Tempo, Martin Dumont

« C’est pour ça que je joue. Pour exister, pour avoir l’impression de vivre. »

Félix et ses trente ans, sa guitare, ses rêves de gloire envolés.

Félix et Anna, sa femme infirmière et leur jeune fils Élie. Anna qui fait bouillir la marmite comme on dit, mais qui n’en peut plus des rêves sans avenir de son musicien de mari. Même si elle le comprend, connaît son talent et attend et espère avec lui qu’un jour, peut être.

Alternance d’époque, dix ans auparavant, la jeunesse de Félix et la création de son groupe de musique, avec Alex à la basse, Rémi à la batterie et Louis chanteur comme lui Ce groupe fusionnel qui connaît le succès dès un premier album. Emporté par le rythme fou des concerts qui se succèdent, d’une tournée qui dévore tout et tous, et de la difficulté qu’il peut y avoir parfois à tout concilier. Jusqu’au drame qui se dévoile peu à peu.

J’ai aimé une fois de plus l’écriture de Martin Dumont que je suis avec plaisir depuis son premier roman. Sa façon de dire la vie dans ce qu’elle a de plus intime, banal, quotidien et d’en faire un roman universel.
J’ai aimé une fois de plus l’écriture de Martin Dumont que je suis avec plaisir depuis son premier roman. Sa façon de dire la vie dans ce qu’elle a de plus intime, banal, quotidien et d’en faire un roman universel.

Les questionnement de Félix, les rêves de jeunesse qu’il n’arrive pas à concrétiser, pourraient aussi bien être les nôtres.
Ses hésitations, ses incertitudes, ses échecs et ses espoirs ont une universalité qui nous rassure.

Une belle leçon de vie, posée avec des mots simples pour dire les sentiments et les doutes avec justesse mais aussi avec une grande humanité.

Des situations qui nous émeuvent bien plus sûrement que ne l’auraient fait des scénarios catastrophe. Ici leur réalisme nous montre à quel point ils peuvent nous toucher, ou toucher ceux qui nous entourent. Et c’est justement cette banalité qui les fait entrer de plain-pied dans notre quotidien.

Ça vibre, ça grince, ça émeut et ça console, tant le texte est porté par les sentiments qui animent les différents personnages, par les mots justes, et la musique omniprésente.

Un beau roman d’un auteur que j’ai à chaque fois autant de plaisir à lire.

Catalogue éditeur : Les Avrils

À trente ans, la vie de Félix, c’est Belleville, sa compagne et leur bébé. C’est, le soir, jouer de la guitare dans des bars avec l’espoir tenace de voir sa carrière solo démarrer. Car la gloire, Félix l’a déjà frôlée. Tous les quatre, ils avaient le talent, l’audace, l’osmose. Il y avait la fièvre, l’excitation et l’insouciance. Leur groupe a décollé, puis tout s’est effondré. Alors, arrivé en ce point précis où l’existence l’exige, Félix doit faire un choix : poursuivre encore le rêve ou changer de regard sur sa réalité. 

En librairie le 3 janvier 2024 / 224 pages / 20 € / ISBN : 978-2-38311-022-4

William, Stéphanie Hochet

Ne cherchez pas une biographie de Shakespeare qui préciserait ce qu’il a fait pendant cette période, il n’y en a pas. Mais laissons donc l’imaginaire de l’autrice, seul maître à bord de son roman, broder sur ces années comme si elle avait été la confidente du dramaturge. Et qui sait si au hasard de quelques chapitres, elle ne va pas également nous dévoiler quelques unes de ses pensées, de ses années d’enfance, une part de son adolescence. Car si personne ne sait ce qu’il s’est réellement passé, Stéphanie Hochet donne vie à ces huit années pour notre plus grand plaisir de lecteur.

Écrire William, c’est partir en quête des pensées de l’auteur encore jeune homme.

Ce qui aurait pu n’être qu’un défi d’étudiant qui souhaite séduire une femme devant ses comparses s’avère aller beaucoup plus loin. Il est âgé de dix-huit ans et vit à Stratford-upon-Avon lorsqu’il rencontre puis épouse Anne Hathaway. Cette belle femme est son aînée de 8 années. Mais trois ans et trois enfants plus tard, alors qu’il a vainement tenté de s’insérer dans cette vie d’homme marié et de père, il décide de s’enfuir.

C’est le passage d’un théâtre dans sa ville, et le fait qu’un acteur manque à la troupe qui va le décider. Mauvais acteur mais intelligent et pugnace, il s’accroche et joue le rôle qui lui est imparti, non sans mal au début, puis avec de plus en plus de facilité.

