On était des loups, Sandrine Collette

Naître père ou le devenir ?

Liam est un solitaire, les forêts, les lacs, la montagne, la chasse, c’est sa vie. Mais le jour où il rencontre Ava, l’entente est immédiate entre ces deux être pourtant dissemblables, et la belle part avec lui dans le coin retiré où il vit.

Quelques années plus tard, un petit Aru vient rejoindre le cercle familial que Liam aurait bien circonscrit au couple. Aru, c’est Ava qui s’en occupe, l’élève, le nourrit, l’éduque. Pendant que Liam part de longs jours à la chasse. Alors bien sûr, il y a ces élans du petit garçon vers le père lorsque celui ci apparaît au bout de la pairie après des jours d’absence. Mais il n’y a aucun sentiment ni émotion de la part de cet homme solitaire et taiseux. Si Liam sait être un époux, il n’a toujours pas accepté d’être aussi un père, bien que son fils ait aujourd’hui déjà cinq ans.

Un jour, à son retour d’une période de chasse, il découvre le corps sans vie d’Ava, et Aru toujours vivant, blotti sous elle. Liam n’a pas la force de continuer à faire vivre son fils dans l’univers sauvage qu’il s’est créé et qu’il n’est pas décidé à abandonner. Il part avec Aru pour le confier à un lointain parent qu’il n’a pas vu depuis longtemps. Bercé par le pas des chevaux, Liam et Aru partent pour un dernier voyage ensemble avant la séparation. Mais c’est sans compter sur la réaction de l’oncle.

Alors Liam repart, et son monologue continue, fil ténu qui envahi sa tête, incompréhension, solitude, chagrin, rage, rejet de ce fils resté vivant à la mort de la mère tant aimée. Ensemble, ils devront cependant affronter la faim, la peur, la violence de l’ogre, au cours de ces jours qui transforment une vie à tout jamais.

Étonnant roman dans lequel une fois de plus, Sandrine Collette nous plonge dans la vie d’un homme en marge de la société, un solitaire qui a tout du sauvage, un homme brisé et révolté par ce que le destin lui impose.

Peu à peu, Liam va devoir écouter, entendre et comprendre cet enfant qu’il rejette de toute son âme et refuse de garder près de lui. Mais qu’elle est la vérité dans cette attitude, est-ce pour le bien de l’enfant ou pour le confort du père. J’ai eu beaucoup de mal à comprendre et même à accepter l’attitude de cet homme brisé, mais si dur avec son fils, prêt à commettre l’impensable pour rester debout, pour continuer à vivre selon ses principes. Je me suis demandé si un homme pourrait réellement avoir une telle attitude. Mais qui sait, face à un choc immense, anéanti par le chagrin, les réactions peuvent être disproportionnées et incompréhensibles pour le quidam qui vit tranquillement sa petite vie confortable.

C’est un livre audio que j’ai écouté en voiture sur un trajet fait avec mon mari. Selon lui, « seule une femme pouvait avoir écrit ce roman tant la psychologie du personnage masculin parait caricaturale et peu réaliste. Comment imaginer qu’un homme intelligent et sensible aux beautés de la nature tel que décrit ici, qui aime sa femme, pourrait être amené à certaines extrémités. Les tentatives de l’autrice pour nous faire imaginer l’impensable sonnent faux. Le suspens est bien là mais difficile d’oublier ces invraisemblances ».

Un roman qui parle de nature, de violence, d’amour fou, de solitude et de questionnements sur la paternité en particulier, ce sentiment pas forcément plus naturel chez un homme que chez une femme. Mais aussi de liens familiaux, innés ou pas, place et importance de la famille, du couple, de la paternité. Sandrine Collette à l’art de décrire une nature sauvage, montagnes, lacs, animaux, parfois sans pitié pour l’homme qui souhaite toujours la dompter, mais en plaçant toujours l’Homme et ses comportements au centre.

J’ai aimé la voix de Thierry Hancisse, son rythme fluide qui coule comme les phrases apparemment sans ponctuation voulues par l’autrice. Grave, posée, rugueuse aussi parfois, une voix qui dit le doute, l’absence, la souffrance, la rage et la violence. L’auditeur, comme le lecteur sans doute, est entièrement immergé dans la tête de Liam, dans ses pensées morbides, cette tension qui sous-tend chacun de ses gestes, de ses décisions, de ses désirs. L’humanité n’est pas forcément une évidence pour l’autrice, elle sait nous le montrer et Thierry Hancisse en est le vecteur parfait, solide, sombre, fou de rage et emporté par une douleur qui domine ses réflexions et obère ses capacités de jugement.

