Najat ou la survie, Rania Berrada

Partir, loin, à tout prix. Est-ce vraiment survivre ?

Najat vit avec sa famille au Maroc mais ne rêve que d’une chose, partir loin, en France, pour enfin connaître un semblant de liberté. Car dans son pays, une femme n’est jamais libre, jamais indépendante. Elle quitte le foyer des parents pour celui du mari. Père, frère, époux, il y a toujours un homme pour diriger sa vie.

Mais Najat rêve d’exil.

Après une scolarité brillante et un diplôme d’études supérieures, impossible pourtant d’exercer un emploi au Maroc. Aucun poste, aucun métier ne lui est ouvert. C’est le lot de bien des femmes de son pays.

Seul espoir, trouver un mari qui pourra l’emmener avec lui en France. Mais Najat est poursuivie par la malchance.

Rien ne se passe jamais comme il faudrait, des années à attendre un époux volage, des années à vivre cloîtrée en France, une survie qui tient de la prison volontaire.

Najat attend, Najat espère, Najat à une volonté à toute épreuve face à l’adversité.

L’intérêt de ce roman réside surtout dans ce qu’il dit de la condition féminine au Maroc, et sans doute plus largement au Maghreb. Pays évolué si l’on veut le comparer à certains autres, mais où les femmes ont encore beaucoup de mal à se faire une place dans la société, effacées, oubliées, enfermées dans des familles dont elles n’ont que peu d’espoir de sortir. Un roman intemporel, qui nous plonge dans u quotidien que l’on a du mal à situer dans le temps, mais qui est très intéressant, en particulier par le caractère aussi fataliste et cependant pugnace pour tenter de réaliser son rêve de Najat.

Roman lu dans le cadre de ma participation au jury du Prix littéraire de la Vocation 2023

Catalogue éditeur : éditions Belfond

Najat se l’est promis, elle ne deviendra ni instit ni mère au foyer. Elle quittera Oujda, cette ville marocaine coincée à la frontière algérienne, et réalisera son rêve : atteindre le kharij, l’Europe. Le sésame doit venir d’un homme : un cousin lointain qui a émigré et qu’elle pourrait épouser avec l’accord du père. Mais chaque fois que Najat approche du but, quelque chose se grippe dans la mécanique. Quelque chose qui vient des hommes, de l’administration, du mauvais œil…
Qu’est-ce qu’une vie passée à attendre ?

En peignant cette femme empêchée qui ne renonce jamais, Rania Berrada s’attache à débusquer l’héroïsme discret d’une vie ordinaire.

Rania Berrada est née en 1993 à Rabat. Franco-marocaine, elle vit à Paris, où elle est journaliste pour Brut.
Najat ou la Survie est son premier roman.

Date de parution : 12/01/2023 / 20.50 € / EAN : 9782714498861 / Nombre de pages : 336

De sel et de sang, Fred Paronuzzi Vincent Djinda

Découvrir un épisode peu glorieux de notre Histoire

En cet été 1893, dans les marais salants d’Aigues-Mortes, l’entente est tout sauf cordiale entre les différents groupes de travailleurs.

D’une part les trimeurs, des français qui sont souvent des vagabonds et des repris de justice, et les Piémontais, ces ouvriers italiens venus offrir leur force de travail pour réaliser les tâches que les autochtones ne veulent pas faire. Car la tâche est dure. Sous un soleil de plomb et une lumière éblouissante qui fait mal aux yeux, sans eau, et à la chaîne, la récolte du sel assèche les gorges, dessèche et mord la peau. La fatigue extrême rend tout plus difficile. Il en faut peu alors pour échauffer les esprits retords.

Une rixe éclate, qui pourrait n’être qu’une simple bagarre entre ouvriers, mais quelques hommes s’échappent vers Aigues-Mortes pour y apporter la mauvaise parole. Là, de rixe, cette échauffourée entre hommes devient bagarre sanglante avec morts ou blessés. D’heure en heure, la colère enflé. Il n’y a plus aucun moyen de rendre raison pour arrêter la foule vengeresse.

Comme c’est très bien expliqué dans les pages qui concluent cette BD, cet événement a bien eu lieu, le village s’est déchaîné contre quelques migrants venus chercher du travail en France. Triste et tragique événement qui s’est terminé par des morts et de nombreux blessés, et le départ des italiens vers leur pays. Quelques mois plus tard, un procès inique n’a jamais rendu justice aux victimes. Une affaire qui n’a été dénoncée que dans les années 70.

