La danse de l’eau, Ta-Nehisi Coates

Quand fantastique et Histoire s’entremêlent pour raconter l’esclavage dans l’Amérique d’avant la guerre de sécession

Ta-Nehisi Coates situe son roman vers 1850/1860, à la veille de la guerre de sécession (1861 à 1865) en Virginie. Comme tant d’autres autour d’elle, la plantation de tabac Lockless, qui appartient à Mr Walker est déclinante, car la terre exploitée de façon intensive depuis trop d’années est désormais exsangue. Les petits propriétaires terriens souhaitent maintenir leur train de vie et garder leurs domaines. Mais cela se fait souvent au prix de la vente d’esclaves. C’est ainsi que la mère d’Hiram a été vendue à une autre plantation. Mais lui reste à Lockless, car il est aussi le fils du maître.

Hiram Walker devient le gardien de son frère. Mais pas de n’importe quel frère. Si Hiram Walker est un esclave fils d’une esclave et du maître, son frère Maynard est l’héritier de la maison Walker.

Hiram a des dons et en particulier une mémoire photographique prodigieuse. Il lui suffit d’entendre ou de voir une fois, et tout est gravé à jamais dans sa mémoire. Éduqué avec le fil du maître, il devient très vite son gardien et son protecteur. Même s’il reste à jamais un asservi, alors que Maynard est un distingué.

Car ici, l’auteur ne parle pas de maître ou d’esclaves, de blanc ou de noir, mais de distingués, ce sont les plus ou moins riches propriétaires des plantations ; de blancs inférieurs, ce sont ceux qui supervisent et contrôlent les esclaves pour les blancs supérieurs ; d’affranchis, ce sont d’anciens esclaves, et enfin d’asservis.

Hiram comprend à l’adolescence qu’il a également un pouvoir très particulier, celui de la conduction. C’est la capacité à se déplacer d’un endroit à l’autre en faisant uniquement appel aux souvenirs. Si les premières années ce pouvoir apparaît lorsqu’il est dans des situations dangereuses ou dramatiques, par la suite il se rend compte qu’il est intiment lié à l’eau, cet élément que domptait déjà sa mère lorsqu’elle pratiquait La Danse de l’eau.

Hiram doit apprivoiser ce don mystérieux lié à l’eau : grâce à la Conduction il peut se transporter d’un endroit à un autre. Mais pour que cela fonctionne, il doit se remémorer les souvenirs traumatiques de son enfance et les moments le plus douloureux de son passé, par exemple à chaque fois lui revient le souvenir de sa mère disparue lorsqu’il avait neuf ans, cette mère qu’il voit pratiquer la danse de l’eau.

L’auteur nous propose un roman initiatique d’un genre tout à fait singulier. Un texte hybride entre récit initiatique, histoire de l’esclavage traitée par le point de vue d’un esclave, mais aussi roman qui montre la puissance de la liberté quand elle permet d’échapper à sa condition.

Ta-Nehisi Coates évoque le mythe des Africains marcheurs sur l’eau, ces esclaves dont on pensait qu’ils avaient sauté des bateaux, ou plus tard s’étaient échappés des plantations, pour se transporter par la force de la volonté sains et saufs vers l’Afrique des origines.

De même il fait allusion à l’Undergournd railroad, que l’on retrouve dans le roman de Colson Withehead, avec ces hommes et ces femmes blancs ou noirs qui aident Hiram, en Virginie, en Pennsylvanie, où qu’il aille, et lui permettent d’intégrer le réseau pour en devenir un membre actif.

J’ai retrouvé également dans ce texte l’allusion à La fièvre qu’évoquait si bien le roman de Sébastien Spitzer (même si là c’était en 1870 à Memphis). Cette fièvre qui dans l’esprit tordu des blancs ne touchait pas les noirs, pauvres noirs qui du coup étaient envoyés au contact des malades et mourraient par milliers.

Enfin, une part importante est donnée à la force de la mémoire, celle de Hiram qui est prodigieuse mais dont pourtant certains souvenirs douloureux se sont effacés, comme pour lui permettre d’avancer malgré tout ; celle qui lui permet de réussir à se déplacer là où d’autres ne peuvent aller, grâce à la conduction ; celle des esclaves avec leurs pratiques, leur magie et leurs croyances d’origine, cette mémoire d’un peuple qui se transmet par delà le temps et l’espace, avec une grande place laissée au surnaturel et à la magie.

Un roman singulier, qui m’a perturbée par moments par ce côté fantastique et magique, mais qui aborde des thèmes passionnants avec une humanité et une maîtrise tout à fait intéressantes.

Roman lu dans le cadre de ma participation au Jury Audiolib 2022

Catalogue éditeur : Audiolib, Fayard

Le jeune Hiram Walker est né dans les fers. Le jour où sa mère a été vendue, Hiram s’est vu voler les souvenirs qu’il avait d’elle. Tout ce qui lui est resté, c’est un pouvoir mystérieux que sa mère lui a laissé en héritage. Des années plus tard, quand Hiram manque se noyer dans une rivière, c’est ce même pouvoir qui lui sauve la vie. Après avoir frôlé la mort, il décide de s’enfuir, loin du seul monde qu’il ait jamais connu.
Ainsi débute un périple plein de surprises, qui va entraîner Hiram de la splendeur décadente des plantations de Virginie aux bastions d’une guérilla acharnée au cœur des grands espaces américains, du cercueil esclavagiste du Sud profond aux mouvements dangereusement idéalistes du Nord.

Ta-Nehisi Coates est l’auteur d’Une colère noire (Autrement, 2016 ; J’ai lu, 2017 ; lauréat du National Book Award 2015) ; Le Grand Combat (Autrement, 2017 ; J’ai lu, 2018) ; et Huit ans au pouvoir : une tragédie américaine (Présence africaine, 2020). Il est également lauréat d’une bourse MacArthur. La Danse de l’eau, son premier roman, a rencontré un grand succès critique et commercial aux États-Unis, et a été traduit dans quatorze langues. Ta-Nehisi Coates vit à New York avec sa femme et son fils.

Fayard : Parution 18/08/2021 Audiolib Parution le 13/04/2022 Durée : 15h22 lu par Alex Fondja Traduit par Pierre Demarty EAN 9791035408138 Prix 27,50 €

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