021 Policier

Catalogue éditeur : Le Livre de Poche, Les Arènes

Maxine est une de ces femmes à qui rien ne résiste. Elle tombe sous le charme de Zack, joueur de poker professionnel comme elle, mais elle n’en montre rien. Qui maîtrise à la perfection l’art de la manipulation ne dévoile jamais son jeu.
Maxine propose à Zack une alliance contre un concurrent redoutable. Piège ou vengeance… Zack n’en sait rien. Mais comment résister à la tentation du jeu ? Maxine est une tornade qui défie le monde si masculin des joueurs de poker. Elle est bien décidée à régler ses comptes, coûte que coûte.

Joueuse est une partie de poker virtuose où chacun mise sa vie. Un nouveau livre jubilatoire, teigneux, drôle et renversant de Benoît Philippon, qui décidément aime les héroïnes qui n’ont pas froid aux yeux.

Né en 1976, Benoît Philippon est scénariste et réalisateur pour le cinéma. Après Cabossé (la Série Noire, Gallimard) et Mamie Luger (EquinoX), Joueuse est son troisième roman. 

Pages : 352 / prix : 7,90€ / Date de parution : 10/03/2021 / EAN : 9782253241492

De mon plein gré, Mathilde Forget

Un court roman qui déstabilise, dit les non-dits, et ne laisse personne indifférent

Quand une jeune femme vient d’elle-même raconter les faits au commissariat de police, est-elle coupable ou victime ? Lorsqu’elle arrive au commissariat pour expliquer ce qu’elle vient de faire, elle ne sait plus vraiment quel rôle elle a joué. Comment en être certaine alors que tout l’accuse pendant ces interminables heures d’interrogatoire. A force de répéter, dire, redire, elle va se rendre compte qu’elle doit faire très attention à la façon dont chacune de ses phrases va être interprétée. Car elle est ensuite écrite dans son procès verbal par celui qui l’interroge depuis des heures pour comprendre, lui faire dire, la faire douter…

C’est une jeune femme qui ressemble à un adolescent filiforme. Une jeune femme qui depuis ses huit ans sait qu’elle est amoureuse des filles. Qui a longtemps pleuré à cause de cette soit disant hérésie de la nature qui choquait tant ses parents. Elle s’est habituée à souffrir de ses différences, de l’incompréhension des autres, de leur regard sur elle.

Mais aujourd’hui, elle vient dire. L’homme qui la suit, son incapacité à refuser, sa violence lorsqu’elle lui dit quelle est lesbienne, le viol, les coups…
Mais aujourd’hui tout l’accuse, comment, vous n’avez pas réagit, vous n’avez rien dit, vous ne l’avez pas…

Des questions comme des accusations, des doutes dans les regards, des mots qui expriment violence et suspicion, rien n’est fait pour apaiser, pour comprendre, aucune empathie n’est exprimée envers celle qui ose dénoncer.

Un livre nécessaire pour comprendre la difficulté que connaissent celles qui osent dénoncer, pour entendre les mots de ceux qui reçoivent sans les comprendre les plaintes de celles qui ont souffert avant, mais qui devront encore souffrir après car elles ne sont souvent ni comprises, ni entendues, ni même écoutées. Pour entendre l’ironie, la suspicion, les moqueries, qui les font douter à leur tour, se demander s’il est raisonnable ou pas de venir porter plainte. Un livre important pour savoir écouter, pour ne plus entendre les doutes, encore moins les « après tout, elles l’ont peut-être cherché ».

Catalogue éditeur : Grasset

Elle a passé la nuit avec un homme et est venue se présenter à la police. Alors ce dimanche matin, au deuxième étage du commissariat, une enquête est en cours. L’haleine encore vive de trop de rhum coca, elle est interrogée par le Major, bourru et bienveillant, puis par Jeanne, aux avant-bras tatoués, et enfin par Carole qui vapote et humilie son collègue sans discontinuer.

Elle est expertisée psychologiquement, ses empreintes sont relevées, un avocat prépare déjà sa défense, ses amis lui tournent le dos, alors elle ne sait plus exactement. S’est-elle livrée à la police elle-même après avoir commis l’irréparable, cette nuit-là  ?

Inspiré de l’histoire de l’auteure, De mon plein gré est bref, haletant, vibrant au rythme d’une ritournelle de questions qui semblent autant d’accusations. Mathilde Forget dessine l’ambiguïté des mots, des situations et du regard social sur les agressions sexuelles à travers un objet littéraire étonnant, d’une grâce presque ludique. Il se lit comme une enquête et dévoile peu à peu la violence inouïe du drame et de la suspicion qui plane très souvent sur sa victime.

Auteure, compositrice et interprète, Mathilde Forget a publié un premier roman très remarqué, À la demande d’un tiers (Grasset, 2019).

Parution : 24 Mars 2021 / Format : 120 x 185 mm / Pages : 140 / EAN : 9782246827160 prix : 15.00€ / EAN numérique: 9782246827177 prix : 10.99€