Roman lu dans le cadre de ma participation au Jury Audiolib 2023

Catalogue éditeur : Audiolib, Jean-Claude Lattès

Lu par Thierry Hancisse

Ce soir-là, quand Liam rentre des forêts montagneuses où il est parti chasser, il devine aussitôt qu’il s’est passé quelque chose. Son petit garçon de cinq ans, Aru, ne l’attend pas devant la maison. Dans la cour, il découvre les empreintes d’un ours. À côté, sous le corps inerte de sa femme, il trouve son fils. Vivant.
Au milieu de son existence qui s’effondre, Liam a une certitude : ce monde sauvage n’est pas fait pour un enfant. Décidé à confier son fils à d’autres que lui, il prépare un long voyage au rythme du pas des chevaux. Mais dans ces profondeurs, nul ne sait ce qui peut advenir. Encore moins un homme fou de rage et de douleur accompagné d’un enfant terrifié.

Parution : 14/09/2022 / Durée : 3h58 / EAN 9791035411534 Prix du format cd 21,90 € / EAN numérique 9791035411701 Prix du format numérique 19,45 €

Ce n’est pas un fleuve, Selva Almada

Un court texte poétique et onirique qui nous plonge entre deux eaux

Quelle étrange sensation cette lecture. Trois hommes, un bateau pour aller à la pêche, une île, des sœurs jumelles et leur mère qui est sans cesse attirée par les feux qu’elle allume, sont quelques uns des personnages que l’on rencontre au bord de ce fleuve qui n’en est peut-être pas un.

Trois hommes mènent un combat sans merci, une véritable bagarre pour sortir de l’eau une raie gigantesque qui ne leur avait rien fait et dont ils ne vont rien faire. Puis vient la nuit, et l’un d’entre eux disparaît…
Deux jeunes femmes rêvent de s’amuser comme les autres jeunes gens, aller au bal, de l’autre côté du fleuve, boire, danser, et revenir au petit matin, ou pas…
Sur l’île, les hommes décident de venger la mort de cette raie, cette bête magnifique que tous connaissaient mais qu’aucun n’aurait jamais sortie de l’eau. Une mort inutile et sauvage.

Avec des phrases et des chapitres courts, presque des paragraphes, l’auteur mène ses lecteurs au bord d’un rêve éveillé, au fil de l’eau, des rencontres. Au fil du temps qui passe dans tous les sens car les histoires se télescopent et se rejoignent quand on ne les attend pas. Et nous donne à entrevoir une partie du mystère qui règne là, au bord du fleuve. L’atmosphère du lieu est particulièrement bien rendue, à la fois moite, secrète, mystérieuse, sauvage. Elle nous laisse entrevoir une nature qui ne pardonne pas les erreurs des humains qui viennent la troubler sans la respecter. Mais la dureté et la violence des hommes n’est pas oubliée non plus, les temporalités se bousculent pour laisser deviner les liens entre les différents personnages, fils père, frère, amants, amis, parents ou ennemis.

Il y a tout dans ce court roman, vie, mort, violence, amitié virile ou douceur féminine, jeunesse et solitude, deuil et abandon, mystère et réalité s’opposent pour composer un texte à la fois onirique et poétique.

Catalogue éditeur : Métailié

Le soleil, l’effort tapent sur les corps fatigués de trois hommes sur un bateau. Ils tournent le moulinet, tirent sur le fil, se battent pendant des heures contre un animal plus fort, plus grand qu’eux, une raie géante qui vit dans le fleuve. Étourdis par le vin, par la chaleur, par la puissance de la nature tropicale, un, deux, trois coups de feu partent.
Dans l’île où ils campent, les habitants viennent les observer avec méfiance, des jeunes femmes curieuses s’approchent. Ils sont entourés par la broussaille, par les odeurs de fleurs et d’herbes, les craquements de bois qui soulèvent des nuées de moustiques près du fleuve où le père d’un des trois hommes s’est noyé. Ils se savent étrangers mais ils restent.

Titre original : No es un río Langue originale : Espagnol (Argentine) Traduit par : Laura Alcoba
Publication : 14/01/2022 / Pages : 128 / ISBN : 979-10-226-1171-8 / 16 €

Les monstres, Maud Mayeras

Âmes sensibles s’abstenir, pour les autres, accrochez-vous, quelle claque !

Dans mon panthéon personnel des familles dysfonctionnelles, il y avait Turtle et son père dans My absolute darling, un père survivaliste qui élève sa fille pour qu’elle s’en sorte, dans une relation aussi ambiguë que destructrice.

