Amours. Léonor de Recondo

Dans le Cher, en 1908, Victoire, jeune fille de bonne famille, a épousé Anselme de Boisvaillant. Ils ont tout pour être heureux, ce bonheur tranquille des bourgeois à qui le pouvoir de l’argent, l’éducation et les bonnes mœurs donnent une certaine supériorité.  Pourtant, la naissance d’un héritier se fait attendre. Victoire ne souhaite rien savoir de ces enchevêtrements immondes dont a oublié de lui parler sa mère avant le mariage,  Anselme prend  parfois ses aises avec Céleste, la petite bonne obéissante et taiseuse.

Et le jour arrive où la jeune bonne porte les fruits du péché, engrossée par le maitre, menacée d’être chassée de la maison. Pour lui offrir une belle vie, Céleste accepte de donner son fils à Victoire et Anselme. Victoire manque laisser mourir Adrien, elle a bien peu la fibre maternelle. Après tout celle-ci est tout sauf innée et se construit jour après jour entre une mère et son enfant. L’instinct maternel de Céleste va la pousser au secours de son enfant.

La beauté de Céleste, fille de la campagne saine, douce, sensible et profondément croyante va émouvoir Victoire. Les amours vont se révéler, multiples. L’amour envers son enfant,  envers l’autre. Cette découverte ouvre de bien beaux horizons tant à Céleste qu’à Victoire. Ces amours ne se cachent pas toujours là où on les attend. Loin des conventions, loin des relations traditionnelles entre femmes,  loin de la relation classique entre une maitresse et sa bonne, les corps se révèlent, s’acceptent et se découvrent, les sentiments s’affirment, en silence  d’abord, puis en gestes et en paroles, les plaisir s’exacerbent pour le bonheur et le malheur de celles qui y succombent.

Le roman aurait pu être banal, une histoire de plus dans une famille bourgeoise bienpensante. Mais non, c’est un roman écrit avec beaucoup de grâce et de délicatesse. Même si on imagine facilement la suite, on tourne les pages avec avidité, avec l’envie de savoir, de voir s’épanouir  l’amour et le bonheur, loin du carcan des corsets si représentatif du carcan des convenances, au son incessant des notes de musique ou dans le silence d’une chambre sous le toit.

Sélection du prix Orange du livre 2015


Catalogue éditeur

Nous sommes en 1908. Léonor de Récondo choisit le huis clos d’une maison bourgeoise, dans un bourg cossu du Cher, pour laisser s’épanouir le sentiment amoureux le plus pur – et le plus inattendu. Victoire est mariée depuis cinq ans avec Anselme de Boisvaillant. Rien ne destinait cette jeune fille de son temps, précipitée dans un mariage arrangé avec un notaire, à prendre en mains sa destinée. Sa détermination se montre pourtant sans faille lorsque la petite bonne de dix-sept ans, Céleste, tombe enceinte : cet enfant sera celui du couple, l’héritier Boisvaillant tant espéré.
Comme elle l’a déjà fait dans le passé, la maison aux murs épais s’apprête à enfouir le secret de famille. Mais Victoire n’a pas la fibre maternelle, et le nourrisson dépérit dans le couffin glissé sous le piano dont elle martèle inlassablement les touches.
Céleste, mue par son instinct, décide de porter secours à l’enfant à qui elle a donné le jour. Quand une nuit Victoire s’éveille seule, ses pas la conduisent vers la chambre sous les combles…
Les barrières sociales et les convenances explosent alors, laissant la place à la ferveur d’un sentiment qui balayera tout.

SABINE WESPIESER ÉDITEUR

Roman/ prix de 21 €, 280 p / Date de parution : Janvier 2015 / ISBN : 978-2-84805-173-4 Également disponible en format epub et pdf au prix de 15,99 €

Prix RTL-Lire 2015 / Prix des Libraires 2015

Le consul. Salim Bachi

Un magnifique et indispensable roman sur un Juste que l’on découvre grâce à la belle écriture de Salim Bachi

Juin 40, Bordeaux, le consul du Portugal, Aristides de Sousa Mendes doit obéir à la circulaire n°14 et refuser tout visa aux porteurs de passeport Nansen, aux réfugiés, aux juifs. Catholique convaincu, le consul est marié depuis de longues années à Angelina, l’épouse fidèle qui lui a donné quatorze enfants. Mais tout n’est pas si simple dans la vie en apparence bien rangée du consul, l’amour a fait irruption sous les traits de la belle et jeune Andrée, et les réfugiés venus de toute l’Europe se pressent par milliers devant le consulat, sur la place des Quinconces à Bordeaux.

Alors que Pétain vient de signer l’armistice, Salazar est au pouvoir au Portugal, Franco en Espagne. Une neutralité approximative leur permet de rester en dehors du conflit tout en essayant de plaire aussi bien à l’Allemagne d’Hitler qu’aux alliés. Il ne faut donc pas faire de vague. Pourtant, un visa permettrait aux réfugiés de fuir vers les Amériques, vers la Grande Bretagne, dans un ailleurs loin du Reich et de la mort.

Alors, Aristides de Sousa Mendes désobéi, dans une mesure telle qu’elle dépasse l’entendement, à la circulaire n°14. Il dit non au mal, et tel un rebelle, sauve dans une effervescence de quelques jours à peine quelques milliers de réfugiés en délivrant sans compter des milliers de visas.

Au seuil de sa mort, alors qu’il est appelé par Saint François d’assise dont il a vu la magnifique fresque en l’église de la santa Croce à Florence, le consul évoque pour sa toujours dévouée Andrée ses années de gloire, de désobéissance, de disgrâce et de déchéance, la fidélité à ses valeurs, son humiliation et sa rédemption.

