De sel et de sang, Fred Paronuzzi Vincent Djinda

Découvrir un épisode peu glorieux de notre Histoire

En cet été 1893, dans les marais salants d’Aigues-Mortes, l’entente est tout sauf cordiale entre les différents groupes de travailleurs.

D’une part les trimeurs, des français qui sont souvent des vagabonds et des repris de justice, et les Piémontais, ces ouvriers italiens venus offrir leur force de travail pour réaliser les tâches que les autochtones ne veulent pas faire. Car la tâche est dure. Sous un soleil de plomb et une lumière éblouissante qui fait mal aux yeux, sans eau, et à la chaîne, la récolte du sel assèche les gorges, dessèche et mord la peau. La fatigue extrême rend tout plus difficile. Il en faut peu alors pour échauffer les esprits retords.

Une rixe éclate, qui pourrait n’être qu’une simple bagarre entre ouvriers, mais quelques hommes s’échappent vers Aigues-Mortes pour y apporter la mauvaise parole. Là, de rixe, cette échauffourée entre hommes devient bagarre sanglante avec morts ou blessés. D’heure en heure, la colère enflé. Il n’y a plus aucun moyen de rendre raison pour arrêter la foule vengeresse.

Comme c’est très bien expliqué dans les pages qui concluent cette BD, cet événement a bien eu lieu, le village s’est déchaîné contre quelques migrants venus chercher du travail en France. Triste et tragique événement qui s’est terminé par des morts et de nombreux blessés, et le départ des italiens vers leur pays. Quelques mois plus tard, un procès inique n’a jamais rendu justice aux victimes. Une affaire qui n’a été dénoncée que dans les années 70.

Le graphisme tout en fondu dans le trait et les couleurs, fait essentiellement de teintes ocres, restitue habilement cette chaleur, le travail des salines, l’ambiance à la révolte et le soulèvement des villageois. Les visages à peine esquissés créent une forme d’unité dans cette foule qui ne répond plus de rien, et agit comme un seul homme. Mensonges, vengeance, violence, folie, révolte, tout est là et tout éclate sans qu’aucune forme d’autorité ne réussisse à calmer le jeu ni même à tout arrêter.

Une BD réussie, qui explique un moment fort de l’histoire de cette région et de la vie des travailleurs de la compagnie des salins.

On ne peut que penser au roman de Jean Teulé, Mangez le si vous voulez, en le lisant. Cette folie que rien ne peut arrêter et qui s’empare d’une foule sans qu’aucun sens critique ou aucun appel à l’ordre ne puisse obtenir le moindre effet. C’est absolument terrifiant.

Ce titre était en lice pour le Prix Orange de la BD.

Catalogue éditeur : Les arènes

Ce mois d’août 1893 aurait pu disparaître des mémoires. La ville gronde d’une colère folle. L’étranger devient un animal à abattre, sans état d’âme.
Saura-t-on jamais ce qui a déclenché une telle folie ?

Les auteurs de De sel et de sang s’emparent librement de ces faits réels (qui ont une troublante résonance avec le monde d’aujourd’hui) et racontent ces moments de démence, qu’un journaliste du Journal du Midi a décrit comme « indignes d’un peuple civilisé » (édition du 18 août 1893). On y découvre comment les discours nationalistes et cocardiers, les fantasmes xénophobes et la vieille rengaine « fiers d’être français », ont incité des laissés-pour-compte à se déchaîner contre leurs frères de misère avec une effrayante sauvagerie.

Vincent Djinda Frédéric Paronuzzi / 19 mai 2022 / 22.00€ / ISBN 9791037506320

3 réflexions sur “De sel et de sang, Fred Paronuzzi Vincent Djinda

    • Domi juin 29, 2023 / 07:43

      Comme toi, c’était une découverte. C’est aussi l’intérêt de ces BD qui reprennent des événements pour les faire connaître au plus grand nombre

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