Désormais il y aura aussi Eine et son père Aleph, une famille cachée dans son terrier, une mère apeurée qui obéit et tente de protéger ses deux enfants.

Ils vivent à l’écart du monde, seul le père va à la ville chercher des provisions pour ses monstres, ses enfants qu’il protège du regard et de la folie des humains. C’est lui qui les nourrit, ils restent à l’abri, sous terre. Mais un jour il a un problème et doit être emmené à l’hôpital. C’est ce même jour que toute la région s’affole car le barrage risque de céder et d’engloutir la vallée et tous ceux qui vivent en aval. Il faut évacuer toutes les habitations.

Eine et son frère sont des monstres, ils le savent, l’affirment, le revendiquent, leur père le leur a assuré, c’est la seule vérité qu’ils connaissent. Lorsque les secours tentent de les faire sortir du terrier, leur monde fermé s’écroule, leur abri devient piège, la confiance est détruite, ils doivent fuir, agir, se battre avant d’être dévorés par plus monstrueux qu’eux. Commence alors une lutte sans merci, à la vie à la mort pour échapper aux humains, ou aux monstres, c’est selon. Mais comment pourront-ils se confronter à l’extérieur après avoir vécu ainsi terrés, à l’abri, trompés, manipulés.

Étonnant roman, noir, très noir, un peu de survivalisme, un lien avec ces affaires sordides d’enfant enlevées, comme celle de Natasha Kampusch, de familles cachées. Inceste, viol, violence, mort, terreur, rien n’est épargné aux personnages que nous offre l’autrice. Intéressant aussi de se poser les bonnes questions, à travers l’éducation, la formation, la domination et les sentiments, comment et jusqu’à quel point peut-on assujettir l’autre.

Le chapitres, courts et dynamiques, alternent avec des extraits de contes, pas toujours bienvenus ou compréhensibles, ça casse le rythme, mais c’est peut-être fait exprès, pour rendre moins violente cette course pour échapper aux humains ?

Âmes sensibles prière de s’abstenir. Il faut être en forme pour attaquer ce livre et résister aux monstres, mais je vous assure qu’on ne peut plus le lâcher quand on commence, il faut juste trouver le bon moment !

Catalogue éditeur : Pocket

Ils vivent dans un « terrier ». Les enfants, la mère. Protégés de la lumière du jour qu’ils redoutent. Sales et affamés, ils survivent grâce à l’amour qu’ils partagent et grâce à Aleph, qui les ravitaille, les éduque et les prépare patiemment au jour où ils pourront sortir. Parce que, dehors, il y a des humains. Parce que eux sont des monstres. Et tant qu’ils ne seront pas assez forts pour les affronter, ils n’ont aucune chance.
Mais un jour Aleph ne revient pas, et les humains prédateurs cognent à leur porte. Alors, prêts ou pas, il va falloir faire face, et affronter cette terrifiante inconnue: la liberté.

Date de parution : 13/01/2022 / 8.30 € / EAN : 9782266320221

La chair de sa chair, Claire Favan

Rencontrer l’autrice et découvrir ce roman, noir et addictif

Moira fait de son mieux, mais Moira est épuisée par ses quatre boulots et ses trois enfants, difficile de tenir la tête hors de l’eau quand la petite dernière est gravement malade, que l’assurance ne paye pas les soins, que le père s’est suicidé et que l’ex mari est en tôle. Pourtant avec courage et ténacité elle essaie de contrer le zèle délétère des agents des services sociaux pour garder ses enfants auprès d’elle.

Fort heureusement il y a Peter, l’aîné du premier lit, qui s’occupe au delà du raisonnable de la fratrie pendant l’absence, la fatigue et les manques de sa mère. Jusqu’à ce moment de non retour où le drame arrive, le décès de Wendy, la petite sœur atteinte de mucoviscidose. Non pas tuée par sa maladie, mais par Nigel, son frère.

Nigel que Moria rejette sans espoir de compassion ou d’écoute, Nigel enfermé en hôpital psychiatrique afin d’évaluer son taux de responsabilité, Nigel prostré, atteint par l’horreur de son acte et la compréhension de sa pleine responsabilité. Un médecin, le docteur Bruce Thomas, va s’intéresser à son cas et tenter de tisser un lien pour faire sortir Nigel de son silence. Mais y parvenir s’avère plus complexe que prévu.