Le graphisme tout en fondu dans le trait et les couleurs, fait essentiellement de teintes ocres, restitue habilement cette chaleur, le travail des salines, l’ambiance à la révolte et le soulèvement des villageois. Les visages à peine esquissés créent une forme d’unité dans cette foule qui ne répond plus de rien, et agit comme un seul homme. Mensonges, vengeance, violence, folie, révolte, tout est là et tout éclate sans qu’aucune forme d’autorité ne réussisse à calmer le jeu ni même à tout arrêter.

Une BD réussie, qui explique un moment fort de l’histoire de cette région et de la vie des travailleurs de la compagnie des salins.

On ne peut que penser au roman de Jean Teulé, Mangez le si vous voulez, en le lisant. Cette folie que rien ne peut arrêter et qui s’empare d’une foule sans qu’aucun sens critique ou aucun appel à l’ordre ne puisse obtenir le moindre effet. C’est absolument terrifiant.

Ce titre était en lice pour le Prix Orange de la BD.

Catalogue éditeur : Les arènes

Ce mois d’août 1893 aurait pu disparaître des mémoires. La ville gronde d’une colère folle. L’étranger devient un animal à abattre, sans état d’âme.
Saura-t-on jamais ce qui a déclenché une telle folie ?

Les auteurs de De sel et de sang s’emparent librement de ces faits réels (qui ont une troublante résonance avec le monde d’aujourd’hui) et racontent ces moments de démence, qu’un journaliste du Journal du Midi a décrit comme « indignes d’un peuple civilisé » (édition du 18 août 1893). On y découvre comment les discours nationalistes et cocardiers, les fantasmes xénophobes et la vieille rengaine « fiers d’être français », ont incité des laissés-pour-compte à se déchaîner contre leurs frères de misère avec une effrayante sauvagerie.

Vincent Djinda Frédéric Paronuzzi / 19 mai 2022 / 22.00€ / ISBN 9791037506320

Patte blanche, Kinga Wyrzykowska

Manipulation et survie, ou l’aventure extra-ordinaire d’un famille ordinaire

Si les Simart-Duteil ont marqué notre esprit, c’est parce que cette famille est une caricature de la famille typiquement française vivant dans une maison bourgeoise. Elle cristallise à la fois nos ambitions et nos rêves. Et pourtant, si nous savions ce qui se cache derrière le vernis.

Chez les Simart-Duteil il y a Claude le patriarche, disparu depuis peu victime d’un cancer. Ce bâtisseur non pas de cathédrale mais d’autoroute, en particulier au Moyen Orient, a su mener sa famille à la baguette ; Isabella la mère, italienne belle et racée sur le retour ; Paul, Clotilde et Samuel, la fratrie pas toujours aussi solidaire qu’elle le laisse à penser. Mais à la disparition du patriarche, un frère inconnu vient se manifester et réclamer sa place.

Cet étrange courrier arrive dans les boites mails de chacun, faisant planer une ombre malveillante sur la famille. Issu d’un mariage illégal en Syrie, il veut connaître ses frères et sa sœur. Tant qu’il vit en Syrie, tout va bien. Mais si les routes sont dangereuses et souvent mortelles pour les migrants, le chemin vers une famille parisienne aisée est bien tentant.

Commence alors de la part de Paul un véritable travail pour souder la famille contre l’intrus. Paul qui avait été rejeté par tous du fait de son homosexualité avouée lorsqu’il était plus jeune cherche aujourd’hui à reprendre sa place d’aîné. Il devient l’unique conseiller et le soutient de la famille. C’est ainsi que chacun des membres de la famille va se terrer pendant des mois, loin de l’intrus, dans une résidence secondaire en Normandie.

Questionnements sur l’immigration, sur notre façon d’accueillir l’autre, celui que l’on ne connaît pas, mais aussi sur les attentats de 2015 et la façon dont ils ont transformé la société française. Enfin, sur les relations parfois délétères des familles, le pouvoir de la séduction, de la manipulation, la jalousie, le pouvoir, le doute, les craintes, l’aplomb et l’assurance de certains et cette capacité à convaincre envers et contre toute logique.

Intriguant et perturbant, voilà un roman qui se lit jusqu’au bout avec circonspection, puis à la fin avec comme une envie de tout reprendre depuis le début avec un nouvel éclairage projeté sur les membres de cette famille pour le moins déjantée.

Inspiré d’un fait divers réel, mais posé ici de façon intelligente et tout à fait singulière, Kinga Wyrzykowska sait nous tenir en haleine et nous faire douter. Un excellent premier roman, et une autrice que l’on a immédiatement envie de suivre.

Alors, et vous, l’avez vous déjà lu ? Intriguant à souhait, qu’en pensez-vous ?