La structure du roman est étonnante. Des pages entières sont répétées, pour ponctuer les sentiments, les épisodes rocambolesques de la vie du consul, sa mise à l’écart, son bannissement. Toute la narration du récit est à la première personne. C’est tellement prenant que je n’ai absolument pas eu envie de lâcher ce livre. Andrée, c’est moi, j’écoute le consul me raconter son histoire, sa vie, sa désobéissance patriote, lui le juste reconnu si tardivement par son pays. Un très beau roman sur un homme dont je découvre la vie grâce à Salim Bachi et à sa belle écriture.

Le passeport Nansen : document d’identité reconnu par de nombreux États permettant aux réfugiés apatrides de voyager alors que le système international des passeports qui émerge à la faveur de la Première Guerre mondiale assujettit les déplacements aux formalités douanières. Il a été imaginé en 1921 et créé le 5 juillet 1922 à l’initiative de Fridtjof Nansen, premier Haut-commissaire pour les réfugiés de la Société des Nations.

Catalogue éditeur : Gallimard

En juin 1940, en pleine débâcle, Aristides de Sousa Mendes, consul du Portugal à Bordeaux, sauva la vie de milliers de personnes en désobéissant à son gouvernement. Entre trente mille et cinquante mille réfugiés de toutes nationalités et religions bénéficièrent d’un visa signé de sa main qui leur permit de fuir la menace nazie. Plus de dix mille juifs échappèrent à une mort certaine dans les camps.
Relevé de ses fonctions, exilé dans son propre pays, oublié de tous, Aristides de Sousa Mendes paya jusqu’à la fin de sa vie le prix fort pour ses actes de courage.
Salim Bachi retrace, dans ce roman en forme de confession, le destin exceptionnel d’un homme mystérieux et tourmenté, croyant épris de liberté et père de quatorze enfants que l’amour d’une femme et de l’humanité vont transfigurer.

Parution : 01-01-2015 / ISBN : 9782070147885 / 192 pages, 140 x 205 mm

Ultra Violette, Raphaëlle Riol

Quel étrange livre qui tient à la fois du roman, de la biographie et du récit, dans lequel tout s’emmêle, le vrai et le faux, la vie et le rêve

ULTRAVIOLETTEBIS

Raphaëlle Riol a une façon bien particulière de nous raconter l’histoire connue de tous, mais finalement si peu dans ses détails, de Violette Nozière, parricide de 17 ans condamnée à mort en 1933.

L’auteure, ou la narratrice évoque le quotidien de Violette au 9 rue de Madagascar. C’est une fille unique choyée, mais si mal, par des parents un peu trop ordinaires pour cette adolescente qui rêve d’autre chose. Un père cheminot, une mère au foyer, une vie dans un appartement trop petit, elle souffre de cette promiscuité malsaine, surtout le soir quand elle doit s’endormir dans la pièce principale, après le dîner et l’invariable partie de belote, quand les parents s’aiment bruyamment dans leur lit, dans cette chambre contiguë à la porte jamais close.

Fuguant et fuyant le lycée et ses élèves un peu trop dociles, Violette rêve de bijoux, de fourrures, de belles toilettes. Elle fume, traine dans les bars, puis dans la chambre 7 du petit hôtel de la rue Victor cousin, dans cette chambre où enfin elle trouve le calme et la solitude, quand les amants de passage sont repartis, après avoir payé un bien léger écot. Difficile de vivre ainsi, il faut partir en douce le soir, tricher dans la journée, voler les billets de banque cachés un peu partout dans l’appartement pour se payer cette légèreté, cette part de rêve auquel elle aspire tant. Plus le temps passe, plus Violette étouffe dans cet appartement du 9 rue de Madagascar. L’issue fatale pour les parents devient une évidence. La voilà parricide, accusée, condamnée, puis muse improbable des surréalistes, prisonnière modèle, puis vient la libération et la vie autrement.

Raphaëlle Riol invite Violette dans son récit, la narratrice vit avec elle, s’entretient avec elle, pense pour elle. Viennent s’ajouter quelques scènes supposées vécues au moment de la sortie de prison de Violette, toutes en suppositions aussi hasardeuses les unes que les autres. Etrange roman où le réel et l’imaginaire interférent pour un dialogue entre l’auteure et son personnage, pour une relation étrange dans laquelle se perdra la narratrice. J’ai particulièrement aimé ce décalage de l’écriture, ce tutoiement de la narratrice envers Violette, qui est là, présente puis absente, jusqu’à la rédemption ou la perte. Une écriture ciselée, réaliste et effrontée pour un livre bien singulier.

Catalogue éditeur : Éditions du Rouergue

Autour de la figure de Violette Nozière, parricide de 17 ans devenue une légende dès son procès, Raphaëlle Riol dessine le portrait d’une jeune fille hors normes et d’une époque, les années 30. Dans ce roman, l’auteur fait revivre le fantôme de Violette Nozière, lui redonne une figure littéraire, à la façon de ce qu’elle fut pour les Surréalistes. Un livre envoûtant, par sa capacité à réécrire la vie de cette jeune meurtrière et d’une grande inventivité dans sa façon de romancer un fait divers.
Née en 1980, Raphaëlle Riol est l’auteur de deux précédents romans publiés dans la brune : Comme elle vient (2011) et Amazones (2013)

Broché: 192 pages / 7 janvier 2015 / 18,00 € / ISBN  978-2-8126-0748-6

J’aimais mieux quand c’était toi, Véronique Olmi

Véronique Olmi a l’art de parler d’amour et le montre une fois encore avec ce roman « J’aimais mieux quand c’était toi »

Nelly à 47 ans, actrice, deux enfants, Tom et Louis, qui partiront un jour car tous les enfants partent, un amant, pas un amour, juste un amant, il faut bien que le corps exulte. Nelly a aussi une mère atteinte d’Alzheimer, un père mort du cancer, mais de quel cancer, celui qui le rongeait sa vie durant, lui qui aurait aimé les hommes, mais qui a fondé une famille parce qu’il le fallait bien. Sa vie, c’est le théâtre. En ce moment elle joue une pièce de Pirandello dans laquelle les personnages veulent vivre, car ils existent sur le papier mais l’auteur ne veut pas les voir sur scène. Intéressant parallèle, et si Nelly avait également besoin d’exister, elle qui semble ne faire que vivre ? Sa vie semble se dérouler dans une confortable banalité.