L’autrice nous entraîne vers les méandres tordus de la passion familiale, la possession, l’exclusivité que peut ressentir un enfant pour sa mère. Elle tisse peu à peu une toile dans laquelle Moira s’englue sans aucun espoir de se sauver, paralysée et aveugle. Et la lectrice que je suis ne peut que souffrir avec chacun des membres de cette famille face à tant de silence, d’incompréhension, de manipulation et de soumission. Tout en ayant envie de faire éclater la vérité. D’ouvrir les yeux, de donner un peu d’espoir, de bonheur à cette femme prisonnière de l’amour exclusif qu’elle partage avec ses enfants.

L’autrice a situé son intrigue aux États-Unis, nous permettant de découvrir avec stupeur le système carcéral américain et son implication à l’encontre des enfants criminels. Amis lecteurs, si vous n’êtes pas dans une période favorable, prière de s’abstenir de lire, car la lumière n’est pas au bout du chemin et votre moral peut s’en ressentir. Et pourtant, ce roman noir est totalement addictif.

Catalogue éditeur : Pocket

Moira O’Donnell, derrière le feu des boucles rousses et l’énergie inépuisable, est une femme qui lutte pour garder la tête hors de l’eau. Ce sont trois gamins livrés à eux-mêmes et autant de boulots cumulés pour les nourrir. Ce sont des pères absents : le premier est incarcéré pour longtemps, croit-elle, et le second s’est suicidé. C’est la solitude d’une mère de famille dure au mal qui se bat, tombe et renaît. Pour ses enfants. Et avec eux. Chaque semaine, elle achète un ticket de loterie en rêvant à une vie meilleure. Mais les services sociaux ont d’autres projets pour elle…

Née à Paris en 1976, Claire Favan travaille dans la finance et écrit sur son temps libre. Son premier thriller, Le Tueur intime, a reçu le Prix VSD du Polar 2010, le Prix Sang pour Sang Polar en 2011 et la Plume d’or 2014 catégorie nouvelle plume sur le site Plume Libre. Son second volet, Le Tueur de l’ombre, clôt ce diptyque désormais culte centré sur le tueur en série Will Edwards. Après les succès remarqués d’Apnée noire et de Miettes de sang, Claire Favan a durablement marqué les esprits avec Serre-moi fort, Prix Griffe noire du meilleur polar français 2016, Dompteur d’anges, Inexorable, et Les Cicatrices. La Chair de sa chair est son 9e roman et a reçu Le Prix Polar « Les Petits Mots des Libraires ».

Prix 7.95 € / EAN : 9782266322423 / Nombre de pages : 408 / Date de parution : 14/04/2022

Les choses que nous avons vues, Hannah Bervoets

Le quotidien des modérateurs de contenu internet, un roman à découvrir

Kailegh est une jeune femme de l’ombre, de celles qui visionnent à longueur de journée toutes les vidéos les plus malsaines qui sont postés sur ces réseaux sociaux qui ont envahi notre quotidien jusqu’à plus soif. Elle est modérateur de contenu, un métier qui n’est pas sans risque puisque c’est quasiment à la chaîne qu’il faut visionner les horreurs, morts, sexe, violence, rien ne lui est épargné, bien au contraire puisque là aussi il faut atteindre des objectifs.

Heureusement, dans ce quotidien difficile, les jeunes savent se retrouver pour boire un verre, et parfois plus si affinité, comme ce sera le cas pour Kailegh avec la belle et intrigante Sigrid.

Nous la découvrons alors qu’elle explique à un avocat qui l’a contactée pour participer à une action collective, quel a été son quotidien dans la firme qui l’employait et contre laquelle certains de ses collègues portent plainte.

C’est un quotidien d’une telle noirceur, avec une telle charge mentale que l’on se demande comment ces jeunes vont pouvoir s’en sortir. Car bien sûr, n’imaginons pas que les robots sont capables de tout analyser. D’ailleurs nous sommes nous même parfois analyseurs de photos lorsque l’on nous demande si nous sommes des robots. Mais pour nous il s’agit tout simplement de feux tricolores ou de voitures, pas de tout ce qui détruit et fait mal.

Un roman étonnant par le sujet et la façon dont il est traité, qui nous fait nous poser des questions sur cet internet des écrans qui a depuis longtemps pris le pouvoir sur notre quotidien. J’ai apprécié de le découvrir en même temps que cette nouvelle maison d’éditions Le Bruit du Monde.

On ne manquera pas de lire également les chroniques de Nicole du blog motspourmots, et celle de lectures d’Antigone.

Catalogue éditeur : Le Bruit du Monde

Traduit du néerlandais par Noëlle Michel

Une plongée saisissante dans le quotidien des modérateurs de contenu, les nettoyeurs du web. Hanna Bervoets y analyse l’état de confusion entre réalité et virtuel dans lequel nous vivons.