Un roman de la sélection 2023 des 68 premières fois

Catalogue éditeur : Seuil

Les Simart-Duteil ont marqué votre enfance. Leur nom si français, leur maison flanquée d’une tourelle – comme dans les contes –, leur allure bon chic bon genre ont imprimé sur le papier glacé de votre mémoire l’image d’une famille parfaite.
Un jour, pourtant, vous les retrouvez à la page des faits divers, reclus dans un manoir normand aux volets fermés. Les souvenirs remontent et, par écran interposé, vous plongez dans la généalogie d’un huis clos.
Paul, Clothilde, Samuel ont été des enfants rois. Leur père, magnat des autoroutes au Moyen-Orient, leur mère, Italienne flamboyante, leur ont tout donné. Quand un frère caché écrit de Syrie pour réclamer sa part de l’héritage, la façade se lézarde. Les failles intimes se réveillent.
Paul, dont la notoriété d’influenceur politique commence à exploser, décide de prendre en main le salut de son clan. Une lutte pour la survie de la cellule familiale se met en branle. Et l’« étranger » a beau montrer patte blanche… il n’est pas le bienvenu. Lire la suite….

Date de parution 19/08/2022 / 20.00 € / 320 pages / EAN 9782021514087

La ville des incendiaires, Hala Alyan

Quand le retour au pays révèle de lourds secrets de famille

Mazna a quitté la Syrie et Idris le Liban dans les années 70.
Ils se sont connus à Damas lors d’une représentation au théâtre. Mazna était l’actrice du rôle principal et Idris l’ami du metteur en scène. Séduit par la jeune femme, il n’a eu de cesse de lui proposer de l’accompagner passer des journées avec lui à Beyrouth, voir ses amis, sa famille.
C’est là que Mazna a rencontré Zakaria, l’ami d’Idris, le presque frère, le fils de la domestique palestinienne.

Quarante ans se sont écoulés. Idris est devenu chirurgien, il opère des cœurs, il leur parle et les écoute. Et c’est un cœur qui lui a enjoint de vendre la maison de son père à Beyrouth. Cette maison où plus personne ne vient, mais qui est malgré tout chère à tous les membres de sa famille.
Mazna essaie d’imposer à ses enfants de les retrouver à Beyrouth pour tenter d’empêcher la vente. Si chacun d’eux a des raisons différentes de ne pas vouloir y aller, ils ont aussi toutes les bonnes raisons du monde pour y venir.
Leur fils Marwan refuse d’aller à Beyrouth, son groupe de musique est plus important que tout. Mais finalement il se décide et ira avec Harper.
Leur fille Ava ne sais pas trop, envie, pas envie, faire plaisir aux parents, retrouver la maison de famille. Atermoiements, interrogations, hésitation puis décision, ce sera Beyrouth avec ou sans Nate, ce mari qui ne lui refuse rien.
Reste à voir comment va réagir Najla, la petite sœur installée à Beyrouth justement. Pas chez ce grand-père qui est décédé et qu’il faut honorer avant la vente, mais pour y vivre sa vie de chanteuse à succès, et pouvoir être elle-même, amoureuse de ces femmes qu’elle quitte aussi vite qu’elle les séduit.
Mais peu à peu des secrets pourraient se révéler au cours de ce voyage au pays des origines.

Faisant des aller retour entre présent et passé, l’autrice réussi à travers le parcours chaotique de cette famille à décrire la complexité des relations entre le Liban, la Syrie et la Palestine.
Destinées qui se mêlent et s’entrechoquent au rythme des guerres, des tensions religieuses toujours fratricides et jamais assouvies et des aléas politico-religieux qui ont si souvent décidé du bien être ou du malheur des populations de cette partie du monde.

Un bémol important, la taille de la police de caractère qui a rendu cette lecture bien fastidieuse et compliquée, quel dommage.

Catalogue éditeur : Marabout, La Belle Étoile

À la fin des années soixante-dix, Mazna et Idris Nasr ont été contraints de quitter leur pays : la Syrie, pour elle ; le Liban, pour lui. Ensemble, ils se sont installés dans une petite ville en plein désert californien. Si Idris est parvenu à réaliser son rêve d’être médecin, Mazna, elle, a dû dire adieu à sa carrière d’actrice pour élever leurs trois enfants.
Quarante ans plus tard, la famille vit éparpillée à travers le monde, tentant de maintenir des liens chaotiques et tourmentés. Un seul point les relie désormais : la demeure ancestrale de Beyrouth. Mais lorsque Idris décide de vendre cette maison où plus personne ne va, tous embarquent aussitôt pour défendre l’ultime bastion de leur histoire commune.
À travers cette grande saga familiale, Hala Alyan retrace la destinée tragique de tout un pays, le Liban, marqué par la guerre, les tensions religieuses et les protestations politiques. Un pays prêt à s’embraser à tout instant, à l’instar de cette famille rongée par des secrets qui, révélés, pourraient faire exploser sa fragile existence.