William, c’est l’alibi idéal pour nous parler de Shakespeare et de ses contemporains. De la place du théâtre et des acteurs dans la société britannique de l’époque. Enfin, de la rencontre entre Shakespeare et l’acteur Richard Burdage, l’homme qui lui inspire son inoubliable Richard III.
Des mœurs et des habitudes de cette Angleterre de la fin du XVIe siècle, vivante, violente, pauvre et alcoolisée souvent, de la façon dont sont traités les saltimbanques dans les sociétés bourgeoises de l’époque. Des je t’aime je te hais que l’on ressent pour ces artistes dont on aime voir les représentations, plaisir que l’on se garde bien d’avouer à ses concitoyens.
Mais aussi comment son épouse, faisant fi de toutes les considérations de son entourage, fait confiance au père de ses enfants et attend son retour.
C’est sans doute à cette période que William écrit ses poèmes et riche de cette expérience unique, en tout cas l’autrice se plaît à le penser, qu’il devient le futur dramaturge que l’on apprécie encore aujourd’hui.

En écho, la vie et les pensées de l’autrice, ses hésitations, sa famille, les difficultés d’être qui l’on doit être, l’incompréhension face à ses aspirations et ses désirs, la fuite, les envies de suicide, tant de moments difficiles distillés en miroir de la vie de William, et qui la rendent présente dans le roman autant que lui. Ainsi que la place qu’occupe cet auteur dans son propre parcours. Comme si elle avait dû puiser au plus intime de ses années d’enfance et d’adolescence pour devenir celle qu’elle est aujourd’hui, en miroir de William Shakespeare qui a eu besoin de ces huit ans pour se construire. Elle nous en fait part à la première personne, avec ce je qui est tantôt elle, tantôt lui, et qui nous parle avec rigueur et sobriété de la vie et de l’expérience de chacun, forgeant celui et celle, qu’il ou elle deviendra.

J’ai aimé lire ces pages, découvrir l’intimité d’une autrice plus que celle de cet artiste du XVIe siècle toujours présent aujourd’hui. J’ai aimé la sincérité qui émane de ce texte. Aucun voyeurisme mais des touches de vrai qui ponctuent le récit de ces années mystère, apportant une touche réaliste et parfois triste au roman. Là je pense en particulier à ce cousin parti trop tôt et incompris de sa famille.

Catalogue éditeur : Rivages

Que s’est-il passé dans la vie de William Shakespeare entre 1585 et 1592, de ses vingt et un à vingt-huit ans ? Personne ne le sait. Ce sont ces « années perdues » que Stéphanie Hochet se plaît ici à imaginer.
William, marié prématurément et père de trois enfants, étouffe dans le carcan familial. Il ne rêve que d’une chose : devenir acteur. Il se joint alors aux Comédiens de la Reine qui cherchent un remplaçant. Dans une Angleterre où sévit la peste, son sort bascule et sa vocation de dramaturge s’affirme. Ses rencontres avec le ténébreux Richard Burbage, qui lui inspirera le personnage de Richard III, et le fascinant Marlowe seront décisives. Elles dicteront son destin.
Avec un art subtil du portrait, l’autrice évoque aussi en écho les thématiques et les passages de sa propre vie qui justifient son attachement à la figure de Shakespeare : l’androgynie, l’emprise des aînés, le désir de fuite, l’idée du suicide… À travers cette forme inédite et moderne du roman d’apprentissage, Stéphanie Hochet confirme tout son talent de conteuse.

EAN: 9782743660505 / Parution: août, 2023 / 192 pages / Prix: 19,00€

Ceux qui s’aiment se laissent partir, Lisa Balavoine

Que faire de ses peines et de ses chagrins, de ses douleurs d’enfance et de ses attentes jamais comblées, lorsque l’on perd ceux dont on attend des réponses ? Écrire peut-être ?

Dans ce roman d’amour et d’absence, Lisa Balavoine nous invite à la suivre dans son enfance, son adolescence auprès de celle avec qui elle a grandi. Mère insaisissable, jamais satisfaite, cherchant l’amour sans le trouver, souvent triste, déménageant sans cesse pour trouver le lieu de vie idéal sans jamais être comblée, amoureuse trahie ou délaissée, mère à moitié, de plus en plus plongée dans le vapeurs d’alcool pour oublier.

C’est au moment où elle apprend son décès que l’autrice écrit ce roman-récit. Celui de l’amour d’une petite fille pour cette mère qu’elle ne comprend pas, d’une adolescente lassée qui fuit le foyer pour enfin s’émanciper de cette mère omniprésente et trop démonstratrice, d’une fille devenue mère et qui enfin comprend sans doute, d’une fille orpheline de mère qui voudrait arrêter le temps.

Pas vraiment de chronologie, plutôt des souvenirs au fil de l’eau, des moments de vie et de doute, de révolte et de chagrin, des questions et des absences. Et toujours l’amour fou d’une petite fille pour sa mère, malgré des situations pas vraiment optimum et limite dramatiques.