EAN : 9782493206039 / Nombre de pages : 160 / 16.00 € / Date de parution : 03/03/2022

Milwaukee blues, Louis-Philippe Dalembert

Un roman sombre mais porteur d’espoir, le portrait d’un citoyen ordinaire

Milwaukee blues est un roman choral en trois temps dans lequel ceux qui ont connu un homme nommé Emmet vont prendre la parole tour à tour pour évoquer sa vie à Franklin Heights, les amis et les années d’enfance, puis l’université, le football, puis la vie après le foot. Car Emmet vient de mourir, étouffé par un policier.

Lui a composé le nine one one ce jour maudit, lorsque son employé lui a dit qu’un jeune homme baraqué avait sorti un billet suspect. Fausse monnaie ça peut aller chercher loin. Mais s’il était réticent à leur dire qu’il est noir, dès qu’il l’a signalé tout s’est accéléré. Les flics sont arrivés peu après. Je ne peux plus respirer… ces mots qu’il a entendu et entendra sans cesse au fil de longues nuits blanches à venir.
Elle l’a bien connu ce petit Emmett qui chantait Alabama Blues dans les couloirs de l’école bien mieux qu’il n’apprenait ses leçons. Cantine gratuite, suivi de sa scolarité, de ses amis, elle a tenté de l’aider aussi longtemps que possible avant que sa présence, blanche parmi les noirs, ne pose problème. Alors entendre parler de lui à la radio ce jour là …
Authie, c’est l’amie d’enfance, la petite sœur née le même jour au même endroit, la gamine, la confidente. Si les années les ont éloignés, elle aimerait être toujours là pour lui, mais il a tellement changé. L’université n’a pas été le moyen de transformer sa vie, et c’est dans la ville de son enfance qu’il est revenu s’échouer avec ses trois enfants, ne sachant plus quoi faire ni où aller. Le matin même, ils ont échangé quelques mots, le soir elle entend son nom à la télé…
Stokeley, c’est l’ami de toujours lui aussi, depuis les bancs de l’école. Mais leurs chemins se sont éloignés eux aussi. Il a dû s’occuper de sa famille car sa mère seule ne pouvait pas, encore moins quand le Daron est parti a l’ombre. Guetteur puis dealer, forcément ça éloigne du droit chemin.

Puis vient l’université, Larry, son coach, noir comme lui, a connu les affres des sélections et sait à quel point cela va être difficile. Car à peine deux pourcent des étudiants pourront vivre de l’un des sports pour lequel ils se sont distingués pendants leurs années d’étude. Et avec des accidents, plus aucun espoir de parvenir au sommet. Il veut aider Emmet mais le laisse poursuivre la route qu’il s’est choisie.
Nancy, la fiancée, blanche, l’amoureuse malhabile. Que reste-t-il de ses années heureuses avec Emmet.
Angela, la mère de sa fille qui l’a aimé déjà père de deux enfants, mais qui l’a quitté un peu trop vite.

En fil rouge, il y a Ma Robinson, ancienne matonne dont on fait la connaissance en prison, elle est devenue pasteur et sera un soutien important pour Mary-Louise, la mère d’Emmet. Son prêche digne de Martin Luther King est un beau moment d’humanité.

Chacun avec son cœur, ses souvenirs, sa vision parcellaire de la vie d’Emmet va dessiner son portrait et le faire revivre pour tenter de comprendre comment il en est arrivé là. Mais dans cette Amérique du XXIe siècle, le racisme n’est jamais loin, et dans les états du sud en particulier mais pas seulement, la police agit bien trop souvent en toute impunité sans jamais avoir à rendre de compte.

Ce que j’ai aimé ?

L’auteur connaît à la fois le Wisconsin, cette région des États-Unis où il a vécu et enseigné, et le système scolaire américain, en particulier le coût exorbitant des universités et les possibilités données aux sportifs de les intégrer. Ces capacités sportives qui permettent aux jeunes sans revenus de poursuivre les études qui sinon leurs seraient interdites. Car ils sont aidés tout au long des championnats universitaires, et ont toujours à l’esprit la possibilité d’être sélectionné par une grande équipe et de connaître le succès.

De nombreuses références aux poètes haïtiens, à la littérature, à la chanson, au cinéma, viennent émailler le roman et le rendent vivant et actuel J’apprécie la façon dont l’auteur adapte son écriture à l’époque dans laquelle il place ses romans. Ici, j’ai ressenti une grande modernité, une contemporanéité de l’écriture. Si au départ, l’ombre de Georges Floyd est prégnante, rapidement c’est le personnage et le récit de Louis-Philippe Dalembert qui prennent toute leur place et s’incarnent dans chacun des protagonistes pour nous faire vivre une autre histoire, celle d’un noir américain aux rêves fous, brisé, paumé, victime de la plus ignoble violence, celle d’un humain parmi tant d’autres, quand le rêve américain se heurte à la plus violente forme de racisme. La fin du roman est une ouverture porteuse d’espoir en l’homme et en l’autre, espérons que cette lumière ne soit pas seulement un rêve fou.

