Le colonel ne dort pas, Emilienne Malfato

Les morts et les bourreaux dorment ils ?

Dans une ville dont on ne connaîtra pas le nom, dans l’atmosphère liquéfiée d’un pays en guerre, des militaires sont les acteurs dociles et serviles de la Reconquête. Dans cette ville, ce bâtiment aux statues décapitées qui prend l’eau, les hommes obtempèrent aux ordres des états majors qui ne pensent qu’a faire bouger leurs pions sur la carte des vainqueurs. Ils agissent sur ordre, sans jamais se soucier des hommes qui meurent, de ceux qu’ils brisent, et agissent hors de toute conscience, sans aucune humanité.
Le général, le colonel et l’ordonnance sont de ces hommes en uniformes uniformément gris.

Mais désormais le colonel ne dort plus.

Car le colonel a trop de morts, d’actes de torture, d’hommes brisés sur la conscience pour que ses victimes le laissent dormir en paix. Chacun de ceux qu’il a brisé pour ce qu’on lui avait annoncé comme une noble cause viennent tour à tour hanter ses nuits à tout jamais.
Car soudain, le colonel a une conscience.

Les chapitres alternent entre ces trois hommes et leur conscience, ou manque de conscience sans doute, et les pensées du colonel. Ce colonel qui a une âme, une conscience du mal fait, de l’horreur vécue au quotidien, c’est aujourd’hui un homme qui ne souhaite qu’une chose, mourir sans doute et dormir enfin, apaiser sa mauvaise conscience et oublier les multiples morts sont il est coupable, lui dont les yeux sont enfin dessillés, qui voit enfin ce qu’il a fait en obéissant aux ordres, en voulant gagner ses guerres fort de son droit et de la justesse de ses actions. La reconquête avait un prix, celui de la vie des hommes.

Un roman que j’ai trouvé difficile à écouter, et à lire sans doute, particulièrement en ces mois où la guerre est devenue une réalité au quotidien dans un pays si proche de nous. Mais aussi en pensant à la réalité de ces mots dans le quotidien de tant d’hommes et de femmes dans l’histoire y compris récente. De fait, je l’ai écouté à dose homéopathique pour en absorber toute la force du texte. Il faut dire que les mots d’Émilienne Malfatto claquent et heurtent nos consciences endormies, donnant une autre réalité aux actes de guerre, de torture, de conquête au nom de qui et par qui. Car c’est aussi une réalité, les militaires sont avant tout des hommes, et obéir n’est pas sans risque pour les consciences le jour où elles s’éveillent enfin.

J’ai vraiment aimé la lecture par Feodor Atkine, sa puissance sonore, sa force, sa tonalité entrent en symbiose avec le texte d’une façon magistrale. Il se coule dans la tête de ce colonel insomniaque et presque repenti pour le faire vivre à travers les intonations et la puissance de sa voix.

Journaliste et photographe de zone de conflit devenue autrice de roman, Émilienne Malfatto a passé de nombreuses années en Irak et la réalité de ce qu’elle a vécu s’est imposée à elle pour devenir un jour texte, roman, en lien avec ces guerres qu’elle a connu là-bas. Comme un exutoire à la complexité du vécu, une catharsis à ce terrain journalistique qui marque et laisse des traces peut-être.
Merci Audiolib pour l’entretien avec l’autrice en fin de roman qui permet de mieux comprendre son processus de création.

Catalogue éditeur : éditions du Sous-Sol et Audiolib

Dans une grande ville d’un pays en guerre, un spécialiste de l’interrogatoire accomplit chaque jour son implacable office. La nuit, le colonel ne dort pas. Une armée de fantômes, ses victimes, a pris possession de ses songes. Dehors, il pleut sans cesse. La Ville et les hommes se confondent dans un paysage brouillé, un peu comme un rêve – ou un cauchemar. Des ombres se tutoient, trois hommes en perdition se répondent. Le colonel, tortionnaire torturé. L’ordonnance, en silence et en retrait. Et, dans un grand palais vide, un général qui devient fou.

Durée 2h37 / EAN 9791035410995 / Prix du format cd 17,90 € / Date de parution 10/08/2022

2 réflexions sur “Le colonel ne dort pas, Emilienne Malfato

  1. Bibliofeel octobre 26, 2022 / 08:05

    Belle chronique pour un sujet tellement douloureux. La guerre trop souvent justifiée par certains qui semblent avoir un bon sommeil… Petite coquille dans le titre 😊

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