Nous voilà plongés dans l’univers des avant scènes, quand tout fourmille dans les coulisses du théâtre, dans ce monde où les spectateurs n’ont pas droit de cité. Chacun se prépare, tous montent sur scène, prennent leurs places. Soudain Nelly se fige, se délite, impossible de continuer ses tirades ou son jeu de scène, quelque chose de fort la foudroie sur place.  Elle fuit dans la nuit, se réfugie dans une gare, et parle, parle, raconte. Et là sa vie bascule, ou plutôt sa vie reprend. Le passé ressurgit avec l’amant, celui qui a été aimé sans frein, dans la violence et dans l’extase d’un amour qui dévore, qui détruit, mais qui construit aussi.

Véronique Olmi a l’art de parler d’amour, d’amours malheureuses ou heureuses, d’intensité des sentiments et de sexualité sans limite. Elle nous plonge dans l’émotion et l’abandon, dans l’amour absolu, celui qui peut finir chaque jour, mais que rien ne semble pouvoir affaiblir. C’est écrit d’une très belle écriture, avec peu de mots inutiles, des phrases bien ciselées. Et pourtant, c’est un livre qui se lit tellement rapidement que je le referme avec l’impression qu’il manque quelque chose, comme une insuffisance. J’aurai aimé une fin ou une intrigue un peu plus étoffée, qui rendrait Nelly plus attachante, moins transparente, plus concrète, en un mot plus réelle.

Catalogue éditeur : Albin-Michel

L’homme qui ne s’est pas retourné est celui qui m’a fait perdre non pas la tête, non pas la raison ni le sens commun, mais la ligne même de ma vie.

En savoir plus sur Véronique Olmi

Parution 2 janvier 2015 / Format : 205 mm x 140 mm / 144 pages / EAN13 : 9782226312471 / Prix : 15€

Rêves de garçons. Laura Kasischke

Dans l’Amérique des années 70, trois Cheerleaders s’ennuient dans leur camp d’été

Rêves de garçons

Elles rêvent de liberté. Le paysage est splendide, la vie idéale, mais l’été et sa chaleur intense, le bruit des cigales omniprésent de jour comme de nuit, donnent une épaisseur oppressante à leurs rêves de légèreté.

Elles sont trois amies belles à en mourir, comme le sont dans notre imaginaire toutes les pom-pom girls. Kristy possède une Mustang décapotable rouge propice à concrétiser tous leurs rêves d’évasion. Mais tout n’est pas aussi simple, il ne suffit pas d’être belle et blonde, rousse aux yeux verts, ou longiligne et avoir un succès fou avec tous les garçons du lycée pour être heureuse. Sur fond d’une journée d’été magique, en quelques flashbacks, les côtés plus obscurs de la vie de chacune sont distillés avec adresse, jusqu’à ce moment où tout bascule, et qui fait que l’avenir ne sera plus jamais innocent.

Laura Kasischke a l’art de restituer une ambiance. On se croirait dans ces films américains où tout commence comme dans un rêve, où les héros s’entre déchirent, où la violence sournoise de leur vie se fait jour peu à peu. Pourtant, malgré un talent d’écriture évident et un suspense qui fait pressentir un drame, l’histoire s’étire et le lecteur que je suis reste en apnée un peu trop longtemps, attendant le drame, nourri de flashbacks incessants, en attente d’un « scénario dramatique annoncé » au final pour le moins étonnant mais tellement tardif.

En fait tout l’art du roman repose sur l’attente et la montée du drame à venir, qui arrive comme une gifle et tellement fort dans l’horreur qu’on souhaiterait qu’il ne soit jamais arrivé. Ne vous précipitez surtout pas pour lire les dernières pages, vous gâcheriez le suspense.

J’ai donc un avis mitigé. C’est un roman bien écrit, un univers très bien restitué, des personnalités peu attachantes, ce qui est sans doute voulu par l’auteur, mais je n’ai pas eu de coup de foudre. Pourtant, je suis sure que je n’hésiterai pas à lire de nouveau un roman de Laura Kasischke.


Catalogue éditeur : Le Livre de Poche

A la fin des années 1970, trois pom-pom girls quittent leur camp de vacances à bord d’une Mustang décapotable dans l’espoir de se baigner dans le mystérieux Lac des Amants.
Dans leur insouciance, elles sourient à deux garçons croisés en chemin. Mauvais choix au mauvais moment. Soudain, cette journée idyllique tourne au cauchemar.
Rêves de garçons est une plongée au cœur d’un univers adolescent dépeint avec une justesse sans égale. Une fois de plus, Laura Kasischke s’attache à détourner avec beaucoup de férocité certains clichés de l’Amérique contemporaine et nous laisse, jusqu’à la révélation finale, dans l’imminence de la catastrophe.

Laura Kasischke est née en 1961 dans l’État du Michigan. Elle est l’auteure d’une dizaine de romans, dont Rêves de garçons, La Couronne verte, À moi pour toujours, qui a reçu le prix Lucioles des lecteurs en 2008, A Suspicious River et La Vie devant ses yeux, tous deux adaptés au cinéma, ou encore Esprit d’hiver, finaliste des prix Femina et Médicis étrangers en 2013, et lauréat du Grand Prix des lectrices de Elle 2014. Elle est également l’auteure d’un recueil de nouvelles, Si un inconnu vous aborde, ainsi que de poèmes, publiés dans de nombreuses revues, pour lesquels elle a notamment remporté un Hopwood Award et la bourse MacDowell. Sa poésie est traduite en français sous le titre Mariées rebelles.  Laura Kasischke enseigne l’art du roman à Ann Arbor et vit toujours dans le Michigan. 

pages : 256/ Date de parution: 29/04/2009 : EAN : 9782253123644 : Éditeur d’origine: Christian Bourgois Éditeur

Rencontre avec Alain Gillot aux éditions Flammarion

Depuis toujours, pour Alain Gillot, écrire est une passion, un outil pour vivre, voyager, rencontrer des gens. Il est scénariste, en particulier de documentaires. Pour ses lecteurs, l’écriture de son roman « la surface de réparation » est davantage celle d’un professionnel que d’un premier roman.

