Babylone. Yasmina Reza

Quand presque rien devient tellement important que tout bascule, dans « Babylone » Yasmina Reza fait l’autopsie d’une vie à la manière d’un huis clos théâtral… amours, frustrations, colère, regrets.

Élisabeth et son mari vivent dans un immeuble tranquille. Quelques étages au-dessus d’eux vivent les Manoscrivi. Jean-Lino est un homme affable plutôt fade et Lydie, sa femme, se produit dans un cabaret. Élisabeth évoque son anniversaire avec Jean-Lino, qui l’invite alors à passer une belle journée à Auteuil. Là il se montre détendu, volubile.

Le décès de sa mère perturbe d’Élisabeth. Elle décide de célébrer la vie et organise une grande fête de printemps. Elle emprunte des chaises chez Jean-Lino et Lydie, et de fil en aiguille les invite à la fête. Pendant la soirée, la conversation dérape vers des sujets à ne pas évoquer dans le couple, la tension monte, Jean-Lino se moque, Lydie se vexe…Quelques heures plus tard, en pleine nuit, Jean-Lino sonne chez les voisins, il vient de commettre l’irréparable…

A partir de là, tout part en vrille, que faut-il faire, aider ? Appeler la police ? Qui va s’occuper d’Eduardo, le chat de Jean-Lino ? Qui fait quoi, se mêle de quoi ? Comment et pourquoi les voisins devraient-ils se sentir impliqués ? Et surtout qu’est-ce qui fait qu’à moment donné tout bascule, la normalité et les barrières tombent…
Jean-Lino a emmagasiné frustrations, vexations et colère rentrée pendant des années, il est certainement en manque d’amour et de reconnaissance, mais est-ce suffisant ? Quel enchainement de faits faut-il, excès de boissons, sortir de sa zone de confort, de ses habitudes, de sa solitude morale, pour passer à l’acte et ne plus se contrôler. Quelle part sombre de chacun émerge alors que jusque-là le savoir-vivre et l’éducation permettaient de la canaliser.

Tout au long de cette soirée qui pour le moins sort de l’ordinaire, l’auteur déroule en parallèle l’histoire de ces deux couples, comme un reflet très humain de notre société et des vies qui la traversent. Babylone est un roman à l’écriture fluide qui se lit à la façon d’un roman policier ayant toutes les caractéristiques d’une pièce de théâtre. Si j’ai partiellement adhéré à l’intrigue, prétexte pour l’auteur à nous interpeler sur la vie et sur la société, j’ai par contre beaucoup aimé la partie en filigrane sur le temps qui passe et ce qu’on en retient, évoqué par la photographie en général. Les vieilles photos, et par elles, l’idée de ce qu’il reste de vie à l’instant figé et sublimé par le photographe et surtout, conservé à la fois par le photographe et par celui qui préserve encore la photo.

Extrait :

Ce qui compte quand on regarde une photo, c’est le photographe derrière. pas tellement celui qui a appuyé sur le déclencheur mais celui qui a choisi la photo, qui a dit celle-là je la garde, je la montre.

 #rl2016


Catalogue éditeur : Flammarion

Tout le monde riait. Les Manoscrivi riaient. C’est l’image d’eux qui est restée. Jean-Lino, en chemise parme, avec ses nouvelles lunettes jaunes semi-rondes, debout derrière le canapé, empourpré par le champagne ou par l’excitation d’être en société, toutes dents exposées. Lydie, assise en dessous, jupe déployée de part et d’autre, visage penché vers la gauche et riant aux éclats. Riant sans doute du dernier rire de sa vie. Un rire que je scrute à l’infini. Un rire sans malice, sans coquetterie, que j’entends encore résonner avec son fond bêta, un rire que rien ne menace, qui ne devine rien, ne sait rien. Nous ne sommes pas prévenus de l’irrémédiable.

Date de parution : 31/08/2016 / EAN : 9782081375994 / Nombre de page : 300 / Littérature française /Romans Nouvelles Correspondance

 

 

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