Catalogue éditeur : Sabine Wespieser

Depuis qu’il a composé le nine one one, le gérant pakistanais de la supérette de Franklin Heights, un quartier au nord de Milwaukee, ne dort plus : ses cauchemars sont habités de visages noirs hurlant « Je ne peux plus respirer ». Jamais il n’aurait dû appeler le numéro d’urgence pour un billet de banque suspect. Mais il est trop tard, et les médias du monde entier ne cessent de lui rappeler la mort effroyable de son client de passage, étouffé par le genou d’un policier.

Le meurtre de George Floyd en mai 2020 a inspiré à Louis-Philippe Dalembert l’écriture de cet ample et bouleversant roman. Mais c’est la vie de son héros, une figure imaginaire prénommée Emmett – comme Emmett Till, un adolescent assassiné par des racistes du Sud en 1955 –, qu’il va mettre en scène, la vie d’un gamin des ghettos noirs que son talent pour le football américain promettait à un riche avenir. Lire la suite…

Parution : Août 2021 / prix 21 €, 288 p. / format epub et pdf au prix de 15,99 € / ISBN : 978-2-84805-413-1

Sangoma, les Damnés de Cape Town, Caryl Férey, Corentin Rouge

Même vingt ans après sa fin annoncée, l’apartheid laisse des traces dans la population d’Afrique du Sud. Les afrikaners propriétaires terriens représentent encore une minorité de la population mais ils détiennent toujours la majorité des terres. Ces terres exploitées depuis des centaines d’années par leurs ancêtres, grâce au travail des esclaves. Si aujourd’hui ce sont des salariés qui travaillent les vignes et les terres agricoles, la famine et les privations sont toujours là, et la révolte gronde parmi ces travailleurs qui réclament la restitution des terres volées à leurs ascendants.

C’est dans ce contexte que l’on découvre l’exploitation viticole de la famille Pienaar. Sam, l’un des ouvriers, est retrouvé mort dans les vignes. L’inspecteur Shane Shepperd, un policier au comportement pour le moins singulier, est chargé de l’enquête.

Mais les langues ont du mal à se délier, surtout quand l’enquête touche aux secrets de famille, aux croyances religieuses et animistes, à la sorcellerie. Shepperd devra s’armer de courage pour affronter les bandes hostiles des township, les secrets des sorciers, les conflits politiques qui gangrènent le pays et les discussions au parlement.

Voici une excellente BD qui allie le scénario de Caryl Ferey, un auteur que j’apprécie pour ses romans, et Corentin Rouge aux dessins. C’est particulièrement réussi, le graphisme, les couleurs vives ou au contraires très emblématiques des paysages de la région, donnent le rythme. Il y a une véritable intensité dans ce récit qui tient les lecteurs en haleine, que l’on connaisse bien ou pas la situation de l’Afrique du Sud à cette l’époque ou même depuis. Une BD tout à fait à l’image des romans de Caryl Ferey, un intérêt historico-politique mêlé à une intrigue haletante.

Catalogue éditeur : Glénat

En Afrique du Sud, une vingtaine d’années après l’Apartheid, les cicatrices laissées par l’ancien système peinent à se refermer. Le racisme n’est plus institutionnalisé mais les inégalités toujours présentes et la population divisée entre les propriétaires blancs et les ouvriers noirs. Dans ce contexte, Sam est retrouvé mort sur les terres de la ferme des Pienaar, ses employeurs. Le lieutenant Shepperd – esprit léger, avisé autant que séducteur et tête brûlée – est chargé de saisir les enjeux qui auront mené au drame.

Scénariste Caryl Férey / Dessinateur Corentin Rouge Paru le 03.11.2021 / 240 x 320 mm / Pages : 152

Bel abîme, Yamen Manai

Cent pages d’émotion pure

Un adolescent de quinze ans parle avec l’avocat commis d’office puis avec le psy auquel il a été confié.
Dans sa cellule, il revit ses dernières années jusqu’à cet événement qui l’a amené là, dans la prison, seul, plus victime que coupable peut être malgré la gravité de ses actes.