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L’idée du roman lui est venue d’une relation avec un enfant atteint de la maladie d’Asperger. Un enfant finalement assez identique à la description de Leonard, qui dégage quelque chose de très fort, même quand il ne parle pas, qui a une vraie présence. L’auteur a eu envie de mieux connaître et comprendre cette maladie. Il s’est renseigné, a lu des témoignages poignants et enthousiasmants, mais aussi parfois très noirs. Et de là lui est venu cette envie d’écrire sur ces personnes qui l’ont impressionné. Aux lecteurs qui se demandent pourquoi il n’a pas eu envie d’en faire un documentaire, Alain Gillot explique qu’il avait envie de s’essayer au roman, à l’écriture.

Pourquoi parler du foot ? En fait l’idée  d’un sport collectif s’est imposée rapidement.  Alain Gillot aime le jeu, le sport, en observateur, pas forcément la compétition comme elle se pratique aujourd’hui. Et puis dans le foot, il y a un joueur qui peut rester statique, contrairement à un Tony Parker par exemple, qui est toujours en mouvement même quand il n’est pas dans l’action de jeu. Au foot, le rôle du goal est important, car c’est le seul qui ne bouge pas et un goal qui anticipe bien se déplace peu.

Le personnage de Léonard est basé sur différents témoignages, le choc de la rencontre, le besoin de repère physique par exemple. En particulier sur les témoignages de Temple Grandin (que je ne connaissais pas, merci Google, diagnostiquée autiste enfant, professeur à l’université du Colorado). Bien sûr au cinéma, les lecteurs se souviennent tous de Rain man, par contre l’auteur n’a pas souhaité revoir le film avant d’écrire son livre.
Alain Gillot aborde le problème important et délicat du diagnostic. L’annonce de la maladie est une réalité qu’il est parfois difficile d’accepter et certains parents n’en sont pas capables. L’auteur n’a pas voulu écrire un roman social, mais sur une situation réellement difficile, celle du déni des parents, la peur, parfois même la honte d’avoir un enfant différent. Pourtant cet enfant ne peut se construire que s’il est accepté et aimé tel qu’il est.

A ceux qui sont légèrement déçus par la deuxième partie du roman, un peu trop « conte de fée idyllique » à mon goût, l’auteur explique son envie de traiter du regroupement d’une famille. Léonard n’est pas un enfant seul qui devrait être adopté par un oncle. Il a une mère qui, même si elle est aveugle à sa maladie, est consciente de sa différence et fait ce qu’elle peut. Il a une grand-mère qu’il aime et qui s’en va. Et cet enfant différent va déclencher le regroupement de la famille dispersée.
Au départ de l’écriture il y a une base, des caractères, un plan, mais le plan n’est fait que pour s’en débarrasser et finalement les personnages évoluent. Le personnage de Madeleine, parfois un peu excessif il me semble, présente la situation d’échec de ces enfants qui n’ont pas pu assumer ce qu’ils avaient réellement envie de faire, ou de ne pas faire, qui sont guidés dans leur choix de vie par ce que leurs parents ont décidé pour eux. D’où la difficulté accrue d’être différent et de l’assumer. Dans son roman, Alain Gillot n’avait pas envie de s’appesantir sur du noir, mais il n’a pas non plus voulu nier les réalités, même les plus sombres.

Le roman est écrit à la première personne, l’auteur et le narrateur ont-ils des points communs ? Pas forcément, par exemple l’auteur n’a jamais vécu seul, mais son regard sur beaucoup de choses peut parfois être semblable à celui de Vincent. Le narrateur n’est pas un intellectuel, mais il voit ce qu’il se passe autour de lui et, s’il n’a pas trop d’illusions envers ses semblables, il est cependant assez pragmatique. Après tout,  comme beaucoup d’écrivains qui puisent dans leur vécu les traits de leurs personnages. Quelques traits de caractère peuvent être similaires, mais ce sont avant tout des personnages de roman.

Pourquoi venir à l’écriture aussi tard ? Peut-être parce que l’écriture est une petite mort. L’auteur évoque son appétit de vivre, après une jeunesse qui ne l’a pas forcément toujours satisfait. Impossible pour lui d’imaginer s’isoler dans une bulle, à une table avec son crayon ou son ordinateur, pour écrire. Il exprime le besoin d’être au milieu de sa famille, dans le monde, à l’intérieur de cette sphère de confort. Avec également aujourd’hui l’envie de balancer la vie dans l’écriture. L’écrivain est proche de l’artisan, autonome, créatif, il assume seul son travail, sa réalisation. C’est une découverte, la noblesse du fonctionnement de l’écriture, par rapport à d’autres univers professionnels. Un univers élémentaire très précieux, être assis à sa table, avec son crayon et ses envies. Même si c’est également un travail d’équipe, avec éditeurs, correcteurs, etc.

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Pour finir ce très intéressant entretien, l’auteur mentionne l’adaptation prochaine au cinéma, l’écriture d’un deuxième roman et l’ébauche de plan d’un troisième. Après une séance de dédicaces et quelques mots échangés, j’ai un regard plus indulgent sur « la surface de réparation ». Tiens, je n’ai pas demandé s’il y avait un double sens dans ce titre, la surface de réparation d’une famille désunie serait-elle logée dans le cœur d’un enfant différent mais terriblement attachant ?

Mangez-le si vous voulez, Jean Teulé

Découvrir Mangez-le si vous voulez, de Jean Teulé, un roman au sujet sérieux traité avec humour et de façon totalement décalée

Dans «mangez-le si vous voulez, l’auteur relate de sa plume inégalable un épisode de l’histoire que l’on souhaiterait ne jamais avoir existé. J’avoue que sa lecture est une bien étrange expérience. Ce roman a été mis en scène en 2014 mais je n’avais pas pu aller au théâtre voir son adaptation très contemporaine.