Puis vient le vent de révolte de celle qui s’en va. Pour fuir autant que pour se protéger. Enfin, le bilan de celle qui est devenue mère à son tour, divorcée comme l’était sa mère, insatisfaite sans doute de reproduire le schéma maternel.

L’écriture est comme un parcours de deuil, avec sa mémoire pas toujours sélective des moments heureux comme des plus compliqués. Il y a aussi une différence notable entre l’admiration et l’amour inconditionnel d’une petite fille et le ressentiment d’une femme devenue adulte et qui peut analyser le comportement erratique de sa mère. Écrire pour guérir de la mère qui n’est plus et qui n’a pas vraiment su être mère.

J’ai aimé ce roman, même si je ne suis pas particulièrement fan des autofictions, car l’autrice développe avec une grande sincérité des relations que l’on peut retrouver dans nombre de familles, donnant un semblant d’explication à ce qui s’avère assez universel finalement, une relation mère-fille manquée.

Pour aller plus loin, lire aussi les chroniques de Le boudoir de Nath, Ma collection de livres, Les livres de Joelle.

Un roman de la sélection 2023 des 68 premières fois

Catalogue éditeur : Gallimard

Dans ce roman intime et fragmentaire, Lisa Balavoine raconte sa mère, cette femme insaisissable avec qui elle a grandi en huis clos. Une femme séparée, qui rêve d’amour fou, écoute en boucle des chansons tristes et déménage sans cesse, entraînant sa fille dans une vie tourmentée. Entre fascination et angoisse, l’enfant se débat auprès de cette figure parentale attachante, instable, qui s’abîme dans le chagrin, laissant ceux qui l’aiment impuissants. En choisissant de s’éloigner, la fille devenue mère ne cessera d’être rattrapée par les fantômes de son passé. Jusqu’à quand ?
Histoire d’un amour filial empêché, Ceux qui s’aiment se laissent partir est un récit à fleur de peau sur le poids de l’héritage, mais aussi un livre de réconciliation où l’autrice adresse à sa mère les mots lumineux que celle-ci n’a jamais pu entendre de son vivant.

Parution : 12-05-2022 / 160 pages, 140 x 205 mm / ISBN : 9782072897894 / 16,50 €

Le grand feu, Léonor de Récondo

Comment peut-on naître dans un famille aisée de marchands de tissus, et être pourtant « abandonnée » à la Pietà de Venise ? C’est ce que vit Ilaria, la dernière fille de Francesca, qui voit le jour en cette année 1699. Alors quelle n’a que quelques semaines, elle est déposée par sa famille dans l’orphelinat qui recueille les enfants abandonnés par celles qui ne peuvent pas les élever, leur évitant ainsi une vie sordide ou une mort précoce.

Là, elle va pouvoir apprendre la musique, un art majeur qui la libérera des contraintes du mariage et de la soumission à un époux, cet homme sans qui une femme de la bonne société vénitienne n’est rien. Protégée sans le savoir par Bianca, elle grandit isolée entre les murs de l’orphelinat, loin de sa famille, de sa mère et de ses sœurs.

Bercée par la beauté de la musique, elle apprend rapidement à manier l’archer et à écrire puis composer les notes sous l’œil averti du maître, Antonio Vivaldi. C’est lui qui enseigne et dirige toutes ces belles âmes prêtes à apprendre et à donner concert à l’abri des grilles, dans l’église de la Pietà, chaque dimanche que Dieu fait. Si les filles de La Pietà sont pour la plupart orphelines, Prudenza appartient comme elle a une famille de Venise et ne vient là que pour apprendre la musique et à jouer d’un instrument. C’est avec elle que Ilaria va nouer une tendre complicité et une belle amitié.

C’est sans compter sur la rencontre avec Paolo le frère de Prudenza. Lui n’a aperçu Ilaria que l’espace d’un instant mais brûle d’amour pour elle en silence. Saura-t-elle reconnaître cet amour, le partager, le comprendre et qui sait brûler du même élan pour lui. Elle qui reste cloîtrée entre ces murs, loin de la vie extérieure, des bruissements de la ville, de la chaleur des relations qui peuvent se nouer dans ce monde qui lui est interdit.

Le feu qui brûle en Ilaria, c’est celui de la musique et de la beauté des notes qui sortent de son instrument, que chacun peut apprécier et qui l’enflamme plus sûrement que n’importe quel autre sentiment.