24/08/2022 / pages 416 / EAN 9782501160742 / Prix 22,90€

La commode aux tiroirs de couleur, Olivia Ruiz

Une histoire de racines, de transmission, d’héritage, une belle histoire de femmes

Que faire lorsque votre grand-mère adorée décède et qu’elle vous lègue Le meuble qui vous a toujours fascinée, sa commode aux tiroirs interdits ?

Que de rêves fous, de fantasmes, d’imagination ont eu chacun des petits enfants, et elle en particulier, en espérant pouvoir ouvrir la commode lorsque l’abuela serait absente. Mais aucun ne l’a jamais fait, et aujourd’hui qui sait quelle vérité va enfin émerger de ces tiroirs ? Car dans cette famille qui parle si peu du passé on préfère depuis toujours aller de l’avant.

Alors tout au long d’une longue nuit elle va ouvrir les tiroirs chacun à son tour, et en dévoiler les secrets d’une vie. Une médaille de baptême, une enveloppe, un foulard, un souvenir, une photo, une lettre, et la voix de Rita-Joséphine pour dire sa vie, ce qu’elle a été, celle qu’elle a rêvé d’être, ce qu’elle aurait pu être si… un cortège d’objets pour une transmission familiale tendre et passionnée, tragique et drôle, chaleureuse et colorée.

Chaque objet est un morceau de vie jamais dévoilé aux petites filles. L’Espagne, la guerre civile, les parents condamnés qui décident de sauver leurs filles, l’exode des républicains, l’arrivée en pays inconnu et hostile, cette France du sud. Une identité perdue, une autre adoptée, une famille perdue, une autre retrouvée, l’exil, la perte des racines, la solidarité, l’entraide, la combativité. Une femme combative et indépendante, forte et amoureuse, blessée et résiliente.

L’écriture est belle, les personnages réellement incarnés, les situations, les familles et l’Histoire de l’Espagne sont retracés avec justesse et sans misérabilisme ni aucune rancœur.

Bon, un petit bémol pour le dernier chapitre et l’arrivée de cette femme qui parait si peu crédible, cette situation rocambolesque. Mais on pardonne et on retient surtout de l’ensemble une belle impression d’amour pour la famille, pour ceux qui ont fait de nous ce que nous sommes, pour ce message qu’il faut à son tour transmettre.

J’aime beaucoup cette version audio lue par Olivia Ruiz, elle donne tellement de vie à cette famille et à cette époque où l’histoire de l’Espagne et de la France se rencontrent. Que j’ai aimé l’écouter me raconter son Espagne rêvée, son abuela inventée pour se substituer sans doute à ses véritables grands-parents qui semble-t-il n’ont jamais évoqué ce qu’ils avaient abandonné dans leur pays. Comme de nombreux espagnols ayant fui l’Espagne de la guerre civile et du franquisme. Des personnages attachants, des situations réalistes, tristes, dramatiques mais heureuses aussi.
Un vrai moment de vie à partager. La voix de l’autrice apporte un parfum de vérité qui donne une saveur extraordinaire à ce roman que je vous conseille vivement que ce soit en version audio ou écrit. Il est désormais disponible également au Livre de Poche. Et en BD chez Grand Angle éditions.

Catalogue éditeur : J.C Lattès, Audiolib, Le Livre de Poche

À la mort de sa grand-mère, une jeune femme hérite de l’intrigante commode qui a nourri tous ses fantasmes de petite fille. Le temps d’une nuit, elle va ouvrir ses dix tiroirs et dérouler le fil de la vie de Rita, son Abuela, dévoilant les secrets qui ont scellé le destin de quatre générations de femmes indomptables, entre Espagne et France, de la dictature franquiste à nos jours.
La Commode aux tiroirs de couleurs signe l’entrée en littérature d’Olivia Ruiz, conteuse hors pair, qui entremêle tragédies familiales et tourments de l’Histoire pour nous offrir une fresque romanesque flamboyante sur l’exil.

Parution : 09/06/2021Durée : 4h10 / EAN 9791035405137 Prix du format physique 21,90 € / EAN numérique 9791035405441 Prix du format numérique 19,95€

Maritimes, Sylvie Tanette

Une île comme refuge, une île comme tombeau

Un conte, une fable, un court roman qui sait dire en peu de mots l’amour et la mort, la guerre et le fascisme, la vie et la tragédie.