Nous sommes en août 1870 dans le village de Hautefaye, en Périgord. La France est en guerre contre la Prusse, les enfants du pays meurent au combat pendant que les jeunes privilégiés restent au pays. Alain de Monéys n’est pas de ceux-là, il part dans quelques jours se battre contre les prussiens. C’est jour de marché au village voisin et Alain veut régler quelques affaires avant son départ.

En cette journée d’été, la chaleur est écrasante, on sent confusément que tout peut arriver. Une phrase mal comprise, sortie du contexte, fait d’Alain le bouc émissaire d’une meute de villageois soudain déshumanisés. La violence, l’horreur, les coups vont s’enchaîner jusqu’à la torture, jusqu’à la mort du jeune de Monèys. Malgré tous leurs efforts, les amis du jeune homme, conscients du drame qui se déroule, sont impuissants à stopper son calvaire.

L’auteur déroule étape par étape ce moment où tout le village bascule dans l’horreur absolue, capable du pire, comme entrainé dans un élan par la foule, quand plus aucun raisonnement individuel n’est concevable. En quelques heures tout un village se déchaine, se change en bourreau, la haine se cristallise, les hommes perdent leur humanité et se transforment en bêtes sanguinaires. Ils sont unis en une meute qui ne sait plus ni penser ni comprendre, qui n’entend plus la raison, et qui s’enfonce au plus profond de la folie meurtrière. Puis vient le silence, chacun retrouve ses esprits, l’indicible apparait alors dans toute son horreur. Sur cet aspect-là, ce livre m’a d’ailleurs fait penser à celui de Philippe Claudel, le rapport de Brodeck.

Le procès punira quelques coupables, enfin, pas tous, « sinon il faudrait arrêter… six cent personnes. C’est un crime…pas ordinaire ». Le village portera longtemps les stigmates de cet épisode bien peu glorieux de son histoire. Même si l’issue en est connue, c’est un très court roman qui vous installe dans un état très inconfortable, à la limite de l’écœurement et du malaise, mais qu’on ne peut pas lâcher.

Catalogue éditeur : Pocket

Le mardi 16 août 1870, Alain de Monéys, jeune Périgourdin intelligent et aimable, sort du domicile de ses parents pour se rendre à la foire de Hautefaye, le village voisin.
Il arrive à destination à quatorze heures.
Deux heures plus tard, la foule devenue folle l’aura lynché, torturé, brûlé vif et même mangé.
Pourquoi une telle horreur est-elle possible ? Comment une foule paisible peut-elle être saisie en quelques minutes par une frénésie aussi barbare ?
Ce calvaire raconté étape par étape constitue l’une des anecdotes les plus honteuses de l’histoire du XIXe siècle en France

Parution : 2 Septembre 2010 / Nombre de pages 128 p / EAN : 9782266198462 / Éditions Julliard

Comme un chant d’espérance. Jean d’Ormesson

eho_dormesson5cJe ne me souvenais pas d’avoir déjà lu Jean d’Ormesson, aussi j’ai été intriguée par ce livre d’à peine 120 pages mais au titre qui sonne comme une invite au lecteur. Même si je ne partage pas cette vision du monde, je ne suis pas déçue par ce court roman.

Dans « Comme un chant d’espérance », l’auteur nous parle du Big Bang et du mur de Planck, du néant  qu’il y avait « avant-notre-monde » et qu’il y a sans doute  « après-notre-mort », de Dieu et des Hommes, de la liberté qu’ils ont d’agir ou d’être. Il nous parle aussi de l’histoire du monde, des nombres et du comique (oui, du comique, pas du cosmique !), du temps et de l’espace, du soleil et de la lumière, de tout ce qu’il aime et de ses réflexions plus intimes, lui qui affirme que « Dieu n’existe pas mais il est. Il n’est rien d’autre que rien – c’est-à-dire tout».

Jean d'Ormeson salon du livre 2015J’ai particulièrement aimé la liste qu’il dresse, comme un chant d’espérance, et qui  démontrerait que Dieu se dissimule dans ce monde qu’il aurait créé.  Il m’a donné envie d’en établir une à mon tour, non pour savoir où se dissimule  un Dieu hypothétique, mais pour mieux réaliser où se cache la beauté du monde et, parfois, des hommes. C’est un roman sur « rien », un roman qui essaie à sa façon de dire le pourquoi, mais c’est avant tout un roman d’optimisme.

Ici, Jean d’Ormesson au salon du livre 2015


Catalogue éditeur

Jean d’Ormesson Comme un chant d’espérance

« J’ai aimé Dieu, qui n’est rien aux yeux des hommes qui ne sont rien. Je n’ai détesté ni les hommes ni les femmes. Et j’ai aimé la vie qui est beaucoup moins que rien, mais qui est tout pour nous. Je chanterai maintenant la beauté de ce monde qui est notre tout fragile, passager, fluctuant et qui est notre seul trésor pour nous autres, pauvres hommes, aveuglés par l’orgueil, condamnés à l’éphémère, emportés dans le temps et dans ce présent éternel qui finira bien, un jour ou l’autre, par s’écrouler à jamais dans le néant de Dieu et dans sa gloire cachée. »
À partir d’une promenade dans nos origines, ce livre raconte l’histoire de l’univers. Sous les traits d’un détective métaphysique, Jean d’Ormesson mène l’enquête et tente avec gaieté de percer ce mystère du rien, c’est-à-dire du tout. Ravissements et surprises sont au rendez-vous de son épatante entreprise.

Roman 128 Pages | 16€ / Paru le 12 juin 2014

ISBN : 978-2-35087-276-6 / AUX ÉDITIONS HÉLOÏSE D’ORMESSON

La surface de réparation. Alain Gillot

« La surface de réparation », d’Alain Gillot, un étonnant roman qui parle à la fois de foot et de la maladie d’Asperger, il fallait oser.

