Entre deux mondes, Olivier Norek

Aussi magistral qu’émouvant, un roman inoubliable

Oliver Norek est un auteur de polar largement reconnu par ses lecteurs, c’est aussi un ancien flic qui connait ce métier qu’il a pratiqué pendant près de vingt ans. Avec Entre deux mondes, il sort de la trilogie Coste pour nous embarquer dans cet entre deux de la jungle de Calais, lieu de rétention de nombreux migrants, arrivés du Soudan ou de Syrie, d’Afrique et d’Orient pour atteindre leur Graal, l’Angleterre. Bloqués là par les français, ils ne rêvent chaque jour que d’une chose, partir, embarquer sur les camions la nuit et atteindre Youké et les rives de cet eldorado fantasmé, citadelle imprenable. Le roman est situé en 2016, lors du démantèlement de la jungle.

Adam est un flic syrien qui doit fuir son pays. Comprenant que sa situation est désespérée, il enclenche la procédure d’évacuation qu’il a anticipée depuis des mois, et fait partir avec les passeurs sa femme Nora et sa petite fille, pour qu’elles soient en sécurité. Elles devront atteindre Calais, là, il  pourra à son tour venir les rejoindre. Mais la traversée de la méditerranée n’est pas sans risque, ni pour elles, ni pour lui. Lorsqu’il arrive enfin dans la jungle, il les attend pendant des jours, sans trouver la moindre trace.

Un jour, il prend la défense de Kilani, un jeune garçon soudanais maltraité par les afghans. Mais il est difficile de s’imposer et de rester en vie sans soutien dans la jungle. Les animosités et les conflits que l’on trouve entre les pays sont présents ici aussi entre les migrants. Ousmane, un  soudanais, offre aide et protection à Adam. Dans la jungle, on retrouve un microcosme comme à l’extérieur, deux mosquées, des regroupements par pays d’origine, une discrète présence policière de la DGSI, des recruteurs de Daesh qui espèrent trouver de la chair à attentat parmi les désespérés du passage manqué pour l’autre monde, mais aussi fort heureusement, des associations qui aident vaille que vaille les migrants à survivre.

A l’extérieur, Bastien, jeune flic revenu à Calais pour tenter de soigner sa femme, fait de son mieux pour obéir aux ordres. Comme lui, la plupart des policiers de la zone sont totalement désespérés, il est quasi impossible de faire correctement leur métier. Un jour, un décès qui n’a bizarrement pas été étouffé par les habitants de la jungle lui fait croiser la route d’Adam. Va naitre alors entre les deux flics une complicité et une forme d’amitié et de respect.

Et l’on navigue entre ces deux mondes, celui de la jungle et celui des hommes et femmes de l’extérieur, celui des migrants coincés dans cet entre-deux, entre le pays que l’on a fui et celui que l’on espère comme un Eldorado magique.

Olivier Norek réussi une fois de plus à nous emporter dans ce roman très différent des précédents. On ressent immédiatement une grande empathie pour ses différents personnages. Il a donné corps aux nombreux migrants totalement déshumanisés dans les bulletins d’informations au 20h. Le rythme est soutenu, l’écriture à la fois efficace et relativement sobre, point de fioriture pour décrire la jungle et son enfer.

Si l’on peut considérer que le polar écrit à sa façon l’Histoire, ici l’auteur c’est largement emparé du réel pour construire son roman. Plusieurs semaines d’immersion attentive et silencieuse dans la jungle, à écouter, comprendre, les migrants, leurs attentes, leurs espoirs. Puis des nuits à suivre les policiers qui gèrent tant bien que mal cette zone, ce no man’s land dans lequel les lois de la république ont du mal à s’appliquer. Leur tâche est particulièrement ardue, rester humain et ne rien faire, ou empêcher par tous les moyens les migrants de passer et protéger leurs familles et leur région. Enfin, s’immiscer dans la ville, prendre le pouls des calaisiens, pour comprendre aussi comment la jungle est vécue par ceux qui la regarde de l’extérieur et tenter d’en faire un état des lieux. L’endroit idéal pour un auteur qui veut y mener une enquête impossible. On le sait, aujourd’hui c’est la technologie plus que la logique et l’intuition qui permettent les résolutions d’enquêtes policières, de l’ADN aux suivis de téléphonie, des empreintes aux témoignages. Or rien de tout cela ne peut être obtenu dans la jungle, au milieu de tant de migrants issus de pays, de tribus, de religions différentes, regroupés en clans dans lesquels tous vont trouver aide et soutien. Alors qui pourrait parler, témoigner ?