Son long monologue est avant tout un prétexte à décrire la société tunisienne depuis le printemps arabe. Pas de révolution si ce n’est dans les paroles et dans la violence, mais la vie de certains tunisiens loin d’être meilleure semble beaucoup plus compliquée et encore plus misérable qu’avant.
Pourtant dans cette société qui ne veut pas s’occuper des jeunes, lui avait trouvé le bonheur auprès de Bella la fidèle, l’aimante, la douce. Bella, cette petite chienne qu’il avait recueillie âgée de quelques jours à peine et élevée contre l’avis de sa famille. Car dans les sociétés musulmanes, les chiens n’ont pas bonne presse, rejetés par la religion, ils n’ont pas leur place au sein des familles.

Il y a de l’amour et de la rage, de l’espoir et de la colère, de la passion et du mépris dans ce roman à l’écriture incisive et violente, désespérée et percutante. Le lecteur s’attache à ce jeune homme d’aujourd’hui prisonnier d’une société tunisienne qui n’arrive pas à comprendre, à aider ou à donner le moindre espoir à sa jeunesse en mal d’avenir.

Je n’en dit pas plus, mais courrez lire ce court, très court, mais fort, vraiment très fort roman. Il interpelle, bouscule, bouleverse. C’est un roman à mettre entre toutes les mains, une excellente idée de cadeau pour ces fêtes de fin d’année.

Catalogue éditeur : éditions Elyzad

Un jeune homme s’adresse tour à tour à son avocat et à un psychiatre venus lui rendre visite en prison. Avec une ironie mordante, le narrateur prend à parti ses interlocuteurs. Les charges qui pèsent sur lui sont sérieuses, mais il affirme ne rien regretter. Se dévoilent les raisons qui l’ont poussé au crime : un père qui l’a toujours humilié ; une société gouvernée par les apparences ; la domination des plus forts sans partage.
La pauvreté, la saleté, le mépris des animaux et de l’environnement. Les seuls élans d’affection que le jeune homme a connus ont été ceux de Bella, le chiot qu’il a recueilli. Mais dans ce pays, on tue les chiens « pour que la rage ne se propage pas dans le peuple ». Pourtant la rage est déjà là. Alors quand Bella a été tuée, il a fallu la venger.
Date de parution : 02/09/2021 / EAN :9782492270444

Furies, Julie Ruocco

Un premier roman sur le drame syrien, exigeant et intense, sensible et humain

A la frontière turque, Bérénice s’active. L’archéologue française est devenue pourvoyeuse d’antiquités volées dans cette région du monde bouleversée par la guerre. La jeune femmes déterre et emporte les trésors cachés, ignorante de la folie qui l’entoure. Elle se trouve toutes les excuses pour légitimer son trafic d’antiquités dans ce pays en guerre où les hommes eux-même détruisent des trésors inestimables au nom de leur religion.

Jusqu’au jour où une femme lui donne sa fille à travers les barbelées d’un camp de réfugiés. Dès lors, sa vie va changer du tout au tout.

Un jeune pompier enterre les morts tombés sous les coups de l’État Islamique. Arrivé de la Syrie voisine, Asim pleure sa sœur Taym, si forte, si libre, exécutée par la police islamique. Lui le sauveur d’âmes est devenu le fossoyeur de leurs innombrables victimes. Il consacre désormais sa vie à retrouver les âmes de tous les disparus pour leur restituer la place qui leur a été volée dans l’histoire.

Leur rencontre se fera autour de cette fillette que sa mère va confier à Bérénice pour la sauver de ce monde en guerre.

Un roman fort, qui relate des situations dramatiques, au milieu du conflit syrien, des réfugiés qui attendent on ne sait quelle délivrance, entassés et oubliés dans les camps, au cœur de cette guerre sournoise faite aussi aux femmes à qui l’État Islamique enlève jusqu’à la vie lorsqu’elles ne s’effacent pas assez vite du monde des vivants. Les femmes, leurs silences, leurs souffrances, la douleur de vivre dans un monde qui nie leur place dans la société. Les violences qu’elles subissent prennent ici une toute autre dimension. Au milieu de tant d’horreur émerge pourtant le courage et l’héroïsme des peshmerga, de la résistance kurde, de ceux qui tentent et osent se révolter souvent au prix de leur vie.
Quelle peut être la réponse face à tant de violence, la soumission ou la révolte ? Des mots bien faciles à proférer lorsque l’on est à l’abri d’une société égalitaire où chacun a droit à la liberté, à l’éducation, hommes et femmes, garçons et filles. Des mots qui ont une autre portée et une toute autre signification lorsque votre vie est en danger à chaque instant.
Un magnifique premier roman sur un sujet difficile, à la fois exigeant et intense, sensible et humain, à l’écriture et au style direct et très contemporain.