Sur l’île, hommes et femmes vivent heureux et libres, même s’ils ont bien compris que sur la terre si proche les temps ont changé et la liberté est un mot galvaudé.

Le jour où Benjamin accoste, les regards sont d’abord inquisiteurs, puis très vite solidaires et amicaux. Car tout le monde l’aime ce jeune homme arrivé de nulle part, enfin, de cette terre inhospitalière si proche. Tout le monde comprend qu’il ne faut pas trop poser de question, qu’il faut accepter ou rejeter, mais qu’ensuite il n’y aura plus le choix. Alors on l’accepte avec ses secrets, avec son sourire, avec sa force, son sens du partage, son courage, sa volonté. Tout comme Michaëla d’ailleurs, qui très vite le rejoint en secret pour vivre avec lui sa plus belle histoire… enfin, si les hommes de là-bas ne le rattrapent pas, si la liberté existe, et si les hommes et les femmes libres ont le droit de s’aimer.

Dans ce très court et émouvant roman, Sylvie Tanette, dont j’avais déjà apprécié Un jardin en Australie, nous offre dans un registre différent un superbe texte toujours empreint d’une grande humanité.

Catalogue éditeur : Grasset

Une île perdue en Méditerranée. Des collines, des oliveraies et, au fond d’une crique rocheuse, un village paisible avec son port minuscule. Depuis toujours, sa poignée d’habitants se tient à distance du continent… Ils racontent que de mystérieuses créatures marines veillent sur eux.
Assis sur un banc face à la mer, un vieillard se souvient. C’était l’époque de la dictature. Un jour, un jeune inconnu à l’allure de dieu grec, Benjamin, avait débarqué sur l’île.  Il était en fuite, tous s’en doutaient mais nul, jamais, ne lui a demandé de comptes. Benjamin s’est installé dans une maison en ruine, sur un promontoire isolé où bientôt le rejoint Michaëla, fille de l’île et de la mer. Mais la haine qui ravage un continent peut frapper un bout de terre qui se croit à l’abri du monde.
Une puissante histoire de résistance et d’indocilité qui est aussi un appel à l’attention envers la nature et à la force de la fraternité. L’évocation poétique et solaire d’une mythologie méditerranéenne éternelle et celle d’une mémoire chargée de chagrin. On n’oubliera pas la vision de Michaëla et Benjamin, de leur amour éperdu, fracassé par l’horreur de la dictature. 

120 x 185 mm / Pages : 120 / EAN : 9782246825623 prix 14.00€ / EAN numérique : 9782246825630 prix 9.99€ / paru le 12 Mai 2021

Nos corps étrangers, Carine Joaquim

Les insoupçonnables tourments du corps et de l’esprit, un premier roman noir qui bouleverse nos certitudes

Plonger en apnée… dans la vie de ce couple qui s’exile en banlieue parisienne « pour que ça aille mieux » mais qui manifestement s’exile aussi pour tenter de se raccorder. À qui et à quoi ?
Quand un mari part chaque matin travailler à Paris, dans ces transports qui vous abîment plus sûrement que quelques dizaines d’années de plus au compteur
Quand son épouse se morfond à longueur de journée même si elle a enfin de la place pour manier les pinceaux et s’adonner pleinement à ses aspirations d’artiste peintre.
Quand leur fille rejette avec force le nouveau lycée dans lequel elle va pourtant enfin trouver une épaule attentive et aimante en la personne d’un jeune émigré africain qui sort indiscutablement du lot des autres lycéens.

Difficile de les rassembler ces corps qui s’évaporent, se rejettent, s’ignorent.
De nombreux thèmes sont abordés par l’auteur, relation de couple, adultère, crise d’adolescence, émigration, secret et anorexie, handicap et différence, solitude et perte de confiance. Et pourtant tout s’enchaîne, s’emboîte comme une évidence jusqu’à ce final qui nous entraîne vers les plus sordides faits divers, et dans lequel éclate toute la solitude, le désespoir de certains êtres que l’on aurait pourtant bien imaginés capables de bonheur.

Un premier roman très prometteur, où la violence éclate et bouleverse, et que l’on ne peut pas lâcher avant de savoir, mais surtout avant la claque finale.