Des personnages forts, intransigeants, obsessionnels, parfois attachants, mais placés dans un contexte qui peut être parfois difficile à comprendre. Comment une mère peut elle décider à la naissance de son enfant de l’abandonner pour ne la voir qu’une seule journée par an et imaginer que sa vie sera meilleure. Bien sûr la vie d’un femme de cette époque, et dans certains pays proches de nous encore aujourd’hui, ne peut s’entendre que chapeautée par un homme. Aucune liberté, aucune latitude, aucune voix à faire entendre. Alors celle qui vit cela ne le souhaite pas pour l’enfant à venir. Il lui en faudra de la force et de l’abnégation pour se priver de l’amour d’une enfant et lui donner ce qu’elle même n’a jamais pu avoir, une forme de liberté dans la solitude mais dans l’amour de la musique.

Une fois de plus je me suis laissée porter par la poésie, le lyrisme, la force des mots de Léonor de Récondo, par cette héroïne malgré elle qui se consume d’amour pour son instrument, sa musique, et pour l’amour, le vrai, le grand, absolu et universel. J’ai aimé la façon dont l’autrice parle de la relation du musicien à son violon. Un art qu’elle connaît bien et pour lequel elle dévoile la passion et le feu qui l’habite. Cela se sent dans ces pages où l’émotion et l’amour de la musique sont décrits de manière intense et fiévreuse, ce feu intérieur qui semble plus fort que tout lorsque les notes s’envolent et qu’elles vont conquérir, et parfois soumettre, tous ceux qui les reçoivent.

Catalogue éditeur : Grasset

En 1699, Ilaria Tagianotte naît dans une famille de marchands d’étoffes, à Venise. La ville a perdu de sa puissance, mais lui reste ses palais, ses nombreux théâtres, son carnaval qui dure six mois. C’est une période faste pour l’art et la musique, le violon en particulier.
À peine âgée de quelques semaines, sa mère place la petite Ilaria à la Pietà. Cette institution publique a ouvert ses portes en 1345 pour offrir une chance de survie aux enfants abandonnées en leur épargnant infanticides ou prostitution. Lire la suite…

À la mesure de nos silences, Sophie Loubiére

François est un reporter qui a passé sa vie sur les théâtres d’opération, oubliant trop souvent de s’occuper de son épouse et de ses fils, Philippe et Marc. Mais lorsque sa belle fille lui apprend que son fils Antoine ne va pas bien et qu’il va échouer au baccalauréat tant il est paumé, son sang ne fait qu’un tour. Il décide d’embarquer ce petit fils qu’il voit trop peu pour un road-trip du souvenir, sur les terres de enfance, de l’adolescence, de cette guerre qui lui a volé sa jeunesse.

Les voilà partis à bord de la vieille Volvo sur les routes qui vont les mener jusqu’à Villefranche-de-Rouergue. Abandonner son portable, les jeux, les réseaux sociaux et tout contact avec l’extérieur n’est pas chose facile pour Antoine. Séduire et convaincre ce petit-fils d’une autre génération pas simple non plus pour François.

C’est un retour aux heures sombres de la Seconde Guerre Mondiale que François propose de faire. Dans ce village où le 13e bataillon de la 13e division SS a tenté de se révolter. Un secret de guerre trop longtemps caché. Ce bataillon de jeunes hommes, Croates pour la plupart, venus se battre contre leur volonté sur le front de la défaite, jeunes musulmans sacrifiés par une armée en déroute.

Trois voix pour deux temporalités et une partition. Trois voix pour parler à travers les mots de Sophie Loubière, dire l’indicible, faire entendre les regrets et les remords, comprendre la douleur et la perte. Comprendre la teneur des silences, ceux d’une amitié de jeunesse qui se déchire, ceux d’un fait historique que l’on tait pendant tant d’années, ceux qui s’imposent à ce grand-père et ce petit-fils sans doute pour mieux se retrouver. Jolie rencontre de deux générations pas forcement sur la même longueur d’ondes mais que les mots et les moments vécus ensemble vont finir par rapprocher.

La parution en poche est une belle opportunité de découvrir enfin ce roman et cet événement dramatique.

Catalogue éditeur : éditions Pocket, Fleuve

Il y a quelques heures à peine, Antoine sortait du lycée, s’apprêtant royalement à rater son bac. Kidnappé par son grand-père à bord d’un vieux coupé Volvo, il roule à présent vers l’inconnu, privé de son smartphone.
À 82 ans, François Valent, journaliste brillant, a parcouru le monde et couvert tous les conflits du globe sans jamais flancher. S’il conclut un marché avec son petit-fils, c’est pour tenter de le convaincre de ne pas lâcher ses études.
Mais ce voyage improvisé ne se fera pas sans heurts. La destination vers laquelle le vieil homme les conduit a le parfum du remords. C’est là que l’enfance de François a trébuché. Lors d’un drame sanglant de la Seconde Guerre mondiale longtemps tenu secret : celui du 13e bataillon de la 13e division SS Handjar, ou l’incroyable révolte de soldats musulmans sacrifiés pour la France.