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Quel lectorat l’auteur souhaite-t-il intéresser, les amateurs de foot, ceux qui s’intéressent à la maladie, ou les curieux prêts à tout lire ? Je dois faire partie de ces derniers car ce livre m’a interpellée lorsque Babelio et Flammarion me l’ont proposé. Sans oublier que mon fils a joué au foot pendant de nombreuses années, son enthousiasme, sa passion pour ce sport et quelques années à laver les tenues de foot m’ont rapprochée de ces jeunes amateurs.
Une blessure a contraint Vincent à abandonner ses rêves de sportif professionnel pour aller entrainer des jeunes à Sedan. Son enfance a été particulièrement difficile avec un père alcoolique et très violent, une mère qui laisse faire et détourne le regard. Sa sœur Madeleine était pensionnaire, à l’abri de cette souffrance. Fort de ce ressentiment, il s’est définitivement éloigné de sa mère et de sa sœur. Alors quand Madeleine débarque à l’improviste pour lui confier Léonard, son fils de 13 ans, un garçon fragile et différent, son équilibre est bouleversé.

Avec La surface de réparation, je découvre les symptômes de la maladie d’Asperger, et comment appréhender ces enfants pour qu’ils adhérent à l’autre monde, celui des gens dits normaux. Vincent va y arriver peu à peu, et tel le petit prince avec le renard, il va apprivoiser Léonard et l’emmener à dépasser ses peurs pour s’intégrer peu à peu dans le monde réel.

Toute cette première partie du roman est particulièrement intéressante, on tourne les pages pour vite connaître la suite. Dommage, quand Madeleine vient chercher son fils, et face aux incohérences de cette femme qui loupe tout dans sa vie, la crédibilité s’estompe et l’intérêt aussi. La fin ressemble presque à un conte de fée, la mère, la découverte de l’amour, la réconciliation, je ne vous en dit pas plus mais tout est presque trop parfait. Un peu inconsistant dans sa deuxième partie, j’ai eu malgré tout un véritable intérêt pour ce livre à l’écriture agréable, rythmée et qui m’a fait passer un bon moment de lecture.

Catalogue éditeur : Flammarion

Quand sa sœur débarque à Sedan et lui confie pour quelques semaines son fils de 13 ans, Vincent se sent piégé. Ce solitaire a rompu depuis longtemps avec sa famille et affiche un goût modéré pour les enfants, même s’il entraîne les jeunes footballeurs de la ville. Comment s’y prendre avec ce neveu qui fuit tout contact et passe la nuit à jouer aux échecs ? Et comment Léonard va-t-il réagir face à cet oncle inconnu, lui qu’un simple imprévu, geste ou parole, peut faire totalement paniquer ?

La surface de réparation est l’histoire d’un homme qui n’attendait plus rien de la vie et dont les certitudes, par le miracle d’une rencontre, vont voler en éclats. En cherchant à sortir de son enfermement un enfant qui se révèle atteint du syndrome d’Asperger, il se pourrait bien que Vincent s’ouvre de nouveau au monde.

Auteur : Alain Gillot / Prix : 18.00 € / ISBN : 9782081333864 / Paru le : 01/04/2015

Ingrid Astier aime « les armes à feu et les ponts de la Seine, Cioran et le chocolat »

Qui est Ingrid Astier ?  Je ne peux pas vous le dire, je sais simplement qu’Ingrid est un authentique écrivain qui vous plonge dans un univers bien à elle. Normalienne, originaire de Bourgogne, Ingrid aime « les armes à feu et les ponts de la Seine, Cioran et le chocolat ».

Ses romans n’ont rien du polar traditionnel, ils vous emportent et ont l’écriture et la puissance d’un grand roman. Il y a des gentils et des méchants, des policiers et des bandits, mais il y a bien plus que ça. Les policiers et les bandits, Ingrid les connaît, elle a navigué avec la brigade fluviale et fréquenté les bandes d’Aubervilliers, a plongé dans la Seine comme elle plonge ses écrits dans la réalité, pour mieux les vivre et nous les faire vivre à notre tour. Son écriture a une telle véracité, une telle crédibilité qu’on vibre avec ses personnages, au rythme de leurs aventures, frissonnant du danger, humant l’air et les parfums avec eux.

Ingrid est une femme lumineuse et tellement attachante qu’on se demande d’où viennent les noirceurs de ses intrigues, de la vie sans doute, de la nuit, de sa connaissance parfaite des milieux, ceux des policiers ou des marginaux qu’elle a côtoyés sans peur pour peaufiner le moindre détail de ses romans.

Alors que paraît son dernier roman, Même pas peur, aux éditions Syros, rencontre avec Ingrid Astier le 14 avril Au café littéraire avec lecteurs.com

INGRID4Les questions sont posées par Karine Papillaud

Trois ans pour écrire un roman, c’est un peu long pour les lecteurs qui ont hâte de vous lire ?

Au xive siècle, il fallut sept ans pour livrer La Tenture de l’Apocalypse — une tapisserie. Alors je me dis que, finalement trois ou quatre ans, c’est raisonnable pour écrire un roman (rires). J’ai besoin de temps pour définir mon terrain et m’immerger dans les univers liés à mon histoire. Deux années au moins, à travers les différents services de police, avec un parfumeur, un pêcheur, un SDF, un balisticien, une trapéziste… car il faut beaucoup de temps pour appréhender chaque univers.  Mon travail est tout sauf une recherche documentaire. Pour écrire, je vais quitter le quotidien et m’embarquer dans l’imaginaire. Écrire repose profondément, pour moi, sur la rencontre humaine. Je pars de cette intensité comme de cette émotion : la rencontre.