Un roman de la sélection 2022 des 68 premières fois

Catalogue éditeur : Actes Sud

Les destins d’une jeune archéologue, dévoyée en trafiquante d’antiquités, et d’un pompier syrien, devenu fossoyeur, se heurtent à l’expérience de la guerre. Entre ce qu’elle déterre et ce qu’il ensevelit, il y a l’histoire d’un peuple qui se lève et qui a cru dans sa révolution.
Variation contemporaine des « Oresties », un premier roman au verbe poétique et puissant, qui aborde avec intelligence les désenchantements de l’histoire et « le courage des renaissances ». Un hommage salutaire aux femmes qui ont fait les révolutions arabes.

Prix « Envoyé par La Poste » 2021 /Août, 2021 / 11.50 x 21.70 cm / 288 pages / ISBN : 978-2-330-15385-4 / Prix : 20.00€

La Riposte, Jean-François Hardy

Quelle attitude choisir face au cataclysme climatique qui s’annonce, un roman sombre et lucide

Nous y sommes, le point de non retour a été atteint, la planète ne peut plus faire demi-tour … Paris ravagé, pollué, connaît la misère, la faim, les maladies, la violence. Nulle part les hommes et le femmes qui tentent de survivre ne sont désormais tranquilles.

C’est dans ce contexte que fleurissent sur les murs les affiches placardées par Absolum, un groupe qui prône la révolution pour la terre. C’est aussi dans ce contexte que Jonas, infirmier à domicile, quitte définitivement ses malades et son métier pour tenter de gagner le nord. Là, un semblant de vie paraît encore possible.

Pourtant, lorsqu’il se blottit dans les bras de la douce Khadija, son bonheur est presque palpable. Avec elle il serait même prêt à tenter la survie en milieu hostile. Mais elle est embringuée dans la lutte extrémiste et veut sauver ce qui l’est encore. Tenaillé entre son amour pour Khadija et son envie de fuite, Jonas décide de réfléchir en partant quelques jours retrouver sa sœur qu’il a perdue de vue depuis trop longtemps. Les années ont passé, et il apparaît vite que le frère et la sœur se sont irrémédiablement éloignés l’un de l’autre.

Jonas doit se décider, partir, rester en province chez sa sœur, retrouver Khadija à Paris, prendre les armes et s’engager dans la lutte pour la survie du monde, commencer à son tour la Riposte, la décision s’avère bien plus compliquée que prévu.

Dans cette dystopie apocalyptique, Jean-François Hardy dépeint le monde qui nous attend demain, car nous ne savons pas protéger cette terre qui nous porte et nous nourrit. Largement déprimant, ce roman a pourtant l’avantage de dépeindre un futur sans doute bien plus proche que ce que l’on veut admettre. C’est sombre, violent, déstabilisant, tellement défaitiste et pourtant certainement réaliste. Les crises écologiques et climatiques sont déjà là, les bouleversements des saisons, les cataclysmes, les mouvements migratoires, la montée des eaux, ne sont plus des utopies mais bien devenues réalités dans quelques régions de la planète. L’écriture directe, précise, jamais légère, donne vie à ces sensations déprimantes et réalistes bien qu’excessives. Et si le monde que nous décrit l’auteur était tout simplement celui qui nous attend demain ?

Roman lu dans le cadre de ma participation au jury du Prix de la Vocation 2021

Catalogue éditeur : Plon

Dans Paris désagrégé par la crise écologique, la misère a définitivement pris ses quartiers. Au rationnement alimentaire s’ajoutent la violence de l’État, la canicule et les maladies. Un mystérieux mouvement, Absolum, placarde ses affiches dans toute la ville et gagne du terrain. Son slogan : « Révolution pour la Terre ».
Dans ce chaos, Jonas est infirmier à domicile. Quand il ne s’occupe pas de ses patients, il se réfugie dans les bras de la jeune Khadija, déterminée à sauver le monde. À 37 ans, Jonas est quant à lui désabusé et s’apprête à fuir comme tant d’autres vers le nord de l’Europe, en quête d’une vie meilleure. Mais peut-il partir si facilement sans se retourner ? Qu’est devenue sa sœur Natalia, sa seule famille, dans la campagne aride privée d’électricité ? Et s’il parvenait à convaincre Khadija de le suivre ? Incapable de s’engager comme de rester loyal à un système dont il a su pourtant profiter, Jonas va devoir faire face au murmure d’une grande révolte.

EAN : 9782259306942 / pages : 208 / Format : 135 x 210 mm / Date de parution : 26/08/2021 / 18.00 €