EAN : 9782266336543/ pages : 336 / 8.30 € / Date de parution : 07/09/2023

Adieu Tanger, Salma El Moumni

De la difficulté d’être fille aujourd’hui encore dans certains pays, ou certains communautés

Alia aime Tanger, sa ville, celle de sa famille, celle où elle a rencontré Quentin, le beau français aux boucles blondes, l’expatrié qui fréquente le même lycée qu’elle.

Dans sa vie, Alia cherche l’amour et le regard du père, mais fuit celui de tous ces hommes qui la déshabillent du regard.

Chaque jour elle cherche à comprendre pourquoi ils le font, ce qu’ils voient, ce qu’ils veulent, ce qu’ils détestent, ce qu’ils fuient, ce qui les attire. Et chaque jour, pour tenter de comprendre ces regards intrusifs posés sur elle, elle se prend en photo dans le silence et le secret de sa chambre. Photos de plus en plus intimes, déshabillées, inavouables mais rendues possibles car à elle seule destinées.

Jusqu’à la trahison ultime, jusqu’au jour où elles sont postées sur Instagram par celui en qui elle avait toute confiance. Mais au Maroc publier ce genre de photo est punissable par la loi. Un outrage à la pudeur involontaire qui la contraint à quitter le pays pour s’installer à Lyon. Là, il faut se récréer une vie, des relations, trouver un travail, et accepter le départ forcé vers l’étranger qui sans cesse la rejette et la cantonne au seul rôle de marocaine émigrée.

Désormais, chaque jour est synonyme de souffrance, chaque jour elle cherche l’amour d’un père qu’elle n’a jamais eu, aurait-il fallu être né garçon pour avoir l’heur de lui plaire… Aurait-il fallu être autre ? Ou au contraire son plus grand défaut n’est-il pas d’être si semblable à celui qui l’ignore dans ses aspirations, ses envies, ses attentes.

Un roman sur l’exil, mais surtout sur le manque cruel de reconnaissance et d’amour d’un père envers sa fille, qui hante toute une vie de jeune fille, de jeune femme, et trace des blessures indélébiles, quel que soit l’avenir qu’elle cherche à se forger.

L’écriture à la deuxième personne est parfois difficile à lire, mais montre bien la distance entre celle qui vit le temps présent, celui de l’exil en France et celle qui a vécu cette enfance et cette adolescence qu’il a fallu fuir pour se reconstruire ailleurs. Comme un autre moi auquel la narratrice s’adresse pour mieux la comprendre et la soutenir, l’aider à avancer, loin de Tanger, à jamais.

Roman lu dans le cadre de ma participation au jury du Prix littéraire de la Vocation 2023

Catalogue éditeur : Grasset

Dans les rues de Tanger, Alia se sait scrutée. Sa présence dérange sans qu’elle comprenne pourquoi : on la déshabille du regard, on l’insulte, on la suit. Alors dans le secret de sa chambre, elle commence à se prendre en photo. Elle pose pour voir ce que les hommes voient, et ces séances deviennent peu à peu son rituel.Alia fréquente Quentin, un français de son lycée. À ses côtés, elle découvre un monde de privilèges, de désinvolture, mais une liberté finalement bien fragile. Lorsque ses photos se retrouvent e, ligne, coupable d’outrage à la pudeur malgré elle, Alia doit fuir son pays. Sans savoir si elle reverra un jour Tanger, elle s’installe à Lyon où elle se croit enfin à l’abri. Jusqu’à ce que son passé finisse par la rattraper. Le premier roman de Salma El Moumni raconte le pouvoir destructeur de certains regards. De sa plume acérée, la jeune romancière décrit l’impossible retour chez soi et la douleur du déracinement. Une entrée fracassante en littérature.

EAN 9782246831983 Prix 18,00 € / EAN numérique 9782246831990 Prix 12,99 € / Date de parution 30/08/2023

Demi-pensionnaires, Mona Granjon

Ah que c’est compliqué l’adolescence !


L’entrée en 3e est un moment important de l’adolescence et de la scolarité. C’est la dernière année de collège, celle où l’on est encore avec les amis que l’on connaît souvent depuis plus de quatre ans. Et la dernière année rassurante, car si on connaît le collège le lycée est source d’inquiétude, là où il faudra faire les choix, les projets qui engagent pour les études futures et un métier, une vie.l’adolescence et

Mais Mona et Zoé n’en sont pas encore là. Elles rentrent en 3e et espèrent être encore dans la même classe, c’est si confortable. Hélas, elles seront séparées, mais se retrouveront en classe d’allemand. Et quelle chance, cette année elles vont faire un voyage scolaire à Berlin.