Au départ d’un nouveau roman, la question que je me pose est : avec qui ai-je envie de vivre ? Avec un flic, un voyou, une trapéziste, un pêcheur d’anguilles ? Car il faudra passer trois ans dans cet univers… Écrire donne cette possibilité de vivre dans un monde qui distend les frontières. C’est une chance de s’assouplir, de briser le cercle dans lequel nous grandissons puis évoluons.  Ce ne sont pas mes propres valeurs que je vais observer, mais le monde où mon roman va me mener. Car il me mène par le bout du nez. C’est lui qui décide. Je compare alors l’écriture aux traversées des grands explorateurs : chaque roman est l’occasion d’un départ, au sens fort, et la découverte d’un nouveau monde. Par nouveau, il ne s’agit pas d’un monde original, mais singulier.

INGRID 6Dans vos romans, les notions de réel et d’imaginaire sont importantes.

On vit chaque jour dans un monde romanesque et c’est aussi ce qui fait son charme. Mais il faut savoir le concentrer. L’écrivain n’est pas loin du travesti. Quand je commence un livre, quand j’écris la première ligne, d’une certaine façon, c’est comme si je déchirais ma carte d’identité : je deviens autre, j’habite cette conscience autre. Une passation d’imaginaire est à l’œuvre. Cette passation permet de vivre intensément, de sortir de sa vie, de ne pas être borné à soi. C’est confortable mais risqué, aussi : quelle personnalité vais-je habiter ?

En quoi le réalisme va-t-il nourrir l’imaginaire ?

Le roman et une chance de pouvoir pousser des portes et de pénétrer des mondes qui ne sont pas les vôtres. Jouissance de l’évasion. Dans Angle mort, je me suis demandée, par exemple, où Diego, mon braqueur, allait habiter. J’ai beaucoup sillonné la banlieue, de nuit, avec mon vélo. Jusqu’à Aubervilliers, le royaume des garages et des bars, pour comprendre, apprendre, savoir. Je n’ai pas envie plaquer des éléments dans un livre. Tout milieu se respecte. L’imaginaire, c’est du sérieux. De loin, être à vélo, de nuit, à Aubervilliers dans certains quartiers, peut paraître insensé. Et sans l’aimantation du roman et sa quête précise, ce le serait.

Pour en revenir aux explorateurs, c’est alors le modèle de l’alpiniste qui me porte. Toute petite, avec mon frère, la montagne nous fascinait, même si elle est loin de la Bourgogne où j’ai grandi. Nous passions des jours entiers à lire des livres d’alpinistes comme Glace, neige et roc de Gaston Rébuffat. Le Guide Michelin… et les livres d’alpinistes ! Nous rêvions sur ces zones qui aimantent l’imaginaire. Grimper et avoir les orteils gelés, tout cela pour redescendre, n’est-ce pas également fou, un supplice en soi, si l’on ne considère que les faits bruts ? On ne peut donc envisager ces élans qu’en termes de quête et de dépassement.

INGRID 5Durant les trois années de terrain, que vais-je chercher ? Cette vectorisation du roman est essentielle. Je pars pour m’imprégner de l’altérité : une façon différente de se vêtir, de parler, d’agir, de ressentir. Écrire est un métier d’écoute, il faut basculer dans d’autres mondes, pour viser le naturel. La fiction est à ce prix.

Dans Quai des enfers, tout comme dans Angle mort, c’est tant l’esprit d’une époque que le Paris des anecdotes que je vais chercher, non le Paris touristique. Par exemple, pour le Petit éloge de la nuit (Folio Gallimard) j’ai observé, une nuit, l’État-major du 36 quai des Orfèvres pour voir si minuit était réellement l’heure du crime. J’aime tester une expression, la mettre à l’épreuve du réel. Mais je suis aussi allée discuter avec les SDF du Pont-Louis-Philippe, à Paris. Aujourd’hui, leur squat a été muré, ce qui donne encore plus d’importance à la littérature. Car le roman, en définitive, est terre de mémoire. Une stèle comme un sanctuaire, un écho qui prête sa voix à ceux qui murmurent, tout bas. J’apprécie aussi beaucoup les pêcheurs, ce sont de vrais viviers, comme le garde-pêche de Paris, qui m’a inspirée pour Quai des enfers. J’adore l’anecdote, que je reprends dans ce roman, où il m’explique comment trouver des alliances dans la Seine, ou comment il signe les anguilles…

INGRID3BDans « Même pas peur », vous abordez tous les thèmes, l’amour, les jeunes, leurs codes… Quel rapport avez-vous à la littérature, car vous écrivez de tous les genres, polar, cuisine, saveurs, roman, jeunesse ? En fait, vous paraissez totalement libre, les codes, vous les prenez tous, ou pas ?

Au départ, pour Même pas peur, Natalie Beunat, la Directrice de collection de Syros, m’a proposé un roman policier pour ou enfants ou adolescents. Au final, j’ai écrit un roman noir, à ma façon, et qui peut toucher un adolescent comme un adulte qui rêve de retrouver ses seize ans. Un roman noir mais aussi un roman d’aventures et d’amour, un roman d’éducation sentimentale. C’est noir, car à l’adolescence, l’amour peut pousser à tout, y compris à l’extrême — folie, suicide, fugues, émiettement de l’identité… Même pas peur n’est pas un roman policier au sens strict de l’enquête procédurale, mais il est noir car le sentiment amoureux est certainement celui qui nous met le plus en péril. Et c’est une enquête sur soi-même.

À l’île d’Yeu, les adolescents sautent dans l’eau depuis les rochers. De trois mètres, six mètres, douze mètres… Toujours plus haut, pour épater, se dépasser, séduire l’autre. Mais paradoxalement, au moment d’exprimer leurs sentiments, il n’y a plus personne. Même pas peur part de ce grand écart. Et si l’on mettait la même audace dans la découverte de soi et de sa sensibilité ? Si l’on se lançait vers l’autre comme l’on plonge, parfois même à corps perdu ?