Si l’on se demande pourquoi ce sujet-là plutôt qu’un autre, Olivier Norek l’a dit à plusieurs reprises, il est lui-même descendant de migrant polonais, hommage au grand-père qui a su prendre sa place dans son pays d’accueil, on ne manquera pas de lire à ce sujet la dédicace du roman. Il faut dire que de tous temps l’exode est partie prenante de la condition humaine et ce n’est pas demain que cela va s’arrêter.

La situation actuelle des migrants peut être vécue comme un de ces moments de l’Histoire dont un pays ne peut pas s’enorgueillir. Ce que j’ai vraiment aimé, c’est que l’auteur nous montre une situation particulièrement sensible en ayant l’intelligence de l’appréhender dans son ensemble. Et c’est assez rare pour le souligner, ici tous les points de vue sont abordés, migrants, calaisiens, flics, politiques, en essayant de s’immerger pour comprendre sans juger, et au contraire pour prendre conscience.

Entre deux mondes est un roman magistral, réaliste et humain, qui procure des émotions fortes et donne envie d’ouvrir les yeux et de comprendre le monde qui nous entoure.

Du même auteur, lire Surface et l’article d’une rencontre avec l’auteur.

Catalogue éditeur : Michel Lafon

Ce polar est monstrueusement humain, « forcément » humain : il n’y a pas les bons d’un côté et les méchants de l’autre, il y a juste des peurs réciproques qui ne demandent qu’à être apaisées.
Bouleversant

Fuyant un régime sanguinaire et un pays en guerre, Adam a envoyé sa femme Nora et sa fille Maya à six mille kilomètres de là, dans un endroit où elles devraient l’attendre en sécurité. Il les rejoindra bientôt, et ils organiseront leur avenir. 
Mais arrivé là-bas, il ne les trouve pas. Ce qu’il découvre, en revanche, c’est un monde entre deux mondes pour damnés de la Terre entre deux vies. Dans cet univers sans loi, aucune police n’ose mettre les pieds. 
Un assassin va profiter de cette situation. 
Dès le premier crime, Adam décide d’intervenir. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’il est flic, et que face à l’espoir qui s’amenuise de revoir un jour Nora et Maya, cette enquête est le seul moyen pour lui de ne pas devenir fou. 

Bastien est un policier français. Il connaît cette zone de non-droit et les terreurs qu’elle engendre. Mais lorsque Adam, ce flic étranger, lui demande son aide, le temps est venu pour lui d’ouvrir les yeux sur la réalité et de faire un choix, quitte à se mettre en danger.

Engagé dans l’humanitaire pendant la guerre en ex-Yougoslavie, puis capitaine de police à la section Enquête et Recherche de la police judiciaire du 93 pendant dix-huit ans, Olivier Norek est l’auteur de la trilogie du capitaine Coste (Code 93, Territoires et Surtensions) et du bouleversant roman social Entre deux mondes, largement salués par la critique, lauréats de nombreux prix littéraires et traduits dans près de dix pays.

Parution : 05/10/17 / Prix : 19.95 € / ISBN : 9782749932262

8 réflexions sur “Entre deux mondes, Olivier Norek

  1. Jean-Paul DEGACHE juin 24, 2020 / 12:41

    Tu me motives vraiment pour lire Olivier Norek… Encore un auteur à découvrir ! Merci Domi !!!

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    • Domi juin 25, 2020 / 00:01

      Ah oui alors, j’aime énormément et celui-ci est une pépite, vraiment 💙

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  2. Choup juin 28, 2020 / 20:09

    je l’ai lu pour la première fois avec ce roman, et quelle claque! je pense encore à Adam de temps en temps, deux ans après l’avoir lu. c’est dire…

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    • Domi juin 28, 2020 / 20:59

      je te comprends, c’est vraiment un roman qui marque. L’auteur a été capable de faire un thriller passionnant et en même temps d’aborder de façon réaliste et très humaine le drame des migrants, des enfants soldats, du pays que l’on quitte dans l’espoir d’une vie meilleure, et de la jungle de Calais, mais jungle que l’on retrouve sans doute dans tous les camps où sont parqués les migrants. Très fort ce roman.

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