Demi-pensionnaires, copines, intéressées par les garçons, tentées par les bières et les cigarettes proposées lors de soirées encore assez sages, les fêtes d’anniversaire, les copines, les profs pas très cool, tout est là pour leur faire passer une année mémorable.

Et nous rappeler sans doute aussi ces années charnières vécues dans ce même trouble, cette impatience, cette curiosité, cette amitié et parfois cette dose de méchanceté pas toujours comprise ni mesurée.

Le graphisme plutôt sobre, en noir en blanc, est agréable. Le trait grossier esquisse à peine les différents personnages mais l’ambiance est assez bien restituée.

Une fois de plus cette collection virages graphique nous permet de découvrir une jeune autrice au talent prometteur.

Catalogue éditeur : Virages Graphiques

Demi-pensionnaires est une autofiction qui suit deux meilleures amies durant toute leur année scolaire de 3e. L’année commence mal : Mona et Zoé ne sont pas dans la même classe, une première pour les deux amies inséparables depuis la 6e. Mona se retrouve avec «Louis-qui-s’est-branlé-dans les-vestiaires-de-sport» et Zoé avec Coralie, une fille dont le trait de caractère principal est… d’avoir des parents riches. Les deux meilleures amies se voient aux différentes pauses, dont celles du midi réservées aux demi-pensionnaires. Lire la suite…

Date de parution: 12 avril 2023 / Prix: 23€ / Nombre de pages: 136 / Format: 195×260 / EAN: 9782743659035 / ISBN: 978-2-7436-5903-5

Fuir l’Eden, Olivier Dorchamps

Sous les pavés et le béton, une plage

Adam, 17 ans, rêve de fuir l’Eden, cet immeuble classé monument historique emblématique du brutalisme que viennent photographier les touristes en mal d’aventure, mais qui est pour lui synonyme d’une enfance malheureuse. Il vit là avec sa petite sœur Lauren, et avec l’autre, ce père à qui il est impossible d’attribuer un nom.

Heureusement à l’Eden il y a aussi Ben et Pav, les deux fidèles copains d’enfance. Difficile de ne pas plonger dans la drogue ou au mieux les petits trafics quand on habite ce quartier. Mais Adam essaie de s’en sortir, aide sa sœur du mieux qu’il peut depuis le départ de la mère des année plus tôt. Deux enfants abandonnés à leur triste sort entre les griffes d’un père alcoolique et brutal. Il faut avouer que l’autre ne sait rien offrir de plus que des coups et des insultes.

Pour Lauren, il réinvente l’enfance, la mère, la douceur et les souvenirs. Il travaille chez l’épicier du coin pour gagner quatre sous, ceux du père servent à peine à les nourrir. Jusqu’au jour où il trouve ce travail chez Claire. Cette ancienne professeur désormais aveugle a besoin de quelqu’un pour lui faire la lecture. Elle lui ouvre les portes d’un monde insoupçonné, d’un ailleurs possible, et lui fait comprendre qui il est tout au fond de lui, une fois enlevée la carapace forgée pour évacuer les coups, la douleur, la solitude.

Sa vie s’éclaire le jour où il aperçoit Eva sur le quai du métro. Leur échange n’est pas des plus harmonieux ni évident et pourtant Adam sait que sa vie peut changer avec elle. Reste à l’apprivoiser.

Ce roman social sur la vie difficile des banlieues, quelles soient de Londres ou d’ailleurs, nous emporte bien plus loin que ne le laissent imaginer les premières pages. Sous les pavés et le béton de l’Eden, une plage et le soleil semblent pouvoir poindre, donnant une luminosité à cette histoire pour le moins sinistre d’enfance maltraitée, de violence et de rancœur.

Impossible à lâcher, c’est un vrai coup au cœur que nous donne là Olivier Dorchamps. Nous faisant passer du rire aux larmes, du découragement à l’espoir le plus pur avec beaucoup de douceur, d’émotion, de réalisme. Il évoque la jeunesse et la pauvreté, la famille et la fratrie, l’amitié et l’amour avec une luminosité, une tendresse parfois, et malgré les noirceurs, une belle dose d’optimisme.