Quand j’ai débuté Même pas peur, j’avais un modèle en tête, Le Blé en herbe de Colette. C’est un livre que j’ai lu grâce à ma mère, quand j’étais adolescente. Ma mère laissait toujours traîner des livres pour que j’aie l’impression de les croiser par hasard. Elle savait que c’était plus efficace que de me dire de les lire, et j’admire aujourd’hui sa finesse. Dans Le blé en herbe,  il y avait un rapport abyssal aux sentiments. Je m’étais toujours dit que j’aimerais écrire une histoire simple autour de l’océan, d’adolescents, et des sentiments. Une sorte de Blé en herbe contemporain.

Pour écrire une nouvelle, , j’avais eu besoin de nourrir un personnage de plongeur. Un jour, sur une avancée rocheuse de l’île d’Yeu, arrive un jeune plongeur. Avec sa monopalme et ses cheveux blonds bouclés, c’était le premier homme-sirène que je croisais… J’ai mené mon enquête pour remonter à lui et sa famille. Sa mère était ramendeuse — son métier me faisait penser au travail de l’écrivain, réparer, reprendre les mailles d’un grand filet (le réel et ses béances chez le romancier)… Le plongeur, lui, m’a décrit les plongées océaniques. C’est lui qui, des années plus tard, a inspiré le personnage de Raphi dans Même pas peur. Il incarne la transition réussie entre le monde des adolescents et celui des adultes.

Ingrid, vous avez donc les pieds sur terre et le nez dans le vent ?

Oui, c’est exactement cela. Rêver avec les pieds sur terre. Je tiens aux nuages comme aux racines.

Dans vos romans, la musique est omniprésente, il y a même des listes de titres à la fin.

Quand j’écris, il me faut un climat musical. Comme au cinéma, par le thème musical, on sait d’emblée quel personnage va arriver. Dans Angle mort, je voulais situer une scène d’amour dans la salle des machines du remorqueur-pousseur de la Fluviale, dans le ventre de la baleine en quelque sorte. Pour nourrir cette scène, j’ai demandé à passer une nuit, seule, dans la salle des machines. Pour enregistrer les sons du remorqueur, mais pas seulement, également l’eau qui claque contre les ducs d’Albe, et m’imprégner du lieu comme des odeurs d’huile. Au moment d’écrire la scène, je me suis repassée les enregistrements, pour basculer immédiatement dans cet univers. Ainsi, je pouvais être dans la tête des personnages, sans médiation.

Vous semblez avoir un tel attachement à vos personnages, que ressentez-vous à la fin d’un livre ?

La fin du livre, c’est un deuil atroce ! Pour Angle mort, en tout cas. Il fallut quitter un monde, une tension, une concentration de plusieurs années. Quand j’écris, je dis toujours que je pars en imaginaire : je quitte le monde, le  quotidien, je me coupe d’un pan familier. Mes amis sont habitués… Les personnages sont une famille, ce ne sont pas des êtres de papier. Pour rester dans leur logique, je ne puis me permettre de les quitter. J’ai fini Angle mort à bout de nerfs, à passer les dernières nuits sans dormir, pour coller à Diego, mon personnage, et épouser son rythme à lui…

Un livre, c’est aussi un tombeau. De lieux, de gens, disparus à jamais. Comme les cimenteries près du Pont-National, à Paris, dans Quai des enfers. Elles perdent du terrain. Le paysage urbain quitte cette mixité industrielle que j’appréciais. Il se normalise. Dans Quai des enfers, encore, j’évoque ce SDF qui habitait sous le Pont-Louis-Philippe, dans un royaume souterrain à la débrouille. James, celui qui m’a inspirée, n’est plus. J’ai assisté à son enterrement, et son royaume a été muré. Avec le roman, cet homme garde une voix, une trace, une histoire. Je pense aussi à un cordage de la Brigade fluviale, passé au goudron de Norvège. Il n’en existe plus à la Fluviale, la corderie a également disparu, comme la menuiserie. Mais l’odeur, à travers Angle mort, reste.

Quelle est la place du lecteur dans votre univers ?

J’aime la nature, profondément, mais la contempler est solitaire. Avec le lecteur, règne le partage. Le roman casse, magiquement, le cercle de la solitude. Cette ouverture est sacrée. Et pourtant, l’écriture, c’est terriblement personnel, bien plus qu’une mise à nu. À travers ses romans, un écrivain dévoile tout un univers intérieur. Je comprends très bien qu’un lecteur ne rencontre pas toujours un livre. Cette rencontre tient du hasard, de l’intime. Relire, des années après, un livre, c’est pourtant lui rendre justice. Par exemple, je me demande ce que des adolescents peuvent bien percevoir du Misanthrope de Molière. Pourtant, le Misanthrope, c’est gigantesque ! C’est tout de même une question fondamentale, aujourd’hui, de savoir si l’on peut et doit tout dire, non ? Le naturel ou l’artifice ? La spontanéité ou la sociabilité ? Laissons le temps aux livres…

Vous avez écrit le Petit éloge de la nuit : j’ai l’impression que vous avez une fascination pour la nuit.

INGRID6Quand nous étions jeunes, en Bourgogne, je me souviens de mon frère qui fabriquait un télescope dans la cave. Il avait même élaboré un appareil de Foucault. Pour moi, c’était comme un rêve. Au fond de la cave, mon frère fabriquait du rêve ! Il s’isolait comme un animal en hibernation pour dialoguer, ensuite, avec les étoiles. Ce souvenir m’a profondément marquée. Il allait du noir au scintillement stellaire. Mon frère avait passé un temps infini à polariser le verre de son miroir dans la nuit de la cave, pour faire parler une autre nuit. Celle de l’infini. La nuit, c’est la clef de mon univers. Tout y est.

Vous avez dit que vous mettiez trois ou quatre ans pour écrire un roman, mais alors, à quand le prochain ?

Le prochain roman sortira en janvier 2016, dans la Série Noire. Mais après, vous savez ce que Pierre Michon dit de l’inspiration : « Le roi vient quand il veut ».

Souvenirs de la sortie d’Angle Mort, janvier 2013, une belle soirée avec Ingrid Astier 

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