Un roman de la sélection 2021 des 68 premières fois

Catalogue éditeur : La manufacture de livres

Quand Élisabeth et Stéphane déménagent loin de l’agitation parisienne avec leur fille Maëva, ils sont convaincus de prendre un nouveau départ. Une grande maison qui leur permettra de repartir sur de bonnes bases : sauver leur couple, réaliser enfin de vieux rêves, retrouver le bonheur et l’insouciance. Mais est-ce si simple de recréer des liens qui n’existent plus, d’oublier les trahisons ? Et si c’était en dehors de cette famille, auprès d’autres, que chacun devait retrouver une raison de vivre ?

Dans son premier roman, Carine Joaquim décrypte les mécaniques des esprits et des corps, les passions naissantes comme les relations détruites, les incompréhensions et les espoirs secrets qui embrasent ces vies.

19,90 euros / 232 pages / Parution le 07/01/2021 / ISBN 978-2-35887-724-4

Rhapsodie des oubliés, Sofia Aouine

Grandir dans les rues de la Goutte d’Or, pour le meilleur ou pour le pire

Abad, jeune émigré libanais, est à l’âge de tous les possibles, celui où tout commence. Il a comme les gamins de son âge des envies de sexe et d’amour, de voyages et de découvertes. Mais avec père quasi absent, une mère toujours débordée et soumise, il est facile de se laisser tenter lorsque les copains vous promettent la lune. Et une fois tombé dans le piège, il a affaire à une justice qui n’entend pas ces jeunes qui espèrent, attendent, et parfois tombent.

À partir de ce jour, il doit aller voir Madame Futterman, la dame qui ouvre dedans, celle qui malgré sa vie de petite fille juive triste, sait écouter et parfois rire aux éclats. Il croise la route de Gervaise, la belle prostituée noire qui contrainte par les sorciers ne quittera jamais cette condition avilissante qui l’attendait à Paris, alors qu’on lui avait fait miroiter un vrai métier qui lui aurait permis d’élever sa fille. Puis Odette, la voisine accueillante qui lui offre rêve et douceur au pays des sucreries et de la musique. Il y a enfin Bat-man, la jeune fille voilée tenue enfermée par les hommes de sa famille autant chez elle que sous son voile, celle qui rêve de s’échapper et pour laquelle Abad aura son premier coup de foudre.

Premiers amours, premiers émois, premières grosses bêtises, quitter la rue Léon et la Goutte d’Or, quitter encore une fois ceux qu’on aime, partir encore pour grandir.

L’écriture, vivante et violente, utilise l’argot et le langage des rues pour faire passer les émotions, la vie qui brûle et bouleverse Abad et ses copains. Quelle énergie, quel humour, quel tourment dans ces mots, ces rencontres, ces aventures amères et douloureuses. Il se dégage de ce roman une rage de vivre, d’être, d’exister, qui prend le lecteur et ne le lâche pas. Abad m’a fait penser au petit Momo de Romain Gary, d’ailleurs présent en exergue d’un chapitre. L’auteur fait vivre par ses mots, son rythme, cette ville qui perd ses jeunes dans les quartiers où la violence, la drogue et la misère ne sont jamais loin, malgré leur rage de vivre, leurs rêves et leur droit au bonheur. Et où l’on constate une fois de plus que la volonté et l’intelligence ne favorisent pas toujours l’intégration des émigrés jeunes ou moins jeunes. J’ai apprécié aussi les rôles et les personnalités des personnages secondaires qui donnent rythme et vie au roman.

Si j’ai apprécié écouter ce roman que j’avais déjà aimé lors de sa sortie, la voix d’Ariane Ascaride ne m’a pas convaincue lorsqu’elle incarne Abad. Il m’apparaît difficile d’être à la fois ce gamin des rues et toutes les femmes qui gravitent autour de lui. Dès qu’elle aborde les autres personnages par contre, elle les incarne avec une émotion que le lecteur ne peut que ressentir à son tour. Mais malgré ce bémol, l’écoute de ce roman m’a fait passer un excellent moment, j’ai aimé en retrouver tous les personnages et la belle écriture de l’autrice.

Roman lu dans le cadre de ma participation au Jury Audiolib 2021

Catalogue éditeur : Audiolib, Éditions de la Martinière

« Ma rue raconte l’histoire du monde avec une odeur de poubelles. Elle s’appelle rue Léon, un nom de bon Français avec que des métèques et des visages bruns dedans. »
Abad, treize ans, vit dans le quartier de Barbès, la Goutte d’Or, Paris XVIIIe. C’est l’âge des possibles : la sève coule, le cœur est plein de ronces, l’amour et le sexe torturent la tête. Pour arracher ses désirs au destin, Abad devra briser les règles. À la manière d’un Antoine Doinel, qui veut réaliser ses 400 coups à lui.
Rhapsodie des oubliés raconte sans concession le quotidien d’un quartier et l’odyssée de ses habitants. Derrière les clichés, le crack, les putes, la violence, le désir de vie, l’amour et l’enfance ne sont jamais loin.
Dans une langue explosive, influencée par le roman noir, la littérature naturaliste, le hip-hop et la soul music, Sofia Aouine nous livre un premier roman éblouissant.
Il fallait le talent d’Ariane Ascaride pour incarner avec autant de justesse cette écriture qui allie humour et drame, et ces « oubliés » que sa lecture nous rend inoubliables.