Un roman de la sélection 2023 des 68 premières fois

Catalogue éditeur : Pocket, Finitude

L’Eden n’a rien d’un paradis. Il n’y a qu’à voir cette tour de béton insalubre, « chef-d’oeuvre d’architecture brutaliste » inscrit aux monuments historiques, pour le comprendre. C’est là que vit la misère sourde – là que claquent les coups et meurt l’espoir…
Adam, 17 ans, y est né. Et tout l’y retient.
Seulement, ce jour-là, sur le quai de Clapham Junction, le regard d’une fille aux yeux clairs chasse d’un coup son angoisse. Eva a son âge mais vit du bon côté des rails. L’instant d’après, la voilà partie, évaporée. Comment la retrouver ? Comment traverser la voie ? Pour sortir de sa condition, Adam irait jusqu’en enfer…

Cet ouvrage a reçu le Prix Louis-Guilloux et le Prix des Lecteurs
de la Maison du Livre

Date de parution : 02/03/2023 / 7.70 € / EAN : 9782266328708 / pages : 240

L’eau du lac n’est jamais douce, Guilia Caminito

Comment survivre à une enfance dans un milieu défavorisé au bord du lac de Bracciano

Ce roman traduit de l’italien nous ouvre les portes d’une très modeste famille romaine des années 2000. Gaïa, le personnage principal, nous compte sa vie et ses aventures de l’enfance à l’âge adulte, toujours à la première personne sans que cela ne soit jamais lassant.

Gaïa a une mère singulière, qui ose aller jusqu’à des scènes dont sa fille a honte pour tenter d’obtenir un logement décent. Un père handicapé depuis qu’il a fait une très mauvaise chute sur ce chantier sur lequel il n’a jamais travaillé. Deux frères jumeaux bien plus jeunes et trop dociles, et un aîné rebelle né d’un père différent. Elle abhorre sa vie dans la pauvreté et cette condition sociale qui la place perpétuellement en marge de la vie des autres. Ils vont vivre une grande partie de leur vie à Anguillara Sabazia, une commune située près du lac de Bracciano au nord de Rome.

Elle grandit aux côtés d’Antonia, une mère au caractère bien trempé qui en est presque caricaturale. Tout repose sur elle, et elle doit se battre contre les injustices, au-delà des conventions, seule depuis que le père est relégué au rang des accessoires. L’enfance lui fait découvrir l’injustice, l’adolescence lui colle ses complexes et l’entrée dans l’âge adulte exacerbe ses difficultés. De part son milieu social Gaïa est souvent rejetée par ses camarades, surtout lorsque Antonia souhaite l’inscrire dans des écoles pour riches. Ce rejet accentue ses complexes mais fait émerger en elle des ressources insoupçonnées.

Il faut dire que sa mère lui a inculqué l’idée que seule la beauté permet aux pauvres d’accéder au milieu des riches. Alors elle se désespère, trop maigre, trop rousse, trop plate, trop mal habillée, trop différente. Mais elle découvre peu à peu qu’elle a hérité de sa mère une farouche détermination et une intelligence qui pourraient lui permettre de bousculer son destin.

Ce récit dans lequel les lieux et les événements ont leur place reste vrai, le style est léger, rythmé, féminin, poétique parfois. L’écriture de Giulia Caminito est directe, sobre, vivante, et terriblement réaliste. Les phrases sont simples, les mots précis, les répétitions de bon goût, les énumérations jamais fastidieuses et les allégories et les métaphores bien choisies. L’adolescence, point central du roman, y est bien décrite avec ses amitiés, ses expériences heureuses ou malheureuses, ses trahisons, ses succès et ses déceptions.

Difficile parfois de comprendre la psychologie du personnage principal. On la voudrait victime, elle est rebelle et toujours en colère. L’auditeur s’attache à Gaïa malgré son caractère ni sympathique ni agréable, et imagine la suite de sa vie à la lumière de ce qu’il croit comprendre. La fin un peu trop brutale à mon goût peut décevoir tellement l’empathie pour ce personnage ambigu est forte.

J’ai aimé la voix de Florine Orphelin, à la fois posée et juste dans ses atermoiements, ses hésitations, ses révoltes et ses envies de vie meilleure. Dans sa rage aussi contre une mère qui par son obsession de réussite scolaire espère lui permettre de vivre mieux qu’elle. Il y a tout dans ce personnage, l’espoir, le doute, la violence, la rébellion, l’amour et la déception, l’amitié et le deuil, et tout cela est bien transmis à l’écoute du roman.

Roman lu dans le cadre de ma participation au Jury Audiolib 2023

Catalogue éditeur : Audiolib, Gallmeister

« Notre mère ressemble à une héroïne de bande dessinée, à Anna Magnani au cinéma, elle braille, ne capitule jamais, cloue le bec à tout le monde. Mariano et moi sommes dans le couloir qui conduit aux chambres, culottes courtes et mollets raides, et sans ciller nous fixons notre peur : ne pas être comme Antonia, ne jamais être à la hauteur, ne remporter aucune bataille. »

Antonia, une femme fière et têtue, s’occupe d’un mari handicapé et de quatre enfants. Pauvre et honnête, elle ne fait pas de compromis et croit au bien commun. Pourtant, elle inculque à sa fille le seul principe qui vaille : ne compter que sur ses propres capacités. Et sa fille apprend : à ne pas se plaindre, à lire des livres, à se défendre, toujours hors de propos, hors de la mode, hors du temps. Mais sa violence, tapie tel un serpent, ne cesse de grandir.