Avec la participation de l’auteur pour la lecture du chapitre 9.

Suivi d’un entretien avec l’auteur

Date de parution : 16 Septembre 2020 / Durée : 4h43 / Prix public conseillé: 21.50 € / Format: Livre audio 1 CD MP3 / Poids (Mo): 647 / EAN Physique : 9791035403645

Quartier libre, Vincent Lahouze

Mourir pour s’en sortir, le roman social et humaniste d’un auteur à suivre

A Toulouse, dans le quartier du Mirail, Olivier assiste aux obsèques d’Ismahane, une jeune fille qu’il connaît depuis des années. Ismahane la belle et lumineuse rebelle s’est suicidée. Olivier veut découvrir ce qui a motivé son geste incompréhensible.

Flash-back de quelques années, quand le jeune Olivier débarque dans ce quartier du Mirail à Toulouse pour travailler comme animateur social dans une école. On ne peut pas dire qu’il ait la vocation, mais il n’a pas le choix. Son père lui impose de prendre ce poste. Ses parents en ont raz le bol de voir leur fils de vingt ans planté devant son ordinateur et ses jeux en ligne à longueur de journée. Il est temps de se confronter au monde du travail.

La découverte va être totale, face à ces jeunes des quartiers difficiles, venus de familles souvent issues de l’immigration et qui vivent dans ces immeubles où il est plus facile de vendre de la drogue que d’espérer trouver un emploi. D’abord intrigué par son nouvel environnement de travail et souvent découragé, Olivier peu à peu apprend à connaître et aimer ces enfants qui le testent puis l’acceptent. En particulier la jeune Ismahane, rebelle, courageuse, meneuse de groupe et particulièrement intelligente.

La vie pourrait devenir belle avec Sophie son amoureuse, les enfants qu’il accompagne et cette vie d’animateur dans laquelle Olivier s’épanouit chaque jour un peu plus. Mais c’est sans compter sur les déboires sentimentaux. Sans compter surtout sur les caïds qui veulent mener la loi et maintenir sous leur coupe ces jeunes qui pourraient leur échapper. Et qui n’apprécient pas qu’on leur fasse de l’ombre.

Quartier libre est un roman très actuel, social et humain, ancré dans la réalité, prenant et terriblement émouvant. Il est à la fois déprimant face au sort inéluctable qui attend ces jeunes, et empli d’espoir envers ceux qui déploient ces étincelles de vie avec autant de pugnacité pour s’en sortir.
J’ai aimé l’écriture, le contexte, l’énergie qui s’en dégage. On a tellement envie de les prendre dans nos bras, mais parfois aussi de les secouer, de leur ouvrir les yeux, ou tout simplement de compatir, d’accepter ces vies tracées par la société, la famille, les traditions, et pour lesquelles au final on est impuissant à pouvoir faire quelque chose. Une totale découverte de cet auteur, et une vraie réussite.

Catalogue éditeur : Michel-Lafon

Février 2017, Olivier, éducateur d’une trentaine d’années, assiste à la veillée funèbre d’Ismahane, l’une de ses protégées qu’il connaissait depuis sa plus tendre enfance. Ismahane l’insolente, la libre et charismatique Ismahane, s’est suicidée à la veille de ses seize ans.
Pour lui rendre hommage et pour tenter de comprendre le geste irréparable de celle qui aurait dû avoir la vie devant elle, il décide de mener l’enquête. L’occasion pour lui de revenir sur ses débuts d’éducateur inexpérimenté catapulté dans ce quartier difficile de la banlieue de Toulouse. Un quartier régi par ses propres lois qui vous broie et vous recrache aussi bien qu’il peut vous porter.

Une réflexion bouleversante sur des quartiers où la vie tient de la survie, où la violence côtoie la plus grande humanité. Un livre coup de poing.

Parution : 15/10/20 / Prix : 17.95 € / ISBN : 9782749938974

Le premier qui tombera, Salomé Berlemont-Gilles

La désillusion du rêve français et la difficulté de l’intégration au pays de la liberté, égalité, fraternité

Hamadi noie sa vie dans l’alcool, prostré sur un brancard, c’est aujourd’hui un ivrogne perdu dans la blancheur de l’hôpital. Sa longue déchéance ne pouvait pas se terminer autrement, mais comment en est-il arrivé là ?

Il est arrivé en France avec ses parents trente ans auparavant. Ce pays porteur d’espoir, de liberté et d’égalité qui accueille, éduque, protège ceux qui souffrent et doivent fuir leur pays.

C’est une famille aisée et confortablement installée dans la vie qui quitte Conakry en Guinée pour fuir le régime de Sékou Touré. Le père Chirurgien, la mère et la fratrie s’installent en région parisienne dans une banlieue hostile. Là, les espoirs s’envolent lorsque le Chirurgien comprend qu’il ne pourra pas exercer son métier, celui pour lequel il était largement reconnu et apprécié dans son pays. Marie, la mère, une belle femme d’origine peule, n’a jamais travaillé. Mais elle trouve rapidement un emploi de caissière, car il faut faire vivre la famille. Le Chirurgien ne parvient pas à trouver d’emploi  et doit accepter de devenir un simple.

Hamadi est l’enfant chéri, le fils préféré de sa mère, bon élève au pays, il est celui qui doit montrer l’exemple et protéger les frères et sœurs. La tâche est lourde de sens, le poids trop grand pour ses épaules. A l’école, après des débuts prometteurs, c’est avec une bande de voyous qu’il s’accoquine pour se faire accepter du quartier, pour enfin s’autoriser à vivre. Devenu à son tour membre de la Fraternité, petit voyou comme eux, ils entre rapidement dans la spirale de la délinquance. Et quitte l’école pour des emplois plus généreux et plus faciles. Si les frères ont beaucoup de mal à s’intégrer, les filles et la mère portent une fois encore sur leurs épaules l’unité et l’espoir de la famille.

Hamadi, que l’on suit à trois étapes importantes de sa vie, est un personnage attachant, aussi fort et toujours prêt à se relever que faible et émouvant. La dimension de la famille, l’attachement à la fratrie, la difficulté d’être et de s’insérer, et de magnifiques descriptions de ces vies compliquées dans des banlieues parfois sordides rendent ces personnages terriblement humains.

L’écriture est dense et précise, faite de détails et de descriptions qui ne sont pourtant jamais de trop. Ce roman social sur l’exil, la banlieue, la jeunesse est d’une puissance incroyable. Il est à la fois émouvant, prenant, réaliste et dur. L’autrice explore avec intelligence et acuité la difficulté qu’il y a à se faire accepter pour les réfugiés ou migrants dans notre société souvent hostile face à ces inconnus qui perdent rapidement leurs illusions sur l’accueil et le rêve français. Un roman de vie, qui parle d’hommes et de femmes que l’on pourrait côtoyer chaque jour sans même les voir ni s’en rendre compte, qui ouvre les yeux et donne à réfléchir. Une réussite pour un premier roman que je n’ai pas lâché jusqu’à la dernière page.

Roman lu dans le cadre du jury du Prix littéraire de la Vocation 2020

Catalogue éditeur : Gasset

Lorsqu’il quitte Conakry avec sa famille pour fuir Sékou Touré, Hamadi a 11 ans, des parents qui s’aiment, un père respecté qu’on appelle Le Chirurgien, une mère douce et belle de qui il est le préféré, trois frères et sœurs dont il se sent déjà responsable. 40 ans plus tard, c’est un homme rompu qui hurle sur un brancard dans un hôpital parisien, ivre pour la énième fois. Ce jour-là, ses frères et sœurs, ceux venus d’Afrique et les deux nés Français, décident de le faire interner. Hamadi n’est plus l’aîné, fierté de la lignée, mais sa honte. Que s’est-il passé  entre-temps ?

Dans ce puissant premier roman, Salomé Berlemont-Gilles retrace les cinquante premières années d’un petit garçon tendre et fort qui se cognera vite aux murs de notre société pour découvrir le mensonge des mots inscrits au frontispice des bâtiments de notre République. C’est l’histoire d’un homme qui tombe, comme des milliers d’autres aujourd’hui. Mais c’est aussi celle des personnages qui, autour de lui, se battent pour le sauver et s’en sortir eux-mêmes, et parfois réussissent. Avec une poésie et une force foudroyantes, cette jeune auteur de seulement 26 ans signe son entrée en littérature.

Parution : 29 Janvier 2020 / Format : 141 x 206 mm / Pages : 288 / EAN : 9782246814382 prix 19.00€ / EAN numérique : 9782246814399 prix 13.99€