Nous sommes en l’an 2000, les grandes batailles politiques et civiles n’existent plus, seul compte le combat pour affirmer sa place dans le monde.

Lu par Florine Orphelin

Traduit par Laura Brignon

EAN 9791035411510 Prix du format cd 25,90 € / EAN numérique 9791035411381 prix du format numérique 23,45 € / Date de parution 10/08/2022 / Durée : 8h54

Un miracle, Victoria Mas

Et si le miracle résidait dans la force de croire en l’invisible et au merveilleux

Que faut-il rassembler pour faire un miracle ? Certainement au moins une religieuse, un voyant, un miracle.

Parce qu’elle a été bercée toute sa jeunesse par Catherine Labouret, sœur Anne sait que Sœur Catherine a vu la Vierge à plusieurs reprises un siècle auparavant. Elle est donc sans aucun doute plus portée sur la croyance que le commun des mortels. C’est là, auprès des Filles de la charité, rue du Bac à Paris que, depuis l’âge de ses treize ans, elle a trouvé la sérénité et le calme. Là-même où Catherine avait eu ses apparitions et créé la médaille miraculeuse à la demande de la vierge.

Mais un jour sœur Rose révèle qu’elle a fait un rêve, la vierge apparaîtra sur une île du côté de Roscoff. Alors celle qui n’a connu que l’abri de la congrégation n’hésite pas une seconde et accepte une mission dans cette Bretagne bercée d’Ankou, de fées et de croyances. Arrivée tout au bout du Finistère Nord, elle travaille sans relâche et espère chaque jour que les prédictions vont enfin se réaliser. C’est sa raison de vivre, d’espérer, de se réaliser. Mais elle attendra en vain cette apparition.

Sur l’île, Isaac vit avec son père Allan. Ce dernier survit plus qu’il ne vit depuis la mort de son épouse, et leur foyer est en décrépitude, la tristesse et des airs de fin du monde se sont installés dans leurs vies.

Hugo est le fils de Michel Bourdieu, venu sur l’île pour soigner sa fille Julia, asthmatique et fragile. Violent, autoritaire, il choisit ceux que son fils peut fréquenter et ce n’est certainement pas le fils d’Allan.

Un soir, Isaac est comme pétrifié, debout sur le promontoire face à la mer, il voit celle que personne ne voit, il entend, il écoute, il sait. Chaque soir, ce moment se répète, la population éblouie cherche à savoir, comprendre, accompagner le voyant.

Quand et comment se produira le miracle, nul ne le sait.

Ce livre est pétri de religion et de croyances, d’une forme de folie à travers les visions de l’adolescent, dans la rage et l’engouement de la foule, de violence aussi dans le rejet de ceux qui refusent de croire. Il est aussi une ode à l’acceptation de la différence, au désir de vivre autre chose. Cette rage qui s’empare de sœur Anne, cette violence qui possède Michel Bourdieu jusqu’à commettre le pire, ne sont finalement que des sentiments terriblement humains, échec, rejet, espoir, envie de croire au merveilleux, au tout puissant, à l’inexplicable pour accepter l’inhumanité du présent.

Ce que j’ai aimé ?

La façon dont Victoria Mas a construit son roman, nous entraînant dans une région particulièrement propice à croire au merveilleux, au surnaturel, à la force de l’invisible, tout en exacerbant les caractères de ses personnages jusqu’au point de non retour, pour finalement nous faire revenir assez brutalement sur terre. Car avouons-le, si l’on cherche le miracle, peut-être faut-il se dire que ce n’est pas forcément là où on l’attend qu’il va se réaliser. Miracle, hasard, destin, chance, nommons-le à notre guise, en se disant qu’il y a toujours une raison d’y croire.

Un roman de la sélection 2023 des 68 premières fois

Catalogue éditeur : Albin-Michel

Sœur Anne, religieuse chez les Filles de la Charité, reçoit d’une de ses condisciples une prophétie : la Vierge va lui apparaître en Bretagne. Envoyée en mission sur une île du Finistère Nord balayée par les vents, elle y apprend qu’un adolescent prétend avoir eu une vision.

Mais lorsqu’il dit « je vois », les autres entendent : « J’ai vu la Vierge. » Face à cet événement que nul ne peut prouver, c’est toute une région qui s’en trouve bouleversée. Les relations entre les êtres sont modifiées et chacun est contraint de revoir profondément son rapport au monde, tandis que sur l’île, les tempêtes, les marées, la végétation brûlée par le sel et le soleil semblent annoncer un drame inévitable.

Date de parution 17 août 2022 / Édition Brochée 19,90 € / 224 pages / EAN : 9782226474087